La Belle libertine/01
PREMIERE PARTIE.
Premiers ſacrifices à l’Amour.
Il faut donner, malgré moi, un air d’importance à mon hiſtoire, & débuter, ſuivant l’uſage, par ma généalogie. Je ne ſuis pas habile dans l’art héraldique, quoique d’antique nobleſſe ſe ſoit greffée ſur ma roture ; mais ai-je beſoin d’ayeux ? une jolie femme ne jouit-elle pas de tous les avantages ? ſi j’étois née d’un ſang illuſtre, j’aurois le bon ſens de ne m’en pas vanter ; ma conduite galante terniroit la mémoire de mes ancêtres, elle amuſe mes contemporains ; le public connoît mes jolis quartiers : voilà mes titres.
Les adages ſont quelquefois vrais : Bon chien chaſſe de race. Je devois donc être, comme on va le voir, une des plus ardente prêtreſſe de Vénus.
Un roué m’a donné l’être : entendez par ce mot, ſi uſité à la cour & dans les couliſſes, un homme qui, avec quelque ſorte d’eſprit, s’en adjuge libéralement beaucoup plus qu’il n’en a ; détracteur du mérite, fourbe, ſéducteur, marchant à ſon but par la fraude & l’aſtuce ; ſans foi, ſans pudeur, ſans autre crainte que celle de manquer d’argent ; égoïſte parfait, rapportant tout à lui ; ayant fait de la fauſſeté une profonde étude, & ne connoiſſant point de plaiſir ſupérieur à celui de tromper : je l’avoue à regret, tel étoit le caractere de mon pere.
Ma mere ne valoit pas mieux ; très-digne compagne d’un époux qui avoit une auſſi mauvaiſe conduite, il y avoit entr’elle & lui aſſaut continuel de traits répréhenſibles, & les deux médecins ſe paſſoient l’émétique & la ſaignée.
Mon pere étoit peintre en mignature ; il avoit de l’eſprit, des manieres, étoit bel homme, avoit étudié ſon art & les femmes à Paris ; ſon pinceau étoit ferme, ſa touche hardie & voluptueuſe ; auſſi étoit-il chéri des femmes qui ſe faiſoient toutes peindre d’après nature. Les maris auroient pu voir ſon talent d’un mauvais œil, s’il ne leur eût pas adroitement offert un dédommagement charmant : il avoit épouſé ma mere par amourette, & lui avoit appris ſon art ; mais par un calcul fort bien entendu, elle manquoit toutes les femmes, & ne pouvoit attraper que les hommes ; par cet accord heureux, tandis que mon pere alloit peindre une jeune femme, ſon époux enchanté venoit prendre ſéance dans le boudoir de ma mere, & tout le monde étoit content.
Mon pere gagnoit beaucoup ; ma mere recevoit encore davantage ; une pluie d’or tomboit ſur notre maiſon, mais elle ne s’y arrêtoit pas ; le jeu de mon pere, la coquetterie de ma mere étoient deux ruiſſeaux par leſquels cette abondante pluie s’écouloit rapidement : ils étoient criblés de dettes, & toujours aux expédiens.
Le projet de ma mere étoit de m’aſſocier à ſon commerce galant dès que j’aurois atteint l’âge heureux des déſirs ; c’étoit auſſi mon plan, & je calculois déjà, même avant de ſentir palpiter mon ſein, le nombre de conquêtes que devoient faire mon goût naiſſant pour les hommes & une figure qui promettoit d’être plus que paſſable. Mais le ciel ſe rit des projets les mieux combinés ; un jour mon pere peignoit la jeune épouſe du major de la ville, homme vieux & brutal, dans le charmant coſtume de la belle coucheuſe de Porporati, lorſque ſon mari, qui n’étoit pas dans la confidence, entra bruſquement, & la ſurprit dans cette attitude ; il ne connoiſſoit ni les regles de la peinture, ni les privileges de peintres, & ſans ſe donner la peine d’examiner ſi mon pere avoit le droit de peindre les femmes ſans chemiſe, il lui paſſa ſon épée au travers du corps, & renvoya ſon cadavre à ma mere.
