La Bible d’une grand’mère/11

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L. Hachette et Cie (p. 43-47).

XI

TOUR DE BABEL

(2247 ans avant J.-C.)



Les trois fils de Noé eurent un grand nombre d’enfants ; on connaît le nom de tous les aînés de famille. Parmi les descendants de Cham, on remarque Nemrod, célèbre par sa passion pour la chasse ; on le surnomma fort chasseur devant le Seigneur. Maintenant encore, en parlant d’un homme qui passe son temps à chasser, on dit : « C’est un vrai Nemrod. » On croit que ce fut lui qui commença à bâtir la ville de Babylone, devenue depuis fameuse par sa grandeur et sa beauté.

Amand. Où est Babylone ?

Grand’mère. Elle n’existe plus ; on n’y trouve que des ruines ; mais elle était en Chaldée, près de l’Euphrate, un des plus beaux fleuves de l’Asie. Ce Nemrod fut aussi, croit-on, le premier roi ayant des sujets qui lui obéissaient, bâtissant des villes et gouvernant son royaume ; celui de Nemrod s’appela royaume de Babylone.

Un autre descendant, très-connu, de Cham fut Assur, également roi d’un pays qui s’appela l’Assyrie, du nom d’Assur. Il bâtit une ville qui devint, plus tard, aussi belle et aussi fameuse que Babylone : il l’appela Ninive. Elle était bâtie près du Tigre, fleuve aussi beau que l’Euphrate.

Parmi les descendants de Sem et de Japhet, il n’y en a pas de particulièrement remarquables jusqu’au fameux Patriarche Abraham, descendant de Sem. Mais longtemps avant la naissance d’Abraham, il arriva un événement qui dispersa tous les enfants et les petits-enfants de Noé.

Il n’y avait dans le monde qu’une seule langue, c’est-à-dire qu’il n’y avait pour tous les hommes qu’une seule manière de parler et d’écrire. À mesure qu’ils devinrent plus nombreux, ils virent la nécessité de se séparer.

Valentine. Pourquoi cela ? Ils étaient bien plus heureux de vivre tous ensemble.

Grand’mère. Certainement, mais la portion de terre qu’ils habitaient ne suffisait plus à la nourriture de tant de milliers d’hommes et de bêtes. Ils se dirent donc :

« Nous ne pouvons plus rester ensemble ; nous sommes devenus trop nombreux ; nos troupeaux n’ont plus assez de pâturages, la terre que nous labourons ne donne plus assez de blé pour nous faire vivre ; nos maisons n’ont plus la place nécessaire pour nous contenir ; séparons-nous donc, et dispersons-nous au loin sur toute la terre. Mais, avant de nous éloigner, bâtissons une tour immense qui s’élève jusqu’au ciel : nous rendrons ainsi notre nom célèbre par toute la terre, et si Dieu envoie encore un déluge, nous aurons un abri pour nous y réfugier. »

Valentine. Ceci est un peu bête, car puisque Dieu a inondé la terre jusqu’aux plus hautes montagnes, il pouvait bien envoyer assez d’eau pour couvrir même la tour immense que ces hommes bâtissaient.

Grand’mère. Tu as bien raison, mais les hommes ont tous, ou presque tous, l’orgueil de croire qu’ils pourront se préserver de tout danger, sans autre secours que celui de leur propre intelligence.

Ils se mirent donc à bâtir leur tour avec des briques unies ensemble par du bitume au lieu de chaux, pour que ce fût plus solide.

Le Seigneur vit la tour que bâtissaient les hommes ; il les laissa continuer, et quand ils en eurent bâti une partie déjà plus élevée que les arbres et les montagnes, le Seigneur dit :

« À présent, je vais descendre en ce lieu. Ils sont tous de la même race, ils parlent tous la même langue ; je vais leur donner des langages différents pour qu’ils ne s’entendent plus, et qu’ils ne puissent pas continuer leur travail. Je confondrai ainsi leur orgueil, et je les obligerai à reconnaître leur impuissance et ma grandeur. »

Au même instant, ces hommes se mirent à parler chacun une langue différente, de sorte qu’ils ne se comprenaient plus.

