La Bataille de la Marne (Reichsarchiv)/07

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Reichsarchiv (Poczdam)
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Verlegt bei E. S. Mittler & Sohn (p. 324-343).

Chapitre 7.

L’état-major général du 8 au 10/9

Cartes 6 (1 : 1 000 000), 4 et 5 (1 : 200 000)

Pour le général v. Moltke, le départ du lieutenant-colonel Hentsch le 8/9 à 11 h du matin fut le commencement d’une période d’incertitude épuisante et d’attente torturante. En raison du fait qu’il soit resté loin derrière au grand quartier général, il s’était privé de la possibilité d’agir de façon décisive sur le décours des événements. Les doutes sur la possibilité pour les 1re et 2e armées de surmonter la crise difficile par leurs propres forces remplissaient toute sa pensée. L’attente dans l’inaction minait sa force spirituelle.

Son conseiller responsable, le colonel Tappen était autrement disposé. Depuis l’arrivée du message de la 1re armée sur la future attaque décisive au matin du 8/9, il envisageait avec confiance le développement de la situation sur l’aile droite de l’armée allemande, comme d’ailleurs ses collaborateurs. Leur attention était attirée ce jour là surtout par la question de l’utilisation des forces situées en Lorraine, et sans rapport dans leur puissance.

La tension sur l’aile droite de l’armée allemande ne pouvait pas rester sans influence sur la situation en Lorraine. L’espoir que « l’on pourrait immobiliser ici une grande partie de l’armée française par d’autres attaques de l’aile droite de l’armée allemande » ne s’était pas concrétisé. Avec les lents progrès que faisait l’attaque des 4e et 5e armées jusqu’à présent, on ne pouvait pas compter sur une intervention rapide de ces armées dans la direction Neufchâteau — Mirecourt. Une avance rapide de la 6e armée sur la haute Moselle par ses propres forces devait paraître au moins aussi questionnable que l’espoir de lier l’ennemi qui se tenait sur ce front, et l’empêcher de soustraire des troupes. La question de savoir s’il ne serait pas obligatoire, vu ce développement de la situation, de cesser le combat en Lorraine et de conduire vers l’aile ouest de nouveaux renforts outre ceux qui avaient déjà été emportés devint brûlante. L’idée tentante de placer des forces plus importantes de la 6e armée en soutien de l’attaque de la 5e armée, en commun avec le Ve corps d’armée sur la Meuse au sud de Verdun contre le flanc de l’ennemi qui faisait face à la 5e armée, ne semble pas du tout avoir été évoquée à ce moment. Une telle intervention aurait été en même temps le moyen le plus efficace pour faciliter aux 6e et 7e armées la tâche difficile de percer le barrage de la Moselle.

Les messages radio des armées de l'aile droite captés jusqu'au matin tôt le 8/9 n'étaient pas en mesure de relever la confiance de toute façon faible du général v. Moltke sur l'issue de la crise sur cette aile. Le corps de cavalerie Marwitz avait signalé une colonne ennemie déjà en marche de Coulommiers vers La Ferté, où, comme on le supposait, seule une division de cavalerie avec un bataillon de chasseurs avait arrêté sa marche en avant. Vers midi, la 2e armée avait demandé au commandement de la 3e armée une « avancée énergique » des divisions saxonnes, parce que « l'ennemi voulait envelopper l'aile droite de la 2e armée, et qu'il n'y avait plus de réserves. » Ceci sonnait inquiétant. Il n'y avait pas encore de nouvelles de la 1re armée. Ceci semblait aussi ne pas être un bon signe. Si la situation s'y était améliorée en vue de l'attaque prévue pour le 8/9, le commandement de l'armée en aurait sûrement rendu compte. Mais si une retraite devait devenir nécessaire sur l'aile droite de l'armée, alors la situation ne pourrait être rétablie que par des forces fraîches.

Dans cette situation se montraient de plus en plus clairement les interactions entre les événements des ailes gauche et droite de l'armée. Il était peu responsable de maintenir sans nécessité en Lorraine de nombreux corps parmi les meilleurs, tandis qu'ils seraient peut-être bientôt demandés de façon urgente sur l'aile droite. En considérant ces circonstances, le général v. Moltke prit la lourde décision d'abandonner la percée envisagée à travers la ligne des fortifications françaises, et d'y arrêter l'offensive. Cette décision devait lui peser d'autant plus qu'il avouait par là même l'échec de l'entreprise commencée avec de si grands espoirs. Par là même le commandement renonçait jusqu'à plus tard à toute influence sur le devenir futur de la grande bataille, dans l'issue dépendrait dès lors uniquement et seulement de la supériorité de l'encadrement des troupes et des troupes elles-mêmes. Il fallait en plus sembler plus que douteux que les forces à retirer de l'aile gauche de l'armée dussent encore arriver à temps sur l'aile droite. Cependant, une fois la décision prise, il fallait agir rapidement. Le Kronprinz Rupprecht fut immédiatement informé par un officier de liaison de l'État-major général de l'intention de « continuer à retirer des parties importantes de la 6e armée. » Simultanément toute l'artillerie lourde attribuée hors quota à l'armée fut retirée. Par une discussion personnelle à Luxembourg, le Kronprinz de Bavière, comme évoqué précédemment (p. 157-158) obtint le soir même la suspension de cet ordre néfaste à ses yeux.

À propos de sa discussion avec le chef d'état-major général, le Kronprinz Rupprecht s'est pris les notes suivantes : « Le général Moltke m'a fait l'impression d'un homme malade, brisé. Sa haute taille était courbée, il paraissait anormalement fatigué. Il se plaignait de ce que de nombreuses fautes avaient été commises... » Passant aux opérations sur l'aile gauche, le Kronprinz Rupprecht émit le vœu que la 5e armée soit au plus tard 4 à 5 jours après au même niveau que la 6e. Dans sa réponse, le général v. Moltke dépeignit la situation de l'armée allemande de l'ouest en couleurs très sombres : « La 5e armée se trouverait face à une position fortifiée et ne pourrait pas avancer de sitôt. Votre Ve corps d'armée sur la rive est de la Meuse aurait la mission d'emporter les forts de barrage de Troyon, Les Paroches et du Camp des Romains, et devrait compter avec la rencontre avec de puissantes forces venues de Toul... La 4e armée se trouverait de même face à un adversaire retranché dans des positions. Les 3e et 2e armées seraient impliquées dans de durs combats contre un adversaire puissant. On pourrait craindre que les deux armées fussent bousculées de leur aile droite, et dussent bientôt reculer derrière la Marne. » Face à cela, le Kronprinz Rupprecht émit la vue « que l'adversaire, d'après son expérience, ne serait plus capable d'une grande offensive, que l'offensive générale des Français s'éteindrait comme un feu de paille. » Le général v. Moltke considérait, lui, l'offensive ennemie de manière bien plus sérieuse : « La 1re armée serait attaquée sur son flanc droit par des Anglais et des Français sortis de Paris. Ses troupes seraient complètement épuisées et auraient un besoin urgent de repos, puisque l'on ne pouvait pas leur fournir d'unités de remplacement. Il aurait voulu espérer le meilleur, mais en même temps garder à l'œil le cas le pire... » On n'a pas pu établir sur la base de quelles données le général v. Moltke, malgré le rapport optimiste de la veille au soir du commandement de la 1re armée, voyait la situation de la 1re armée dans des couleurs aussi sombres que le lieutenant-colonel Hentsch à la même heure dans son exposé au général v. Bülow.

