La Bonne aventure (Sue)/6/II

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Michel Lévy Frères, libraires-éditeurs (p. 39-73).
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II

Le docteur Bonaquet est resté pendant quelques instants plongé dans ses réflexions ; il essuie ses larmes et dit à la condamnée :

— Maria, il faut que le véritable coupable soit connu, il le sera !

MARIA.

Il ne peut l’être.

BONAQUET.

Pourquoi ?

MARIA.

Mon sort ne s’accomplirait pas.

BONAQUET.

(À part) Toujours cette idée fixe et fatale ! (Haut) Maria, écoutez-moi, je vous en conjure… Dans votre interrogatoire, vous avez parlé de vos projets de vengeance contre la famille de la duchesse de Beaupertuis, sans vouloir vous expliquer sur la nature de cette vengeance.

MARIA.

C’eût été couvrir de honte la duchesse de Beaupertuis. Et d’ailleurs, cela ne m’aurait servi à rien.

BONAQUET.

— Oui, je comprends, vtre sort devait s’accomplir… Toujours cette idée fixe ! Mais comment la révélation de vos projets de vengeance eût-elle couvert de honte madame de Beaupertuis ?

MARIA.

Monsieur Bonaquet, le prince de Morsenne était l’auteur de tous mes chagrins. C’est lui qui, par sa proposition honteuse, a jeté la jalousie dans le cœur de Joseph.

BONAQUET.

je le sais, cette jalousie insensée a fait, hélas ! le malheur de sa vie et de la vôtre.

MARIA.

Un jour, poussée à bout, voulant à tout prix me venger du prince, j’ai écouté les conseils de M. Anatole : je me suis rendue dans une maison ; j’y suis restée à peine dix minutes. Là j’ai dit quelques mots à M. Anatole ; ces mots devaient faire croire au prince, qui les a entendus, que M. Anatole était mon amant.

BONAQUET.

Lui !

MARIA.

Vous ne le pensez pas, j’espère, monsieur Bonaquet. À l’heure de mourir, je ne mentirais pas.

BONAQUET.

Je vous crois, pauvre enfant ! Ainsi, cette fausse apparence, ménagée par Anatole, devait porter un coup terrible à M. de Morsenne.

MARIA.

Et il s’en est bien vengé ! Le lendemain matin, il a envoyé au magasin l’homme qui était déjà venu pour me proposer de l’argent ; il a trouvé Joseph, lui a fait croire que j’étais la maîtresse de M. Anatole. Joseph est accouru chez maman, et après quelques mots, sans vouloir m’entendre, il est tombé sans connaissance. Depuis ce temps-là, il est fou. Lorsque j’ai vu mon mari à Bicêtre, mon père et ma mère morts de chagrin, ma petite fille réduite à la misère, je n’ai plus eu qu’une pensée, me venger de l’auteur de tous mes malheurs, et, à défaut de lui, me venger sur sa fille. Une occasion s’est offerte, je l’ai saisie.

BONAQUET.

j’ai lu cela dans votre procès. Désirée, votre sœur de lait, voulait quitter le service de la duchesse ; vous étiez presque dans la misère, et vous avez demandé à votre sœur de lait de tâcher de vous présenter à sa place chez madame de Beaupertuis.

MARIA.

Mais ce que je n’ai pas dit, c’est pour quelle raison Désirée Buisson voulait quitter la duchesse. Désirée était la plus honnête fille du monde, et surtout très pieuse ; elle aimait beaucoup sa maîtresse, mais pas assez pour rester longtemps sa complice.

BONAQUET.

Sa complice ! Et comment ?

MARIA.

