La Belle libertine/04

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(p. 130-168).



QUATRIEME PARTIE.

Mes voyages ; mes nouvelles découvertes ;
mes premieres amours.


On s’eſt trompé ſi on m’a cru aſſez inſtruite pour n’avoir plus beſoin de maîtres : avec une pratique ſuffiſamment éclairée de l’acte myſtérieux qui produit nos plaiſirs, je n’étois pas plus ſavante qu’une femme ordinaire ; mon orgueil en ſouffroit : j’étois dévorée d’une ſecrette inquiétude ; je voulois connoître le jeu des organes par leſquels je donnois & je recevois des flammes voluptueuſes ; je voulois connoître le méchaniſme, ſi compliqué, des muſcles fermes ou flexibles, des nerfs érecteurs ou extenſeurs, des glandes tuméfiées ou applaties ; je voulois palper les parties internes ou externes, dont l’exiſtence & l’harmonie faiſoient ma félicité ; je voulois apprendre où ſont ces divins réſervoirs qui renferment la liqueur ſacrée, & découvrir comment ſe forme cette ſécrétion précieuſe, comment elle s’épure & paſſe par les ramifications de canaux imperceptibles. Auquel de mes amans aurois-je pu juſqu’à préſent demander des lumières ; tous m’auroient répondu : Notre talent eſt de ſonder tes jolies profondeurs, nous en laiſſons l’anatomie à ceux qui veulent ſe rendre utiles, nous ne voulons être qu’agréables.

Cependant, le hasard me ſervit : je fus à Toulon voir lancer un vaiſſeau de guerre ; fatiguée de parcourir cette ville, dont la poſition eſt ſi enchantereſſe, & d’examiner ce qu’une femme voit ſi mal, je m’étois aſſiſe au Champ-de-Mars : un jeune chirurgien de marine prit place à côté de moi ; la converſation s’ouvrit, nous parlâmes vaiſſeaux, modes ; fortifications ; ſpectacles, &c. ; comme il eſt décidé que chacun doit parler de ſon métier, voilà mon bourgeois d’Epidaure, qui m’amène à ſes talens, & me détaille les cures incurables faites par ſa jolie main, jolie à la vérité, auſſi, eût-il ſoin de me la montrer. Il étoit embarraſſé de m’offrir les ſecours de ſon art ; me voyant une ſanté auſſi brillante que celle d’Hébée, ne pouvant parler du préſent, il penſa au futur. — Madame habite cette province, je m’en apperçois à cet accent agréable & cadencé, qui, dans sa bouche à tant de charmes, ſi jamais un ſort contraire vous ſoumettoit à quelque accident chirurgical, j’oſe vous ſupplier de ne me pas oublier. Ce que je ſais, ce que j’apprendrai, tout eſt à vous, & dans cette infortune, Duvaucel eſt à vos ordres. — Vous êtes obligeant, monſieur, & vous méritez ma reconnoiſſance ; vous me parlez avec une douceur qui annonce une âme franche & ſenſible ; je le regardois ; mes yeux n’ont jamais fixé impunément un jeune homme ; quelques regards encore plus déterminés ne lui permirent de proférer que ces mots entrecoupés ; ah ! madame… en vérité… son embarras me pénétra ; une coquette s’en ſeroit moquée, une vraie courtiſanne, préférable à ces femmes fausses, ne mépriſe jamais celui qui eſt ſubjugué par ſes charmes. Je lui rendis ſa premiere hardieſſe : Point de complimens, lui dis-je, monſieur ; nous ſommes jeunes, d’un ſéxe différent, les égards les réuniſſent ; vous pouvez m’être utile pour l’exécution d’un projet, j’en ſerai reconnoiſſante ; venez me trouver chez la dame Beatrix, chez qui je loge, & ſi vous conſentez à m’obliger, je reſterai quelques jours ici.

La tête penſa lui tourner : rendez-vous donné & reçu pour le lendemain à mon lever ; huit heures du matin ſonnent, on me l’annonce ; je reſte au lit : il entre, le voilà près de moi.