L’espoir du chef d’état-major général allemand que les rapports du soir clarifieraient la situation sur le front de combat principal ne devait pas être rempli. Jusqu’à minuit, il n’y eut que les rapports des 3e, 4e et 5e armées. Au cours du 8/9, elles n’avaient fait dans de lourds combats que de lentes avancées, et voulaient reprendre l’attaque le lendemain. Le lieutenant-colonel Hentsch avait indiqué pendant son séjour à la 4e armée l’après-midi du 8/9 (p. 252) que selon les rapports disponibles, « la bataille était favorable pour les 2e et 3e armées. » Plus tard, il ajouta au rapport du soir du commandement de la 3e armée les mots : « Situation et opinion à la 3e armée très favorables. » À part cela, il n’avait rien fait entendre de lui. Des deux armées de l’aile droite, il n’y avait encore, de façon remarquable, encore aucun rapport. La décision espérée sur l’aile droite de la 1re armée semblait donc ne pas encore avoir été emportée ce jour, sinon, le commandement aurait bien signalé l’issue immédiatement. Est-ce que, malgré la situation extrêmement tendue sur l’Ourcq, le corps de cavalerie Marwitz aurait pu tenir encore longtemps avec ses faibles forces sur la Marne contre un ennemi plus puissant, ou son exposition sur la Marne était-elle peut-être déjà percée, comme celle du commandement de la 1re division de cavalerie sur le Petit Morin ? Alors la 1re armée serait menacée sur ses arrières et sur le flanc gauche, exactement comme l’aile droite de la 2e armée. Le général se morfondait en graves soucis.

Également sur le théâtre d’opérations de l’est, tout était encore en suspens. Il n’y avait pas de récentes nouvelles des armées alliées. La 8e armée allemande avait signalé de Prusse-Orientale : « L’attaque est engagée, l’ennemi fortement retranché derrière les lacs. » Ceci ne sonnait pas très prometteur.

La souffrance éprouvée par le général v. Moltke sous la torturante incertitude de la situation, l’étendue de la destruction de sa force nerveuse déjà affaiblie, sont montrées par les paroles — humainement pathétiques — qu’il envoyait à son épouse (v. Moltke, ibid, p. 384) à peu près à l’heure où l’importante conversation entre le général v. Bülow et le lieutenant-colonel Hentsch avait lieu : « Je peux difficilement dire avec quel poids sans nom la charge de la responsabilité des derniers jours a pesé sur moi, et pèse encore. Car la grande bataille devant l’ensemble du front de notre armée n’est pas encore décidée. Il s’agit ici de la conservation ou de la perte de ce qui a été conquis avec une infinité de victimes. Ce serait terrible si tout ce sang avait été répandu sans un succès éclatant. La tension terrible de ces jours, l'absence de nouvelles des armées très éloignées, la conscience de tout ce qui est en jeu passe presque au-dessus des forces humaines. — La terrible difficulté de notre situation se tient souvent comme un mur noir devant moi, qui paraît infranchissable... C'est un temps difficile, cette guerre a déjà exigé de nombreuses victimes et en exigera encore. Le monde entier s'est ligué contre nous, il semble que c'est le devoir de toutes les autres nations que d'annihiler définitivement l'Allemagne. — Les quelques États neutres ne sont pas disposés amicalement à notre égard. L'Allemagne n'a pas d'ami au monde, elle se tient debout toute seule, se commandant à soi-même... »


Les nouvelles de l'aile droite de l'armée attendues en vain le soir du 8/9 n'arrivèrent à Luxembourg qu'entre 7 h 30 et 8 h 30 du matin le 9. La 1re armée s'était imposée la veille sur l'Ourcq, malgré une supériorité de l'ennemi. L'attaque décisive sur l'aile droite ne devait commencer que le 9/9. Les IIIe et IXe corps d'armée arrivés là devaient provoquer cette décision. En attendant, le commandement de l'armée avait substantiellement renforcé les troupes chargées de la sécurisation sur la Marne, si bien qu'apparemment, une percée à cet endroit n'était guère à craindre. Si la 2e armée faisait de même, il y aurait une perspective de surmonter la crise difficile. Pendant ce temps, il n'y eut pas d'informations plus précises du commandement de la 2e armée sur l'état de la bataille, en particulier sur l'aile droite. Seul était là un message radio du lieutenant-colonel Hentsch du soir du 8/9, qui décrivait la situation sur cette aile de l'armée comme « sérieuse, mais pas désespérée. » Cette communication laconique ne donnait certes aucune image claire des événements à la 2e armée, mais montrait quand même que la vision du commandement de la 2e armée au soir du 8/9 n'était pas du tout sans espoir. Le commandement de la 7e armée avait réclamé de Bruxelles l'attribution du matériel de siège de Maubeuge, pour pouvoir se tourner maintenant vers Anvers. Ceci ne correspondait pas aux ordres déjà envoyés par l'état-major général de regroupement de la 7e armée près de Saint-Quentin, avec lesquels la présente demande s'était probablement croisée. On ne pouvait pas commencer une telle entreprise, consommant de nouvelles forces, avant que l'issue de la grande bataille soit acquise. La décision sur l'aile droite pouvait intervenir d'heure en heure. Les nerfs du général v. Moltke devaient pendant ce temps être encore longtemps soumis à une dure épreuve.

