La Belle libertine/02

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SECONDE PARTIE

Mes infidélités & l’enlèvement de ma toiſon, me font perdre un riche entreteneur.


Je continuai mes viſites au pavillon de Monroſe, pendant huit jours ; quoique nous fuſſions unis comme le lière à l’ormeau, il fallut ſe ſéparer. Si j’étois reſtée à Libourne, je l’aurois quitté plus tard, ou je l’aurois gardé en troiſieme, comme je l’avois en ſecond, car je ſentois qu’il m’étoit néceſſaire de faire de nouvelles découvertes ; je n’étois point embaraſſée de conduire une intrigue, le jour m’offroit place pour deux encore : il avoit le ſoir, on ſait à qui mes nuits appartenoient ; j’étois donc veuve le matin & même preſque toute l’après-midi ; on gémira ſûrement pour moi de cette cruelle privation.

Je nageois ainſi dans une mer de volupté, lorſqu’un événement ſiniſtre m’enleva à mes amans ; un exprès vint m’annoncer que ma bonne maman venoit d’avoir une attaque d’apopléxie, & que ſi je voulois recevoir ſes derniers adieux, je n’avois pas un moment à perdre.

La nature ne perd jamais ſes droits ſur les cœurs même les plus corrompus ; j’adorois ma bonne maman, je ne perdis pas un inſtant pour voler auprès d’elle ; j’arrivai aſſez à tems pour recevoir ſa bénédiction & ſon dernier ſoupir.

Mon intention étant d’amuſer mon lecteur, & non pas de l’intéreſſer, je lui ferai grâce de cette triſte ſcène & de ſes ſuites. J’avois ſeize ans ; J’étois charmante, maîtreſſe abſolue de ma perſonne, mais ſans fortune, & ſans moyens honnêtes pour ſubſiſter ; je ſavois très-bien me parer, mais j’ignorois même l’art de faire mes parures.

A une demi-lieue de notre habitation, demeuroit un ancien militaire, homme de quarante-cinq ans, retiré du ſervice, avec la croix ; il jouiſſoit d’une fortune conſidérable, qu’il mangeoit, partie dans la terre ſuperbe qu’il habitoit l’été, partie à Bordeaux où il paſſoit tous les hivers. C’étoit un homme de plaiſir qui n’avoit jamais voulu ſe marier pour être ſon maître abſolu ; il m’avoit entre-vue à la dérobée, & il ſe promettoit de me cueillir dès qu’il me croiroit mûre : il apprit la mort de ma bonne maman & l’embarras où je me trouvois. Comme il ne vouloit pas ſe compromettre avec mon curé qui étoit le ſien, & la langue la plus méchante qui exiſtât, il me dépêcha, en cachette, une femme-de-charge adroite, qui lui ſervoit ſans doute à de pareils meſſages ; cette bonne dame vint me porter de ſa part des conſolations, m’offrir des ſecours, & ſonder le terrein, elle étoit connoiſſeuſe ; elle vit bien qu’elle avoit affaire à une jeune fille ſans expérience, mais non pas à une pucelle. Cette découverte la mit à ſon aiſe ; elle me propoſa tout uniment d’être la maîtreſſe de M. Belval, qui me donneroit une maiſon toute montée à Bordeaux, & vingt louis par mois pour mes menus plaiſirs ; je fus enchantée de cette honnête propoſition ; comme elle avoit tout pouvoir, nos conditions furent bientôt ſignées, & nous convînmes que ſi-tôt que j’aurois mis ordre aux petites affaires de maman, je me rendrois à Bordeaux chez M. Belval, qui alloit m’y devancer ; elle me remit de ſa part cent louis d’avance ; en deux jours de temps, j’arrangeai toutes mes affaires, & je renouvellai le bail de mon fermier.

Je partis pour Bordeaux, & je deſcendis à une maiſon ſuperbe que Belval y occupoit ſur les allées de Tourny, où il m’avoit fait préparer un appartement délicieux.

Je trouvai donc un entreteneur à qui j’aurois dû pardonner d’être plus âgé que moi, puiſqu’il m’aimoit ſincérement, & qu’il fût le ſeul de tous les hommes que j’ai connu qui m’ait juré une paſſion ſolide, & qui ſe ſoit attaché à moi pour moi-même : malheureux ! il méritoit un meilleur traitement.

J’étois partie de mon village avec une dignité qui en impoſoit à ſes ſtupides habitans ; je portai l’orgueil juſqu’à ne pas faire mes adieux à cette cave chérie qui avoit reçu ma première offrande à l’amour ; je ne vis pas même celui qui m’avoit ouvert la carrière des plaiſirs ; je fus quelques jours enivrée de ma gloire ; je ne m’occupai que de ma toilette, de mes projets de curioſité libertine, & des moyens de tromper celui qui faiſoit tout pour moi ; j’eus peu de peine à le ſubjuguer ; rien de ſi aiſé que de régner ſur un cœur qui ſe livre de bonne foi : c’eſt pourquoi ſi j’ai trouvé de la gloire à me moquer de tous mes amans, lorſqu’ils ſe croyoient plus fins que moi, je ſentois un léger ſcrupule d’attriſter Belval, mais mon penchant invincible m’entraînoit ; de plus, n’eſt-il pas d’uſage que celui qui comble de biens une femme galante, doit être ſa dupe ?

Me Voilà donc entrée dans la lice ſi long-tems déſirée ; j’ai une garde-robe, des bijoux, je jouis d’une aiſance & d’une ſorte de conſidération neuve pour moi : cet ami me traitoit avec égard ; il étoit careſſant, aſſez bien conſervé, & me donnoit des nuits meilleures que je ne l’avois ſoupçonné : il cherchoit à me mettre de toutes les parties d’amuſement ; elles me flattoient en ſa préſence, elles me raviſſoient en ſon abſence. Voyant qu’il étoit déterminé à m’aimer trop ſérieuſement, je le laiſſai faire, & comme j’avois beaucoup de liberté, j’en profitai deux jours après ma priſe de poſſeſſion.