Voilà ce que m’a dit Désirée, aussi vrai que vous êtes là, monsieur Bonaquet : — « Depuis que le prince de Morsenne est parti pour son ambassade, madame la duchesse est venue occuper l’ancien appartement de son père au rez-de-chaussée. Comme le prince avait toujours quelques amourettes cachées, il aimait à pouvoir sortir de l’hôtel et y entrer sans être vu ; aussi, de chez lui et sous sa clef, on gagne une petite porte donnant sur la rue. Madame la duchesse m’a commandé de faire faire une double clef de cette porte : c’est par là que maintenant elle sort, le soir, quand on la croit couchée elle ne rentre bien des fois qu’au point du jour. De plus, comme madame la duchesse et moi nous sommes à peu près de la même taille, elle m’a commandé de lui faire faire, comme pour elle, des robes très simples, et de lui acheter des petits bonnets comme en portent les grisettes. Elie m’a fait enfin louer, sous mon nom, dans le haut du quartier du Luxembourg, près la barrière, un petit appartement, m’ordonnant de le meubler, avec linge, argenterie, et d’y envoyer, tous les samedis et tous les jeudis, des vins et des provisions de chez Chevet, afin d’y trouver toujours un souper froid. Madame la duchesse se perd, se dégrade ; pour rien au monde je ne la trahirais, mais pour rien au monde non plus je ne resterais à son service ; c’est pour moi un cas de conscience. Aussi, ne voulant pas lui dire pour quelle raison je la quitte, je prétexte le désir de retourner dans mon pays. »

BONAQUET, de plus en plus attentif.

Continuez, continuez.

MARIA.

En entendant Désirée me parler ainsi, monsieur Bonaquet, j’ai pensé que j’avais ma vengeance sous la main si je pouvais remplacer ma sœur de lait chez la duchesse.

BONAQUET.

Afin d’obtenir sa confiance, de devenir maîtresse de ses secrets, et de la perdre si vous vouliez ?

MARIA.

Oui, d’abord… Aussi ai-je dit à Désirée : Je n’ai pas tes scrupules ; il me reste à peine de quoi vivre pour moi et pour ma petite fille ; la place que tu quittes serait toute mon ambition. D’après la vie que mène ta maîtresse, il lui faut surtout une femme de chambre dévouée, intelligente et surtout discrète. Tu me connais, tu peux en cela répondre de moi à la duchesse. Quant au service, je m’y habituerai ; ce n’est pas d’ailleurs bien difficile ; enfin le zèle suppléera à ce qui me manque. Quatre jours après, j’étais entrée chez la duchesse comme femme de chambre.

BONAQUET.

Et votre vengeance ?…

MARIA.

Il me fallait d’abord gagner l’affection de madame de Beaupertuis ; j’y ai réussi. Avec la vie qu’elle menait, elle ne pouvait se passer d’une confidente. J’étais entrée, pour ainsi dire, chez elle en cette qualité ; mais en outre de cela, mon caractère lui a plu, et non-seulement j’ai su ce que je devais savoir, ses sorties pendant la nuit, ses déguisements, ses rendez-vous, mais elle a fini par m’ouvrir son cœur tout entier… Alors, mon pauvre monsieur Bonaquet, alors je n’ai plus eu le courage de songer à me venger, comme je le voulais d’abord.

BONAQUET.

Que dites-vous ! Et pourquoi cela ?

MARIA.

La duchesse était la plus malheureuse des créatures !

BONAQUET.

Elle ?

MARIA.

Malgré l’affreuse vie qu’elle menait, c’était quelquefois à en fendre l’âme. Elle avait adoré M. Anatole, le premier, le seul homme qu’elle eût jamais aimé. Il l’avait indignement abandonnée ; elle avait manqué mourir de chagrin, mais sa jeunesse l’avait sauvée. Alors, pour s’étourdir sur un amour qu’elle gardait malgré elle au fond du cœur, et se rappelant, m’a-t-elle dit, les indignes vices que M. Anatole lui avait donnés…

BONAQUET.

Je le sais : il lui avait vanté, pour la perdre, les infamies de certaines arandes dames de la Régence.

MARIA.

S’il voulait la perdre, il l’a perdue. Car, voyez-vous, monsieur Bonaquet, il aurait reculé lui-même devant les excès où elle se jetait avec une sorte de désespoir.

BONAQUET.

Oh ! c’est affreux !

MARIA.

La duchesse est morte, monsieur Bonaquet… et même, avec vous, je ne veux pour sa mémoire, entrer dans aucun détail là-dessus… Cela vous ferait peur… non, cela vous ferait pitié, comme cela m’a fait pitié à moi-même. Ah ! que de fois, sur les derniers temps, je l’ai vue revenir pâle, sombre, et comme ayant horreur d’elle-même. Alors, elle éclatait en sanglots, se roulait sur son lit comme une folle ; car, dans cette vie effrénée, elle n’avait trouvé que satiété, dégoût, et, par-dessus tout, honte d’elle-même, sans parvenir à oublier M. Anatole, qu’elle aimait et maudissait à la fois, en l’appelant encore avec des cris d’amour et de rage !