Pour lui peindre ma ſingulière envie en termes clairs il falloit commencer par lui montrer que je n’étois qu’une femme galante ; pourquoi ne pas le lui prouver ? je lui découvris donc inſenſiblement mes vues & mes appas ; il auroit mal fait dans ce moment une démonſtration anatomique, mais j’étois sûre d’une excellente leçon de phyſique ; je le voyois tout en feu, je n’étois pas moins ardente ; un drap fin & léger faiſoit ma couverture ; il m’aſſommoit, je fis un mouvement qui envoya tout au diable ; ce fut la premiere minute d’une jouiſſance délicieuſe ; Duvaucel ne ſe retenant plus, me couvrit la gorge de baiſers ſi répétés, que je craignis d’être dévoré par ce lutin.

Il eſt inutile, mon bon ami, lui dis-je, de mettre trop d’obſtacle à votre ardeur ; mais faiſons notre petit marché ; je veux des leçons ſur différentes parties de votre art, ſi vous conſentez à me les donner ſans réſerve, je n’en aurai pas davantage pour vous. — Eh ! madame, répondit-il, ne vous ai-je pas tout offert avant même de vous connoître ; dans ce moment où vous me découvrez mille beautés, dont je déſirerois être poſſeſſeur, exigez ma vie, elle eſt à vous ; demain, aujourd’hui, ce matin même nous commencerons, mais de grâce, accordez-moi une heure. Si vous m’ordonniez de vous obéir à l’inſtant, impoſſible, impoſſible ; mon âme eſt anéantie, elle ne peut recevoir que de vous une nouvelle exiſtence. Pendant ce diſcours, mon viſage devoit être rayonnant ; peu-à-peu je lui offrois la vue de mes plus ſecrets agrémens ; je n’y tenois plus ; je voyois chez lui les ſymptômes les plus majeſtueux ; aurois-je fait la bégueule pour la premiere fois ? non, & ſi j’ai trop retardé ſon bonheur, la ſeule raiſon eſt que je voulois l’enchaîner & en faire un maître docile.

Viens, lui dis-je, beau jeune-homme, viens prouver à ton écoliere qu’elle ne s’eſt point trompée. La foudre lancée par Jupiter irrité eſt moins rapide, moins incendiaire que le trait dont Duvaucel me frappa ; je n’avois pas fini mon invitation, qu’il étoit ſur moi & dans moi ; le joli f...teur ! taille élégante, belle, peau, figure d’Adonis, vigueur de Mars, d’une ſoupleſſe, d’une vîteſſe inconcevable ; folâtre, careſſant, unique.

Je lui prodiguois les richeſſes de mon tempérament, tout en me le mettant, il me diſoit ſans ceſſe, & de mille façons, qu’il n’avoit pas conçu qu’une femme put être auſſi raviſſante, je ſoutenois ſa bonne opinion ; & je dé....geai juſqu’à me fatiguer, ce qui étoit rare : succulent comme un chapitre complet de Cordeliers, il faiſoit jaillir la ſource du plaiſir, juſqu’au fond de ſa retraite ; jamais, jamais, je n’avois été ſi délicieuſement perforée.

Je le priai de me laiſſer faire un peu de toilette, il apporta un flacon ; il en avoit un ſur lui d’une eau qu’il dit précieuse, & dont l’odeur suave portoit au cerveau une douce ivreſſe ; il voulut me laver lui-même : il me parfuma & me paſſa une chemise ; voulant s’aſſurer ſi j’avois repris la fraîcheur qu’il me déſiroit, il imprimoit ſa bouche ſur tout ce qui s’offroit à ſes yeux avides : il ſe fixoit ſur ma jolie motte qu’il trouvoit charmante, relevée, graſſette, potelée : le poil couleur d’ebéne dont elle eſt ombragée, eſt ſi bien planté, qu’il forme un triangle équilatéral dont plus d’un galant géomètre a voulu prendre les heureuſes proportions. Il craignoit, m’ayant vu porter la main plus bas, que je ne ſentiſſe quelques légères cuiſſons ; en homme de l’art, il ſépara mes lèvres avec un adreſſe ſingulière, & ne découvrant que feuilles de roſe ; Amour, s’écria-t-il, tu n’eus jamais de temple auſſi fraîchement décoré ! il en baiſa l’entrée, & agitant légèrement ſa langue, il me força à une preuve de ſenſibilité qui l’enchanta ; mon joli Ganimède qui étoit la complaiſance même, voulut que je priſſe du chocolat : en me le verſant, il me baiſa la main avec un air de gratitude qui me pénétra.

