La Bible d’une grand’mère/21

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L. Hachette et Cie (p. 73-78).

XXI

MORT ET ENTERREMENT DE SARA.
MARIAGE D’ISAAC

(1822 ans avant J.-C.)



Quelques années après le sacrifice que le Seigneur avait demandé à Abraham, Sara mourut à l’âge de cent vingt-sept ans.

Abraham la pleura parce qu’il l’aimait, et Isaac aussi en fut très-affligé. Abraham voulut lui avoir une belle sépulture dans un terrain qui demeurerait à sa postérité ; pour cela, il acheta un champ avec de belles cavernes qui appartenaient à Éphron. Ce champ, avec les cavernes, les terres et les arbres environnants, s’appelait Éphron. Il fut vendu à Abraham avec grande solennité devant tous les habitants du pays, Abraham en prit possession et enterra sa femme Sara en grande cérémonie dans une des cavernes du champ.

Abraham, étant fort avancé en âge, pensa à marier Isaac qui avait déjà près de quarante ans. Il appela donc Éliézer, son plus ancien serviteur, qui avait la direction de toute la maison, et il lui dit : « Va dans le pays qu’habite ma famille, car je veux que tu y cherches une femme pour mon fils Isaac. Ne lui prends pas une fille chananéenne ni d’aucune autre famille qui ne soit pas la mienne.

Mais, Seigneur, où trouverai-je ce que vous me demandez ? répondit Éliézer.

— Le Seigneur, qui m’a juré qu’il donnerait tous ces pays à ma race, l’enverra son Ange pour te guider et pour te faire voir la femme que doit épouser Isaac. » Éliézer jura qu’il obéirait à Abraham ; il choisit dix chameaux du troupeau de son maître.

Françoise. Pourquoi des chameaux ?

Grand’mère. Parce que, dans ces pays-là, on montait sur des chameaux pour voyager, comme on monte dans nos pays sur des chevaux. C’est encore l’usage en Orient, chez les Turcs, les Arabes, etc. Il prit donc dix chameaux, des serviteurs ; il emporta beaucoup de riches présents, et il partit pour la Mésopotamie, pays qu’habitaient les parents d’Abraham. Il arriva un soir près de la ville de Nachor. Avant d’y entrer, il s’arrêta pour laisser reposer ses chameaux. C’était l’heure à laquelle les filles de la ville avaient l’habitude de sortir pour puiser de l’eau. Éliézer fit au Seigneur cette prière :

« Seigneur, Dieu d’Abraham mon maître, assistez-moi aujourd’hui, je vous prie ; me voici près de cette fontaine, et les filles des habitants de la ville vont sortir pour puiser de l’eau. Faites que la fille à laquelle je demanderai à boire et qui me répondra : « Buvez, et je donnerai aussi à boire à vos chameaux, » soit celle que vous avez choisie pour épouse à Isaac. Et je connaîtrai par là que vous avez fait miséricorde à mon maître. »

À peine avait-il fini de parler ainsi en lui-même, qu’il vit paraître Rebecca, fille de Bathuel et petite-fille de Nachor, frère d’Abraham ; elle portait sur son épaule un vase plein d’eau. C’était une jeune fille fort belle ; elle avait déjà puisé de l’eau, et elle s’en retournait. Éliézer, allant au-devant d’elle, lui demanda un peu de l’eau qu’elle emportait. Elle répondit : « Buvez, mon seigneur ; » et penchant son vase elle lui donna à boire. Elle ajouta : « Je vais aussi tirer de l’eau pour vos chameaux, jusqu’à ce qu’ils aient tous bu. »

Éliézer la laissa faire sans rien dire ; il la trouva belle et agréable. Quand tous les chameaux eurent bu, il tira d’un sac des pendants d’oreilles qui valaient chacun deux sicles, et deux bracelets qui en valaient dix chacun.

Louis. Combien cela faisait-il de notre argent ?

Grand’mère. Un sicle d’or valait vingt francs ; ainsi deux sicles faisaient quarante francs, et dix sicles en faisaient deux cents.

Henriette. Grand’mère, mais ce n’est pas bien beau pour un présent de mariée.

Grand’mère. Tu as raison pour notre temps. Mais dans ce temps-là on était plus simple et plus sage qu’aujourd’hui ; on ne dépensait pas des sommes considérables en bijoux et en choses inutiles.

Éliézer, en lui donnant ces présents, lui dit : « De qui êtes-vous la fille ? dites-le-moi, je vous prie. Y a-t-il dans la maison de votre père de la place pour me loger ?