Quoique ma mere ne fût pas très-attachée à ſon mari, l’horreur de ce ſpectacle lui cauſa une révolution ſi violente, qu’elle ne revint de ſon premier ſaiſiſſement, que pour retomber dans des convulſions qui la conduiſirent en peu de jours au trépas : elle étoit, ainſi que le fut Julie d’Etange, dans une poſition qui rendoient tous des ſecours de l’art inutiles : ce fut ainſi qu’en huit jours de tems je perdis mon pere, ma mere, ma fortune & mes eſpérances.
La mere de mon pere étoit retirée dans une petite ferme qu’elle appelloit ſa terre, à cinq lieues de Bordeaux. Inſtruite de mes malheurs, elle m’envoya chercher par un homme de confiance ; & je n’emportai de ma ville natale que les regrets de pluſieurs paillards qui convoitoient mes appas naiſſans ; car nos créanciers avoient partagés nos triſtes dépouilles & m’avoient laiſſée à-peu-près dans l’état de ſimple nature.
J’étois affligée de quatorze ans qui en valoient ſeize. Née ſur les bords du Rhin, tranſportée dans une province méridionale de la France, je réuniſſois en moi la force des habitans du nord, & le tempérament chaud de ceux du midi. Elevée dans un village, tout contribuoit à augmenter l’énergie dont la nature libérale m’avoit douée, & je me trouvois fatiguée d’une ſurabondance de vie, lorſque je connus un jeune habitant du bourg qui parut me diſtinguer de mes compagnes. Me prévint-il ? mes yeux & ma voix l’engagerent-ils ? Je ne m’en ſouviens pas ; d’ailleurs, j’ai plus d’une fois fait des avances, parce que j’ai reconnu que c’était la meilleure façon d’être entendue : la nature n’eſt pas cérémonieuſe.
J’aurois pu, mieux qu’une autre, faire ce que la bourgeoiſie appelle des façons ; je valois la peine d’être déſirée ; j’étois dans l’âge floriſſant, ma taille étoit déja élevée, ma gorge aſſez formée pour fixer les regards ; j’avois un embonpoint qui annonçoit la plus conſtante ſanté ; mon buſte étoit arrondi & tel que les gens de goût le déſirent ; mes cuiſſes offroient des contours heureux & une élaſticité rare ; mes feſſes auroient eu des autels chez les Grecs, & des préférences chez nos cardinaux ; voilà ce que j’étois… ah ! folle que je ſuis, j’oublie de parler de ma tête ; c’eſt que cette partie de moi-même, comptée pour quelque choſe par les hommes, a toujours été foible & très-ſubordonnée à une autre. J’avois la fraîcheur d’une roſe nouvelle, les dents blanches & bien rangées, les yeux bleus, d’une grandeur ordinaire, mais d’une expreſſion unique lorſqu’ils vouloient obtenir ou faire eſpérer ; la bouche petite, accompagnée de deux foſſettes que nos fins matois appellent les niches de l’amour ; les levres vermeilles, les cheveux châtains, clairs & bien plantés, & par une ſingularité aſſez rare, les ſourcils & un autre endroit qu’on connoîtra bientôt, auſſi noirs que l’ébene ; ces avantages réunis formoient l’enſemble d’une phyſionomie ſéduiſante, & mon innocence aux abois lui prêtoit une attraction à laquelle peu de mortels euſſent réſiſté : enfin on diſoit de moi : Elle eſt ſi jolie qu’elle eſt plus aimable que ſi elle étoit belle.
Hélas ! à qui étoient deſtinés tous ces charmes ? rarement on accorde ſes prémices à celui qui les mérite ; mais
L’occaſion, la douce égalité,
& plus que tout cela, le beſoin irréſiſtible
de me ſatisfaire, n’ayant point
de principes moraux, n’étant ſoutenue
par aucune conſidération préſente,
brûlant de me jetter dans la débauche,
pouvois-je me rendre difficile ? Mon
premier docteur auroit eu lui-même
beſoin des leçons d’une coquette, mais
au village, & pour une fille auſſi
précoce & auſſi indulgente que moi,
tout étoit excellent : preſſés tous deux
de jouir, nous abrégeâmes les
préliminaires. Le plus difficile n’étoit pas
de tromper une ayeule octogénaire,
mais de trouver dans la maiſon, qui
ne ſe prêtoit pas à la choſe, un lieu
où nous puſſions nous joindre ſans
être ſurpris. Le bon la Fontaine a dit
vrai :
Sommes-nous donc en ce bas-monde
Pour toutes nos aiſes avoir ?
