La Bataille de la Marne (Reichsarchiv)/03

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Reichsarchiv (Poczdam)
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Verlegt bei E. S. Mittler & Sohn (p. 140-156).


Chapitre 3.

Le GQG pendant la bataille de la Marne les 5, 6 et 7/9

Carte 6 (1 : 1 000 000)

Les instructions de l'état-major général du 5/9 pour les 1re à 7e armées (p. 3-5) signifiaient l'abandon conscient et définitif du but initial de l'opération d'encerclement de l'aile gauche ennemie et de la « poussée de l'ensemble de l'armée française vers le sud-est contre la frontière suisse ». Ce but était désigné explicitement comme désormais inaccessible. L'idée opérationnelle de rechange fut l'intention de continuer l'offensive contre l'aile droite de l'ennemi avec les 4e, 5e, 6e et 7e armées en action concentrique vers le sud et l'ouest, tandis que les deux armées à l'aile droite étaient chargées de la défense contre une contre-attaque attendue à partir de Paris. La 3° armée devait, selon les circonstances, coopérer avec l'une ou l'autre de ces opérations. L'état-major général s'en tint à ces buts même lorsque, quelques heures plus tard, un affaiblissement de l'aile sud fut ordonné, par des transferts vers l'armée nouvelle à construire en Belgique.

Le souci du flanc droit de l'armée ressortait clairement dans ces nouvelles instructions. Il fut encore augmenté au matin du 5/9 par une information de la 1re armée, selon laquelle elle se trouvait déjà avec presque toutes ses unités au sud de la Marne, et en fait assez échelonnée vers l'avant, par rapport à la 2e armée. Seul un faible corps de réserve était resté au nord de la Marne. Dans ces circonstances, on ne pouvait plus parler d'une protection suffisante du flanc droit de l'armée. La communication radio arrivant peu après 11 h du matin de la 1re armée, avec la proposition de continuer la poursuite jusqu'à la Seine (p. 25) montrait toute la contradiction entre les visions de l'état-major général et celles du commandement de la 1re armée. Pour l'instant, ce dernier, estimait toujours le danger en provenance de Paris comme petit, tandis que le chef d'état-major général voulait stopper l'offensive de l'aile droite de l'armée justement en raison de cette menace. Si la 1re armée continuait sa poursuite jusqu'à la Seine sans protection de flanc adéquate, un malheur imprévisible pouvait survenir. Comme arrivait de plus une information d'agent fiable, rapportant des transports de troupes françaises vers Paris, le lieutenant-colonel Hentsch fut envoyé au commandement de la 1re armée avec la mission de « provoquer le recul de la 1re armée derrière la Marne ». Le jugement sur la situation, arrivant un peu plus tard, du commandement de la 2e armée, qui tenait pour vraisemblable une future offensive de puissantes forces ennemies venues de Paris contre le flanc droit de l'armée sans protection (p. 22), montra en même temps le désaccord entre les vues des deux commandements d'armée opérant à l'endroit le plus menacé. Le devoir le plus urgent du chef d'État-major général était d'obtenir un accord des vues et des actions, et pour cela sa présence en avant sur le front était inévitable.

Le général v. Moltke n'était pas du tout fermé à de telles considérations. Selon les indications de l'ex-colonel Tappen (Tappen, Vers la Marne en 1914, p. 24), la liaison toujours plus difficile à établir avec l'aile droite de l'armée en raison de l'éloignement croissant, « le déplacement de l'état-major général derrière l'aile droite de l'armée a souvent été évoqué. Suite à de nombreuses difficultés techniques à ne pas sous-estimer, notamment la reconstruction des liaisons radio, et sans doute aussi suite à une certaine lourdeur, ce déplacement n'a jamais eu lieu ». La même lourdeur fit que la séparation d'un petit échelon opérationnel du chef d'état-major général du grand quartier général n'a pas été considérée comme possible. Même le Chef suprême des armées poussait à un déplacement de l'État-major général derrière l'aile droite de l'armée, comme se le rappelle avec certitude l'adjoint au chef d'État-major général, le général de division v. Stein, qui assistait régulièrement aux rapports du général v. Moltke à l'Empereur — mais cette mesure n'a pas été considérée comme exécutable à l'époque pour les motifs mentionnés.

Encore un autre souci sérieux oppressait de façon croissante le chef d'état-major général allemand : la situation en Belgique, sur les arrières de l'armée de l'ouest, qui avait déjà donné lieu ces derniers jours à une attention plus soutenue, semblait devenir menaçante. Les bruits sur des intentions de débarquement des Anglais et des Français en Belgique et en France du nord prenaient progressivement toujours plus de consistance. Selon les informations et renseignements à ce sujet, il était devenu de plus en plus vraisemblable pour le général v. Moltke que « les Anglais, soutenus par des unités de Belges et de Français, essaieraient de ravir Anvers, à partir de la côte, et éventuellement aussi de Lille, et d'avancer contre nos liaisons vers l'arrière ». Mais une telle entreprise partielle de l'ennemi contre les liaisons vers l'arrière allemandes, si elle était entreprise simultanément avec une grande offensive à partir de Paris contre le flanc droit de l'armée allemande, signifierait un fractionnement de ses forces, et serait donc moins vraisemblable.