Nous étions dans un pays chaud ; je n’avois qu’un jupon de mousseline des Indes, il étoit en veſte & en culotte de baptiſte, l’inſpection qu’il venoit de faire, & mille baiſers par ſecondes ſur mes jolis tetons firent ſauter un bouton qui me laiſſa voir mon Duvaucel b..dant comme l’arc de Cupidon. Je voulois faire un cours d’anatomie, pouvois-je ne pas m’arrêter à des détails qui y étoient analogues ? j’avois palpé, ſenti, uſé beaucoup de v.ts ; celui de mon nouvel ami réuniſſoit tout ce que je déſirois : huit pouces étoient ſa longueur, je n’ai jamais aimé plus que cela : ſa grosseur renforcée dans la culaſſe, empliſſoit ma main à ſon milieu, ſa tête audacieuſement levée, étoit d’une couleur & d’un poli qui annonçoient la jeuneſſe & la ſanté ; ſes c...les remplies d’un ſperme abondant, promettoient ce qu’elles tenoient, des plaiſirs répétés : un poil noir ombrageoit cet arbre voluptueux : enfin c’étoit un v.t tel que Cléopâtre n’en eut jamais à ſa diſpoſition : il m’offroit ſes ſecours après une abstinence forcée de trois jours, jugez combien il me devenoit neceſſaire !

Duvaucel voyant avec quelle complaiſance je le patinois & le b...lois, non par cette triſte néceſſité qui nous y détermine trop ſouvent, mais pour lui prodiguer par reconnoiſſance toutes les careſſes que je pouvois imaginer, m’enleva ſur mon lit & me fit encore dé....ger ſix fois en moins de ſix minuttes ; il me prioit ſi tendrement de l’avertir quand je voudrois finir, par un baiſer plus appuyé que les autres, que je le lui promis : trois fois encore je lui donnai le ſignal convenu, trois fois il m’arroſa par une pluie féconde. Ah ! comment ne meurt-on pas dans les bras d’un auſſi aimable enfileur ; je craignois qu’il ne me fit oublier les hommes que j’avois eu, & qu’il ne me dégoûtât de ceux que je devois avoir ; enfin nous dinâmes enſemble, nous ſoupâmes, nous couchâmes enſemble, & pendant huit jours j’ai plus f..tue avec lui qu’avec tous mes amans précédens.

Nous réglâmes nos amuſemens & nos études ; il me fit connoître un artiſte qui avoit, en cire, un syſtême complet d’anatomie ; il ſervit à Duvaucel, à me donner dix leçons ſur les parties ſexuelles de l’homme & ſix ſur celles de la femme, j’appris à-peu-près tout ce que je voulois ſavoir, & après avoir fait mes remercimens au galant démonſtrateur, forcée à le quitter, je ſentis pour la première fois mes yeux humides ; avant cette épreuve, je ne me ſerois jamais crue capable de cette foibleſſe, mon adage étoit, un perdu, cent retrouvés ; mais celui-ci en valoit quatre, j’étois excuſable ; je me livrai donc à ma ſenſibilité ; quoique fort affligé lui-même, en me diſant adieu, il voulut me le mettre encore ; je ne le voulois pas, je ne pus réſiſter ; enfin ma voiture m’attendoit, il fallut nous ſéparer ; j’embraſſai bien tendrement mon cher eſculape & lui prouvai bien ſincérement que ſon ſcalpel avoit fait une bleſſure à mon cœur.