Toujours fidelle à mes principes, Long-champ, jeune homme que je n’avois qu’entre-vu, & qui devoit partir ſous peu, me pria de lui donner quelques paſſades, ou plutôt je l’engageai de tenter l’aventure : une autre femme ne s’y fût pas prêtée, parce que cette intrigue étoit de nature à me jetter dans les plus grands dangers : hé-bien, ce motif au contraire me décida ; je trouvai que débuter dans le monde par un coup auſſi hardi, me feroit une éclatante réputation, & que mes plaiſirs avec Long-champ devant-être éphémères, je pourrois ſous peu m’arranger avec un autre ; ce fut alors que voulant ménager, & monter par degré au comble de la témérité dont tu verras des traits, j’oſai me le faire mettre, par cet étourdi, derrière le paravent du ſalon où Belval méditoit ; il fut cocu & content ; car après ma gentilleſſe, je lui ſautai au cou, & l’engageai à éteindre l’incendie qui venoit d’être allumé, volupté dont la dupe me tint compte, & dont je fis mon profit, car en bonne arithmétique, deux valent mieux qu’un. Ce que je raconte ici prouve bien que les amans, comme les maris, doivent ſe méfier des careſſes affectées de leurs maîtreſſes. Les hommes le ſavent : cependant, je n’ai jamais manqué de les prendre dans ce piège uſé, qui devient toujours neuf, & dangereux dans mes mains ; je crois que nulle femme n’a porté plus loin que moi ce patelinage ſéduiſant qui captive le cœur & les ſens.

Après Paris, il n’eſt point de ville où le ſpectacle ſoit plus brillant & plus fréquenté qu’à Bordeaux, je les ſuivois tous ; le théâtre eſt pour une femme ardente d’une reſſource ſinguliere ; c’eſt là qu’elle jette le mouchoir ou le reçoit ; là les lumieres augmentent ſa beauté, la parure lui donne de l’éclat, ſes yeux ſe promènent ſur un ſérail maſculin ; les ariettes amoureuſes échauffent l’imagination ; les ballets, ſouvent très-libertins, excitent les déſirs par une pantomime laſcive ; tout y reſpire la licence, & une courtiſane ſe dit avec orgueil ; je puis choiſir celui qui me plaira le mieux, depuis le ſeigneur couché négligemment au balcon, juſqu’au coëffeur perché dans les quatriemes loges ; depuis l’hiſtrion qui joue les rois, juſqu’à ſon humble confident.

Je me ſuis rarement préſentée à un ſpectacle dans le deſſein d’y ſuivre la pièce, & ſi je l’avois voulu, je n’aurois pu le faire ; ce n’eſt pas par ton que je fais cet aveu, mais l’attention ou le beſoin de m’inſtruire n’ont jamais eu d’empire ſur mon cœur : tu ſais que, ſelon le chevalier de Bouflers, ce mot n’eſt qu’un ſynonyme honnête : j’ai toujours ignoré, en faiſant ouvrir ma loge, ſi je ne ſerois pas un quart-d’heure après, conquérante ou conquiſe ; je n’ai connu qu’un embarras, non celui de refuſer, mais de ſatisfaire tous les prétendans en mes faveurs ; en effet, il n’eſt pas facile d’arranger cinq ou six inſurgens qui offrent en une ſoirée leurs joyeux ſervices : refuſer net me paroît impoſſible ; que deviendroient la politeſſe, l’urbanité qui engagent à ne pas refuſer ce qui peut convenir, ſur-tout quand le marché eſt amuſant. Je mérite bien l’application de ce vers d’une tragédie de ſociété :

Pour vous f..tre, il ne faut que vous le demander.

Un ſoir à l’Ami de la Maiſon, je réſolus d’en introduire un de plus dans la mienne. Luberſac, jeune officier, ſe trouva près de moi ; ſans doute, mes regards lui firent beau-jeu ; il me débita de ces lieux communs qui paroiſſent toujours vrais à une femme, quoiqu’elle les ſache par cœur ; il me loua beaucoup, & avec adreſſe ; ce moyen eſt puiſſant ; il immole chaque nuit mille vierges ſur les autels de la volupté : il me peignit ſa paſſion naiſſante & rapide ; aſſurément c’étoit ſon vrai caractère : il me voyoit depuis ſix minutes, & craignant qu’on ne baiſſât la toile, il ſe hâta de ſe prendre dans mes filets, & me demanda la permiſſion de me faire ſa cour ; cette phraſe antique s’entend de reſte : comme ceci étoit une aventure de ſpectacle, je jugeai à propos de faire un coup de théâtre ; je lui dis avec la fermeté d’une femme de diſtinction, de venir à mon hôtel, ſans uniforme, de ſe faire annoncer à ma femme-de-chambre ; & que je me chargeois du reſte.

Luberſac rit beaucoup, ſans doute, de la rapidité de ſa conquête, & cette facilité en eût peut-être diminué le prix s’il avoit eu plus de vingt-quatre heures à me donner : quoi qu’il en ſoit, il fut exact au rendez-vous ; ma ſoubrette le renferma dans ſa chambre, où je paſſai avec lui tout le tems que je pus voler au pauvre Belval, qui fut traité comme après l’aventure du paravent, c’eſt-à-dire, qu’afin de détourner ſes ſoupçons ſur mes abſences, je le comblai de feintes careſſes, & le plongeai dans une mer de volupté, ce qui me coûtoit d’autant moins, que lorſqu’il me le mettoit, ou je ſortois des bras de Luberſac, ou j’allois y retourner ; dans ces deux cas l’imagination y étoit allumée, & mon lord pot-au-feu, qui croyoit devoir répondre à mes prévenances ; me procuroit des plaiſirs qui, s’ils n’étoient pas très-vifs, pouvoient au moins faire nombre.