Sans doute il faut appliquer cette réflexion aux premiers ſacrifices que les jeunes perſonnes font à l’amour ; rarement on eſt couché ſur un lit de roses. Pour moi, la cave au bois fut mon premier temple, quelques fagots de ſarmens mon premier autel ; que ce réduit reſſembloit peu au boudoir voluptueux de nos charmantes coquettes : c’étoit peu que d’avoir riſqué de me caſſer le cou en eſcaladant un bûcher pour parvenir au rendez-vous, c’étoit peu que mon amant eût paſſé avec peine par un ſoupirail étroit pour y arriver ; il falloit ſe dépêcher de peur que la ſempiternelle maman n’eût la fantaiſie de faire une queſtion à ſa petite fille bien-aimée. Nous voilà donc encavés, éclairés par un rayon mourant de la lune ſur ſon déclin ; me voilà dans les bras de mon… Je ne ſavois encore quel nom alloit lui mériter ſes nouvelles fonctions, je l’appris bientôt ; dépêchons-nous, lui dis-je mon cher… — Je ne demande pas mieux, mais où ſe mettre ? — Je n’en ſais rien. — Ni moi ; cependant pas un moment à perdre. — Je le ſens. — Hé bien ! debout, mais impoſſible. — Ecoute, je vais arranger ces ſarmens, & je me mettrai deſſus. — A merveille. — M’y voici ; ſuis-je bien ? — Non, avance un peu davantage, écarte tes cuiſſes ; embraſſe-moi de toutes tes forces, ſur-tout ne fais pas de bruit, & prends garde de crier ; une douleur néceſſaire te conduira au plaiſir. — Brûlée du plus ardent déſir, je me réſigne, je me prête, je m’ajuſte ; mais, grands dieux ! quand avec un redoutable poignard, qui ne ſe trouvoit point alors en proportion avec moi ; & dont j’ai connu le prix dans la ſuite, il voulut forcer la réſiſtance involontaire que je lui oppoſois, je ne pus m’empêcher de jetter un cri étouffé, & de lui dire avec le ton de cette langueur délicieuſe qui peint ſi fortement la douleur & le plaiſir, ah méchant !… cher ami… quel mal tu me fais… arrête… va plus doucement… je me meurs… Inſenſible à mes plaintes, il enfonçoit toujours, je gémiſſois encore, il continua, un coup vigoureux m’arracha le dernier cri ; il rompit la foible barriere qui s’oppoſoit à notre félicité, & ſon triomphe me fit ſentir une volupté dont je n’avois eu que des idées confuſes. Peu s’en fallut que je ne ſortiſſe vierge du temple ſouterrain ; ſans ma conſtante réſignation & la vigueur de mon Hercule, nous perdions le fruit de nos travaux. Il eſt vrai que mon heureuſe conformation me rendoit étroite à l’excès ; je n’avois jamais connu l’onaniſme, ni ſes ſecours trompeurs, & j’étois trop paſſionnée pour me contenter d’une demi-jouiſſance ; mais je ne ſais ſi l’on m’entend, j’ai joué la prude ſans m’en appercevoir ; j’ai emprunté des mots qui n’ont pas la force des termes techniques, mais je ſuis trop franche pour vouloir me forcer dorénavant à chercher des expreſſions qui, en m’embarraſſant beaucoup, affoibliroient la chaleur de mes avantures.
Après cette premiere jouiſſance, nous convînmes de nous retrouver le lendemain au même lieu, & je remontai joindre ma bonne maman, avec une ſécurité, un calme apparent dont une ancienne coquette ſe ſeroit fait honneur, tant j’étois précoce & deſtinée à profeſſer un jour l’art d’en impoſer. Ardente comme Vénus au fort du combat, ai-je beſoin de maſquer mes plaiſirs & de ſéduire le plus habile phyſionomiſte par le calme ſéducteur de mes traits : coloris, attitude, ſon de voix, rien ne me trahit, & ma jupe baiſſée, moi ſeule connois mon ſecret ; celui qui ſort de mes bras reſte dans l’étonnement : c’eſt lui qui eſt ſurpris, je ne la ſuis jamais.