BONAQUET, cachant sa figure dans ses mains.

Oh ! horrible !… horrible !… et voilà ce qu’un homme peut faire de l’âme d’une femme !!

MARIA.

Alors, je vous l’ai dit, monsieur Bonaquet, le cœur m’a manqué pour me venger. Je voyais la duchesse cent fois plus malheureuse que je n’aurais pu la rendre moi-même ; de ce moment, cela ne me servait plus à rien de rester chez elle. Pourtant, avant de la quitter, j’étais décidée à lui dire : « Votre père a causé tous mes chagrins ; je suis entrée chez vous dans l’intention de vous perdre : je le pourrais, car je connais tous vos secrets ; mais, rassurez-vous, je vous vois si malheureuse, que je ne veux que vous plaindre… Voila ma vengeance. »

BONAQUET.

Et c’est à cette généreuse vengeance que Clémence Duval faisait allusion dans le billet qui été trouvé chez vous ? Pauvre enfant !

MARIA.

Oui, car le hasard m’avait rapproché de cette demoiselle ; nous nous étions liées… je vais vous dire comment, et…

BONAQUET.

Non, non, par pitié, ne me parlez pas plus d’elle que de Joseph, je vous l’ai dit, ce serait trop de douleurs à la fois, et j’ai besoin de toutes mes forces. Mais pourquoi, renonçant à votre vengeance, êtes-vous restée chez la duchesse ?

MARIA.

À cette époque, elle est tombée malade… le commencement du poison sans doute ; elle s’était tellement attachée à moi, et moi à elle, que lorsque je l’ai vue de plus en plus souffrante, j’ai remis mon départ après sa guérison, que j’espérais mais son état a empiré de jour en Jour. C’est alors que j’ai été arrêtée.

BONAQUET.

Je m’explique maintenant comment à l’audience cette malheureuse femme vous a remerciée, presque mystérieusement, de votre dévoûment, de votre fidélité, car vous pouviez la déshonorer par vos révélations ! Mais, pauvre enfant, je conçois que tant qu’elle a vécu, vous ayez, par générosité, gardé ses honteux secrets ; mais après sa mort, cette révélation pouvait vous sauver.

MARIA.

J’aurais dit cela, qu’on m’aurait répondu comme pour le prince de Morsenne : « Mensonge ! calomnie ! Voyez cette empoisonneuse ! voyez ce monstre ! Quelle audace ! elle traîne dans le ruisseau la mémoire de sa victime, qui n’est plus là pour la démentir ! »

BONAQUET.

Hélas ! c’est peut-être vrai.

MARIA.

Et puis, la déshonorer lâchement… elle qui s’était montrée pour moi si bonne ! Non, non ! jamais je n’aurais eu ce courage. Il fallait d’ailleurs que ma destinée s’accomplît ! on ne peut rien contre sa destinée ! (Elle reste pensive.)

BONAQUET, à part et avec douleur.

La voilà retombée dans son égarement d’esprit, après m’avoir parlé tout à l’heure avec tant de sens et de cœur… Oui, les médecins ont dû se dire : Elle n’est pas folle, mais elle feint parfois d’avoir l’esprit dérangé. (Avec accablement.) Ah ! plus d’espoir ! plus d’espoir !

MARIA, secouant mélancoliquement sa tête.