Pendant les heures du matin et de midi, seules quelques conversations radio interceptées et en partie tronquées donnèrent des informations rares et en contradiction avec les messages arrivés tôt sur l'état de la bataille. Tandis que devant le front du corps de cavalerie Marwitz, tout avait semblé calme tôt le matin, la 5e division de cavalerie du corps de cavalerie Richthofen avait « été repoussée au nord de la Marne. » La division de cavalerie de la Garde voulait encore essayer de tenir le secteur de Dollau, malgré le retrait de la 13e division d'infanterie qui se battait sur l'aile droite de la 2e armée. Vers 10 h 30 du matin, la 5e division de cavalerie était annoncée en léger combat dans la région de Marigny (à 13 km à l'ouest de Château Thierry et déjà à 10 km au nord de la Marne). Est-ce que l'adversaire avait déjà franchi la Marne dans les environs de Château-Thierry ?

Le général v. Moltke attribua au dernier message une signification grave pour l'issue de la bataille. Si l'ennemi était déjà passé au nord de la Marne, alors l'aile droite de la 2e armée paraissait menacée à l'extrême, et avant tout, la situation de la 1re armée paraissait devenue tout à fait intenable. C'est sous cette impression que le chef de l'État-major général tenait déjà la retraite de l'aile droite pour inévitable. C'est alors qu'arriva peu après midi une communication radio interceptée du commandement de la 2e armée au corps de cavalerie Richthofen, qui semblait encore dépasser ses pires craintes. Quatre longues colonnes ennemies avaient atteint dès 9 h du matin Nanteuil, Citry, Pavant et Nogent-l'Artaud, se dirigeant vers la Marne. La 2e armée voulait « amorcer une marche en arrière, l'aile droite à Damery. » Où l'ennemi qui avait passé la Marne s'était-il tourné, vers les arrières de la 1re armée ou vers le flanc droit de la 2e, ceci était encore incertain. Le danger qu'il repousse la 1re armée vers le nord-ouest, en utilisant la brèche entre les deux armées était grand. Le choix de la direction de retraite de l'aile droite de la 2e armée faisait craindre le pire. Dans ces circonstances, le général v. Moltke considéra que le retrait non seulement de l'aile droite de l'armée, mais de l'ensemble du front de l'armée était nécessaire et il fit à son rapport qui suivit immédiatement au Chef suprême des armées la proposition correspondante. C'était — coïncidence remarquable — presque à la même heure que le lieutenant-colonel Hentsch ordonna la retraite au commandement de la 1re armée (p. 262-264), mais où sur le front, la victoire se frayait un chemin (p. 255).

Les notes du journal du général v. Plessen du 9/9 indiquent : « Au rapport de Moltke se produit une situation très préoccupante. La 2e armée — Bülow — commence la retraite. » Le chef du cabinet militaire, le général d'infanterie baron v. Lyncker qui assistait aussi au rapport, fait le même jour la note suivante : « Aujourd'hui à midi, au rapport, Moltke a proposé à l'Empereur [...] des mouvements de retrait. Il s'y est opposé comme un roc. Plessen s'est aussi prononcé pour un arrêt. Mais tout ceci est sans objet, puisqu'il n'y a pour l'instant pas de communication avec les 1re et 2e armées. Espérons que cela ne devient pas un mouvement de retraite. » L'Empereur refusa de s'engager sur la proposition de son chef d'état-major général, avant que l'on ait des informations plus détaillées et plus fiables sur l'aile droite. Ce n'est qu'alors que l'on pourrait juger si un retrait de cette aile de l'armée aurait comme conséquence la retraite de l'ensemble du front de l'armée allemande. Selon un témoignage du général v. Stein qui assistait aussi au rapport, le refus de la part de l'Empereur de la proposition de retraite avait considérablement énervé le général v. Moltke. Il note : « Celui-ci était très énervé et s'appuyait pour sa décision de retraite sur le général v. Bülow. Pour rendre ceci compréhensible, il dit à peu près  : « Le général v. Bülow pense que la retraite est nécessaire. Il est l'un des généraux les plus expérimentés de l'armée. » La conversation ne se déroula pas de façon tranquille, mais quelque peu bousculée et informe. Moltke posa sa main une fois sur le bras de Sa Majesté l'Empereur, comme s'il voulait l'apaiser. Mais celui-ci n'était pas du tout énervé... Par la suite, Moltke souligna encore que la retraite était aussi nécessaire compte tenu de l'armée du Kronprinz qui était comme dans un sac... » Malgré toutes les considérations du chef d'état-major général, l'Empereur resta ferme dans le refus de la proposition de retraite. Il voulait d'abord voir clair sur la situation réelle de l'aile droite. Il devait encore se passer des heures de tension extrême et d'incertitude torturante avant que des informations explicatives arrivent sur la situation de l'aile droite.

En attendant, le général v. Moltke fit déjà préparer par précaution des instructions détaillées pour la retraite de l'ensemble du front de l'armée, pour apporter sans délai la cohérence nécessaire dans les mouvements des armées au cas où cela serait nécessaire (Le projet de ces ordres n'est plus dans les actes de l'état-major général. Les recherches ont été vaines). Compte tenu de la situation dangereuse de l'aile droite, il sembla tout d'abord nécessaire de retirer sans délai l'autorisation qui n'avait été consentie qu'à contre-cœur le soir du 8/9 au Kronprinz de Bavière, de poursuivre provisoirement l'attaque (p. 465) contre les positions avancées de Nancy. La situation générale forçait l'aile gauche de l'armée à une pure défense, pour transférer le plus vite possible toutes les forces disponibles de la 6e armée vers l'aile droite. À la suite de quoi le commandement de la 6e armée fut, peu après 1 h de l'après-midi, pourvu d'ordres et incité à « prendre des dispositions immédiatement pour occuper une position de défense en arrière. » Les instructions préparant la retraite des autres armées furent cependant quelque temps retenues, jusqu'à ce que la situation de l'aile droite de l'armée soit clarifiée.

Immédiatement après l'arrivée du message radio intercepté du commandement de la 2e armée à la division de cavalerie de la Garde, il fut demandé à la 1re armée un rapport « sur la situation là-bas, et sur les intentions, compte tenu de la situation de la 2e armée. » La réponse aurait dû apporter enfin la clarification demandée. Mais entre temps, d'autres mauvaises nouvelles étaient intervenues. Un point d'information considéré comme fiable pouvait à nouveau rapporter d'importants transports de troupes anglo-françaises de Bordeaux et Boulogne vers la côte belge. Un autre point d'information, qui confirmait cela, rapportait même l'arrivée de corps russes chargés à Arkhangelsk partie en Angleterre, partie dans des ports français ou belges. Dans ces circonstances, il paraissait osé, même dans la situation extrêmement tendue de l'aile droite de l'armée, de dépouiller entièrement la Belgique de troupes. Le commandement de la 7e armée reçut l'ordre, annulant l'instruction déjà donnée (p. 301), en perspective de la possibilité de puissants débarquements de troupes sur la côte franco-belge, de laisser provisoirement le IXe corps de réserve en Belgique, et de ne rassembler que le XVe corps d'armée et le VIIe corps de réserve près de Saint-Quentin.