Néanmoins, le général v. Moltke considéra nécessaire de renforcer les troupes allemandes opérant en Belgique. Le plus rapide était de mobiliser des forces de l'aile gauche de l'armée, dont la tâche semblait facilitée par l'avancée des 4e et 5e armées vers le sud-est. En dissolvant la 7e armée d'alors, on pouvait former une nouvelle 7e armée à partir des forces déjà présentes en Belgique, ainsi que par l'abandon d'un corps d'armée par les 6e et 7e armées, et d'une division de cavalerie, sous le commandement du général d'armée v. Heeringen (p. 145-147). L'utilisation de cette armée n'était pas conçue comme échelon derrière l'aile droite menacée de l'armée, mais uniquement comme besoin de sécurité contre une mise en danger possible des liaisons arrière en Belgique et France du nord. Cette mesure impliquait aussi un affaiblissement de l'initiative stratégique. On tombait de plus en plus dans la dépendance face à l'adversaire, et dans ce cas, face à un adversaire qui n'était pas présent dans la réalité, mais uniquement dans la représentation du commandement allemand.

Pour l'appréciation des informations arrivant sur l'ennemi ces jours-là, et en particulier de la part des agents de renseignement, on ne peut pas se défendre contre l'idée que le chef du département du renseignement, le lieutenant-colonel Hentsch, ait été victime d'une tromperie (Dans Tappen ibid, il est dit à ce sujet, p. 22 : « Au grand quartier général de Luxembourg, il était évidemment bien plus facile à nos adversaires de colporter intentionnellement de fausses informations, que ce ne l'était à Coblence. »). Par exemple, dans ses notes de rapport, il considérait même une information sur le transport et le débarquement provenant d'unités russes d'Arkhangelsk comme plus sérieuses (Le colonel Tappen écrit à ce sujet le 25/12/25 : « J'ai toujours eu de forts doutes sur les renseignements alarmistes. J'ai fait des reproches directement au lieutenant-colonel Hentsch de rapporter ce genre de « contes » au général v. Moltke, et le rendre ainsi plus inquiet », bien que le chef des chemins de fer de campagne, le colonel Groener (avancé à ce grade le 4/9/14, en même temps que les colonels Tappen et v. Dommes), lui ait attiré l'attention sur le fait que cette information représentait une totale impossibilité, ne serait-ce que pour des considérations sur les techniques de transport. On n'a pas fait d'essai d'empêcher, ou même de gêner toute entreprise de l'adversaire sur la côte belge, par une attaque des forces de la marine allemande. En tous cas, une demande de ce genre n'a même pas été faite auprès du chef d'état-major de l'Amirauté, une vérification des bruits de débarquement n'a pas non plus été faite par recoupement des informations entre commandements de la marine et de l'armée, et une opération de la marine en vue d'une attaque ou au moins d'une exploration dans la Manche n'a pas non plus été demandée (Dans un mémoire du 28/12/25, l'ex-colonel Tappen écrit à ce sujet : « Je ne pense pas que l'amenée de 80 000 Russes d'Arkhangelsk vers Ostende ait pu être un motif pour demander des mesures spéciales de la marine. D'ailleurs, cette information n'a pas convaincu, à part le lieutenant-colonel Hentsch, qui l'a transmise au général v. Moltke, et d'ailleurs, la marine ne pouvait plus rien y changer si les débarquements à Ostende avaient déjà eu lieu... Le général v. Moltke... a à toutes les occasions montré la tache rouge sur la carte au 1:300 000 qui représentait les fortifications de Lille, en disant : « C'est là qu'est le danger, c'est là qu'est le danger ! » Il était tout à fait hypnotisé par cette tache rouge, quand on se le rappelle. Le général v. Moltke craignait le rassemblement de puissantes forces ennemies dans la région de Lille. »).

D'après les informations arrivant des commandements des armées pendant la journée et le soir du 5/9, les événements du front se passèrent en général conformément aux prévisions. L'adversaire paraissait encore se retirer face aux 1re à 4e armées, ce n'est que face à la 5e armée qu'il avait fait front avec des forces plus puissantes au nord du canal de la Marne au Rhin. La résistance ennemie contre l'aile gauche de l'armée en Lorraine se raidissait de plus en plus. L'après-midi arriva du commandement de la 1re armée très en retard, un rapport détaillé du matin du 4/9, dans lequel ce commandement demandait de façon urgente de lui signaler la situation des autres armées, ainsi que l'espoir d'une exploitation du succès acquis par la 1re armée, même si un échelonnement de la 1re armée derrière la 2e n'était pas possible. Simultanément, il fut demandé de façon urgente un renforcement rapide de l'aile droite « par d'autres unités. » Le contenu de ce message fut dépassé par les événements. Les explications demandées sur la situation générale devaient être apportées par le lieutenant-colonel Hentsch au commandement de la 1re armée, toute autre réponse devenait superflue.