Dès que je fus informée que mon jeune Céſar étoit entré, je ne le laiſſai pas morfondre ; j’étois légère, quoique graſſette : je monte quatre à quatre, j’ouvre, & me voilà enlevée par mon joli priſonnier.

Certain d’être dans la plus grande liberté, aſſez connoiſſeur pour ſavoir qu’il falloit agir, & non pérorer, il me preſſe amoureuſement dans ſes bras ; & me prie de ne le pas faire mourir d’impatience ; la mienne étoit égale : pouvois-je le faire déſirer long-tems ? Faute d’autre meuble ; il me renverſa ſur le lit de Roſette, après avoir jetté une lévite qui l’embarraſſoit, & me fit voir une lance en arrêt, qui eût fait peur à une combattante moins aguérie que moi. Me trouvant bien placée, la gorge découverte, les jambes, écartées, toute auſſi nue que je pouvois l’être, Luberſac animé par un ſourire expreſſif, ſe précipita à mes genoux, & dévorant des yeux l’autel où il alloit s’immoler, il y imprima mille baiſers qui me cauſerent un ébranlement dans tout le genre nerveux qui l’auroit inquiété, ſi ſa langue adroitement alongée n’eût chatouillé mon clitoris & porté l’ivreſſe de mon âme au dernier période. Jugeant alors que j’étois aſſez émue pour me donner les plaiſirs les plus vifs, il ſe leva rapidement, & me le mit avec toute l’ardeur d’une premiere jouiſſance ; mes pieds appuyés contre le mur qui formoit la ruelle, me prêtoient une force ſupérieure. Plus il me ſerroit de près, plus je le lui rendois ; l’action & la réaction parfaitement égales produiſoient une puiſſance méchanique d’un mouvement très-exact ; mais ce bel ordre dura peu ; je ſuis trop ardente, quand je jouis pour la premiere fois, pour garder une poſition ferme : bientôt je fus inondée d’un torrent de plaiſirs, & je ne me ſentis plus pour trop ſentir.

Le vigoureux Luberſac ſe trouva ſi glorieux de ſon triomphe, ſi enchanté de ma voluptueuſe élaſticité, qu’il ſe trouva encore en état de m’engager à un autre aſſaut. Nous avions employé au premier, vingt minutes qui avoient paſſé comme vingt ſecondes ; je voulois deſcendre pour éviter les ſoupçons ; mais mon ardeur qui n’étoit que plus vive après les premieres libations, & l’état radieux de Luberſac, vainquirent mon inquiétude.

J’étois relevée & à-peu-prés remiſe en ordre, lorſque mon amant me dit : — Non, adorable Adeline, je ne puis vous quitter encore ; la maniere trop commune que nous avons employée, vous auroit-elle déplu ? Eſſayons-en une autre pour varier nos attitudes & nos plaiſirs : peut-être ne connoiſſez-vous pas la reſſource d’une chaiſe ? Les dames de ma garniſon s’en ſervent avec ſuccès. Elles y trouvent en même-temps poſition avantageuſe, promptitude à la quitter, & diſcrétion ; car tout autre meuble eſt ſouvent un témoin qui dépoſe fortement, quoique muet.

Une chaiſe m’écriai-je, ah ! la bonne folie… mais on doit être très-mal… ; Je ne crois pas la choſe commode ; voyons à tout haſard ; j’y conſens, puiſque vous le voulez : & je me jette ſur une chaiſe à doſſier un peu relevé…… Pardon, divine Adeline, me dit mon officier, ce n’eſt pas cela ; permettez : je me leve, il retourne la chaiſe, en appuie le dos, en le renverſant contre la muraille, avançant la partie baſſe d’environ deux pieds, ce qui forma un talus point trop rapide. Il me pria de me mettre ſur le dos de cette chaiſe couchée : toujours complaiſante, je m’ajuſte de mon mieux ; il ſépare mes cuiſſes & m’enc..ne vigoureuſement. Les premieres ſecouſſes me firent un plaiſir inoui ; mes jambes enveloppoient ſes reins comme deux ſerpentaux : il avoit une main ſur ma gorge, & l’autre ſous mes feſſes qu’il careſſoit. Je trouvai la poſition délicieuſe ; la fermeté du point d’appui, l’élaſticité que j’en empruntois, la force impulſive que mon amant employoit, n’ayant pas la reſpiration gênée, ainſi que l’a ſouvent l’homme couché ſur un lit, lorſque la femme amoureuſe le ſerre trop étroitement dans ſes bras, tout concourut à doubler les ſenſations que j’avois éprouvées au premier coup, & me firent perdre l’uſage de la parole. Mon amant & moi finîmes enſemble ; nous fûmes inondés par nos mutuelles libations, qui diſparurent bientôt par les ſoins de l’officieuſe Roſette.

Luberſac avoit beſoin de reſtaurans ; je le laiſſai avec Roſette qui lui ſervit un déjeûner analogue à la circonſtance. Elle étoit jeune & jolie : la ſcène dont elle venoit d’être le témoin paſſif, devoit la mettre en bonne diſpoſition, & je ne doute pas que mon galant militaire ne ſe ſoit conſolé avec elle de mon abſence. J’ai eu plus d’une fois des ſoubrettes qui m’ont eſcamoté des paſſades ; mais qu’y faire ? il faut que tout le monde s’amuſe.

Cet avant-déjeûner m’avoit bien fait mériter le mien ; mais toujours ſoumiſe à l’occaſion, il falloit le gagner encore. Deſcendue dans ma chambre, je trouvai Belval dans un moment de gaîté ; je lui demandai, en riant moi-même, quel en étoit le ſujet : je viens de lire, me dit-il, dans cette brochure nouvelle, une aſſez plaiſante aventure.

