L’or maudit/1

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Police Journal Enr (Aventures de cow-boys No. 1p. 1-4).


L’OR
MAUDIT

Par PAUL VERCHÈRES


CHAPITRE 1er

LE VIEUX BAPTISTE


Le vieux Baptiste Verchères, fondateur et chef de police de Squeletteville, bourgade autour de laquelle il y avait plusieurs ranchs de cow-boys, était à trier ses vieux papiers afin de ne conserver que les bons.

Assis à une table rudimentaire, dans le bureau en bois rond qui constituait avec une cellule à barreaux, ce que pompeusement on appelait la STATION DE POLICE, déplia un papier et lut :

« M. l’Abbé Taché,
Montréal, Qué. :
Monsieur :

Lors de mon voyage à Montréal, vous avez manifesté l’intention de venir comme notre pasteur pour évangéliser nos braves cow-boys. Je crois que le temps est venu pour moi de vous appeler. Les rudes années d’autrefois, le règne du banditisme est définitivement terminé.

« Un prêtre comme vous saurait prouver sa nécessité en venant spiritualiser le matérialiste terre-à-terre de nos gas.

« Donc je vous attends.

« Respectueusement à vous,

baptiste verchères,
Chef de police de Squeletteville, Man. »


Guy Verchères, l’ennemi acharné des bandits millionnaires, l’Arsène Lupin canadien-français, le détective-amateur, successeur de Sherlock Holmes, n’était alors qu’un enfant.

Son grand-père, Baptiste, allait lui léguer son acharnement sans limites dans la lutte contres les criminels.

Le chef de police de Squeletteville froissa la copie qu’il avait gardée de cette lettre à l’abbé Taché.

Il y avait un an que la missive était partie.

Le prêtre était à la veille d’arriver.

Or dans ces derniers douze mois la situation avait changé à Squeletteville, changé pour le pire.

On avait découvert des gisements aurifères tout près de la bourgade.

Les bandits et les aventuriers avaient envahi la région.

Le règne du sang et de la terreur était revenu.

Un prêtre risquait par sa présence les quolibets et les horions.

Il ne ferait pas vieux os.

Non.

Une balle égarée mettrait tôt ou tard fin à sa vocation frustrée.

Mais comment l’empêcher de venir ?

Dilemme angoissant.

La porte de la station de police s’ouvrit et le jeune Gérard Marchildon, l’assistant du vieux chef, entra.

— Il y a, dit-il, à la saloune Chiasson une belle bataille en préparation.

— Comment ça ?

— C’est Artie Monroe qui fait des siennes.

Monroe était le jeune cow-boy le plus dangereux de la région.

Il était un grand vantard, mais il secondait sa vantardise de deux longs et lourds colts qui crachaient leur mitraille à la bonne place.

Baptiste demanda :

— De quoi s’agit-il au juste ?

— Monroe est arrivé il y a quelques minutes avec le fameux cheval du bandit fugitif Hugh Pander.

— Et Artie prétend avoir tué Pander, je suppose ?

— Oui, et sa tête étant mise à prix, il avait légalement le droit d’abattre le criminel.

— Oui, fit Verchères, mais la loi de l’Ouest est sévère, très sévère quand il s’agit de chevaux. Elle stipule clairement que tout cheval doit être IMMÉDIATEMENT remis au chef de police le plus rapproché. Sous peine d’être accusé de vol de grand chemin.

— Qu’allez-vous faire, chef ?

— Écoute, Marchildon, tu sais que Monroe est le premier cow-boy de Sandy Dougald. Tu sais aussi que Sandy Dougald est un voleur de claims, celui qui fait chanter les prospecteurs et les force à vendre leur lopin de terre aurifère. L’autre alternative c’est une balle égarée.

Gérard approuva :

— C’est lui qui nous donne le plus de fil à retordre en effet.

Baptiste reprit :

— Un prêtre s’en vient ici. Il faut à tout prix que nous rétablissions la paix matérielle afin qu’il ne sème pas le grain de senevé en terre inculte.

— Qu’allez-vous faire ?

— Je vais commencer le nettoyage.

Il se leva.

Marchildon lui demanda :

— Où allons-nous ?

— Tu m’as dit qu’Artie Monroe était à la saloune Chiasson ?

— Oui.

— Eh bien, c’est là que nous nous rendons.

Baptiste se mit à ruminer.

Hugh Pander, le bandit dont la tête avait été mise à prix, n’était pas méchant dans le fond.

Il avait assassiné les voleurs et les riches détrousseurs bien protégés. L’argent ainsi gagné, il l’avait donné libéralement aux métis et aux sauvages pauvres et surexploités !

Baptiste se demanda ce qu’il y avait de vrai dans les racontars qui le faisaient ancien ministre protestant.

Toujours est-il que tout le monde l’appelait révérend sans qu’il nie ou affirme ce statut.

Les deux policiers longèrent l’unique rue de Squeletteville, bordée de vieilles bicoques sales et qui plaidaient non coupables à toute peinture et à la chaux inclusivement.

Ils entrèrent au dessous d’une enseigne branlante qui révélait la nature de l’établissement et le nom du propriétaire :

SALOUNE CHIASSON Esdras Chiasson, prop.

La saloune était bondée d’une foule de cow-boys à moitié ivres.

Artie Monroe gesticulait au milieu de ses camarades.

— Quand j’ai tiré Hugh Pander, il est tombé comme une masse et a roulé au bas d’un talus.

Son boss Dougald demanda :

— Tu es sûr de l’avoir expédié dans l’autre monde ?

— Oui, et s’il n’est pas mort à l’heure actuelle, il ne vaut guère mieux qu’un cadavre en tout cas…

Baptiste s’était approché du cow-boy vantard.

— Au nom de la loi, Monroe, je t’arrête, dit le chef.

Artie sortit ses deux colts.

Mais il ne fut pas assez rapide.

Le vieux Verchères cracha deux coups de feu.

Les colts de Monroe lui glissèrent des mains.

Le chef dit :

— Je t’arrête pour vol de cheval.

Dans un silence respectueux, les cow-boys laissèrent sortir le vieux chef et son prisonnier.

Marchildon sortit le dernier, à reculons, pour couvrir l’arrière de son supérieur.

La nuit même, Monroe réussit à s’évader.

La bande à Dougald se trouvait, de par la loi non écrite de l’Ouest, avoir déclaré la guerre au chef de police de Squeletteville.

Baptiste pensa :

— Et le prêtre qui s’en vient, ça va être beau !