L'arrêt de la 3e armée le 5/9 menaçait de créer une brèche dans le front de l'armée allemande, entre l'aile gauche de la 2e armée qui progressait vers la Seine, et l'aile droite de la 4e armée, déjà avancée jusqu'à Vitry-le-François. La responsabilité en incombait à l'état-major général auquel le commandement de la 3e armée avait répété le soir du 4/9 et dans la nuit du 5 son intention de faire une journée de pause le 5/9. Bien que l'uniformité des mouvements de l'armée eût nécessité une intervention urgente de l'état-major général, comme c'était arrivé au soir du 3/9 pour le commandement de la 5e armée (vol. III, p. 271), le général v. Moltke ne souleva aucune objection contre la décision du commandement de la 3e armée. L'avancée sur l'extrême aile droite de l'armée de la 1re armée, soulevait apparemment une inquiétude plus grande : le 5/9, elle avait continué, malgré les consignes de l'état-major général sa poursuite vers le sud et vers la Seine, sans protection suffisante de ses flancs. C'est là que se situait sans doute déjà ce jour-là une situation critique, que l'on espérait résoudre au plus vite par l'envoi du lieutenant-colonel Hentsch. Cet espoir parut bientôt se réaliser.


Un message radio de la 1re armée arrivé au matin du 6/9 indiquait comme intention pour la journée d'amorcer le repli commandé dans l'espace entre Oise et Marne. Il n'apportait aucune nouvelle sur le front de Paris. Le danger craint d'ici pour le flanc de l'armée semblait pour l'instant ne pas se réaliser, si bien que la 1re armée avait le temps de se préparer tranquillement à obéir aux ordres. Également, la brèche entre les 2e et 4e armées due au retard de la 3e armée ne semblait pas avoir d'importance considérable, car le commandement de la 3e armée n'indiqua pendant la nuit que la 9e division de cavalerie française devant son front (p.19). C'est là que se montra pour la première fois une faiblesse dans le front ennemi, qu'il fallait exploiter de façon si tentante qu'au cours du 6/9, il semblait devoir se préparer un changement important dans la situation opérationnelle globale de l'armée de l'ouest.

En Belgique, sur les arrières de l'armée, une clarification de la situation était intervenue ce jour là. Les Anglais débarqués à Ostende avaient déjà été réembarqués. Il n'y avait pas eu d'autres débarquements de troupes britanniques. Le danger encore si menaçant la veille pour les liaisons vers l'arrière de l'armée allemande de l'ouest avait donc été pris trop au sérieux. D'ailleurs, dans cette situation devenant toujours plus menaçante pour l'aile droite de l'armée, la formation de la nouvelle 7e armée à l'ouest de la Belgique pouvait encore se montrer un grand avantage stratégique. Par l'instruction du 6/9, la division de marine déjà arrivée en Belgique et les troupes d'occupation de Maubeuge avaient été incorporées à cette armée.

Les messages arrivant jusqu'au soir du front ne laissaient aucun doute sur le fait que l'ennemi avait arrêté sa retraite. Un message radio entendu, de la 5e division de cavalerie à la division de cavalerie de la Garde, pouvait rapporter une grande bataille devant le front des IIIe et IXe corps d'armée. Peu après, on entendit un message radio de la 2e à la 3e armée, dans lequel le commandement de la 2e armée demandait une attaque rapide de la 3e armée à l'est de Fère-Champenoise, parce que des unités des 1re et 2e armées étaient en « combat acharné » dans le secteur du Petit Morin.

Devant les 4e et 5e armées, qui depuis le matin étaient au combat sur tout le front, l'ennemi se battait, ayant apparemment reçu des renforts, « non plus avec des arrière-gardes, mais en attaquant, » selon un message du commandement de la 4e armée. L'offensive des Français fut mise en rapport avec la situation de la 5e armée. Celle-ci était aussi attaquée par l'ennemi, et d'après son message du soir, « était restée en combat très dur jusqu'à la tombée de la nuit. » L'attaque française était ici en liaison avec une forte poussée à partir de Verdun, que la 5e armée avait certes repoussée, mais qui l'avait mise provisoirement dans une situation difficile. Elle avait demandé le soutien de la 4e armée pour le prolongement de son attaque le lendemain.

Du front des 6e et 7e armées, il n'y eut pas d'annonce de changement substantiel de la situation. Là aussi, l'adversaire avait fait des offensives à divers endroits. Mais il n'y avait d'après le message du commandement de la 6e armée aucun signe de recul de l'ennemi, et encore moins d'un transport à distance. Jusqu'à 8 h du soir, il n'y eut pas de nouvelles plus précises de l'aile droite de l'armée. Les messages radio de la grande bataille sur le Petit Morin laissaient aussi déduire ici un retournement de la situation. On ne pouvait pas supposer que l'ennemi attaquait ici isolé, mais bien plus, cette attaque faisait apparaître comme tout à fait possible une avancée de l'ennemi à partir de Paris contre le flanc allemand sans protection. Cette hypothèse trouva bientôt sa confirmation par le chef de bataillon baron v. Oldershaufen (p. 18), de retour de Châlons, où il avait transmis les instructions de l'état-major général du 5/9 aussi au commandement de la 3e armée. À partir des listes de transport françaises prises dans la gare de cette ville, ressortait, outre les transports déjà signalés par le commandement de la 3e armée, le transport du IVe corps d'armée français de la région de Sainte-Ménehould vers Paris. D'après le commandement de la 4e armée : « Les Français ont beaucoup transporté de troupes depuis le 28/8, vers l'aile gauche, probablement intention d'un grand coup par là... » Le danger pour le flanc droit de l'armée non protégé devenait de plus en plus menaçant, et le manque de nouvelles justement de cette aile de l'armée de plus en plus inquiétant.

