La Bouche (Gilkin)

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La NuitLibrairie Fischbacher (Collection des poètes français de l’étranger) (p. 122-124).
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LA BOUCHE



Dans ton visage à peine rose
Ta bouche, en son éclat vermeil,
C’est dans le ciel blanc de nivôse
Le corail d’un rouge soleil.

Bouche de pourpre et d’écarlate,
De quel rubis éblouissant,
De quel grenat, de quelle agate
Sont faites tes splendeurs de sang ?

Quelles palettes cramoisies
Ont jeté sur tes lobes fins
Leurs rubescentes fantaisies
De vermillons et de carmins ?

Vase rare, empli d’aromates,
Où le musc, le poivre, l’encens,
Le piment rouge et les tomates
Embaument et brûlent les sens ;

Corbeille choisie, où les fraises,
Les framboises d’un rose obscur
Mêlent à la couleur des braises
La fine odeur du fruit trop mûr ;

Fier bouquet de fleurs somnolentes,
Où l’opium des lourds pavots
Au matin des nuits turbulentes
Pâme les cœurs et les cerveaux ;

Verre, où les vins pleins de prodiges
— Chambertin, Hermitage, Nuits —
Aroment leurs rouges vertiges,
Endormeurs des cuisants ennuis ;

Tes parfums lourds, tes senteurs fortes
Rappellent aux combats d’amour
Les nerfs cassés et les chairs mortes,
Comme un mâle bruit de tambour.

Dans notre alcôve, où le cinabre
Qui rougit le pesant rideau,
Met, comme du sang sur un sabre,
Sur les draps une ombre ponceau,
 
Bouche, aux vices profonds savante,
Nourris, sans jamais t’apaiser,
De ma chair nerveuse et fervente
Les ventouses de ton baiser !