— Je suis fille de Bathuel et petite-fille de Nachor, répondit-elle. Il y a chez nous beaucoup de paille et de foin pour vos chameaux, et beaucoup de place pour vous loger vous-même. »

Éliézer salua profondément en disant :

« Béni soit le Seigneur Dieu d’Abraham, qui m’a amené droit dans la maison du frère de mon maître. »

La fille courut à la maison de sa mère, et lui raconta ce qu’elle avait vu et entendu. Cette fille, qui s’appelait Rebecca, avait un frère nommé Laban ; il sortit tout de suite pour aller trouver l’homme qui avait donné de si beaux bijoux à sa sœur ; il le trouva encore près de la fontaine avec ses chameaux et lui dit : « Entrez, vous qui êtes béni du Seigneur ; j’ai préparé une demeure pour vous et pour vos serviteurs et vos chameaux. »

Laban fit donc entrer Éliézer dans le logis ; il déchargea les chameaux, leur donna de la paille et du foin, il fit laver les pieds d’Éliézer et de ses serviteurs, selon l’usage de l’Orient, et il lui fit servir un repas. Mais Éliézer dit qu’il ne mangerait pas avant d’avoir expliqué ce qu’il venait demander d’après l’ordre d’Abraham, son maître. Il raconta sa conversation avec Abraham et comment le Seigneur avait témoigné son approbation en lui envoyant, à lui Éliézer, la fille que désirait Abraham pour son fils Isaac. « C’est pourquoi, ajouta Éliézer, si vous avez le désir d’obliger mon maître, dites-le-moi. Si vous voulez garder votre fille, faites-le-moi savoir, afin que j’aille ailleurs chercher une fille parmi les parents de mon maître. »

Laban et son père Bathuel répondirent : « C’est Dieu qui a parlé en cette rencontre ; nous ne pouvons dire autre chose, sinon que nous agirons d’après sa volonté. Rebecca est à vous ; prenez-la et emmenez-la, afin qu’elle soit la femme d’Isaac, selon ce qu’a témoigné le Seigneur. »

Éliézer, entendant cette réponse, se prosterna contre terre pour adorer et remercier le Seigneur. Il alla chercher ensuite des vases d’or et d’argent, et de riches vêtements qu’il offrit à Rebecca. Il donna aussi de beaux présents à ses frères et à sa mère. Ils firent un festin, ils mangèrent et ils se réjouirent tous ensemble.

Le lendemain, Éliézer, s’étant levé de grand matin, demanda à Bathuel la permission de partir le jour suivant.

La mère et les frères lui répondirent : « Permettez que Rebecca reste encore dix jours avec nous.

— Je vous prie, dit Éliézer, ne me retenez pas davantage, puisque le Seigneur m’a conduit. Permettez-moi d’aller retrouver mon maître qui m’attend.

— Appelons Rebecca, dirent les parents ; sachons d’elle-même son sentiment. »

On l’appela ; elle vint tout de suite, et ses parents lui dirent : « Veux-tu aller avec cet homme ? — Je le veux bien, » répondit-elle. Ils la laissèrent donc aller avec sa nourrice qui la servait, et lui firent leurs adieux.

Valentine. Grand’mère, trouvez-vous que ce soit bien à Rebecca d’être si pressée de s’en aller ?

Grand’mère. Les filles juives n’étaient pas élevées comme le sont les nôtres ; elles exécutaient les volontés du Seigneur et elles étaient soumises à leurs parents ; Rebecca crut bien agir en ne se refusant pas au désir exprimé par l’envoyé d’Abraham, son oncle, et d’Isaac, son futur époux.

Rebecca, sa nourrice et ses servantes montèrent donc sur des chameaux, et suivirent Éliézer, qui s’en retourna en toute hâte vers son maître.

Comme ils approchaient de la demeure d’Abraham, Isaac, qui se promenait dans le chemin, les vit arriver de loin sur leurs chameaux, Rebecca aperçut aussi Isaac ; elle descendit de dessus son chameau, et elle dit à Éliézer : « Qui est cet homme qui vient au-devant de nous le long des champs ? — C’est mon maître, » répondit-il. Rebecca prit aussitôt son voile et s’en couvrit.

Marie-Thérèse. Pourquoi cela ? Elle était donc laide, puisqu’elle voulait se cacher d’Isaac ?

Grand’mère. Au contraire, Rebecca était très-belle ; mais les filles juives étaient modestes ; elles se voilaient toujours le visage devant des étrangers, et Isaac était encore un étranger pour Rebecca.

Éliézer alla au-devant d’Isaac et lui raconta ce qu’il avait fait. Alors Isaac prit Rebecca, la mena dans la tente où avait demeuré Sara sa mère, et la prit pour femme ; et il eut pour elle une si grande tendresse, qu’elle le consola de la mort de Sara.

Jacques. Je trouve la conduite d’Isaac bien peu respectueuse pour son père ; il fait tout cela sans seulement lui en parler, sans lui demander son consentement ; et Éliézer, qui avait l’air si soumis à Abraham, arrange tout cela avec Isaac comme si Abraham était déjà mort.

Grand’mère. Cher enfant, Isaac et Éliézer ne faisaient qu’exécuter en cela les volontés d’Abraham, leur seigneur ; ils ont certainement consulté Abraham, pour lequel ils avaient un grand respect. La sainte Bible ne le dit pas, parce que c’était un détail inutile, mais il est certain qu’Abraham a béni le mariage de son fils et que Rebecca lui a été présentée aussitôt après son arrivée ; c’est comme la tente de Sara dont Isaac ne se serait certainement pas emparé sans en avoir reçu l’ordre de son père.

Valentine. Il n’y avait donc pas de cérémonies pour les mariages ?

Grand’mère. Si fait, mon enfant, mais cette cérémonie était très-simple. Le Patriarche était le prêtre de la famille. Il bénissait et unissait les deux époux ; on se réjouissait en famille, on faisait un festin entre soi, et c’était fini.