Oui, c’était ma destinée… tout était arrangé par le sort pour que la sorcière eût raison. Voyez plutôt, mon pauvre monsieur Bonaquet. Une nuit, pendant mon sommeil, je parle d’échafaud et de vengeance ! Le duc m’entend, va dans ma chambre et y trouve le poison ! (Mouvement de Bonaquet. Il tressaille soudain et paraît frappé d’une idée subite. Le duc trouve encore du poison dans la théière où j’avais moi-même préparé un breuvage pour la duchesse. Il fallait, bien que tout cela arrivât. Sans cela, il n’y aurait pas eu de raison pour que je sois condamnée, comme l’avait prédit la sorcière. Est-ce vrai, monsieur Bonaquet ? (Le docteur ne répond rien, se lève et marche avec agitation, comme s’il poursuivait une idée encore vague. — Maria, de plus en plus égarée, s’aperçoit à peine du mouvement de Bonaquet. Elle continue.) Oui, tout cela devait arriver. En voulez-vous une autre preuve, monsieur Bonaquet ? À l’audience, quand la duchesse est morte, mademoiselle Clémence Duval et moi, nous avons couru à elle. Nous nous sommes ainsi trouvées encore une fois toutes trois réunies, comme nous l’avions été déjà trois fois sans nous connaître : la première fois chez la sorcière, la seconde fois au bal de l’Opéra, la troisième fois chez M. Anatole, boulevard Bonne-Nouvelle. La dernière fois nous devions nous trouver réunies à la cour d’assises. La duchesse mourait empoisonnée, et la sorcière lui avait dit : Tu mourras de mort violente. Clémence Duval était sur le banc de l’infamie pour avoir tué son enfant, et la sorcière lui avait dit : Tu seras condamnée à une peine infamante. Moi, j’étais accusée d’assassinat, et la sorcière m’avait dit : Tu mourras sur l’échafaud. (Riant d’un air sinistre.) Aussi, elle s’est trouvée là pour jouir de sa bonne aventure, la sorcière ! car mademoiselle Clémence Duval et moi, au milieu du tumulte causé par la mort de la duchesse, nous avons entendu une voix nous dire : Vous voilà pour la dernière fois toutes trois réunies ; souvenez-vous de la rue Sainte Avoye ! Vous le voyez bien, monsieur Bonaquet, je ne suis pas la seule dont le sort s’accomplit comme, il a été prédit : l’on ne peut aller contre cela. Mais, monsieur Bonaquet, vous ne me dites plus rien ? Est-ce que vous êtes fâché ? Qu’avez-vous, mon Dieu ! qu’avez-vous ?

BONAQUET, jusqu’alors pensif, paraît en proie à une vive anxiété. Soudain il lève les yeux au ciel et joint les mains avec ferveur.

Oui ; plus j’y pense, plus ce soupçon, se change, pour moi en certitude ! Oui, le crime doit être là ! Maria, je vous en conjure, rassemblez vos souvenirs, écartez tout ce qui peut troubler votre raison, et répondez-moi : Croyez-vous que le secret des désordres de la duchesse ait été assez bien gardé pour que personne ne les ait soupçonnés ?

MARIA.

Jamais, à l’hôtel, personne ne s’est douté de rien. Nos précautions étaient trop bien prises.

BONAQUET.

Cherchez bien. Aucune circonstance ne vous ferait-elle supposer, par exemple, que le duc ait eu quelque doute sur la conduite de sa femme ?


MARIA.

Non ; il vivait séparé de la duchesse et ne la voyait qu’aux repas. Cependant je me rappelle… Mais non, qu’est-ce que cela fait ?

BONAQUET.

Tout fait, tout est important ! Au nom du ciel, dites, dites, qu’avez-vous remarqué ?

MARIA.

Jamais le duc n’avait suivi sa femme dans le monde. Mais, quelque temps avant mon entrée à l’hôtel de Morsenne, j’ai su par Désirée que lorsque la duchesse allait au bal, ce qui lui arrivait alors très-rarement, car elle préférait sortir le soir déguisée, son mari, contre son habitude d’autrefois, l’accompagnait toujours.

BONAQUET.

Ainsi, il n’aurait commencé à accompagner sa femme au bal qu’à peu près à l’époque où elle a commencé à se livrer à ses désordres ?

MARIA.

Oui… d’après ce que m’a dit Désirée.

BONAQUET.

Et la duchesse, dans ses confidences, ne vous a pas paru étonnée de ce changement de conduite de la part de son mari ?

MARIA.

Je ne me souviens pas… Pourtant si… je me rappelle que la duchesse m’a dit une ou deux fois : « Je ne sais quelle fantaisie a pris depuis quelque temps à M. de Beaupertuis de venir avec moi dans le monde, où je vais maintenant si peu. Ses yeux ne me quittent pas, on dirait qu’il espionne mes regards ; »

BONAQUET.

Et le caractère du duc, quel était-il avant cette époque ? A-t-il changé depuis quelque temps ?

MARIA.

Non, il était toujours le même, très doux pour tout le monde, très bon homme enfin, et ne s’occupant que des insectes, dont il faisait collection.

BONAQUET.

Et rien, rien, encore une fois, ne peut vous faire penser que le duc ait soupçonné la conduite de sa femme ? Je vous en conjure, interrogez bien vos souvenirs.

MARIA.

Non, je ne me rappelle rien.

BONAQUET.