Roſette avoit reconnu trop peu d’uſage à Duvaucel, pour ne pas craindre de le gêner par ſa préſence ; elle avoit toujours eu ſoin de ſe retirer au premier ſignal ; mais en fille digne de mon choix & admiſe à ma confidence, elle avoit toujours sçu profiter d’une porte vîtrée, pour voir tout ce qui ſe paſſoit, auſſi ne lui étoit-il rien échappé ; elle me l’apprit avec une émotion qui me fit deviner ſes déſirs ; vous allez diner à Hieres, me dit-elle, je vous ſuis inutile ; ſouffrez que je demeure, je vous rejoindrai demain à Sollieres chez Suzanne ; vous m’y trouverez à votre paſſage, nous parlerons de vous, M. Duvaucel & moi ; j’y conſentis.

Le jeune homme étonné de la voir reſter, lui en demanda la raiſon, elle la lui donna, & lui, en garçon reconnoiſſant, prodigua ce qui lui reſtoit à cette pauvre fille qui m’apprit, à notre réunion, que ce que je lui avois laiſſé valoit mieux encore que du neuf, & que jamais elle n’avoit été auſſi joyeuſement célébrée.

J’allai joindre mon amie Saint-Aubin, qui depuis quelques jours étoit à Hyeres avec un Anglais ; elle vouloit que je connuſſe cette petite ville célèbre par ſes parfums, d’ailleurs très-agréablement ſituée ſur une éminence dont le pied s’étend vers la mer, & qui n’eſt pas moins renommée pour ſes excellens fruits.

Je découvrois des fenêtres de mon hôtel, un vallon rempli d’orangers dont les fleurs odorantes parfumoient l’air qui venoit juſqu’à moi ; plus loin la vue ſe porte ſur des marais ſalins, & l’aſpect de la mer termine ce coup-d’œil qui s’embellit par les navires qui paſſent pour gagner Marſeille ou le Levant. Saint-Aubin aimoit la promenade ; elle n’avoit rien de mieux à faire ; le chevalier Walton étoit attaqué du Spléen, ſa maîtreſſe avoit beſoin de moi pour ſe diſtraire, ne pouvant jouir des conſolations galantes que de jeunes provençaux lui offroient, parce que Walton étoit mauvais plaiſant.

Nous fûmes au jardin ſi connu de M. Fille, planté de ces arbres précieux qui portent des pommes d’or ; ce verger délicieux qu’un poëte comparoit aux Champs-Elyſées, au jardin des Heſpérides ou d’Eden, eſt d’un produit ſupérieur à celui d’une terre conſidérable : là, je foulois aux pieds la fleur d’orange ; ce fruit d’une forme & d’une couleur ſi agréable, ſe préſentoit par-tout ſous ma main ; plus loin l’ananas, le poncire, le citron, la bergamotte offrent leurs parfums variés ; les berceaux d’Idalie & de Paphos étoient moins enchanteurs ; auſſi j’y cueillis… Quoi ?… L’amour.

Entrées dans la maiſon du jardinier, un jeune garçon, beau comme Hylas, s’y préſenta avec une aisance décente. — Parlez-vous français ? mon ami, lui dis-je. — Oui, madame, ſans cela je ſerois bien à plaindre. — Pourquoi donc ? — C’eſt que je dois partir inceſſamment pour aller chercher du ſervice à Lyon ou à Paris. — Etes-vous décidé pour l’une de ces deux villes ? ſi vous trouviez à vous placer plus près, vous éviteriez les fatigues d’un long voyage. — Sans doute, madame, mais on dit qu’on ne ſait rien dans son pays. Je ris de son ingénuité, j’avois la preuve du contraire ; je connois une dame, lui dis-je, qui vous prendroit & vous habilleroit en jockei ; voudriez-vous être jockei ? — Tout ce que vous voudrez, madame, pourvu que ma maîtreſſe ſoit de vos amies. — Mais vous êtes honnête : comment vous appellez-vous ? — Honoré Bienfait. — Oui, en vérité ; je ne changerai pas ce nom, & c’eſt moi qui vous prendrai ; êtes-vous votre maître ? — Pas tout-à-fait, madame, j’ai une tante. — Faites la venir. Mon petit homme partit comme un coureur il m’amena ſa tante eſſouflée, qui me donna ſon cher Honoré, le recommandant à Dieu & à mes bonnes grâces ; tout fut dit, &c me voilà dame ſuzeraine de mon futur jockei, dont la jolie figure étoit bien accompagnée par ſes cheveux déjà coupés dans ce coſtume.