L’héroïne, introduite dans une abbaye de Bernardins, pour les plaiſirs de dom prieur, trouve moyen de le cocufier avec un jeune novice ; la ſcène ſe paſſe dans un dortoir, point de meuble commode, une chaiſe ſe préſente ; le moinillon qui vaut mieux que dom Frapart, cloue ſi fortement la petite friande, que la maudite chaiſe ſe briſe. Le couple amoureux tombe avec fracas, le bruit attire les cénobites qui ſortent de leurs loges ; tu peux juger du reſte, ma chere Adeline… A ces mots, je pars d’un éclat de rire ; & vîte, mon ami, lui dis-je, eſſayons-en, caſſons une chaiſe. — Volontiers ; ce n’eſt pas la premiere fois que je m’en ſuis ſervi. Mais toi, tu ne connois pas cette plaiſanterie. — Moi, point du tout ; eſt-ce que je me suis trouvée réduite à cette néceſſité ? Mais, pour t’amuſer, rien ne me coûte. Alors je joue l’Agnès ; je me place ſur la chaiſe avec mal-adreſſe, & me voilà corrigée par Belval qui m’arrange lui-même. Excitée par le ſouvenir du premier acte, & cependant occupée de l’objet préſent, je m’agitai de maniere à rompre une chaiſe de fer : celle-ci ſans doute étoit enchantée ; elle réſiſta.

Belval ; qui étoit un profeſſeur émérite, me fit lever les jambes & les fixa ſur ſes épaules ; alors pouſſant ſon v.. avec roideur, il me fit ſentir de nouveau que, dans cette attitude, tout s’emploie ſans perte. Il appelloit cette élévation maniere chinoiſe : il prétendoit avoir eu dans ſes voyages une femme de Canton, qui la lui avoit appriſe, comme en vogue dans ſon pays. J’avoue que je trouvai cette méthode excellente, & qu’elle me donna un appétit dévorant que je m’empreſſai de calmer, en déjeûnant auſſi, comme on le faiſoit à l’étage ſupérieur. Peut-être m’y copia-t-on ; car lorſque j’y remontai, je trouvai Roſette un peu en déſordre, & je me rappellai ces deux vers :

Eh ! combien en eſt-il ? non pas un, mais cinquante,
Qui foutent la maîtreſſe, enſuite la ſervante.

J’avois encore un autre travailleur de ſemaine, qui m’attendoit au rez-de-chauſſée dans une ſalle à manger ; & je lui devois une éclipſe. Je fus l’y joindre au moment convenu, en ſorte que tout marchoit bien, & que mes trois f...eurs me croyoient dans le plus grand beſoin de leurs careſſes, & me les prodiguoient.

Je ſavois que j’étois maîtreſſe de conſerver Ducaſtel (c’eſt celui de la ſalle à manger) ; il falloit donc tirer parti de mon étranger. En quatre minutes je mis Ducaſtel ſur le côté, & je volai retrouver Luberſac. Dès qu’il me vit entrer, il ſe plaignit de mon abſence ; je ſouris. Il me demande pourquoi : au lieu de le conſoler, je ne daignois pas partager ſes peines : c’eſt, lui répondis-je, parce que je crois que vous vous en êtes ſuffiſamment diſtrait pendant mon abandon forcé ; on pelote, en attendant partie. — Quoi ! vous me faites l’injuſtice, belle Adeline, de penſer que… (en regardant Roſette qui baiſſoit les yeux.) Mais j’ai la preuve… — Qui ne prouve rien… Au reſte, je ſuis bonne princeſſe, & je n’ai pas le temps de vous gronder. Je viens vous donner une heure, voilà une bien longue pénitence, n’eſt-ce pas ; alors ceſſant de faire l’enfant, il détache avec adreſſe un fichu importun, & me prie de ſi bonne grâce de faire diſparoître mes jupes que dans l’inſtant Roſette fit de moi la religieuſe en chemiſe[ws 1]. Ah ! chere Adeline, s’écria-t-il, dans le tranſport de la volupté, que ne puis-je m’attacher à vous ! le jour que vous m’accordez eſt le plus heureux de ma vie, mais il aura la rapidité d’un éclair ; les jouiſſances que vous me procurez ſont trop délicieuſes pour un mortel ordinaire ; après les avoir ſavourées, il ne me reſtera plus qu’à mourir…… Quelle gorge ! en y imprimant mille baiſers : quel bouton de roſe ! en le preſſant entre ſes lèvres brûlantes ; puis relevant tout ce qui s’oppoſe à ſa vue, ſa bouche amoureuſe, ſa langue libertine, rendent hommage à toutes les parties de mon corps.

Les préliminaires ſont charmans, mais quand ils ſont trop longs à régler, en amour comme ailleurs, ils éloignent la concluſion du traité ; un petit mouvement d’impatience lui annonça que je ne voulois pas ſeulement être amuſée par des bagatelles ; peut-être avoit-il ſes raiſons pour temporiſer : Luberſac, voulant me prouver qu’il étoit digne de me combattre, me dit : Voluptueuſe Adeline, ſerions-nous réduits à une monotonie fatigante ? plus de bord de lit, plus de chaiſe ; daignez, puiſque vous êtes à votre aiſe, vous prêter à une façon nouvelle. — Je le veux bien, que faut-il faire ? — Le plaiſir vous l’apprendra. Alors il ſe coucha ſur le dos, dans toute la longueur du lit, & m’attira doucement ſur lui ; dès que j’y fus, il plaça avec adreſſe ſon v.t, droit comme un pieu, dans mon c.n, qui ſe trouvoit exactement au-deſſus de lui, & le fit entrer juſqu’à la garde par trois légers mouvemens ; à peine eus-je goûté cette jolie maniere, que je le couvris de mon corps, & que je m’agitai comme ſi j’avois eu l’expérience de la choſe. Mon amant qui faiſoit mon rôle & moi le ſien, ſoutenoit mes tetons dans ſes mains ; quoique très-fermes, dans cette poſition ils peuvent perdre de leur forme ; il me rendoit les coups que je lui portois avec une vîteſſe égale à la mienne, ce nouveau genre de combat me fit évanouir huit fois de ſuite ; ne pouvant plus y tenir, je tombois ſans mouvement ſur ſon ſein ; il quittoit alors ma gorge, & paſſant ſa main ſur mes feſſes, il me ſerroit tendrement, en m’accablant de careſſes : ou je ne m’y connois pas, ou c’eſt bien ainſi que deux corps n’en font qu’un.