La situation générale indiquait tout au long du front des intentions d'attaque de la part de l'ennemi. Il semblait aussi vouloir se disposer au combat au nord de la Seine. Aussi difficile que soit la situation opérationnelle de l'armée allemande de l'ouest, en particulier sur l'aile droite pour l'instant, une telle évolution de la situation pouvait être globalement bien accueillie par le commandement de l'armée allemande. Il s'ouvrait par là la possibilité de tirer à soi de nouvelles perspectives, l'initiative stratégique, qui menaçait toujours d'échapper au commandement allemand. Le but si chaudement recherché pendant la longue poursuite de forcer l'ennemi à une bataille décisive semblait maintenant être couronné de succès. Maintenant, tout dépendait de faire au plus vite les préparatifs pour tenir en main le commandement de la grande bataille sur le large front. On pouvait à nouveau arranger la situation opérationnelle difficile. Le 6/9 semblait devoir être un tournant de la campagne. L'espoir d'une victoire approchante devait raviver la force déclinante du commandement général. Mais il fallait maintenant agir rapidement et efficacement, pour maîtriser au plus vite la situation actuellement difficile sur l'aile droite de l'armée, et pour regrouper les forces. Où devait être cherchée la décision de la bataille, et où devait-on mettre le centre de gravité de ce front de combat nouvellement organisé ? C'étaient des questions pesantes, qui demandaient une décision rapide, auxquelles on ne pouvait pas répondre loin derrière à Luxembourg, mais seulement en avant sur le front. La grande situation opérationnelle exigeait maintenant une activité fiévreuse de la part du chef d'état-major général, s'il voulait saisir par les cheveux, ici sur la Marne comme deux semaines auparavant sur la Sambre, la faveur inespérée de l'instant qui approchait. Les prochaines heures devaient apporter une certitude sur le fait que les Français passent effectivement à la contre-attaque. Des informations plus précises étaient attendues avec impatience de l'aile droite de l'armée. Le lieutenant-colonel Hentsch envoyé là-bas la veille n'était toujours pas revenu. Alors — peu après 8 h du soir, le premier officier d'état-major du commandement de la 4e armée, le lieutenant-colonel v. Werder, fit à partir du quartier général de l'armée à Courtisols, qui était relié à l'état-major général par téléphone, une communication d'extrême importance, qui dissipait tous les doutes d'un seul coup. On avait trouvé l'après-midi du 6/9 à la 30e brigade d'infanterie un ordre du jour de l'armée du général Joffre, qui appelait toutes les armées françaises sur tout le front à une grande bataille décisive (p. 109). Le sort avait donc vraiment mis encore une fois une grande occasion dans la main du commandement suprême allemand. Il n'y avait pas une minute à perdre pour l'exploiter. Le chef de la section des opérations, le colonel Tappen, reconnut aussi immédiatement l'évolution favorable de la situation. Cette nouvelle lui fit lâcher des mots de satisfaction vivante et très joyeuse, sur le fait que l'on allait quand même finir par arriver à la grande bataille décisive dans l'ouest, poursuivie depuis si longtemps (Dans un mémo de l'ex-capitaine v. Cochenhausen de la section du renseignement de l'état-major général, il est dit à ce sujet : « Un grand nombre d'officiers d'état-major des sections des opérations et du renseignement... commentaient vivement l'ordre (de Joffre) de contre-offensive que l'on venait de connaître. Le colonel Tappen entra et dit à peu près : « Bon, maintenant on les a à notre portée. Cela va être dur contre dur. Et nos braves troupes feront bien l'affaire. »). Sa forte confiance en la victoire et sa foi indéfectible dans la supériorité des troupes allemandes ont été plusieurs fois prononcées sous la forme que maintenant « la force brutale vaincra. » Certes, c'étaient les troupes au combat et leur esprit incomparable qui pourraient avant tout amener la situation en faveur des armes allemandes, mais il fallait avant tout en même temps un commandement sûr de son but et actif, qui impose à l'ennemi la loi de l'action (L'ex-colonel Tappen remarque à ce propos le 17/12/25 : « Le général v. Moltke était figé dans son point de vue précédent de laisser la décision de la bataille aux commandants expérimentés des armées, sur la base des directives de l'état-major général, mais de ne pas interférer lui-même dans le déroulement du combat, parce que l'état-major général ne disposait pas de réserves, et que le front allemand serait tout d'abord essentiellement fixé par les attaques ennemies, probablement menées par des forces supérieures en nombre. »)

L'importante nouvelle de l'offensive française a été transmise immédiatement, pendant la nuit encore, à tous les commandements d'armée. Il manquait toutefois une indication sur la grande importance du changement de la situation opérationnelle globale. Il manquait avant tout des paroles stimulantes pour l'armée combattante, qui auraient dû ranimer sa volonté de vaincre et sa confiance en la victoire. Quel impact psychologique profond de telles paroles, les premières manifestations de ce genre du haut commandement auraient pu avoir à cet instant sur l'encadrement et la troupe ! Les uns et les autres avaient dans les combats et fatigues des semaines passées mis au jour de si poignants témoignages du plus haut sens du sacrifice, que quelques mots réconfortants de la part du Chef suprême des armées dans la situation présente aurait fait des miracles et aurait rendu possible ce qui paraissait impossible. Il fallait que chaque soldat au front sache qu'il s'agissait maintenant d'un sommet pour la décision de toute la campagne, et que l'heure était maintenant venue où tous les terribles fatigues, privations et sacrifices que la brave troupe avait supportés de façon si obéissante et joyeuse ces dernières semaines, allaient finalement être couronnée par le succès !