Saint-Aubin ſe douta de mes vues & me dit à voix baſſe ; après la chere que tu as faite à Toulon, tu avois beſoin de ce Cure-dent ; je lui avois tout raconté ; je ris beaucoup de ſon idée : elle auroit bien voulu que Milord lui permit pareille emplette : elle me félicita ; nous revînmes, nous couchâmes enſemble & fîmes en parlant du jockei, beaucoup de folies de filles.

J’avois grande envie de faire travailler à la garde-robe d’Honoré & de commencer ſon éducation ; je ne m’étois point encore régalée de prémices ; cet enfant étoit ſuperbe ; il avoit près de cinq pieds, une tournure agréable, de grands yeux noirs, bordés de belles paupieres, des ſourcils arqués & bien fournis, des lèvres vermeilles, des dents très-blanches, & des joues vraies petites pommes d’api.

En ſortant d’Hiérès, afin que Walton ne ſe doutât de rien, je fis monter mon page derriere ma voiture, à cent pas de la ville je l’appellai, & je le fis entrer, ſous prétexte que je craignois pour lui un coup de ſoleil ; il obéit en rougiſſant, & le voilà vis-à-vis de ſa dame. — Eh bien ! Honoré, êtes-vous bien aiſe d’être avec moi ? Très-aiſe, madame. — Vous comptez donc vous attacher à moi ? aurois-je le déſagrément, après avoir fait beaucoup pour vous, de vous voir par inconſtance chercher une autre maîtreſſe ? — Non, madame, je ne vous quitterai jamais, à moins que vous ne me chaſſiez. — Ce n’eſt sûrement pas mon intention ; mais, dites-moi, ſerez-vous bien obéiſſant ? — Mettez-moi à l’épreuve, madame, je n’ai point encore ſervi, je ſerai ſans doute mal-adroit, mais l’intention y ſera. — Fort bien, mon ami, avec de l’intention on n’eſt pas long-tems mal-adroit ; je lui parlois avec une douceur qui avoit l’air de le flatter ; il commençoit à oſer lever les yeux, qu’il avoit preſque toujours tenu baiſſés, quand traverſant un ruiſſeau profond, que mon cocher avoit mal coupé, mon petit voyageur, peu accoutumé au caroſſe, quitte ſon couſſin & tombe la tête ſur mes genoux. — Eh ! mon dieu : pauvre garçon, ne vous-êtes vous pas bleſſé ? — non, madame. Voyons ; je le tâte ; je relève ſon toupet, qui maſquoit le plus joli front ; je paſſe ma main ſur ſa tête & ſon viſage ; il n’avoit rien, mais j’eus le plaiſir de ſentir baiſer cette main, ce qu’il fit par un excès de reconnoiſſance, & ſi involontairement, qu’il en rougit comme d’un crime. — Raſſurez-vous, Honoré, j’aime les marques de ſenſibilité ; je ſerois fâchée que vous euſſiez un cœur dur. — Ah ! madame, il ne l’eſt pas… au… contraire… — au contraire ; eſt-ce que vous en auriez déjà fait l’eſſai ? auriez-vous quitté une amie pour me ſuivre ? — non, madame ; vos bontés me mettent hors de moi, & je ne ſais… comment je les ai méritées ; par votre douceur : me promettez-vous de faire tout ce que je vous conſeillerai ? — Oh ! je vous le jure. — Ecoutez, je veux faire votre bonheur ; mais j’ai des fantaiſies auxquelles il faudra que vous vous prêtiez ; par exemple, je veux que, quand nous ſerons enſemble, ſans témoins, vous ne coupiez pas tout ce que vous dites par ce mot madame ; je ſuis votre maîtreſſe, n’eſt-ce pas ? — oui. — Appellez-moi donc votre maîtreſſe, & ſeulement madame en public. — Je n’oſerai jamais prendre cette liberté. — Hé-bien, lorſque vous m’appellerez autrement, je ne vous répondrai pas. — Mon dieu… ! ici il y eut un ſilence aſſez long ; Honoré ne ſavoit comment renouer la converſation ; j’en fis les frais : d’où vous vient cet embarras ? n’eſt-il pas vrai que ſi j’étois habillée en ſimple bergere, vous ne ſeriez pas auſſi timide ? il ſourit ; — vous répondriez à mes prévenances avec égalité ; je n’ai point d’orgueil, je ne veux point avoir ſur vous la fauſſe ſupériorité que donne la richeſſe ; je prétends que vous ſoyez parfaitement libre avec moi, & que vous ne me rendiez que les ſervices qui ne coûteront point à votre cœur. — Oh ! mada… oh ! ma chere maîtreſſe ; aurois-je pu eſpérer ce bonheur ? je ne ſais ce qui ſe paſſe dans ce cœur qui vous obéira ſans ceſſe ; je ne me ſuis point encore trouvé dans un pareil état ; il eſt vrai que le pauvre enfant avoit le viſage couvert de ſueur, O ! nature, tu parles avec une force irréſiſtible ; je lui tendis la main, il la prit ; je ſerrai la ſienne légèrement ; il me le rendit avec un doux frémiſſement ; j’attirai ſa main ſur mes genoux ; il l’y fixa : je le dévorois des yeux ; ſans doute il lut dans les miens : je le baiſai malgré moi, ſur la bouche ; il appuya ſes jolies lèvres ſur les miennes, & verſa quelques larmes ; dans cette poſition, il étoit preſque tout entier ſur moi, nous y reſtâmes deux minutes ; je lui donnai des preuves ſenſibles de ma bienveillance, & voyant que nous arrivions à Sollieres, je le fis relever.

