La Belle Alsacienne/1

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Texte établi par B. V. (Bagneux de Villeneuve, alias Raoul Vèze), Bibliothèque des curieux (p. i-vi).

INTRODUCTION

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Le petit roman libertin que nous rééditons en ces pages eut, dès le jour de son apparition, un succès incontestable, quoique discret. Discret, car le livre ne méritait pas de retentissement, et que sans doute quelques contemporains, notoires dans les alcôves vénales, y étaient malignement égratignés. Incontestable, car de 1745 à 1803 il a reparu fréquemment sous des titres différents.

Il a vu le jour pour la première fois à Amsterdam en 1745, sous le titre Galanteries de Thérèse, et la paternité en est attribuée à Bret. Ce dernier, né à Dijon en 1717. mort à Paris le 25 février 1792, est l’auteur d’un certain nombre de contes galants à douces tendances morales, comme La Cythéride (Paphos, 1742), et Lycoris ou la Courtisane grecque[1].

Bret écrit agréablement, sans aucune prétention ni à l’élégance, ni à la profondeur : on le lit avec plaisir, on le relit. Ses Galanteries de Thérèse ne l’ont pas illustré, d’abord parce qu’il n’en revendiqua jamais ouvertement la paternité, et puis parce que cet ouvrage ne suffit pas pour assurer à son auteur l’immortalité. Mais il est permis d’imaginer que sa clientèle fut nombreuse parmi les viveurs de l’époque, qui savaient compléter les initiales discrètes et s’amusaient à suivre les aventures bigarrées de la peu farouche héroïne, à préciser les allusions de chaque page.

Il est bien de son siècle, ce roman d’une fille galante marchant allégrement sur les traces de sa mère et se laissant souvent conduire par elle sur le chemin de la galanterie. Ne le dit-elle, d’ailleurs pas, avec une naïve sincérité, la charmante Thérèse, lorsqu’elle se déclare fière de ressembler à Frétillon, dont les aventures libertines venaient d’être révélées par un indélicat amoureux[2] ?

Les confessions de Thérèse présentent un tableau curieux, animé, vivant, d’un groupe de jouisseurs, de petits-maîtres, de « demoiselles du monde » du dix-huitième siècle. Mme  G…, l’entremetteuse de marque, fournisseuse attitrée des gens haut placés, pourrait bien être Mme  Gourdan, la « Petite Comtesse ». L’aventure de la jeune personne offerte par une matrone à son propre amant se retrouve dans la Correspondance d’Eulalie et paraît avoir été fréquente chez les Brissault, les Pâris, les Baudoin, abbesses de couvents galants.

Le marquis de R…, don Juan octogénaire, pourrait bien être le maréchal duc de Richelieu, qui se vantait de tromper sa troisième femme à quatre-vingts ans.

La ceinture de chasteté même, dont un jaloux amant inflige un instant le supplice à « la belle Allemande », a occupé, au dix-huitième siècle, un des premiers rangs de l’actualité, et Voltaire lui a consacré tout un amusant poème.

Les portraits du parasite, du « greluchon », donnent aussi à l’ouvrage une date précise.

Il n’est pas jusqu’à sa morale qui ne soit bien indicative. Thérèse n’affiche pas de philosophie profonde, décevante, ou même seulement gênante ; mais elle sait trouver des traits d’observation pittoresques, colorés, rapides ; elle abonde en réflexions pratiques, sagement pratiques. Et enfin elle se recommande par-dessus tout par un bon cœur, une de ces bontés qui facilitent la vie, et plus particulièrement la vie galante.

Toutes ces qualités suffisent à rendre attachante, autant qu’attrayante, la lecture de ces courts mémoires qui dépeignent au vrai, sans grande rhétorique, les étapes rapides de l’existence d’une fille qui d’elle-même s’est consacrée à donner du plaisir, sans ménager ni son corps, ni son cœur.

Les Galanteries de Thérèse ont reparu en 1754, mais sous un titre plus complet :

La Belle Allemande ou les Galanteries de Thérèse, sous lequel elles se sont multipliées. Nous avons eu entre les mains une édition sans date comprenant deux parties in-12 de 117 et 128 pages, et une autre datée : A Paris, aux dépens de la compagnie, 1774, comprenant xii pages d’avertissement Au Public, et deux parties en 148 pages, dont 74 pour chacune.

En 1797, l’ouvrage reparaît à Lyon sous le titre :

Adeline ou la Belle Strasbourgeoise, sa vie privée et l’histoire de ses aventures galantes.

Nouvelle édition en 1803.

Enfin en 1801 est publiée :

La Belle Alsacienne ou Telle Mère, telle fille, que Gay a rééditée à Bruxelles, en 1882, avec une gravure de Chauvet en frontispice de chacune des deux parties.

Il nous paraît utile de constater que le comte d’I…, dans sa Bibliographie des ouvrages de l’amour, n’a pas indiqué la similitude des ouvrages publiés sous ces différents titres. À vrai dire, il existe quelques différences, mais insignifiantes, quelques phrases ou membres de phrase ajoutés ou supprimés çà et là, sans doute pour masquer, à première vue, la similitude.

Mais c’est incontestablement le même ouvrage qui a reparu sous cette diversité de titres, et nous lui avons conservé le plus récent, parce qu’il nous a semblé le plus précis.

B. V.

  1. Voir Quérard. La France littéraire, art. Bret.
  2. Voir Les Aventures libertines de Mlle  Clairon, dite Frétillon, rééditées par J. Hervez (Bibl. des Curieux, 1911).