Le ſecond rendez-vous fut plus agréable ; moins d’inquiétudes & plus d’adreſſe nous rendirent promptement heureux. Je n’avois ſenti la veille que l’approche du plaiſir ; malgré les légères cuiſſons qui en retardoient encore l’exiſtence, je le connus ; nature, jeuneſſe, ſanté ſont des maîtres uniques. Je me prêtai à tout ; je ſaiſis avec un frémiſſement inconnu, le v.t de mon amant ; j’aidai à le diriger dans ſa route obſcure ; moins effrayée de ſes proportions, je hâtai l’inſtant où, répandant enſemble cette liqueur brûlante, qui mit le comble à mon délire, nos âmes confondues s’anéantirent pour renaître. Ce ſoir nous eûmes le tems de redoubler ; mon f...eur le déſiroit, J’en mourois d’envie ; nos ſarmens élaſtiques devinrent le trône de la volupté. Sans s’arrêter aux careſſes délicates, ſans rendre à mes jolis tetons les hommages qu’ils méritoient, ſans employer ces délicieux préliminaires que j’ai connus depuis, mon amant me coucha une ſeconde fois ; paſſant les bras ſous mes reins, j’élevois mes jambes ſur ſes hanches, & il me procura une ſoif qui ne put s’appaiſer que par des libations abondantes.
Les femmes, avares de leurs plaiſirs, veulent que leurs amans ménagent leurs forces, & ne dé....gent qu’après avoir limé long-tems ; je n’ai jamais aimé cette économie, parce que je trouve dans le nombre ce qu’un ſeul ne peut me procurer ; je veux obtenir tout & ſans réſerve ; tant pis pour celui qui s’épuiſe, un autre l’a bientôt relevé ; ces accolades demi-ſeches me donnent peu de plaiſirs, & j’aimerois autant être f...ue par un eunuque.
Cette premiere affaire n’ayant rien de piquant & de varié, il ſeroit peu amuſant de ſavoir combien elle a duré, c’eſt pourquoi je paſſerai rapidement à la ſuite d’un auſſi ſingulier début.
Auſſi-tôt que j’eus perdu mon pucelage, le ſéjour de la campagne me devint inſupportable ; mon payſan me procuroit à la vérité quelques momens de plaiſirs, mais ces momens étoient trop courts & trop rares ; il avoit développé dans mon cœur un volcan qui retenoit avec peine ſes laves brûlantes ; ma tête, mon cœur, mon c.n, tout chez moi étoit en feu ; je ſoupirois après le ſéjour d’une ville qui pût me procurer des jouiſſances toujours nouvelles & toujours renaiſſantes ; heureuſement je vis mes vœux comblés : parmi les amis de ma bonne maman, étoit un riche négociant de Libourne, qui avoit une femme aveugle & dévote, & une fille de dix-huit ans, pleine de feu & de tempérament ; il venoit deux fois l’année paſſer huit jours dans notre chaumiere. J’étois dans le mal-aiſe que je viens de peindre, lorſqu’il y arriva avec ſa fille : nos cœurs ſe devinerent ; une douce ſympathie nous unit ; nous couchâmes enſemble, quelques charmantes poliſſoneries firent le reſte. Zélie, qui avoit tout pouvoir ſur ſon pere, n’eut pas de peine à le déterminer à me demander à ma bonne maman, qui conſentit aſſez difficilement à mon départ. La veille de ce jour tant déſiré où je devois quitter ma demeure ruſtique, elle me fit un long ſermon en particulier, ſur la vertu : il étoit, je crois, fort beau, très-pathétique : mais comme je n’en ai pas retenu un ſeul mot, je ne peux, mon cher lecteur, t’en faire part ; d’ailleurs je te crois aſſez de goût pour préférer les petites avantures d’une jeune fille qui f..t, aux ſermons d’une grand’mere qui prêche.
Au fait ; me voilà à Libourne ; cette petite ville à quatre lieues de Bordeaux, étoit devenue l’aſyle des plaiſirs depuis que le parlement y étoit exilé. Mon bon négociant étoit plus occupé de vendre ſon ſucre & ſon café que de veiller ſur ma conduite & ſur celle de ſa fille. Sa femme, comme je l’ai dit, étoit vieille, aveugle & dévote, ainſi nous avions liberté toute entiere, & nous en profitions bien.