Vers 2 h de l'après-midi, la situation sembla plus sérieuse encore sur la rive est de la Meuse, où le Ve corps d'armée combattait. Peu après midi, le commandement de ce corps avait signalé « de très forts rassemblements de troupes » à l'ouest de la Meuse, dans l'espace Rignaucourt - Vavincourt - Courcelles-aux-Bois (p. 301). Le général v. Moltke y vit un signe menaçant pour l'intention déjà maintes fois attribuée à l'ennemi d'un essai stratégique de percée entre Verdun et Metz. Le danger lui semblait gigantesque. Menaces sur le flanc issues de Paris, menace sur les arrières en Belgique, et maintenant possibilité d'une menace sur les flancs et les arrières de Verdun. Cela faisait beaucoup, en quelques heures, pour provoquer une tempête dans ses nerfs. Tout semblait vouloir s'effondrer sur lui dans une crise terrible. Sa confiance et sa volonté chancelaient dans les puissantes tempêtes des événements. Il commença à perdre de plus en plus son équilibre intérieur sous les coups du sort qui s'amoncelaient : la volonté de vaincre disparaissait de l'âme du commandant en chef. Une profonde dépression se rendit maîtresse de lui. Son imagination excitée au plus haut point dépeignait déjà toutes les terreurs de la défaite en sombres couleurs. Dans une note de ces heures troubles (v. Moltke ibid, p. 385), il dit : « Cela va mal, les combats à l'est de Paris vont tourner à notre désavantage. Certaines de nos armées vont devoir reculer, et les autres devront bien suivre. Le début de la guerre commencé avec tant d'espoir est renversé en son contraire. — Je dois supporter ce qui arrivera et resterai debout ou tomberai avec mon pays. Il va nous falloir étouffer dans la lutte contre l'est et l'ouest. — Comme c'était différent quand nous avons ouvert la campagne si brillamment il y a quelques semaines — la désillusion amère suit maintenant. Et nous aurons à payer pour tout ce qui est détruit. — La campagne n'est certes pas perdue, aussi peu qu'elle ne l'était jusqu'à présent pour les Français, mais l'élan français qui était sur le point de s'éteindre va se rallumer puissamment, et je crains que notre peuple dans son vertige de victoire ne puisse qu'à peine supporter le malheur... »

Contrairement à leur chef, les officiers de l'état-major général n'ont pas perdu un seul instant la confiance en une bonne issue de la bataille. En particulier, les officiers de la section des opérations, comme les colonels Tappen et v. Dommes, ainsi que le chef des chemins de fer de campagne, le colonel Groener — même si ce dernier avait suivi depuis le début le développement de la situation opérationnelle avec des soucis croissants — étaient comme auparavant, même dans cette situation, inconditionnellement pour tenir ferme. Dans sa grande émotion psychique et sa perspective très oppressée, le général v. Moltke, malgré le calme intangible et les conseils de son conseiller, le colonel Tappen, était trop facilement et rapidement enclin à prêter l'oreille à toutes les nouvelles de malheur, même les plus invraisemblables.

Bien que vers 3 h de l'après-midi un message du commandement du Ve corps d'armée arrivât, selon lequel, sur la rive est de la Meuse « de faibles essais de la cavalerie ennemie avec un peu d'artillerie avaient été repoussés près de Chaillon, » l'ordre suivant fut transmis à 3 h 30 de l'après-midi au commandement de la 5e armée, au gouvernement de Metz et au Ve corps d'armée : « De puissantes forces ennemies sont signalées à l'ouest de Saint-Mihiel. Essai de percée de l'ennemi entre Verdun et Metz pas invraisemblable. Ve et réserve de Metz doivent immédiatement construire une position fortifiée en liaison avec le Ve corps de réserve et la garnison de Metz, et tenir face à l'attaque ennemie. Parties disponibles de la 6e armée dirigées sur Metz. Garnison et réserve principale de Metz mises sous la 5e armée. »

Après qu'une conversation radio a été interceptée par le grand quartier général, envoyée par un officier de renseignements de la 5e armée à Metz au Ve corps d'armée, selon laquelle il y avait aussi sur la rive est de la Meuse « des forces ennemies venant du sud en direction de Savonnières et Heudicourt, » l'état-major général envoya vers 6 h du soir l'ordre suivant au commandement de la 6e armée : « Forts rassemblements de troupes signalées à l'ouest et à l'est de Saint-Mihiel. Essais de percée de l'ennemi entre Metz et Verdun pas invraisemblables. Rassemblement accéléré de toutes les parties disponibles de la 6e armée à Metz nécessité de façon urgente. Mettre l'artillerie de Metz immédiatement sur les fortifications. » Simultanément, le Ier corps d'armée bavarois dont le transport vers la Belgique avait été déjà mis en route pour le lendemain, a été immédiatement avisé d'interrompre son mouvement à Metz, et si nécessaire à l'aide de marches à pied « de se rassembler aussitôt que possible vers Ars - Corny au sud-ouest de Metz, prêts à l'offensive. » C'est ainsi que l'on créerait là un solide front de défense dans les plus brefs délais. Tout danger pour l'aile gauche était écarté, au cas où ils auraient dû y résister. Le commandement de la 5e armée lui-même ne semblait pas l'avoir supposé, car il avait annoncé vers 4 h de l'après-midi son intention d'une attaque de nuit pour la nuit du 10/9. Dans cette situation extrêmement tendue, le général v. Moltke a cru devoir se dispenser d'un accord dans ce sens.