Seulement, de telles pensées et sentiments étaient loin de remplir à ce moment-là l'âme du chef d'état-major général allemand. Contrairement à son conseiller le colonel Tappen, il voyait l'ensemble de la situation en couleurs sombres, oppressé par de lourds soucis. Un doute rongeant dévorait son âme et paralysait sa volonté, car la situation restait extrêmement grave aussi à l'est, malgré Tannenberg.

En Prusse-Orientale, l'armée russe du général v. Rennenkampf s'était préparée à la défense derrière les lacs de Mazurie. Le général d'armée v. Hindenburg voulait l'attaquer en l'entourant à partir du sud. Son armée entre temps avait été renforcée par deux corps et une division de cavalerie envoyée de l'ouest. Les conditions préalables pour une nouvelle victoire décisive, comme on pouvait le souhaiter, étaient réunies en Prusse-Orientale. Cet espoir n'arrivait pas, et de loin, à compenser les soucis que la situation de l'armée austro-hongroise préparait depuis les derniers jours d'août. Est-ce que les alliés réussiraient, après les insuccès à l'est de Lviv, à rétablir la situation en Galicie ? Entre temps, une nouvelle bataille avait commencé vers Lviv, avec un front vers l'est, dont le général v. Conrad espérait un retournement de la situation. Le 5/9, le général de division baron v. Freytag-Loringhoven, officier de liaison allemand au quartier général austro-hongrois, avait fait des rapports optimistes, mais le 6 à 9 h du soir, il indiqua que l'aile gauche (1re armée) jusque là victorieuse, qui couvrait près de Lublin le flanc et les arrières du reste de l'armée avec un front vers le nord, était poussée à se défendre. Sur la base des informations qui étaient parvenues à l'état-major général allemand les jours précédents sur la valeur combative des troupes austro-hongroises, le général v. Moltke ne pouvait envisager l'issue de la grande bataille en Galicie et Pologne du sud qu'avec de sérieux soucis. Mais un soutien des armées alliées par celles de Prusse-Orientale ne pouvait se faire au plus tôt que dans deux à trois semaines. Et suffirait-il ? Et pour combien de temps ? Le moment où l'on ne pourrait plus repousser l'envoi de puissantes forces allemandes sur le front est, que l'on avait fait miroiter si souvent au général v. Conrad, et qu'il réclamait de façon de plus en plus urgente, se rapprochait. Comme auparavant, tout ceci dépendait de ce qu'une victoire rapide et complète soit arrachée à l'ouest. Mais les perspectives dans ce sens étaient pour l'instant bien plus incertaines que la semaine passée environ.

La conception prévalant jusque là, et causée par de nombreux messages des commandements d'armée, d'un ébranlement sérieux de l'adversaire de l'ouest, dont les rangs paraissaient tous les jours près de l'effondrement interne, suite à la poursuite sans concession depuis des semaines, s'était dévoilée pendant les derniers jours comme une prodigieuse erreur aux yeux du général v. Moltke. L'ennemi s'était apparemment replié avec un plan, et pendant la retraite, avait regroupé ses forces, et avait apporté grâce à son remarquable réseau ferroviaire ramifié de nouveaux remplacements et une force de combat fraîche à partir du riche arrière-pays. Son plan de bataille paraissait clairement au jour. Tandis que le front ennemi arrêtait la poursuite allemande entre Marne et Seine, des poussées surprises à partir de Paris et de Verdun devaient apporter la décision sur les flancs allemands actuellement à peine protégés. L'attaque ennemie avait surpris l'armée allemande de l'ouest en grande faiblesse opérationnelle. À part les deux corps d'armée retirés de l'aile gauche de l'armée par l'ordre de la veille au soir, il n'y avait nulle part actuellement de réserves de troupes à la disposition de l'état-major général. Dans les armées, toutes les unités étaient apparemment mises en toute première ligne. Le danger semblait géant. Est-ce que les troupes fortement épuisées par les fatigues surhumaines des dernières semaines, et dont la puissance de combat avait été diminuée de 50% par les dépenses de marche et de combat, pourraient tenir bon contre cette terrible épreuve, cet assaut surprenant de l'adversaire contre le front et les flancs ? Où pourraient être prises les forces nécessaires pour la défense contre le danger sur les flancs et les arrières ? Les plans opérationnels et les espoirs du chef d'état-major général semblaient s'effondrer sur eux-mêmes en quelques minutes.