Mon inexpérience avoit beſoin d’un guide ; Zélie, brune piquante, plus formée que je ne l’étois, de taille à braver vingt ſatyres & de force à les terraſſer, partagea ſes plaiſirs avec moi ; je ne lui diſſimulai rien, c’eût été vainement. La nature m’a donnée le talent heureux de maſquer mes jouiſſances, elle m’a refuſé celui de cacher mes déſirs ; un mal-aiſe involontaire ſe fait alors ſentir, mes joues ſe colorent, mes yeux ont une langueur mêlée de feu : mon amie auroit donc deviné mes beſoins irréſiſtibles ; d’ailleurs une fille de dix-huit ans ne ſait-elle pas ce qu’il faut à celle de quinze ? Elle me fit connoître un grand garçon d’une belle figure, jeune, nerveux, & dont l’aimable enſemble inſpiroit la gaieté, nous fûmes bientôt arrangés.
Les exemples de la capitale ont fait bien des proſélytes dans les provinces : dieux ! comme on s’y moque des mamans ! Celle de Zélie auroit juré ſur ſon pſautier que ſa fille étoit une veſtale, hé-bien, c’étoit à côté d’elle, ſéparée par une ſimple cloiſon que nous faiſions partie quarrée ; mon tempéramment aſſez décidé par mes eſſais de campagne, n’attendoit pour ſe développer qu’un profeſſeur robuſte, le hazard me l’avoit fourni. Tandis que Zélie f...oit ſur ſon lit à deux pas de moi, avec une ardeur égale à ſes moyens, j’étois livrée ſur un ſopha voiſin, aux careſſes redoublées d’un amant plus chaud que le ſien ; careſſes qui, toutes délicieuſes qu’elles étoient, excédoient mes forces ; je n’étois pas encore totalement formée ; mon f...eur dont le v.t ſuperbe auroit triomphé des femmes de la cour, voyant que je me piquois au jeu, & que je ne voulois pas paroître inférieure à Zélie, m’attaquoit par des coups ſi poignans, & me ménageoit ſi peu, parce qu’il ſentoit avec quelle luxure je me prêtois, que mes lévres deſſéchées par ſes ardens baiſers, & mes efforts ne pouvoient prononcer un mot néceſſaire… de grâce, cher ami, arrête un inſtant… beaucoup mieux traitée que par mon villageois, plus éclairée ſur les détails du joli métier auquel je me conſacrois, mon brave inſtituteur ne connoiſſoit d’autre maniere de chanter mes louanges, qu’en me mettant dans le cas d’en mériter de nouvelles. Ainſi, ſe paſſoient des nuits rapides pour des gens qui les employoient ſi bien ; à peine repoſée d’un coup qui m’avoit fatiguée, mon amant qui b...doit comme douze carmes, m’en offroit un ſecond, puis un troiſième, puis un autre : & moi, la complaiſance même, ne voulant pas paſſer pour un enfant, & déſirant montrer à Zélie
Qu’aux âmes fortunées
La vigueur n’attend pas le nombre des années.
je ſuccombois plutôt que de céder.
Malgré mes excès amoureux, il n’y
a pas long-temps que je ſuis maîtreſſe
de moi, & que je demande quartier
par le mot, aſſez. Dans mes premières
années de ſervice, il m’eût été
impoſſible de le prononcer.
Pendant un été toutes nos nuits furent conſacrées à ce joli jeu, mais plus je recevois, plus je voulois théſauriſer.
Il falloit battre la retraite aux premiers traits de l’aurore ; mon amant & celui de Zélie, qui étoient freres, ſe retiroient conduits par une ſoubrette intelligente, qui les introduiſoit avec le même myſtere. On ſe doute bien que j’avois le cadet ; vingt ans, vingt degrés de force étoient ſon partage ; s’il étoit invincible, je reſtois invaincue ; après nos ébats ſi répétés, nous nous jettions, ma camarade & moi, dans les bras de Morphée, qui nous couvroit des pavots de la volupté. Heureuſe jeuneſſe ! à notre lever nous étions fraîches comme la roſée du matin, éclatantes de ſanté & prêtes à recommencer ; cela eſt ſi vrai que malgré mes travaux nocturnes, je ſentois un vuide pendant le jour ; j’étois une petite pelotte de graiſſe, & je craignois de maigrir faute d’un aliment ſi néceſſaire ; car les dieux m’ont accordé un rare privilège ; plus j’ai ſacrifié à l’amour, ou, ſans périphraſe, à mes plaiſirs, plus ma ſanté eſt devenue robuſte, & plus mon corps a pris de développement.