Jusqu'à 4 h de l'après-midi n'est arrivée de nouvelle directement ni des commandements d'armée de l'aile droite de l'armée, ni du lieutenant-colonel Hentsch. Une communication radio interceptée du commandant du 2e corps de cavalerie à la 1re armée a pu informer d'une attaque de la 5e division de cavalerie et de la brigade Kraewel contre l'ennemi qui s'avançait par Charly et Nanteuil. Ceci sonnait un peu plus porteur d'espoir. Après cela, un sérieux danger pour les arrières de la 1re armée semblait peut-être disparaître. — Finalement, vers 4 h 45 de l'après-midi, le message attendu du commandement de la 2e armée arriva. D'après lui, la 1re armée avait apparemment déjà commencé sa retraite, et ce avec l'aile gauche par Coulombs - Gandelu. La suite indiquait : « 2e armée arrête son attaque qui avance lentement, en accord avec Hentsch, et gagne la rive nord de la Marne, aile droite à Dormans. Remplacement urgent des troupes nécessaire. » Il n'y avait dans le message rien au sujet de la percée tant crainte par le général v. Moltke dans la brèche entre les deux armées, sinon il n'aurait que difficilement été possible à la 1re armée de se retirer vers le nord-est en direction de Coulombs - Gandelu. Le choix de la direction de retraite de son aile gauche et de la droite de la 2e armée — Dormans, non Damery comme cela avait été dit dans le premier message — faisait plutôt espérer que la 1re armée réussirait bientôt, comme c'était l'intention, de rétablir le contact avec l'aile droite de la 2e armée par Fismes, et de colmater ainsi la brèche entre les deux armées. Après l'intervention des IIIe et IXe corps d'armée, il n'y avait apparemment plus de danger pour l'aile droite de l'armée.

En résumé, la situation, envisagée calmement, semblait se détendre et prendre un aspect plus favorable. Quand, peu après, arrivèrent aussi de bonnes nouvelles sur l'état de la bataille des 3e, 4e et 5e armées — la 3e armée annonçait la prise de 50 pièces d'artillerie et de plusieurs milliers de prisonniers — le chef de la section des opérations, le colonel Tappen, considéra la situation éclaircie suffisamment pour qu'il ne soit pour l'instant pas question de retirer le reste du front. Il présenta avec insistance au général v. Moltke l'idée qu'il s'agissait maintenant de résister. Celui qui garderait ses nerfs le plus longtemps et s'affirmait sur le champ de bataille gagnerait la victoire. Avec l'acuité croissante de la crise et les difficultés croissantes de la situation, le calme et la force de tension du conseiller responsable du chef de l'État-major général augmentaient. Ses nerfs s'étaient montrés tout à fait à la hauteur de la tension élevée pendant des jours. Bien que le général v. Moltke considérât la situation comme plus grave, il se rangea à l'avis de résister. Les ordres de retraite déjà préparés n'ont pas été envoyés.

Quand, entre 8 h et 9 h du soir, le message arriva que la 3e armée malgré « une avance victorieuse » avait reçu du commandement de la 2e armée l'ordre de recul sur la rive nord de la Marne pour le 10/9 et que d'autre part le commandant de la 5e armée, le Kronprinz Wilhelm, avait demandé encore personnellement au téléphone l'accord de l'état-major général pour l'attaque de nuit dont il avait l'intention, le colonel Tappen tira une vue tellement confiante de la situation générale qu'il recommanda au général v. Moltke pour le 10/9 la reprise de l'attaque sur tout le front de l'armée. Sa proposition reçut un accord. Les ordres envoyés immédiatement donnaient à la 1re armée la tâche de « s'échelonner à droite en arrière de la 2e armée, prête à empêcher un encerclement de l'aile droite de cette armée par une attaque. » La 2e armée ne reçut aucun ordre spécial. Les ordres d'offensive des armées voisines lui furent seulement communiqués. Elle devait agir apparemment conformément aux circonstances. Les 3e, 4e et 5e armées devaient « reprendre l'offensive le 10/9 aussitôt que possible, » la 3e armée devant conformément à l'instruction du commandement de la 2e armée, rester au sud de Châlons, tandis que la 5e armée recevait enfin l'accord pour accomplir l'attaque de nuit projetée. C'est ainsi qu'on espérait rétablir la situation par une dernière mobilisation puissante des forces dans l'attaque, même sur l'aile droite, et, « par une puissance brutale, » renverser l'ennemi, dont la force après des jours de combat, devait encore être faible. « Celui qui s'accroche maintenant est le vainqueur. » C'est avec ces paroles que termina tard dans la nuit le colonel Tappen ses descriptions sur ce jour excitant et changeant !


L'heureuse vision de la situation générale qui s'était installée au soir du 9/9 à l'état-major général, subit des renforcements pendant la nuit du 9 au 10 et le 10 au matin. La situation semblait être encore substantiellement plus favorable que l'on ne supposait avant tout à la 1re armée. L'armée avait eu un plein succès sur son aile droite, tandis que le front sur l'Ourcq s'affirmait, et que la défense des flancs sur la Marne résistait jusque là à l'ennemi. Comme le signalait le commandement, le retrait sur la ligne Crépy-en-Valois - La Ferté-Millon - Neuilly n'avait eu lieu que sur ordre de l'état-major général. L'armée voulait continuer sa marche vers l'arrière le 10 jusque derrière l'Aisne. Cette intention souleva néanmoins de l'étonnement. Il ne semblait pas du tout nécessaire de reculer si loin dans la situation générale. Et le flanc droit de la 2e armée arrêtée derrière la Marne serait complètement dégarni. Un message radio arrivant à 7 h du matin du commandement de la 2e armée exprimait la même intention, en annonçant au lieu de la reprise de l'offensive générale la continuation du repli pour le 10/9, et ce en commun avec la 3e armée, puisque le général v. Kluck voulait reculer le 10 derrière l'Aisne, et que par conséquent « on n'attendait pas la protection du flanc droit de la 2e armée par la 1re armée. » L'incohérence entre les deux commandements menaçait à nouveau de rendre impossible l'intention de tenir et de reprendre l'offensive. Par suite, fut envoyé immédiatement — à 7 h 45 du matin — l'ordre déterminé à la 1re armée d'assurer à coup sûr par l'attaque la sécurité du flanc droit de la 2e armée. Les mots introductifs « Combat favorable sur toute la ligne » devaient inciter le commandement de l'armée à tenir et empêcher toute autre pensée de retraite.