Les questions, doutes et soucis qui se bousculaient ne pouvaient certes pas être résolus dans l'air poisseux, les bureaux sombres et étroits de l'école de Luxembourg, pendant un travail de nuit dans la lumière trouble d'une lumière de lampe insuffisante. Seul le contact et la discussion du chef d'état-major général avec les commandants d'armée sur le front, et avant tout le contact immédiat avec l'esprit combatif et avide de victoire de cette troupe incomparable pouvaient surmonter au plus vite ces préoccupations. Leur force morale, leur élan psychique, leur dévouement et fidélité jusque dans la mort s'étaient vérifiés brillamment dans tous les combats des semaines passées. Ils s'étaient toujours montrés supérieurs à l'ennemi. Ce sont aussi ces forces qui devaient faire pencher la balance dans les combats tactiques du jour, malgré la défaveur de la situation opérationnelle. Le général v. Moltke ne pouvait avoir de claires connaissances et prendre rapidement des décisions énergiques qu'ici sur le front, en lui assurant une influence décisive sur le commandement, et en lui permettant de rattraper l'initiative du commandement, qui échappait de plus en plus de ses mains. Ce n'est que là que les faiblesses du front ennemi pouvaient être rapidement détectées, et que les mesures nécessaires pour les exploiter pouvaient immédiatement être prises. Ce n'est que là que l'on pouvait créer au plus vite de nouvelles réserves à la disposition de l'état-major général, en retirant des forces des points les moins menacés, pour pouvoir les jeter là où la décision opérationnelle de la bataille était cherchée.

Mais le chef d'état-major général ne put se décider pour la solution du salut, de se dépêcher immédiatement vers le front accompagné d'un petit état-major d'officiers, pour des raisons qui auraient pu sembler justifiées en temps de paix, mais qui n'étaient que des préjugés dans cette situation critique. Le général v. Moltke ne pensait pas pouvoir donner d'ordres de sa pleine autorité, sans l'accord du Chef suprême des armées. Un déplacement rapide de l'état-major général n'était pas possible à bref délai, comme déjà évoqué (p. 129), pour des raisons techniques en raison de son volume. Il fallait pour cela de longs préparatifs. Même l'Empereur ne fit valoir — comme cela ressort de communications concordantes — d'égards pour sa personne en ces jours difficiles. L'impatience qui le tourmentait juste alors dans l'incertitude torturante de l'arrière à Luxembourg est démontrée par le fait qu'il se décida encore pendant la nuit, d'aller avec quelques compagnons très tôt au matin du 7/9, au foyer de la bataille, près des 2e et 3e armées. Il semble que le général v. Moltke n'a eu connaissance de cette décision qu'avec retard.

Le chef d'état-major général, qui était resté à Luxembourg, s'exclut ainsi de la même manière que quelques semaines auparavant à la bataille de Namur. Loin derrière, au grand quartier général, toutes les mauvaises nouvelles, toutes les difficultés, les frictions et les crises annoncées de l'avant pouvaient apparaître sous un jour bien assombri, parce que les messages des armées menacées des ailes arrivaient en règle générale avec un grand retard, en raison de liaisons techniquement insuffisantes, et étaient souvent dépassées par des événements ultérieurs. Elles suscitaient dans l'esprit enfiévré du chef d'état-major général des représentations qui étaient souvent en contradiction avec la réalité.

Le grand quartier général à Luxembourg n'était relié par téléphone pendant la bataille de la Marne qu'avec les commandements des 4e, 5e, 6e et 7e armées. Avec les commandements des 1re, 2e et 3e armées, il n'y avait qu'une liaison radio, qui pour la 1re armée se montra tout à fait fantaisiste, en raison de la distance accrue. Ce n'est qu'exceptionnellement que cette liaison se montrait sûre, souvent, il fallait passer par la 2e armée. L'essai d'installer une liaison téléphonique directe vers les commandements d'armée de l'aile droite, au moyen de liaisons fixes d'étape, et par utilisation du réseau de lignes présent dans le pays, par réparation de liaisons filaires existantes mais détruites en des points isolés, n'a pas été entrepris, bien que ceci, compte tenu de la configuration peu changeante de la bataille, aurait été relativement rapide à installer sur le parcours Luxembourg - Reims - Soissons. Malgré les liaisons insuffisantes, il ne se trouvait au commandement de la 1re armée, ni d'ailleurs dans les autres commandements d'armée, d'officier de renseignements de l'état-major général équipé avec tous les moyens de transmission de message, bien que ceux-ci fussent à disposition en nombre suffisant (Les raisons que le général de division Tappen donne pour ne pas avoir envoyé d'officier de renseignements (cf. vol. I, p. 437), ne peuvent pas être considérées comme pertinentes). On n'installa nulle part de bureau de centralisation des renseignements. On n'a pas pris de mesures pour assurer la préparation des avions, ou l'installation de relais automobiles, et en particulier pour les liaisons téléphoniques transversales entre le commandement de la 4e armée, relié au grand quartier général, et les commandements d'armée de l'aile droite. Ce n'est qu'entre les armées du centre et de l'aile gauche qu'a existé une liaison filaire directe, alors qu'elle aurait été utile entre les commandements d'armée de l'aile droite, compte tenu de la nécessité d'une étroite collaboration. Ce n'est que le 8/9 que les commandements des 3e et 4e armées reçurent une liaison téléphonique entre eux, tandis que ceux des 1re, 2e et 3e armées ne la reçurent que le 9/9, c'est-à-dire après la fin de la bataille.