Mon Dieu ! mon Dieu ! rien !

MARIA.

Ce n’est pas ma faute ! Depuis quelque temps, j’ai la tête si faible ; et puis, je fais justement tout mon possible pour ne pas me souvenir.

BONAQUET.

Par pitié, cherchez encore !

MARIA.

Pourquoi ? à quoi bon ?

BONAQUET.

Cherchez toujours !

MARIA, portant la main à son front.

Attendez ! oui, une fois la duchesse m’a dit : « Je n’aurais jamais cru qu’avec sa figure si ridicule, M. de Beaupertuis pût faire peur à quelqu’un : il m’a fait peur. »

BONAQUET, tressaillant.

Achevez ! oh ! achevez !

MARIA.

« Tantôt » — a continué la duchesse, — « j’étais à ma toilette, assise devant ma glace, M. de Beaupertuis, contre son habitude, est entré chez moi, le matin, pour me demander si j’étais toujours décidée à aller le soir au bal. Je lui ai dit que non, ayant changé d’avis à cause du rendez-vous que tu sais, petite (la duchesse m’appelait ainsi). M. de Beaupertuis me répond avec sa douceur et sa soumission accoutumées : — Très bien ! très bien ! ma chère amie. — Seulement, comme il oubliait que dans ma glace je voyais sa figure, cette figure, ordinairement si débonnaire, a pris tout à-coup une expression si hideuse, je dirais presque si féroce. que j’ai eu peur ; et malgré moi, je me suis vivement retournée vers mon mari ; mais lui, ne paraissant pas du tout surpris, a continué de me faire sa vilaine figure, comme s’il eût voulu plaisanter, et il m’a dit : — Fi ! fi ! la méchante femme, qui ne veut pas aller au bal ce soir, moi qui me faisais une joie de l’y accompagner ! »

BONAQUET, bondissant sur la chaise.

Maria, ce fait, vous me l’assurez ! vous vous le rappelez dans tous ses détails !

MARIA.

Certainement, mais qu’avez-vous ?

BONAQUET, d’une voix palpitante.

Lorsque la duchesse est tombée malade, le duc s’est montré désolé, plein de soins pour elle ?

MARIA.

Oui, il a voulu la veiller en même temps que moi, être toujours là. Cela ennuyait la duchesse, mais son mari pleurait tant, il était si malheureux de la voir souffrir qu’elle n’avait pas le courage de le renvoyer.

BONAQUET.

Et cette nuit dans laquelle, en rêvant, vous avez parié d’échafaud, de vengeance, le duc était seul avec vous dans la chambre de sa femme ?

MARIA.

Oui, seul.

BONAQUET.

Et c’est lui qui a trouvé le poison dans votre commode ?

MARIA.

C’est lui.

BONAQUET, avec ivresse.

Merci, mon Dieu, merci ! tu m’as entendu ! (Courant au guichet et y frappant à coups redoublés.) Ouvrez ! ouvrez !

MARIA.

Monsieur Bonaquet, vous me quittez !

BONAQUET, frappant toujours au guichet.

Ouvrez ! ouvrez donc !

LE GEÔLIER, entrant et bas au docteur.

Pardon, monsieur, je recevais M. l’exécuteur, et j’allais venir vous prévenir, car il est sept heures un quart.

BONAQUET, stupéfiat.

Que dit cet homme ?

LE GEÔLIER, bas.

Je dis qu’il est sept heures un quart, et c’est pour huit heures très précises. Je viens chercher la pauvre dame pour la toilette.

BONAQUET, avec épouvante.

Mon Dieu ! trop tard !… Ma tête se perd ! Non !… Heureusement le magistrat est là. (Au geôlier.) Le directeur ? Conduisez-moi chez lui à l’instant. (À Maria.) Courage, espoir, attendez ! (Il sort éperdu.)

MARIA, le regardant s’en aller.

Il n’a pas la force de rester pour me dire adieu. Pauvre M. Bonaquet ! je comprends cela.

LE GEÔLIER

Ma chère dame, voulez-vous venir avec moi ?

MARIA, frissonnant.

Ah !… déjà !

LE GEÔLIER

Non, ma petite dame… non, ma parole d’honneur… Je vous le dirai franchement… C’est, (Avec embarras.) c’est tout

. bonnement pour une petite formalité. Venez.

MARIA.

Allons ! (Elle sort avec le geôlier.)