J’y trouvai Roſette qui m’attendoit ; la coquine avoit bien l’air d’un lendemain de nôces. Elle ne m’eut pas plutôt apperçue, avec ma nouvelle ſuite, qu’elle me dit. — Mon dieu, madame, le joli mouton que vous avez trouvé ! — Oui, mais ne va pas le mettre dans ta bergerie. — Pas de quelque tems au moins ; comment nommerai-je mon camarade ? — Honoré. — Seigneur Honoré, joli ſerviteur d’une maîtreſſe charmante, j’ai l’honneur de vous offrir mes petites inſtructions, afin que madame ſoit bien ſervie. Mademoiſelle, répondit le jeune adoleſcent, je vois que madame n’avoit aucun beſoin de moi, puiſque vous lui êtes attachée ; c’eſt par bonté que… — Oh que non ! mon ami, vous ferez ce que je ne pourrois exécuter ; entendons-nous, & tout ira bien. Cette derniere phraſe me plut médiocrement ; je dis à Roſette de faire ſervir, & que ſans cérémonie, nous dînerions tous trois ; cela s’effectua, & j’envoyai chercher des chevaux de poſte à Toulon, pour gagner le Beauſſet, & arriver le ſoir à Marſeille,

Cette ville charmante a toujours été l’aſyle de la liberté, le ſéjour de la licence, enfin, le paradis des femmes : on y fait ce qu’on veut, on y fait autant de connoiſſances qu’on le déſire, car les occaſions y ſont auſſi communes que les réverberes. Pluſieurs projets m’y amenoient ; m’y amuſer, faire habiller Honoré, & jouir de ſon étonnement à la vue des ſpectacles variés qui s’offrent à Marſeille ; je ne quittai point mon éleve, de peur que quelque grecque amoureuſe ne me l’enlevât ; je n’eus pas la même inquiétude ſur Roſette, qui étoit en état de ſe défendre contre la légion des grecs Pharaoniques, qui ruinent les hommes ſans enrichir les femmes.

J’envoyai chercher un tailleur ; je lui ordonnai une lévite & un gilet verd-pomme, collet, paremens, ceinture couleur de roſe, le tout chargé d’un énorme galon d’argent ; quand on compoſe ſa livrée, il faut qu’elle ſoit galante : ſi quelque jour j’y ajoute des armes, j’aſſure qu’elles ſeront parlantes.

