La Bible d’une grand’mère/43

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L. Hachette et Cie (p. 128-133).

XLIII

JOSEPH SE FAIT RECONNAITRE PAR SES FRÈRES

(1694 ans avant J.-C.)



À la fin du repas, Joseph appela son intendant et lui dit :

« Mets dans les sacs de ces étrangers autant de blé qu’il pourra en tenir ; remets dans chaque sac l’argent que chacun d’eux a payé. Et mets aussi dans le sac du plus jeune la coupe d’argent dont je me sers à mes repas. »

L’intendant fit comme son maître lui avait ordonné, et les frères de Joseph partirent le lendemain de grand matin après avoir chargé leurs ânes. Lorsqu’ils furent sortis de la ville et qu’ils eurent fait encore un peu de chemin, Joseph appela l’intendant et lui dit : « Cours après les étrangers du pays de Chanaan ; arrête-les et dis-leur qu’ils ont fait une très-mauvaise action, qu’ils ont rendu le mal pour le bien que je leur ai fait, car ils ont volé la coupe dont je me sers pour mes repas.

Valentine. C’est très-mal ce que fait Joseph ; il sait bien que ses Frères n’ont rien volé, et il les fait arrêter comme des voleurs.

Henriette. Et puis, qu’est-ce que l’intendant doit penser de Joseph ? Il fait lui-même mettre sa coupe dans leurs sacs, et puis il dit qu’ils l’ont volée.

Grand’mère. Ce que voulait Joseph, c’était d’avoir un prétexte pour garder auprès de lui Benjamin ; il craignait toujours qu’il n’y eût chez ses frères de la jalousie contre celui que Jacob leur préférait si visiblement ; et il redoutait pour ce frère bien-aimé la cruauté de ses autres frères. Voilà pourquoi il donna à l’intendant cet ordre qui vous paraît singulier. Quant à l’intendant, il était, comme tous les Égyptiens, si habitué à respecter la sagesse et l’autorité de Joseph, qu’il ne lui vint pas dans la pensée de blâmer l’ordre qu’il recevait. D’ailleurs, comme il avait toute la confiance de son maître, il est possible que Joseph lui eût expliqué ses intentions ; ce qui le fait croire, c’est ce qu’il a dit quand la coupe fut retrouvée.

L’intendant courut donc après les frères de Joseph et, les ayant rejoints, il les arrêta et leur reprocha leur infidélité.

Les frères furent surpris et indignés de cette accusation.

« Seigneur, dit Juda, nous sommes incapables de commettre l’action honteuse dont vous nous accusez. Tenez, voici nos sacs ; fouillez-les tous ; si vous trouvez la coupe d’argent dans le sac de l’un d’entre nous, nous consentons à ce que celui-là meure et que nous restions, tous, vos esclaves.

Ils déchargèrent donc les ânes, et chacun ouvrit son sac. L’intendant les fouilla en commençant par l’aîné et finissant par Benjamin. Il trouva la coupe dans le sac de ce dernier comme cela devait être. Les dix frères restèrent consternés.

« Ne vous effrayez pas, leur dit-il. Vous êtes innocents ; je vous laisserai continuer votre route. Votre jeune frère est seul coupable ; mon maître ne le fera pas mourir, mais il le gardera toute sa vie comme son esclave. » Cette phrase prouve bien que l’intendant connaissait les intentions de Joseph à l’égard de Benjamin.

Les frères, désespérés, jurèrent qu’il n’en serait pas ainsi, qu’ils resteraient tous en esclavage plutôt que d’abandonner leur jeune frère. Ils rechargèrent leurs ânes et retournèrent à la ville avec l’intendant. Ils furent ramenés en présence de Joseph.

« Pourquoi avez-vous agi ainsi envers moi ? leur dit-il ; ne savez-vous pas que je devine les choses cachées ? »

Juda prit la parole : il raconta à Joseph ce que leur avait dit leur père quand ils avaient demandé à emmener Benjamin ; sa douleur, lorsqu’il avait reparlé de la mort de son fils Joseph, le désespoir qu’il avait témoigné en se séparant de Benjamin, le serment qu’avaient fait les dix frères de le ramener ou de mourir avec lui ; il demanda à Joseph dans les termes les plus touchants de l’accepter comme esclave à la place de son jeune frère. Enfin, il témoigna une douleur si vive, que Joseph, ne pouvant plus se contenir, fit sortir tous les gens de son service qui étaient présents, et, se voyant seul avec ses frères, il leur dit en hébreu, en versant des larmes abondantes et en poussant un cri qui fut entendu de toute sa maison :

« Je suis Joseph : mon père est-il réellement vivant ? »

Ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis. Alors Joseph leur parla avec douceur et affection. « Approchez-vous de moi, » leur dit-il.

Ils obéirent, mais avec la même frayeur. — « Je suis Joseph, votre frère, que vous avez vendu à des marchands qui m’ont revendu en Égypte. Ne craignez pas, et ne vous affligez pas de m’avoir vendu. Dieu m’a fait venir dans ce pays pour votre salut.