On aurait certainement pu remédier à ces inconvénients par des instructions précises et la mise en œuvre planifiée de moyens en personnel et en matériel. Mais cependant, pendant toute la bataille, on a eu le souci en général d'avoir une bonne liaison téléphonique entre le commandement de l'armée et les commandements de corps d'armée, et entre ces derniers et les divisions. La communication n'était que de temps en temps coupée à cause d'impacts sur les lignes. Entre les corps de cavalerie, la liaison radio suffisait dans la plupart des cas.

La liaison insuffisante entre le grand quartier général et les commandements d'armée de l'aile droite de l'armée devait avoir des conséquences néfastes, et presque exclure l'action opérationnelle de l'état-major général sur le déroulement de la bataille. C'est ainsi que s'explique en partie la retenue exagérée du chef d'état-major général allemand dans la direction de la bataille, qu'il a laissée entièrement entre les mains des commandants d'armées. Dans son opinion, seuls les commandements de troupes et les troupes elles-mêmes pouvaient encore conduire à une évolution de la situation. La pénétration tactique et la tenue de la bataille étaient d'après lui l'affaire du commandement local.

L'attente inactive dans cette situation hautement tendue loin derrière le front, et l'incertitude torturante sur le déroulement et l'issue du combat pesaient lourd sur l'âme du général v. Moltke, et devaient complètement miner dans les jours suivants ses nerfs déjà fortement attaqués. Ce n'est qu'en considérant cette disposition psychologique que les événements des jours suivants deviennent compréhensibles.

Tard le soir (l'heure exacte ne peut plus être reconstituée), le lieutenant-colonel Hentsch revint de son trajet vers l'aile droite de l'armée, et rapporta les premières nouvelles fiables des 1re et 2e armées, et avant tout de la poussée des Français contre le flanc droit non protégé, et le lourd combat du IVe corps de réserve sur l'Ourcq, ainsi que l'entrée en action imminente du IIe corps d'armée au même endroit. Il n'avait pas été informé de la manière dont la situation s'était développée ici le 6/9. Ce n'est que par un message radio de la 1re armée arrivant peu après 4 h du matin qu'il y eut de plus amples nouvelles.


Après ce message, la bataille sur l'Ourcq, déjà commencée par le IIe corps d'armée le 6/9, et où le IVe corps d'armée devait entrer le 7/9, fit rage avec une violence non diminuée. Le danger pour le flanc droit de l'armée devint d'autant plus sérieux que les IIIe et IXe corps d'armée étaient laissés au sud de la Marne pour couvrir le flanc droit de la 2e armée qui attaquait vers le sud. Il n'y avait pas d'autres forces disponibles. L'état-major général laissa le commandement de la 1re armée se trouver une aide dans cette situation difficile, qui selon lui n'était pas née sans sa propre faute.

Sur la situation au centre, aux 3e et 4e armées, vinrent deux messages dans la nuit. Ils diminuaient fort les perspectives de domination allemande face à la 3e armée, où la faiblesse du front français était à chercher. Au lieu de marcher droit devant elle, sans se soucier des combats des 2e et 4e armées, uniquement échelonnée derrière leurs ailes, la 3e armée s'était partagée en deux, et avait obliqué à droite et à gauche pour soutenir les armées voisines sur leur demande urgente, sans demander au préalable l'accord de l'état-major général. C'est ainsi que fut enlevée au chef de l'état-major général une bonne occasion de s'immiscer dans la décision de la bataille.

Le commandement de la 2e armée n'avait pas rendu compte au soir du 6/9, apparemment dans l'hypothèse que le lieutenant-colonel Hentsch ferait immédiatement son rapport. Le 7/9 à 10 h du matin, on entendit un message radio du commandement de la 2e armée à celui de la 1re armée, selon lequel la 2e armée se battait toujours très fort pour une décision du combat. La demande urgente d'information sur la situation de la 1re armée, en particulier sur le maintien à Rozoy de l'adversaire signalé, faisait connaître le même souci sur leur destin, que celui que cultivait l'état-major général. La réponse du quartier général de la 1re armée n'était rien moins qu'apaisante. On se battait fort sur l'Ourcq aujourd'hui encore, et d'une question urgente sur la position des IIIe et IXe corps d'armée, on pouvait retenir que le commandement de la 1re armée semblait avoir besoin aussi de ces corps pour la défense contre l'ennemi sorti de Paris. Les deux corps étaient, selon les vues du général v. Bülow indispensables pour la protection du flanc droit de la 2e armée. Ici, une intervention rapide de l'état-major général était aussi urgente qu'en même temps auprès des armées du centre, la 4e et la 5e, où subsistaient de sérieux désaccords sur la conduite de la bataille. Il menaçait d'apparaître entre les deux armées une brèche par le déplacement des forces de la 4e armée vers son aile droite, ce qui aurait dégagé le flanc droit de la 5e armée actuellement en lourd combat avec le front entre Verdun et la Meuse. La demande du Kronprinz Wilhelm pour une intervention de l'état-major général, ne fut pas satisfaite, mais les deux commandements d'armée furent seulement avisés d'avoir à se « mettre mutuellement d'accord pour l'attaque. » Cette retenue exagérée de l'état-major général, qui faute d'une vision claire de la situation sur le front, pensait devoir éviter une intervention dans les négociations de combat, a été douloureusement ressentie par les commandements d'armée, surtout quand l'après-midi, un durcissement de la sitation intervint aussi dans l'armée du général v. Bülow. Selon un message venu entre 5 h et 6 h du soir, la bataille sur l'Ourcq était apparemment devenue si dure, que le commandement de la 1re armée s'était résolu à appeler aussi les IIIe et IXe corps d'armée vers le front de l'Ourcq, sans se soucier le la grande brèche qui apparaissait ainsi entre les 1re et 2e armées, et sans égard à la situation du flanc droit presque ouvert de la 2e armée, uniquement protégé par la cavalerie. En tous cas, ce message radio démontrait que de grandes discordances régnaient entre les commandements des 1re et 2e armées, qui rendaient nécessaire de manière urgente une intervention de rééquilibrage de la part de l'état-major général. Mais le chef d'état-major général persistait dans sa position d'attente à Luxembourg, en négligeant consciemment une direction de la bataille unifiée et ferme. Peut-être le général v. Moltke a-t-il cru que la décision de la bataille serait acquise le jour-même, si bien que des ordres de Luxembourg, qui auraient en outre été donnés sans une connaissance de la situation réelle sur le front, seraient dépassés, ou arriveraient trop tard.