Mon gentil Honoré fut en vingt-quatre heures vêtu, coëffé, botté ; je lui donnai le plus beau linge, & pour cauſe ; je le fis baigner ; je le parfumai ; il ne ſe reconnoiſſoit plus, & je jouiſſois de mon pouvoir magique, dont cette métamorphoſe n’étoit qu’un eſſai.

Je ne cachois rien à Roſette ; elle connut mes intentions, & pour m’éviter des ſoins faſtidieux, je la chargeai de prévenir le petit de mes favorables déſirs, que je voulois ſatisfaire la nuit ſuivante ; elle s’en acquitta bien ; au retour de la comédie, nous ſoupâmes en poſte pour arriver plutôt à la concluſion ; on mit dans ma baſſinoire des paſtilles à l’ambre ; je bus de la crême de roſe ; j’en fis prendre au Néophite amoureux ; je lui donnai des diabolo de Naples, dont il ne connoiſſoit pas la force, & je me déshabillai devant lui ; alors Roſette lui dit : pendant que j’arrange la toilette, prenez le mouchoir de madame, ſes jarretieres, ſes bas : mon valet de chambre, qui m’avoit menacé de mal-adreſſe, étoit d’une dextérité ſinguliere ; j’avois la gorge découverte, il la dévoroit des yeux ; j’eus la malice de lui dire : — Honoré, vous me regardez beaucoup, eſt-ce que vous n’avez jamais vu de femmes ? — Je vous demande pardon, mais pas d’auſſi belle que vous. — Une bonne maîtreſſe ne ſe gêne point avec des domeſtiques qu’elle aime ; je vous regarde comme une ſeconde Fanchette, votre âge, votre innocence me ſont garants de votre prudence ; il alloit répondre. Roſette coupa la phraſe, & lui dit : Honoré, ouvre le lit de madame, donne lui la main, couvre la bien, & tu verras que les nouveaux ſont mieux traités que les anciens : puis elle ſe retira, en lui souhaitant bonne nuit.

Honoré devoit coucher dans mon antichambre : il tournoit autour de moi, pour arranger traverſin, oreiller, couverture ; tout en ſe rendant utile, il rencontra mes pieds & ſans le vouloir ; m’y procura une démangeaiſon bien ſentie : je ſuis très-chatouilleuſe, ou plutôt j’aime à être chatouillée, c’eſt un de mes plaiſirs ; je tirai donc une jambe du lit pour la lui livrer ; gratte un peu, mon petit ami : il le fit avec tant d’adreſſe, il avoit des doigts ſi légers, qu’il me forçoit à des mouvements qui l’enchantoient en lui prouvant qu’il ſe rendoit utile : ſes mains, du pied gagnerent la jambe, le genouil, la cuiſſe ; il étoit hors de lui : — Êtes-vous chatouilleuſe par-tout, ma belle maîtreſſe ? — Oui mon ami, avance un peu ; — Mais je ne puis y atteindre, le lit eſt trop targe. — Tu as raiſon, viens deſſus, à côté de moi, tu ſeras plus à ton aiſe. Il monte, & commence par frotter doucement les bras & les epaules ; je conduiſis ſa main ſur ma gorge pour l’engager à s’étendre un peu plus loin : il parut embarraſſé ; je le déterminai par un mouvement qui fit gliſſer ſa main ſur ma motte en même-tems qu’il approchoit mes tetons de ſon viſage : mon jeune enfant les couvrit de baiſers, & ſes doigts ne ſachant plus où ſe fixer, ſe promenoient par-tout, & y portoient le délire. — Viens, Honoré, viens plus près de moi, tu me fais bien plaiſir, tu m’en feras plus encore, dépouille toute honte avec tes habits, Roſette dort, tu la réveillerois en ſortant, je veux faire ton bonheur. — Ah ! vous ſerez obéie, ma belle maîtreſſe… quel plaiſir… comme je vous chatouillerai ! En un inſtant il fut deshabillé & couché près de moi. — Belle & bonne maîtreſſe, par où voulez-vous que je commence ? tous ſes doigts étoient en mouvement, mais ce qui valoit mieux encore, c’eſt que la nature avoit été pour lui généreuſe & précoce ; il portoit un outil de ſociété qui auroit fait honneur à un jeune homme de vingt ans, & dont il ne ſavoit ou n’oſoit que faire en ſi belle occaſion, puiſqu’il le tenoit alternativement caché de chaque main. Pour le forcer de le laiſſer en liberté, je lui dis : Honoré, paſſe tes bras ſous les miens, pour frotter doucement mes épaules ; on conçoit que pour cette manœuvre il falloit qu’il fût couché ſur moi, alors ſa bouche étoit près de la mienne, ſon corps portoit en entier ſur le mien, & ſon joli Priape battoit ma motte & augmentoit mon déſir ; dans cette ivreſſe,