Je trouvai cette leçon expérimentale ſi bonne, que nous la recommençâmes trois fois pour ne pas l’oublier.

Hélas ! pourquoi nos jouiſſances ſont-elles bornées par la néceſſité du repos ; il fallut reprendre des habits dont il eſt ſi joli de ſe paſſer, quand on veut, d’après mes principes d’économie, tirer le meilleur parti d’un jeune homme vif & vigoureux.

Ma parure rajuſtée par Roſette & par mon amant, non ſans couvrir de baiſers reconnoiſſans toutes les parties qu’il ſembloit cacher avec peine, je le laiſſai dans cette langueur délicieuſe dont les véritables amans ſavent encore jouir, & que le bon Jean-Jacques ſçut ſi bien définir[1]. Je lui donnai pour l’amuſer le théâtre gaillard, bien aſſurée que la lecture de Meſſaline, de Vaſta, & de la comteſſe d’Olonne, &c. tourneroient à mon profit : j’ordonnai à ma ſeconde de porter à dîner au pauvre incarcéré ; J’avois eu ſoin de faire monter du Bourgogne & de l’huile de girofle de la veuve Amphoux, qui a des qualités ſi connues des ſectateurs de Vénus.

Il fallut ainſi me mettre à table : tu te perſuade que j’y officiai bien après ma douce matinée, ayant paſſé ſous trois amateurs, & peut-être ſacrifié pour ma part plus de vingt fois dans cinq attaques : il fallut un peu de relâche pour mieux recommencer, car ma curioſité n’étoit pas encore ſatisfaite ; j’eſpérois, que mon jeune lieutenant m’offriroit encore quelque nouveauté avant de partir.

Un ami vint propoſer une partie de promenade à Belval, & je reſtai maîtreſſe chez moi ; j’allois vîte trouver mon charmant voyageur, à qui j’étois bien réſolue de ne laiſſer aſſez de force que pour ſortir de chez moi, lorſque le petit Ducaſtel m’arrêta au paſſage : ſa préſence qui m’eût été très-agréable dans un autre moment, me déſeſpéra ; je ne pus m’empêcher de lui faire ſentir ſon importunité ; je le boudai, je le grondai, mon petit provincial ne quittoit pas priſe ; il m’excédoit, Voilà les femmes, diſoit-il. Le pauvre diable ne pouvoit concevoir mon caprice ; je changeai de batterie, de peur qu’il ne lui ſoupçonnât une cauſe étrangère : je m’adoucis & lui dit qu’une violente migraine avoit fait naître mon humeur, qu’elle diminuoit un peu, & que j’étois toujours ſenſible à ſon aſſiduité. — Si cela eſt, chère amie, vous ſavez avec quelle diſtraction vous m’avez traité ce matin, ſans doute vous commenciez à ſouffrir, je ne m’en ſuis cependant pas apperçu ; vous pourriez dans cet inſtant heureux, où vous êtes libre, me dédommager des privations auxquelles vous m’avez réduit. Après cette invitation à laquelle je n’avois pas la force de rien oppoſer, il me conduiſit vers mon ottomane ; j’allois m’y aſſeoir lorſque je penſai que Luberſac pouvoit haſarder de deſcendre, ayant entendu ſortir Belval ; alors j’engageai Ducaſtel, ſous prétexte d’une plus grande ſûreté, à nous rendre dans cette ſalle à manger qui lui étoit deſtinée ; j’ai toujours eu la précaution de fixer une piece à chacun de mes amans, afin qu’ils ne ſe rencontraſſent pas, s’ils manquoient l’heure déſignée ; malgré cette prudence, j’y ai été priſe, comme on le verra ailleurs.

Me voilà donc à demi-forcée de ſuivre Ducaſtel ; pour m’en défaire il s’agiſſoit d’un rôle de complaiſance, & de commander à mes ſens ; dès que nous fûmes ſeuls, il m’attaqua en homme qui avoit déſiré long-tems ; je le prévins qu’il trouveroit peu de plaiſir dans mes bras, parce que je ſentois renaître ma migraine ; il n’en crut rien : je m’aſſis ſur le bord de la table, ne voulant montrer que ma déférence, il ne vouloit point de cette poſition, je n’en voulois point d’autre, croyant en être plutôt quitte : vaine erreur ! il finit par la trouver bonne, & j’eus beau jouer la nonchalante, je n’en reſſentis pas moins beaucoup de volupté.

Dans cette attitude, la femme preſque droite, attachée au col de ſon f..teur, a tout le buſte qui porte ſur les parties inférieures, ce qui la rend plus étroite ; & augmente la ſenſation du frotement : je voulois lui dérober le plaiſir que j’éprouvois malgré moi, en retenant les marques qu’il en recevoit tous les jours : il n’en fut pas la dupe, & ſoit qu’il crût me guérir, car il ſavoit que f..tre eſt mon remède univerſel, ou que la table l’amuſât, il me lima une heure malgré moi : pour l’engager à la retraite, je lui offris à dîner pour le jour ſuivant, avec promeſſe d’un deſſert complet ; nous fîmes un peu de toilette, & nous nous quittâmes.

Mon importun éloigné, je montai près de mon jeune hôte qui s’ennuyoit de ne pas travailler. Un bon conſommé, un chapon au gros ſel, un perdreau rouge, des œufs au jus, avoient formé ſon modeſte dîner ; le pauvre homme ! il avoit ſablé ſa bouteille de Chambertin, bu trois verres de liqueurs des Iſles, pris ſon café ; il étoit auſſi frais qu’à ſon entrée ; j’avois auſſi réparé mes forces, elles étoient complettes, car la bagatelle de Ducaſtel ne mérite pas d’être miſe en ligne de compte pour une femme comme moi.