Contentes de nos amans, nous vivions, Zélie & moi, dans l’union la plus parfaite ; jamais le moindre nuage de jalouſie ne vint obſcurcir nos beaux jours ; j’étois cependant mieux ſervie que ma fidelle amie ; mon amant avoit cinq ans de moins que ſon frère, &, dans les champs de l’amour, il n’en eſt pas comme dans les champs de mars, il faut, pour triompher, vieux guerriers, jeunes f...eurs ; mais je faiſois regagner à Zélie par ma complaiſance ce que ſon amant pouvoit perdre en vigueur ſur le mien. J’avois une croupe ſuperbe ; le cul de Manon, ſi bien chanté par Darnaud, eût rougi devant le mien. Belcourt (c’étoit le nom du f...eur de Zélie), en étoit fou, mais nous ne nous permettions aucune infidélité : cependant par complaiſance pour mon amie, lorſque Belcourt, après avoir rompu quelques lances, commençoit à plier, je me couchois à plat ventre ſur le lit de Zélie, qui poſoit ſa tête entre mes deux jambes, & ſe faiſoit le plus joli turban turc de mes deux feſſes découvertes juſqu’aux reins : cette vue ranimoit auſſi-tôt le brandon de Belcourt qui menaçoit de s’éteindre, & je ſauvois ainſi à la voluptueuſe & brûlante Zélie la honte d’être ratée.
Juſqu’ici je n’avois eu que deux amans, l’un agricole, l’autre bourgeois : une douce philoſophie m’engageoit à parcourir tous les rangs de la ſociété. Un jeune robin m’apperçut à la promenade publique ; mon agréable ſénateur trouva ſans doute ma tournure plus arrondie que les in-folio ſecs ſur leſquels il feignoit de s’appeſantir ; il lui prit fantaiſie de me feuilleter ; il me donna la préférence, il aimoit mieux le fait que le droit.
Je me promenois avec Zélie, lorſqu’il ſaiſit l’inſtant où je marchandois un œillet, pour m’offrir un faiſceau de fleurs que la bouquetiere diſoit être deſtiné à une préſidente. Ma vanité fut flattée d’enlever ce bouquet à la dame au mortier, & je fus ſenſible à ſa galanterie ; le bouquet & l’aſſurance de ſes ſentimens, dont il me dit un mot, me décidèrent en ſa faveur. Je pouvois être obſervée ; il falloit le quitter malgré moi ; le rendez-vous fut pris pour le lendemain au même lieu, & je rentrai chez mon amie plus allumée que jamais, me préparer à de nouveaux aſſauts, en faiſant bonne contenance contre mon aſſaillant ordinaire.
Le jour ſuivant je trouvois mon bel inconnu qui m’attendoit ; il me pria par ſix lignes qu’il me donna avec une orange, de le précéder hors de la ville : Zélie toujours complaiſante, m’y ſuivit ; celui que je nommerai Monroſe ne s’y fit pas attendre ; il me déclara ſon amour ; il vit dans mes yeux ſon ſuccès, & me pria de me rendre ſur le ſoir au même endroit. Avec quelle impatience j’attendis que notre planette eut fait ſa révolution diurne, & le moment délicieux où je devois ſentir les effets des offres du galant magiſtrat.
Zélie qui avoit des ménagemens à garder, me laiſſa ſeule courir les riſques de l’entrepriſe ; & aſſurée que mon joli fémur étoit un bouclier contre lequel tout preux chevalier devoit rompre ſa lance, elle me ſouhaita bon voyage. J’arrivai ; Monroſe étoit en habit de bonne fortune, il en paroiſſoit cent fois plus aimable : peins-toi, cher lecteur, un garçon de vingt-quatre ans, bien deſſiné, taille avantageuſe, belles jambes, nez aquilin, marchant avec nobleſſe, parlant en termes trop recherchés pour moi, qui cependant feignois de les entendre, en un mot reſſemblant moins à un robin qu’à un jeune officier de dragons.
Que je ſuis heureux, me dit-il, charmant enfant, car j’ignore votre nom, vous cédez à mes déſirs… — Mon nom, monſieur, eſt Adeline, & l’envie de répondre à votre honnêteté, a décidé ma démarche : que me voulez-vous ? — Je veux vous adorer toute ma vie, & vous donner des preuves du plus violent amour ; faites-moi la grâce d’entrer dans un pavillon que j’ai à deux pas d’ici, où je n’ai jamais reçu d’auſſi jolie perſonne que vous.