Une note du général de ce jour (Eliza v. Moltke, Le général v. Moltke, souvenirs, lettres, documents 1877 - 1916) témoigne dans ce sens, en même temps qu'elle donne une vue profonde sur son état d'esprit : « Aujourd'hui tombe une grande décision, toute notre armée, de Paris à la Haute-Alsace est au combat depuis hier. Si je devais donner ma vie pour gagner ainsi la victoire, je le ferais avec mille joies, comme des milliers de nos frères le font aujourd'hui, et des milliers l'ont déjà fait... »

Le général v. Moltke, auquel le commandant de la 7e armée, le général v. Heeringen, en route de la Lorraine à la Belgique avait rendu visite à Luxembourg, fit à ce dernier « une impression abattue, souffrante, et même pessimiste. » Selon des notes du général v. Heeringen, il souligna « qu'on se battait sur tout le front, et que l'on ne savait pas comment cela finirait. J'ai donc essayé de lui remonter le moral, et de ranimer sa confiance au vu des succès déjà remportés. » Il ne serait pas arrivé d'ailleurs à discuter convenablement de « la manière par lequel on devait penser ces derniers, avec un chef d'état-major général qui se passait du grand quartier général. »

Les messages du soir des 4e et 5e armées n'apportèrent rien de réellement nouveau. La bataille faisait rage sur tout le front avec une vigueur non diminuée, et une décision ne s'était faite nulle part. La 5e armée voulait attendre l'avance de la 4e armée sur la position qu'elle avait atteinte, mais cette dernière n'avait fait dans la journée que de faibles progrès. Elle voulait reprendre l'attaque le 8/9 à l'aube, et rattraper par le combat la 5e armée avec son aile gauche. Sur l'aile gauche de l'armée, la bataille avait apporté quelques succès localisés, qui n'y changeaient guère la situation globale du front. Jusqu'à 9 h du soir, il n'y eut pas de messages des armées de l'aile droite. Par contre, tard le soir arriva du général d'infanterie v. Zwehl à Maubeuge l'annonce heureuse de la prise de la fortification, qui fut diffusée par radio à toutes les armées. À l'est, la nouvelle offensive de la 8e armée semblait se dérouler jusqu'à présent selon les plans. Le général v. Hindenburg annonça une victoire de l'aile enveloppante vers Bialla. La grande attaque devait commencer le 8/9. L'issue des combats de l'armée austro-hongroise près de Lviv n'était pas encore envisageable.

Vers le soir, l'Empereur revint à Luxembourg de son voyage vers le front. Ce voyage ne s'était pas du tout passé selon ses souhaits. Au nord de Châlons, un officier d'état-major du général baron v. Hausen avait été envoyé à la rencontre de la voiture de l'Empereur, avec la mission urgente de le dissuader de continuer, parce que la 3e armée était en combat violent devant Châlons, dont l'issue était incertaine. D'après la manière dont la situation de la 3e armée était décrite à l'Empereur, la poursuite de son voyage vers Châlons devait être interrompue. Sa présence aurait cependant certainement eu une action vivifiante pour l'encadrement et la troupe, et en particulier aurait encore renforcé la confiance en la victoire qui vivait en eux, et la volonté de tenir dans la crise difficile qui arrivait.

Après le retour de l'Empereur eut lieu le rapport usuel du chef d'état-major général. C'est alors que l'Empereur eut l'impression (communication du 3/6/25) que le général v. Moltke, sous la pression de la terrible responsabilité et de la tension psychique incessante dans toute la journée, « se serait peut-être déjà intérieurement familiarisé avec la pensée d'une retraite. » Pour retirer tout fondement une fois pour toutes à ce genre de considérations, il donna au chef d'état-major général comme point de repère pour la conduite ultérieure de la bataille l'ordre clair et précis : « Attaquer, tant que cela marche ; sous aucun prétexte un pas en arrière (Le général v. Plessen rapporte dans un mémo du 16/12/25 qu'il se souvient précisément de l'incident : « Sa Majesté a donné cet ordre au général v. Moltke. » Le général baron v. Lyncker écrit qu'il se souvient avec la plus grande précision que : « Sa Majesté avait cette conception et l'a exprimée plusieurs fois dans ce sens. »). »