Dieux ! que vous m’avez fait languir, déſeſpérante Adeline, s’écria Luberſac dès qu’il m’apperçut ; m’abandonner à une ſolitude affreuſe, lorſque je ſais que vous etiez ſeule : — Pas tout-à-fait, lui répondis-je, j’avois quelqu’un que je brûlois de renvoyer, mais me voici, le jour s’avance, réparons les inſtans perdus. — Il faut donc vous quitter demain, adorable maîtreſſe : hélas ! vous ſavez que l’amour doit ſe taire quand l’honneur & le devoir parlent ; ſans cette loi rigoureuſe je ſerois à vous toute la vie, malgré vous-même ; puiſque vous êtes généreuſe, j’ai penſé en vous attendant, à vous offrir une nouvelle idée ; peut-être elle ne l’eſt pas pour vous, mais nous ne l’avons pas exécutée aujourd’hui, eſſayons-la ; il voulut encore que j’ôtaſſe mes vêtemens ; je le refuſai, & lui promis que la nuit je me mettrois toute nue, afin qu’il fut pleinement ſatisfait de ſa viſite.

Vous me paroiſſez très-libre avec Roſette, me dit-il, elle vous aime, il faut l’employer à augmenter vos plaiſirs ; reprenons le pied du lit… à merveille : mettons ce couſſin ſous vos feſſes, pour les élever davantage, & placer votre joli c.n à ma juſte hauteur… autre couſſin ſous la tête, même deux… cela eſt divin ; allons ma reine m’y voici… quelle volupté… que de délices… O ! femme inconcevable, il me ſemble que plus je le fais avec toi, plus tu es étroite ; une fée protectrice t’accorde-t-elle le don d’être toujours vierge comme les houris de Mahomet ? — Je n’ai point d’art, je tiens de la nature ce que vous louez, vous voyez que je n’en profite pas mal. Quelques coups m’impoſèrent ſilence ; dès que mon amant me vit occupée, il appella Roſette, & lui dit : Prenez-la jambe droite de madame, mettez-vous à côté de moi ; touchez-moi par un contact entier de votre corps ; ſoulevez la jambe d’Adeline à la hauteur de mon épaule, ſans la ſerrer ; vous ſentirez ainſi chaque mouvement que je ferai ; ce mouvement ſe communiquera à ma belle patiente ; & toi, chere amie, laiſſe tomber la jambe gauche & allons notre train. Il redouble ſes ſecouſſes, je les lui rendis en les triplant ; Roſette m’encourageoit des yeux & de la voix ; je n’en avois pas beſoin, toute entiere à l’action, trouvant cette maniere excellente, qui mieux encore que la table ne laiſſe à la grotte de Cithére qu’un paſſage étroit, en quatre minutes je fus inondée d’un nectar brûlant, & je ſentis encore augmenter ma jouiſſance lorſque ma petite Roſette, s’aviſant d’elle-même de paſſer derriere Luberſac, & de relever ma jambe qui touchoit terre, elle l’éleva à la hauteur de l’autre, ce qui faiſoit une eſpèce de brouette, & montrant l’envie de me ſervir, pendant que mon ami me l’enfonçoit rapidement, elle le pouſſoit de toutes ſes forces en ſuivant ſes coups, afin de l’engager à ne pas quitter priſe.

Nous fûmes plus d’une heure étroitement enlaſſés : même vigueur de part & d’autre, toujours nouvelle complaiſance : mais que notre poſition étoit différente ! Luberſac étoit hors d’haleine & prêt à demander grâce aux deux lutins qui le deſſéchoient à force de le preſſer ; Roſette ſouffroit le martyre de Tentale au milieu des eaux : moi ſeule infatigable, inépuiſable, agitée, palpitant de plaiſir, je déſirois encore ; car je n’ai jamais éprouvé ce que nous diſent les médecins & les naturaliſtes, que ce plaiſir prolongé ſe change en ſouffrance inſupportable : dans la même ſéance le dernier coup a toujours été pour moi plus agréable & mieux ſenti que le premier.

Il étoit déjà tard. J’avois une viſite indiſpenſable que je ne pouvois éloigner. Je ſortis. Je laiſſai Roſette glaner un peu dans le champ que je venois de moiſſonner ; elle méritoit bien quelque calmant, & ſon tempérament allumé par l’exemple, demandoit un ſoulagement que notre invincible héros ne lui refuſa pas, mais, dont il fut ſans doute économe, car il m’attendoit après ſouper. D’ailleurs, n’étions-nous pas au pair ? S’il avoit dit deux mots le matin à cette bonne fille, on ſait ce que j’avois fait : ſi, après ſon café, il avoit fouragé ſa prairie, je n’avois pas été plus ſage : s’il vouloit eſſayer en mon abſence quelque nouvelle poſture avant de me conſacrer partie de la nuit, n’avois-je pas encore à m’en faire donner par Belval ?

Je dépêchai un brelan qui m’excédoit, & de retour chez moi, je trouvai mon vieux amant en titre, à qui ma vue étoit toujours agréable : nous ſoupâmes gaiement, nous nous couchâmes de même. J’avois beſoin de l’endormir ; je lui prodiguai les careſſes que je ſavois lui plaire : il ſe diſtingua pour les payer, & je ne le vis dans les bras du ſommeil, qu’après avoir reçu deux fois la preuve de ſa ſenſible amitié. Quand je le ſentis bien endormi, je me gliſſai du lit, ſans qu’il pût ſe réveiller, & le laiſſai ronfler à ſon aiſe : on voit que j’ai encore le talent de plonger dans une ſorte de léthargie ceux dont je veux me délivrer, pour aller ailleurs, & de les quitter ſans qu’ils s’en apperçoivent. Je me ſuis procuré cent fois deux jouiſſances nocturnes par cette manœuvre hardie.