Je ne me fis point prier ; j’avois tout prévu ; j’arrive, & je trouve un ſalon bien éclairé, ſuivi d’un boudoir qui me ſembla délicieux. Ce ſpectacle étoit nouveau pour moi ; ſon élégante ſimplicité me parut d’un luxe très-recherché ; le goût y régnoit plus que la magnificence, & rien de ce qui eſt commode, n’y étoit épargné. Adeline ne ſe trouvoit plus réduite à ſes fagots ; elle ne voyoit plus même qu’avec mépris le ſopha de Zélie. Elle alloit s’exercer ſur un charmant lit à la turque, & voir ſes petites ſingeries répétées dans les glaces qui l’environnoient. Le preſſant Monroſe ne perdit pas un temps précieux ; il me prit dans ſes bras, & me porta ſans peine ſur le lit deſtiné à nos ébats amoureux. Un baiſer laſcif, une main libertine qui parcouroit mes tetons, une autre qui ſaiſit mon joli c..in, me firent perdre connoiſſance ; mes genoux fléchirent, ma voix s’éteignit. J’étois abſorbée, cependant je brûlois de mille feux ; il me plaça commodément, il coupa tout ce qui s’oppoſoit à ſon ardeur : & dans ſix ſecondes, il étoit dans mes bras, dans tout moi. C’eſt aller aſſez vîte en beſogne : mais où la facilité eſt ſans meſure, la délicateſſe n’eſt-elle pas ſuperflue ?
Déjà je ſentois les coups de cet athlète aimable, déjà j’avois ſecondé ſes efforts par des mouvemens rapides, lorſque j’éprouvai une ſorte de fureur qui juſques-là m’étoit inconnue. Je tournai la tête par haſard, & vis dans la glace du fond nos corps entrelacés & le méchaniſme du grand œuvre. Ce coup-d’œil porta dans mes ſens une nouvelle flamme ; je ſerrai fortement Monroſe, j’enveloppai ſes reins de mes jambes croiſées, je paſſai mes bras autour de ſon cou, je me ſoulevai avec une vivacité continue, & l’excitant à ne plus retenir la liqueur brûlante qu’il ménageoit pour prolonger ma jouiſſance, je ſentis ce beaume délicieux porter, par un contraſte inoui, le feu dans toutes les parties de mon c.n, & y faire ſuccéder une
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J’enveloppai ses reins de mes jambes croisées, je passai mes bras autour de son cou, et mes mouvemens furent si précipités… |
fraîcheur bienfaiſante. Mon ami redoubla
ſans quitter priſe ; une volupté plus
artiſtement offerte m’engagea à ce que
je n’avois pas encore fait avec mes
deux premiers maîtres : je dé....geai
huit fois, aurois-je pu me retenir,
f...ue par le charmant Monroſe ? Il
me provoquoit par des attouchemens
nouveaux pour moi ; ſa langue amoureuſe
chatouilloit la mienne, pour y
exciter des ſenſations délicates ; ſon
v.t avoit la fermeté & la blancheur
de l’ivoire ; ſes c....lles étoient telles
que les peint Piron, en bloc arrondies
& toujours intariſſables ; ſon
libertinage rafiné me promettoit des
leçons variées, ſi j’avois pu faire
un cours plus ſuivi ſous ce docteur,
qui ne ſe plaignoit que d’un défaut
aſſez rare : il ſe trouvoit gêné dans
mon c.n, ſans doute les dames de
qualité le mettoient plus à ſon aiſe.
Quoi qu’il en ſoit, j’ai toujours aimé,
en bonne connoiſſeuſe, des piſtolets
à la Monroſe, dont la proportion ſe
trouve analogue à mes formes ; je
laiſſe Dugazon jouir, avec Aſtleys,
d’un v.t de dix ou douze pouces ;
je n’en veux point, & je ne diſputerai
jamais le braquemart de l’âne
de la Pucelle. J’ai vu de ces monſtres,
je les ai reſpectés ; j’en ai donné le
bénéfice à qui l’a voulu : & malgré
l’uſage des plaiſirs & mes vingt-huit
ans, je mérite encore par cette prudence
les complimens de mes f...eurs.