L'état-major général a été renforcé dans son intention de conduire le combat jusqu'à une fin victorieuse, également par des informations favorables sur la bataille autour de Verdun. L'attaque de nuit de la 5e armée avait avancé, et le Ve corps d'armée tenait toujours sa position sur les hauteurs de la Meuse. On ne signalait aucune intention d'attaque de la part de l'ennemi. On avait probablement surestimé le danger d'une percée française entre Metz et Verdun la veille après midi. Les mesures pour l'établissement d'un front de défense à partir d'unités des 5e et 6e armées entre Verdun et Metz s'avéraient inutiles. À la suite de quoi l'instruction fut transmise au général v. Strantz qui commandait ce secteur de reprendre l'attaque à travers la Meuse contre les forts. La sécurité entre Verdun et Metz devait être assurée communément par la réserve principale de Metz et le Ier corps d'armée bavarois, arrivant au cours de la journée par les premiers transports de troupes. De même, l'amenée des trois corps tirés de la 6e armée vers Metz en resta là. Une lettre personnelle du général v. Moltke fut envoyée au Kronprinz Rupprecht de Bavière, où il expliquait en détail les tergiversations de l'état-major général pendant les opérations des derniers jours.

Un autre message favorable arriva de Bruxelles le matin, du commandement de la 7e armée. Le général v. Heeringen avait l'intention d'atteindre avant le 12/9 midi Saint-Quentin avec le XVe corps d'armée, Sissy (au nord de La Fère) avec le VIIe corps de réserve, la région à l'ouest de Cambrai avec la 7e division de cavalerie, et l'espace à l'est de Douai et Lille avec le IXe corps de réserve. On pouvait donc espérer un appui rapide et efficace de l'aile droite de l'armée au cas où celui-ci s'avèrerait nécessaire.

La situation sur l’aile droite de l’armée menacée restait encore tout à fait confuse. L’incertitude à ce sujet recommençait à oppresser fortement le général v. Moltke. L’espoir que le lieutenant-colonel Hentsch aurait pu rentrer au grand quartier général pendant la nuit et y apporter les clarifications attendues avait été déçu. À part le bref message radio envoyé de Montmort le soir du 8/9, aucune nouvelle n’était parvenue de lui jusqu’à présent. Cela paraissait complètement incompréhensible. Finalement, le 10/9 à 11 h du matin, arriva à nouveau un signe de vie du lieutenant-colonel Hentsch. En accord avec lui, le commandement de la 2e armée jugeait dans un message radio parti vers 9 h 30 du matin que le recul de la 1re armée derrière l’Aisne était forcé par la situation opérationnelle et tactique, et que la 2e armée devait soutenir la 1re au nord de la Marne si « l’aile droite de l’armée ne devait pas être enfoncée et mise à plat. » Ce message fut pour le général v. Moltke une surprise désagréable. Contrairement à la vision optimiste de l’État-major général, le général v. Bülow considérait la situation de l’aile droite de l’armée toujours comme très sérieuse. En particulier, il semblait que la vision de la 1re armée, comme elle s’était exprimée dans son message du 9/9 au soir, n’était pas du tout justifiée. Il était plutôt douteux que la fermeture de la brèche ait réussi. Le commandement de la 2e armée ne comptait plus du tout sur une protection de son propre flanc droit par la 1re armée, et tenait même pour nécessaire un appui de cette armée par la 2e au nord de la Marne. Cela rendait la situation de la 1re armée très préoccupante.

Par un tel danger sur l’aile droite, il n’était naturellement plus pensable de continuer une offensive générale, et même la possibilité d’un retrait des autres armées aussi entra à nouveau dans le cercle des hypothèses sérieuses pour le général v. Moltke. Les messages radio envoyés vers midi aux 1re et 2e armées avec la demande urgente d’informations sur la situation reflétaient l’incertitude et l’impatience régnant de nouveau à l’état-major général. Avant d’avoir la lumière sur la situation de l’aile droite de l’armée allemande, aucune nouvelle décision ne pouvait être prise.

Les informations en provenance du théâtre d’opérations de l’est ne pouvaient pas avoir une influence favorable sur la pensée déjà troublée du chef d’état-major général. Le général v. Hindenburg avait signalé la veille au soir de Prusse-Orientale que la bataille était engagée sur toute la ligne, mais avait ajouté : « Près de Lyck — c’est-à-dire sur le flanc de son aile encerclable — il y aurait de nouvelles forces plus puissantes. » L'issue de la bataille semblait là bas aussi être tout à fait incertaine. Mais le 10/9 au matin, étaient venues du général v. Conrad comme du général baron v. Freytag des informations très sérieuses sur la situation sur le front galicien, où le 9 au matin, une « avance » favorable était annoncée : l'aile gauche de l'armée alliée était en retraite devant une forte supériorité. Le message du général v. Conrad était : « Suite à l'absence d'une offensive allemande sur Sjedlez, par laquelle un succès décisif aurait été remporté sur le théâtre d'opérations polonais, la 1re armée, arrivée jusque devant Lublin, doit se retirer face à une suprématie ennemie importante vers le San inférieur. Ceci compromet la situation des autres armées, et l'espace à l'ouest de la Vistule est libéré pour une action ennemie. Nos 2e, 3e et 4e armées se battent néanmoins depuis le 7/9 sur la ligne Nikolaiev - Rawaruska en combat acharné pour une décision avec l'ennemi qui a pénétré en Galicie orientale, et qui se renforce constamment. » Le général baron v. Freytag avait terminé son message avec les mots : « Si l'opération contre les Russes doit réussir, il me semble nécessaire de soutenir immédiatement les Autrichiens en Galicie par des troupes allemandes, si l'on peut en disposer à l'ouest. »

Au rapport à l'Empereur de midi, la surexcitation du général v. Moltke apparut clairement à tous les participants. Il semble qu'il ait à nouveau émis la proposition d'une retraite générale. Dans les notes qu'a prises le général baron v. Lyncker sur le contenu de l'exposé du chef d'état-major général à l'Empereur le 10/9, il est écrit : « Les armées sont étirées dans un grand arc des Vosges jusqu'à Paris en une ligne étroite. On ne trouve nulle part de forces plus puissantes rassemblées. Les pertes ont été très grandes. Il est très douteux que les 1re et 2e armées puissent résister à l'attaque. L'idée de retraite s'approche, si elle n'est pas encore avancée. L'armée Heeringen doit être amenée vers le sud. On ne parle plus de l'opération prévue contre la Belgique et la côte nord de France [...] » Dans son journal, l'aide de camp général, le général v. Plessen fait l'annotation suivante pour le même jour : « [...] On a reculé d'un bon intervalle, suite aux attaques énergiques des Anglais sur la 1re armée. Si l'on ne voulait pas percer, il faudrait que les deux armées, la 1re et la 2e, fassent retraite, ce qui aurait aurait aussi l'avantage de rapprocher les renforts, et de faire arriver les remplacements dont ces troupes ont un besoin urgent... Il reste néanmoins que nous avons subi un petit échec, dont nous n'avions pas besoin, et qui repousse le but. D'après moi, nous sommes trop loin. Des rares messages radio, on n'a pas de tableau convenable. Le grand quartier général devrait se rapprocher... »

Le désaccord qui régnait toujours entre les commandements des 1re et 2e armées sur la conception générale de la situation constituait sans doute un réel danger. Il fallait avant tout opérer un changement dans ce domaine. On adopta l'expédient qui s'était avéré un peu utile dans les opérations sérieuses d'août en Belgique, en plaçant la 1re armée sous l'autorité du général v. Bülow.