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Tous ses doits étoient en mouvemens, mais ce qui
valoit mieux encore étoit son
outil de Société qui
lui faisoit honneur à son âge…


ne voulant perdre ni mon tems ni ſes forces, je lui donnai un baiſer comme il n’en connoiſſoit pas, je le ſerrai contre mon ſein, & inſinuant ma langue dans ſa bouche, je crus qu’il devenoit fou de plaiſir. — A moi, dit-il, ma belle maîtreſſe, ſi vous le permettez, & dans l’inſtant, la ſienne porte dans mon cœur le feu de ſa ſalive bouillante. Je n’avois point à craindre d’être ratée, rien ne me retint davantage : — viens, mon cher petit, connois le ſuprême bonheur, & ſouviens-toi que c’eſt à ta maitreſſe que tu dois la première leçon ; imites-moi & obéis à la nature. Alors je pris de la main gauche ſon jeune v.t, & me l’introduiſis où je le voulois ; à peine fut-il entré, que je lui donnai quelques coups de cul à la Créole, mon heureux enfant me les rendit, & me procura un plaiſir délicieux : je ne puis peindre la jolie mine qu’il fit en dé....geant dans un c.n pour la première fois de ſa vie. Je voulois le faire relever, il me répondit d’un air enfantin, je vous avois bien dit que vous me chaſſeriez un jour. — Aimable enfant qui ne connoît ni tes forces ni ta foibleſſe, c’eſt pour te ménager que je veux me priver des plaiſirs que tu me donnes. — N’eſt-ce que cela ? — En même-tems le voilà qui pique des deux, prend d’abord le trot, enſuite le galop, & nous arrivons enſemble au bout de la carrière. A ce coup, fatigué malgré lui, il reſte immobile ſur moi, en me regardant avec une langueur qui ſembloit me demander grâce pour n’avoir pas fait plus. Je le comblai de careſſes & d’éloges, il me couvroit de baiſers, je ne pouvois contenir ſa vivacité ; il vouloit continuer, j’exigeai qu’il ſe repoſât, je l’arrangeai à côté de moi, je plaçai ſa tête ſur mon ſein, & nous dormîmes ainſi de bonne foi, juſqu’au jour ; notre réveil fut délicieux ; je n’ai jamais conçu qu’on pût être auſſi bon à quinze ans ; il ne vouloit pas lâcher priſe ; je ſonnai Roſette pour me débarraſſer de ſes perſécutions.

Je ne voulois plus reſter à Marſeille, je craignois que mon Honoré ne devînt bientôt, ainſi que Céſar, la femme de tous les maris, & le mari de toutes les femmes : je voulois le conſerver pour moi, & m’en tenir à lui pendant quelques tems ; une ſorte de mal-aiſe, qui venoit ſans doute de mes plaiſirs trop fréquens, me rendoit ce régime néceſſaire, & me détermina à aller prendre les bains d’Aix. La crainte d’altérer ma ſanté, & l’attachement que j’ai pour Honoré, qui me ſuffit, m’ont fait former un nouveau plan de conduite. Cette circonſtance partagera donc naturellement ma vie en deux époques ; j’ai profité de ma retraite à Aix, pour écrire cette premiere partie ; ſi mon projet de réforme ne peut s’exécuter, ſi mon tempérament reprend ſa premiere vigueur, ſi je rentre enfin dans la carriere des plaiſirs, fidelle à mes principes, je ne manquerai pas de faire part au public de mes nouvelles découvertes.


FIN.