Belval ſe repoſant ſur ſes lauriers, je courus en cueillir de nouveaux ; Luberſac m’attendoit. — Enfin, vous me tenez parole, me dit-il, tendre Adeline ; mais, hélas ! les momens qui nous reſtent ſeront bientôt écoulés : vous m’avez promis une faveur, je la ſollicite à vos genoux. — Non, vous n’aurez point à vous plaindre… Je vis que la ruſée Roſette avoit mis des draps blancs, qu’elle avoit allumé ſix bougies, & qu’elle avoit préparé des rafraîchiſſemens analogues à la fête ; je n’avois qu’un léger corſet, il diſparut : je m’élançai dans le lit ; mon amant auſſi dépouillé que moi, s’y trouva en même-tems : — Belle Adeline, de grâce… cette chemiſe… — Vous êtes exigeant, il faut donc tout vouloir avec vous. Me voilà comme Vénus ſortant du ſein des eaux, & lui comme Adonis, quand la déeſſe le reçoit dans ſes bras : nous faiſons mille folies : il me dit les plus jolies choſes du monde ſur chaque agrément qu’il découvre : auſſi honnete, je ſaiſis toutes ſes formes nerveuſes : nous allumons un incendie par nos attouchemens libertins ; nous ſommes obligés de nous ſéparer pour reſpirer un peu : j’avois les reins en feu, & ne pouvois plus me tenir couchée. — Je n’en puis plus, j’étouffe. — Ce n’eſt rien ; eſſayons une poſture qui permettra à l’air environnant de nous rafraîchir. — Ah ! oui, je veux tout ce que vous propoſez. — Hé-bien, ma divine, mettez-vous à genoux, élevez la croupe, qu’elle ſoit bien haute ; appuyez-vous ſur les mains, tenez la tête baſſe, tournez-la de mon côté pour recevoir mes baiſers, & laiſſez-moi faire. Ainſi placée, il s’arrête un moment, admire mes feſſes, qu’il trouve plus fermes & plus belles que celles d’Aſpaſie ; mon dos graſſouillet & d’un contour heureux l’enchante ; mais tout-à-coup furieux de s’amuſer à des détails, d’une main délicate il ouvre l’antre de la volupté, & m’enfonce ſa p.ne au point de me forcer à un cri douloureux. Bientôt calmée par les charmes du plaiſir, je lui fis ſentir mon approbation à cette découverte ; je m’agitai avec une telle ardeur, qu’il jugea que la maniere avoit mon ſuffrage. — Chere & ſenſible Adeline, êtes-vous contente ? me diſoit-il avec une voix douce & inſinuante. — Ah ! oui, mon cher ami, tu es délicieux ! — Sentez-vous, bel enfant, plus de volupté qu’aux autres coups ? — Ah ! le dernier eſt toujours le meilleur par excellence… mais… je me… meurs…

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Chere et sensible Adeline, êtes vous contente ? ah ! le
dernier coup est toujours le meilleur… mais… je… me…
meurs…


tu m’inondes d’une roſée brûlante… quoi ! encore… encore ! puis-je reſter dans tes bras ? non, tu ne m’as pas encore pénétrée auſſi profondément : ah ! la curioſité eſt la mere du ſavoir !

Déjà le ciel commençoit à blanchir, l’aurore fidelle avant-couriere du ſoleil, alloit paroître. Roſette, moins occupée & conſéquemment plus ſage, nous en avertit : je me levai : mon amant, déſolé de me quitter, m’embraſſa pour la derniere fois. J’étois debout ; il ne put réſiſter à un nouveau déſir : au milieu de la chambre & sans autre appui que celuî de Roſette, qui me ſoutint dans ſes bras, il me le mit encore ; nous pensâmes tomber tous trois dans l’inſtant d’anéantiſſement ; les forces de cette pauvre enfant ne pouvoient ſupporter deux corps qui s’abandonnoient : l’amour nous favoriſa ; & lui, dé....geant en Hercule, me dit ces mots à jamais gravés dans mon cœur : — Tiens, chere Adeline ; reçois mon âme… C’eſt ainſi qu’en partant, je te fais mes adieux.

Nous nous r’habillâmes, & je m’apprêtois à me ſéparer de ce cher & inépuiſable f..eur, lorſqu’il m’arrêta avec un ſérieux qui m’étonna ; il s’aſſit ſur un canapé, me fit aſſeoir à côté de lui, & me dit : Adeline, je viens d’avoir des preuves aſſurées de votre tempérament & de votre goût pour le plaiſir ; vous f..tez comme un ange, Adeline, vous dé....gez comme un dieu, mais aimez-vous ? — Quelle demande me fais-tu là, lui répondis-je en riant, dé....ge-t-on lorſqu’on n’aime pas, & les torrens de f..tre dont je viens de t’inonder, ne ſont-ils pas des preuves certaines de mon amour ? — Non, Adeline, ne nous trompons pas, ils prouvent ton tempérament & non ton amour. — Comment donc faut-il te le prouver ? — Par un don preſqu’auſſi précieux pour moi que celui de toute ta perſonne. — Quel eſt-il ? — Celui de cette toiſon d’ébène, me dit il en la découvrant, & l’empoignant avec une eſpèce de fureur. — Mais quelle folie ! — Folie tant que tu voudras, mais, nouveau Jaſon, je n’ai combattu que pour t’enlever cette charmante toiſon, j’y attache mon bonheur, me la refuſeras-tu ?

Si j’euſſe conſervé une ombre de raiſon, j’aurois envoyé Luberſac à tous les diables ; il m’avoit f..tue autant que fille honnête puiſſe l’être ; ma curioſité étoit bien ſatisfaite : il partoit, je n’avois aucun eſpoir de le revoir ; ma toiſon m’étoit mille fois plus précieuſe que ſon eſtime : hé-bien ; malgré toutes ces réflexions, il fit tant, pérora ſi bien, joua ſi ſupérieurement le rôle de jaloux, de déſeſpéré, que je n’eus pas la force de lui réſiſter, & l’officieuſe Roſette coupa avec lui ce charmant taillis, ſans y laiſſer le plus petit baliveau. Luberſac, fier de ſa conquête, fit mille folies, & après l’avoir baiſé cent fois, il le ſerra dans une bonbonniere que je lui donnai : il me jura qu’il mourroit avec ce précieux reliquaire, & nous nous ſéparâmes enchantés l’un de l’autre.