« Il y a déjà deux ans que la famine a commencé sur toute la terre : il en reste encore cinq à passer. Dieu m’a envoyé ici pour vous conserver la vie, et pour que vous puissiez avoir des vivres pour subsister. C’est la volonté de Dieu qui a permis tout cela, et qui m’a fait grand-maître de la maison de Pharaon et prince de toute l’Égypte.

« Hâtez-vous d’aller trouver mon père, et dites-lui que je le prie de venir tout de suite. Vous demeurerez auprès de moi dans la terre de Gessen, vous et vos enfants, vos troupeaux et vos serviteurs. Et, je vous nourrirai pendant les cinq années de famine que nous allons avoir encore,

« Annoncez à mon père la gloire dont je suis ici comblé et tout ce que vous avez vu de ma puissance. Hâtez-vous de m’amener mon père. »

Et, se jetant au cou de Benjamin, il l’embrassa à plusieurs reprises en pleurant ; et Benjamin aussi pleurait en le tenant embrassé.

Ensuite il embrassa tous ses frères et pleura sur chacun d’eux ; après quoi ils se rassurèrent et purent lui parler.

Aussitôt le bruit se répandit dans tout le palais que Joseph avait retrouvé ses frères, et on alla le dire à Pharaon, qui s’en réjouit, car il aimait Joseph.

Marie-Thérèse. Pourquoi l’aimait-il tant ?

Grand’mère. D’abord, parce qu’il voyait en Joseph une grande intelligence, beaucoup d’honnêteté et d’autres qualités très-agréables et très-utiles ; ensuite parce que Joseph, en lui expliquant ses songes et en lui donnant le sage conseil de ramasser des provisions pour les années de famine, avait fait gagner à Pharaon des sommes immenses qui le rendirent le souverain le plus riche de l’univers.

Armand. Comment cela ?

Grand’mère. C’est bien simple. Joseph lui avait fait acheter du blé et d’autres grains très-bon marché, pendant les sept années où il y en avait eu tellement, qu’on les vendait presque pour rien. Ensuite, il les faisait revendre très-cher, parce qu’il n’y en avait plus nulle part qu’en Égypte.

Pharaon, ayant appris l’arrivée des frères de Joseph, le fit venir et lui dit : « Dis à tes frères qu’ils se hâtent de retourner dans leur pays ; qu’ils disent à ton père de venir demeurer en Égypte avec ses enfants et petits-enfants et leurs familles, ses troupeaux et toutes ses richesses. Dis-leur d’emmener d’Égypte les chariots et les vivres nécessaires pour les transporter tous près de toi. Dis-leur que je donnerai à ton père et à tes frères les meilleures terres d’Égypte, que je les nourrirai abondamment, que je les rendrai riches et puissants. »

Joseph remercia le roi et donna des ordres pour exécuter la volonté de Pharaon. Ses frères partirent donc avec une suite nombreuse de chariots et des vivres jusqu’au retour. Il donna à chacun de ses frères deux robes ; il en donna cinq des plus belles à son cher Benjamin, et, de plus, trois cents grosses pièces d’argent. Il en envoya autant à son père, avec dix beaux ânes chargés de ce qu’il y avait de plus précieux en Égypte, et dix belles ânesses chargées des vivres les plus succulents.

Il renvoya donc ses frères et leur dit en partant : « Ne vous mettez pas en colère pendant le voyage. »

Petit-Louis. Pourquoi leur dit-il cela ?

Grand’mère. Parce qu’il craignait toujours pour son cher Benjamin ; il savait combien ses frères étaient jaloux et colères ; il avait peur que la préférence qu’il avait témoignée à Benjamin ne les eût mécontentés et qu’ils ne s’en vengeassent sur lui. Heureusement que rien de tout cela n’arriva, et qu’ils retournèrent chez leur père sans aucune querelle ni violence.

Jacob fut très-surpris de voir arriver ses fils magnifiquement vêtus et accompagnés de tant de chariots, d’ânes et d’esclaves. Ses fils se hâtèrent de lui expliquer les heureux événements qui venaient de se passer.

La joie de Jacob, en apprenant que Joseph vivait encore et qu’il commandait dans toute l’Égypte, fut égale à la douleur qu’il avait ressentie jadis en apprenant sa mort. Il ne pouvait croire à un si grand bonheur, et il n’en fut réellement convaincu que lorsqu’il vit les chariots d’Égypte et les présents que lui envoyait son fils.

Jeanne. Est-ce que les frères de Joseph avouèrent alors à leur père qu’ils avaient vendu leur pauvre frère ?

Grand’mère. La Bible ne le dit pas, mais il est probable qu’ils furent obligés de l’avouer, pour expliquer son retour à la vie et sa haute position en Égypte.

Henriette. Jacob a dû être furieux contre eux.

Grand’mère. Il en a certainement été très-ému, mais le bonheur d’avoir retrouvé son cher Joseph a dû le disposer à pardonner. Il n’avait plus que le vif désir de revoir ce fils bien-aimé qu’il avait tant pleuré, et il se mit en route aussitôt qu’on eut rassemblé les troupeaux et chargé les chariots.