Petit-Louis. Quelles langues parlaient-ils ?

Grand’mère. Ils parlaient des langues différentes que nous ne connaissons même pas, et qui ont formé depuis toutes les langues qu’on parle dans le monde.

Quand tous ces hommes virent qu’ils ne pouvaient plus continuer leur travail, puisqu’ils ne se comprenaient pas, ils furent obligés de se séparer, et ils se dispersèrent dans toutes les parties de la terre.

Louis. Je m’étonne qu’ils aient pu aller si loin, par exemple en Amérique, au nord de l’Europe, en Chine, au midi de l’Afrique, en Espagne, etc.

Grand’mère. Tous ces pays ne se peuplèrent pas par cette première dispersion des hommes ; c’est petit à petit, à mesure qu’ils se trouvaient trop resserrés, qu’ils allaient plus loin, toujours plus loin, pour être plus à l’aise.

Henriette. Mais, Grand’mère, une chose qui est impossible à comprendre, c’est comment on trouve des habitants dans les îles de l’Océan, puisqu’il n’y avait que Noé et ses fils pour peupler la terre ; ils n’avaient pas de vaisseaux comme maintenant ; et comment auraient-ils pu arriver jusque dans l’île de la Nouvelle-Hollande, qui est si loin, dans l’île d’Islande, et dans toutes les îles qu’on a découvertes depuis des siècles ?

Grand’mère. Chère petite, ces îles habitées s’expliquent de deux manières. D’abord, par les tremblements de terre et autres grands désordres du monde, qui ont séparé des portions de terre du continent.

Gaston. Qu’est-ce que c’est, le continent ?

Grand’mère. On appelle continent la grande partie de la terre qui est d’un seul morceau, qui n’est pas séparée par des mers. On est pour ainsi dire certain que jadis l’Angleterre et l’Irlande n’étaient pas des îles, qu’elles faisaient partie du continent ; de même pour la Sicile. Il est plus que probable qu’il en est ainsi pour toutes les îles connues. Ensuite, on sait que dès les premiers siècles les hommes construisaient des canots, c’est-à-dire des bateaux pour naviguer sur les rivières et les fleuves.

Petit-Louis. Grand’mère, pourquoi dites-vous rivières et fleuves ? c’est la même chose une rivière et un fleuve.

Grand’mère. Pas tout à fait, mon cher petit. Un fleuve se jette dans la mer, et une rivière se jette dans une autre rivière ou dans un fleuve.

Il n’est donc pas impossible que les habitants de la terre aient été quelquefois entraînés vers la mer, et portés par la tempête dans des îles désertes, où ils ont pu vivre, et qu’ils ont peuplées.

Armand. C’est vrai cela. Tu ne crois jamais rien, Henriette ; tu veux toujours comprendre.

Henriette. Certainement, je veux comprendre ; ce qui n’empêche pas que je ne croie les choses qu’il faut croire, quand Grand’mère me le dit ; mais j’aime mieux comprendre, si c’est possible. Ainsi, je suis très-contente d’avoir fait ma question ; et toi aussi, qui grondes, tu es enchanté, parce qu’à présent tu sais comment les îles peuvent avoir des habitants.

Armand. Je ne gronde pas, moi ; je dis seulement.

Grand’mère. Non, mon pauvre petit, tu ne grondes pas ; Henriette s’est trompée de mot ; elle voulait dire : tu remarques, tu observes. Au reste, elle a raison de demander des explications. Et je vous demande à tous de faire comme elle, quand vous ne comprenez pas bien ce que je vous dis, car il peut m’arriver de ne pas expliquer ou d’expliquer mal. À présent, continuons l’Histoire sainte.