Je retournai promptement auprès de Belval ; il dormoit profondément ; je me déshabillai ſans bruit ; je me

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mais quelle folie !… folie tant que tu voudras,
mais nouveau Jason, je n’ai combattu que pour
t’enlever cette charmante toison
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gliſſai à ſes côtés, & pour m’aſſurer s’il ne ſavoit rien de mon eſcapade, j’eus la curioſité de l’éveiller. — Ah ! friponne, me dit-il, tu m’éveilles, tu me le paieras : il dit, ſaute ſur moi, s’apprète à m’enc...er ; mais, ô ſurpriſe ! il ne retrouve plus ce boſquet charmant qui ombrageoit l’entrée du temple du plaiſir. La tête de Méduſe changeoit, dit-on, en pierre ceux qui oſoient la regarder. La vue de mon c.n tondu fit ſur Belval un effet abſolument contraire ; ſon v.t prit bien le froid du marbre, mais il en perdit toute la fermeté ; il diſparut dans ma main qui faiſoit de vains efforts pour l’arrêter, — Que veut dire ceci, Adeline, me dit-il d’un ton ferme &, ſérieux ? pourquoi donc n’avez-vous plus de poil ? qui vous l’a coupé ? où eſt-il ? Je ſentis bien alors toute mon imprudence ; mais ſans me démonter, je lui répondis, en affectant de rire comme une folle, que tourmentée par une puce qui s’y étoit réfugiée, & ne pouvant l’attraper, j’avois cru plaiſant d’abattre la forêt pour attraper le gibier. — Et qu’avez-vous fait de cette coupe, me dit-il froidement ? — Je l’ai jettée par la fenêtre. — Par la fenêtre ? en ce cas elle ne ſera pas perdue, puiſque la ſeule qui s’ouvre donne ſur la petite terraſſe ; je vais l’aller chercher, j’attache trop de prix à toute votre perſonne, pour en perdre un ſeul poil. En diſant ces mots, il paſſa ſa robe-de-chambre, & malgré tous mes efforts pour l’arrêter, il deſſendit ſur la terraſſe, y chercha une minute, & remonta tranquillement. Je m’attendois à une ſcène violente, ou du moins à des reproches ; il ne me dit pas un mot déſagréable, il ſembla même pendant le dîner redoubler d’attention & de prévenance ; cependant j’eſſayai en vain de ramener la converſation ſur le ton plaiſant & poliſſon, je ne pus y réuſſir. Après le dîner, il rentra ſeul dans ſon cabinet, & au bout de dix minutes, il m’envoya par ſon valet-de-chambre un billet conçu en ces termes :

« Je m’étois flatté, Adeline, de ſuffire à votre bonheur ; je me ſuis trompé ; vous êtes trop jeune pour moi, ou je ſuis trop vieux pour vous ; ſéparons-nous ſans bruit ; allez coucher chez votre tondeur, emportez promptement votre linge, vos robes, vos effets & tous vos bijoux ; dans deux heures vos paquets peuvent être faits & enlevés ; dans deux heures un quart, mon valet-de-chambre a ordre de fermer ma maiſon ; vous ſerez trop prudente pour l’expoſer à vous faire un mauvais compliment, & vous en ſerez ſortie ; il eſt chargé de vous remettre deux cents louis ; c’eſt la derniere marque que vous recevrez de mon amitié ».

Je reçus ce billet en reine de théâtre ; je ne doute pas que ſi j’euſſe été me jetter dans ſes bras, Belval ne m’eût tout pardonné, car il m’aimoit réellement ; je ſuis même certaine qu’il s’y attendoit ; mais je crus qu’il étoit au-deſſous de moi d’aller demander grâce, & je lui fis dire que je n’avois pas beſoin de deux heures pour ſortir de ſa maiſon, que ma femme-de-chambre feroit mes paquets & les feroit porter chez madame Dumarſan, chez laquelle j’allois me retirer ; en même-tems je fis avancer un fiacre, j’y montai après avoir donné mes ordres à Roſette, & me fit conduire à la ſalle de la comédie, où demeuroit Dumarſan & la petite Théodore ſa femme : comme ma table étoit excellente, & que tous les ſoirs on jouoit au creps chez Belval, je m’étois liée intimement avec le mari & la femme. Dumarſan, maître des ballets à Bordeaux, étoit à-la-fois joueur, ivrogne & le plus grand putaſſier de toute la troupe, & la petite Théodore étoit la premiere gourmande de la ville : ma maiſon offroit donc tapis verd au […/…][ws 2]

Ce fut ainſi que je quittai Belval, le plus honnête de tous les hommes. Une heure après Roſette m’apporta tous mes effets, & deux cens louis que lui remit le valet-de-chambre de Belval, qui partit le ſoir même pour ſon château.


Fin de la ſeconde partie.

  1. O ! tems heureux des plaiſirs ! ſi je regrette l’âge où l’on vous goûte, ce n’eſt pas ſeulement pour le moment de la jouiſſance, mais pour celui qui la ſuit ; femmes ſenſibles, voulez-vous ſavoir ſi vous êtes aimées, examinez bien vos amans en ſortant de vos bras.

  1. Note de Wikisource : Voir Vénus dans le cloître ou la Religieuse en chemise, Abbé du Prat, 1683, éd. de 1920 (présente sur Wikisource).
  2. Note de Wikisource : la page se termine ici brutalement. La page suivante commence sur un nouveau paragraphe. Aucune autre édition de cet ouvrage n’est disponible en ligne, pour insérer le passage manquant.