Vers midi, aucune information n'était parvenue de la part du lieutenant-colonel Hentsch. Est-ce qu'un accident lui était arrivé ? Son mutisme et sa longue absence paraissaient complètement inexplicables. Mais finalement, vers 3 h de l'après-midi, il revint de son voyage de deux jours. Au rapport qu'il fit immédiatement au général v. Moltke, le lieutenant-colonel Hentsch esquissa en brèves paroles le résultat de sa mission. La 1re armée était responsable de la retraite générale, en ayant fait apparaître par le retrait des IIIe et IXe corps d'armée une brèche entre les 1re et 2e armées, où l'ennemi s'était inséré. Selon le témoignage du général v. Moltke ainsi que des colonels Tappen et v. Dommes, le lieutenant-colonel Hentsch souligna explicitement que le commandement de la 1re armée avait déjà lors de son arrivée « donné les instructions pour la retraite (Le général v. Moltke écrit dans son rapport du 26/7/15 que le commandement de la 1re armée avait « déjà commandé la retraite sous sa propre autorité » lors de l'arrivée du lieutenant-colonel Hentsch). » Il indique dans son rapport du 15/9/14 que la 1re armée avait dû commencer la retraite en raison de la situation à la 2e armée, pour ne pas être complètement repoussée par les Anglais par l'ouest. Comme à son arrivée, « le commandement de la 1re armée pensait déjà à un mouvement de retraite (cf. p. 258), » il n'avait fait qu'essayer d'orienter ce mouvement de retraite dans la direction souhaitée par l'état-major général. Pour l'instant, la 1re armée se dirigeait vers la ligne Soissons - Fismes (ici aussi, le lieutenant-colonel Hentsch, contrairement à son accord avec le général v. Kuhl a indiqué comme direction de retraite de l'aile gauche de la 1re armée non pas Soissons, mais Fismes. Cf. p. 264 et 286, note 1), la 2e armée derrière la Marne et progressivement derrière la Vesle, la 3e armée, tout d'abord échelonnée au contact des 2e et 4e armées, des deux côtés de Châlons. Les 4e et 5e pourraient, autant selon son idée que selon les convictions de leurs commandements tenir dans leur positions actuelles « si à la 3e armée, le XIXe corps d'armée restait au contact, et si pour la 5e armée, les forts étaient pris. » Ceci serait de toute façon une condition pour le maintien de la 5e armée. Pour le reste, Hentsch décrivit, en accord avec les informations du front, l'ennemi comme « brisé. » Compte tenu de sa faible force d'attaque, il n'y aurait pas de danger pour un accomplissement sûr des mouvements de retraite engagés.

Le général v. Moltke a été très heureusement surpris par ces développements rapportés très tranquillement et sûrement. Sa crainte sur le danger de l'écrasement de l'aile droite de l'armée était aussi sans objet que la nécessité envisagée à nouveau de retirer les autres armées. Si la 1re armée se retirait réellement avec son aile gauche sur Fismes, comme le lieutenant-colonel Hentsch le rapportait, alors le contact entre les 1re et 2e armées devrait être rétabli aujourd'hui même. Dans sa joie de ce que maintenant la retraite se limitait aux trois armées de l'aile droite, et n'était plus devenue nécessaire pour l'ensemble de l'armée de l'ouest, il s'écria : « Grâce à Dieu, l'affaire paraît réellement meilleure que je ne le pensais, » sur quoi Hentsch répartit : « Excellence, la décision de maintenir les 3e, 4e et 5e armées dans leur ancienne position est tellement lourde que je demande à votre Excellence d'aller vous-même aux trois commandements d'armée, et de vérifier sur place si j'ai agi correctement. » Le colonel Tappen pensa aussi nécessaire un examen sur place. Le général v. Moltke fut d'accord, et se décida à faire le voyage vers les 5e, 4e et 3e armées le lendemain matin tôt. Suite au rapport au général v. Moltke, l'Empereur entendit le rapport du lieutenant-colonel Hentsch. Le général v. Plessen écrit à ce propos dans son journal : « Cet après-midi arrive le lieutenant-colonel Hentsch [...] qui développe à Sa Majesté un tableau de la situation générale qui apaise complètement Sa Majesté à bon droit [...] »

Une note du 11/9 écrite apparemment sur son intervention dans le journal de guerre de la section des renseignements qui lui est subordonnée, fait apparaître comment le lieutenant-colonel Hentsch envisage la situation après son retour, et comment il apprécie les conséquences de la retraite de l'aile droite de l'armée : « [...] La tension ne se dissipe que le 10/9 avec le retour du lieutenant-colonel Hentsch. Les 1re et 2e armées doivent malheureusement reculer, pour ne pas être disloquées par les Anglais. Ce malheur ne paraît pas si grand du point de vue purement militaire, mais il peut avoir des suites politiquement désagréables, d'autant plus que l'aile gauche de l'armée autrichienne recule aussi. Le lieutenant-colonel Hentsch souligne que seule la menace d'un enfoncement avait causé le mouvement de retraite. Nos troupes avaient jusqu'à présent battu toutes les attaques frontales françaises et auraient pu s'en défendre encore ... On espère que la 1re armée dans sa retraite va gagner le contact avec la 2e armée. »

Le général v. Moltke semble avoir approuvé les dispositions de Hentsch, dans l'hypothèse qu'à l'arrivée de Hentsch au commandement de la 1re armée, celui-ci avait déjà pris sa décision de retraite. La contradiction entre le message de la 1re armée, qu'elle faisait retraite sur instruction de l'État-major général, et les indications du lieutenant-colonel Hentsch, n'a apparemment pas été aperçue par ce dernier dans sa surexcitation psychique sous la pression des événements.

Sur la base de la situation maintenant clarifiée, de nouvelles instructions partirent vers les armées vers 5 h 30 de l'après-midi. Elles spécifiaient : « Sa Majesté commande : La 2e armée recule derrière la Vesle. Aile gauche à Thuizy. La 1re armée prend ses instructions de la 2e armée. La 3e armée tient, en contact avec la 2e armée la ligne Mourmelon-le-Petit - Francheville-au-Moivre. La 4e armée, en contact avec la 3e armée au nord du canal de la Marne au Rhin jusqu'à la région de Revigny. La 5e armée reste sur les positions atteintes. Le Ve corps d'armée et la réserve principale de Metz sont mis à l'attaque contre les forts de Troyon - Les Paroches - Camp des Romains. Les positions atteintes par les armées doivent être fortifiées et assurées. Les première parties de la 7e armée, le XVe corps d'armée et le VIIe corps de réserve atteignent le 12/9 midi environ Saint-Quentin - Sissy, y prendre contact avec la 2e armée. »

La situation paraissait réellement détendue, et le pire, une retraite générale, détournée. Le revers sur l'aile droite de l'armée pourrait être à bref délai, espérait-on, être rattrapé par l'entrée en fonctions de la 7e armée nouvellement formée. L'atmosphère générale s'améliorait visiblement, d'autant plus qu'à 10 h du soir arriva une information très réjouissante du théâtre d'opérations de Prusse-Orientale : la 8e armée signalait une victoire complète : « Pour l'instant 60 - 70 pièces d'artillerie, quelques milliers de prisonniers [...] La poursuite aura lieu demain 11/9 très énergiquement, et nous espérons agrandir encore substantiellement les prises de guerre. »

L'atmosphère confiante n'a pas duré longtemps !

Les messages arrivant au cours de la fin de soirée et pendant la nuit ont en partie fait apparaître le tableau de la situation de nouveau sous un éclairage sombre. Vers minuit, le fil de Prusse-Orientale apporta un message complémentaire décevant : « Il apparaît douteux que Rennenkampf puisse être battu de façon décisive, parce que les Russes ont commencé leur marche en arrière tôt aujourd'hui. Pour continuer les opérations se pose la question du rassemblement d'une armée en Silésie. Pouvons-nous compter sur de nouveaux renforts de l'ouest [...] ? » Des armées du front de l'ouest vinrent des renseignements selon lesquels la situation était pour le moins assez embrouillée : dans les Vosges, l'aile gauche de la 6e armée avait commencé le mouvement vers l'arrière, le 12/9, la frontière allemande devait être atteinte. Trois corps, les IIe et IIIe bavarois et le XXIe, pouvaient atteindre Metz les 14 et 15/9 à la disposition de l'état-major général.

La 5e armée s'était battue toute la journée pour le contrôle des positions conquises pendant l'attaque de nuit, et voulait attendre le succès de l'attaque du Ve corps d'armée contre les forts de la Meuse. L'armée avait un besoin urgent de repos et de remplacements. L'attaque entreprise par le duc Albrecht de Wurtemberg dans la direction Blaise - Perthes était restée arrêtée, tandis que la 3e armée couvrant avec son groupe de gauche l'aile droite de la 4e armée, s'était attachée avec la droite au mouvement en arrière de la 2e armée, en direction de Châlons. La 2e armée n'avait pas été suivie par l'ennemi, seulement devant son aile droite avaient été repérées de faibles forces. De fortes arrière-gardes de l'armée devraient gagner aujourd'hui la ligne Dormans - Avize.

Les informations de la 1re armée étaient bien plus inquiétantes. Leur message était : « La 1re armée s'est retirée aujourd'hui au nord de la forêt de Villers-Cotterêts, aucune information sur l'ennemi à l'ouest de l'Ourcq inférieur. L'ennemi, avec de fortes cavalerie et artillerie, et apparemment un corps d'armée par derrière, est repoussé jusqu'à maintenant de Château Thierry en direction de Oulchy - Neuilly StFront. Direction du gros des forces encore peu claire. L'armée, après cinq jours de combat et une retraite commandée, est fortement désorganisée et épuisée. Prête à l'offensive au plus tôt le 12/9. »

Ce message sur la retraite de la 1re armée était en contradiction remarquable avec les indications du lieutenant-colonel Hentsch. Tandis que selon ces indications, il fallait compter avec une retraite de l'aile gauche de la 1re armée sur Fismes, et une fermeture rapide de la brèche entre les deux armées, la crise sur l'aile droite de l'armée n'était pas du tout résolue. Selon la teneur du message de la 1re armée, selon laquelle elle s'était retirée aujourd'hui jusqu'au nord de la forêt de Villers-Cotterêts, il semblait que l'aile gauche ne s'était pas retirée vers Fismes, mais dans la direction générale de Soissons. D'après cela, il devait y avoir entre l'aile gauche de la 1re armée vers le sud de Soissons, et l'aile droite de la 2e armée à Dormans toujours une brèche béante de plus de 40 km. Peut-être, l'ennemi avançant par Château-Thierry avait-il empêché la retraite vers Fismes. La fermeture de la brèche parut à l'état-major général comme auparavant la tâche la plus urgente. Pour cela, les parties utilisables de la 7e armée devaient être acheminées sans délai. Selon un message du commandement de la 7e armée arrivé dans la soirée, leur préparation aurait subi un retard de 24 h au moins, car une défaillance des Belges d'Anvers aurait nécessité l'intervention de parties du XVe corps d'armée à l'ouest de Louvain. Le commandant, le général v. Heeringen, reçut l'instruction de se mettre en rapport dès que possible avec le général v. Bülow commandant les 1re et 2e armées, pour « mettre en fonction le plus rapidement, en fonction de la situation, toutes les unités disponibles, et de mettre aussi en route le IXe corps de réserve direction Saint-Quentin en cas d'absence de forces ennemies significatives sur la côte. » Les unités restées jusqu'alors en Belgique — IIIe corps de réserve et division de marine — furent alors à nouveau retirées de la 7e armée et mises sous l'autorité du gouverneur général de Belgique pour la sécurité d'Anvers et de la côte.

Les conditions peu claires sur l'aile droite de l'armée déterminèrent le général v. Moltke à prolonger vers la 2e armée le voyage prévu pour le lendemain vers les 5e, 4e et 3e armées, pour se faire personnellement une idée claire sur la crise qui régnait là-bas depuis maintenant six jours, et la résoudre si possible par intervention sur place. C'est alors finalement, à la dernière heure, qu'arriva ce qui avait été urgent dès le début des opérations : l'établissement d'un contact personnel et d'un échange d'idées direct entre le chef d'État-major général et les généraux commandant sur le front.