La Bruyère dans la maison de Condé/I/I

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LA BRUYÈRE

DANS

LA MAISON DE CONDÉ.



CHAPITRE PREMIER.
Origine de la Bruyère. — Rôle de son trisaïeul Jehan et de son bisaïeul Mathias dans la sainte Union à Paris, sous Henri III et Henri IV. — Ils meurent en exil. — Son grand-père Guillaume est un prodigue qui achève la ruine de sa famille. — Son père Louis est un modeste contrôleur des rentes de l’hôtel de ville. — Son oncle Jean est son parrain et protège sa famille après la mort du père. — Enfance et jeunesse de l’écrivain. — Il apprend les langues mortes et vivantes. — Son éducation à l’Oratoire ; ses études de droit ; il passe ses thèses à Orléans. — Il cherche sa vocation à l’Église, où il étudie l’art de prêcher, et au barreau, où il voudrait exercer le métier d’avocat. — Il y renonce. — Il se dégoûte du droit, qui l’avait d’abord attiré. — Il méprise enfin la médecine, dont il ne voit pas l’utilité. — Il n’estime que la sagesse, et tout son travail consiste à méditer, parler, lire et être tranquille

Le nom de la Bruyère, comme celui de du Bois, du Pré, des Champs, etc., était commun en France, mais il pouvait devenir à volonté un nom de gentilhomme. Notre auteur le savait bien : il signait Delabruyère en un seul mot ; mais dans la maison de Condé on écrivait, de la Bruyère en trois mots. Il finira par écrire son nom avec cette orthographe nobiliaire ; du moins on peut le voir[1] dans sa lettre à Phélypeaux, comte de Pontchartrain, qui est exposée à la Bibliothèque nationale. Il avait ses raisons pour agir ainsi : « Je le déclare formellement, dit-il[2], afin que l’on s’y prépare et que personne n’en soit surpris, si jamais un grand me trouve digne de ses soins, si je fais une belle fortune, il y a un Geoffroy de la Bruyère que toutes les chroniques rangent au nombre des plus grands seigneurs de France qui suivirent Godefroy de Bouillon à la conquête de la Terre-Sainte : voilà de qui je descends en ligne directe. » On a voulu prendre cette plaisanterie au sérieux. Les uns, par haine pour le moraliste, ont vu là une simple gasconnade, ou la vanité ridicule d’un gentilhomme à louer, qui met enseigne sur sa noblesse pour faire payer ses services par le prince de Condé et qui bat monnaie avec la gloire de ses ancêtres. Le chartreux Bonaventure d’Argonne[3] est l’auteur de cette brillante hypothèse. D’autres, par respect pour le grand écrivain, ont cherché dans toutes les chroniques ce fameux Geoffroy de la Bruyère, l’un des plus grands seigneurs de France, qui prit part à la première croisade et à la prise de Jérusalem sous la conduite de Godefroy de Bouillon. Mais le plus ancien Geoffroy de la Bruyère qu’ils aient pu trouver[4] mourut en 1191, au siège de Saint-Jean d’Acre, près d’un siècle après Godefroy de Bouillon. Il est difficile d’admettre que notre auteur pensât sérieusement à se faire un ancêtre d’un croisé fabuleux : l’origine de sa famille n’était que trop connue au dix-septième siècle. Le nom des la Bruyère revient à chaque instant dans les mémoires de la Ligue. La maison de Condé ne faisait pas grand cas de cette noblesse révolutionnaire. Le premier ancêtre des la Bruyère était-il apothicaire, parfumeur ou droguiste ? C’est le seul point sur lequel de Thon[5], qui n’hésite pas à lui prêter un très vilain caractère, n’ait pas voulu se prononcer. Qu’importe ;  ? « Il y a peu de familles dans le monde[6], répondait notre auteur, qui ne touchent aux plus grands princes par une extrémité, et par l’autre au simple peuple. »

Apothicaire, parfumeur et droguiste, rue Saint-Denys devant le grand Châtelet, Jehan de la Bruière (sic) était, au seizième siècle, un riche bourgeois qui faisait bien ses affaires. Les denrées coloniales n’étaient pas communes alors : il fallait les faire venir de bien loin et à grands frais ; les médicaments se vendaient fort cher, les épices et les parfums de l’Orient exigeaient des marchands une mise de fonds considérable. Aussi la maison de la rue Saint-Denys supporta, en 1571[7], une taxe extraordinaire de 160 livres qui nous montre toute l’importance de son commerce. Les marchands voisins, rue Saint-Denys et aux environs, épiciers, bonnetiers, chapeliers, payèrent de 10 à 15 livres ; les marchands de soie, de 20 à 50 livres ; le célèbre potier Bernard Palissy, rue Saint-Honoré, 5 livres ; un apothicaire de la rue Sans-Chef, 12 livres ; un médecin, 20 livres ; des procureurs et des notaires, de 15 à 20 livres ; des conseillers au parlement 80 livres. Il faut arriver aux taxes les plus élevées pour atteindre ou dépasser les 160 livres du trisaïeul de notre auteur. Il y avait peut-être aussi surtaxe par malice et sans cause : ce dont Jehan de la Bruyère garda bonne mémoire. Toutefois il possédait trois domaines en Vendômois : Romeau, la Georgetière et les petites Noues sur les paroisses de Choue et de Souday, près de Mondoublean. Enfin il avait une terre et seigneurie située à Plailly dans le bailliage de Senlis, qu’on appelait le Fief royal. Avec une telle fortune, il put acheter à son fils Mathias de la Bruyère, avocat du roi en la cour des aides, un office de lieutenant particulier de la prévôté de Paris. Il lui fît faire un assez brillant mariage avec la fille de François Aubert, seigneur d’Aventon, et maire de Poitiers. La jeune femme apportait en dot 14,000 livres, et le jeune homme 12,000 livres avec la terre du bailliage de Senlis. Jehan de la Bruyère était content de donner à son fils le Fief royal. C’étaient donc de gros personnages que MM. de la Bruyère père et fils. En 1576, ils furent de ceux qui fondèrent la sainte Union à Paris, en haine des protestants, et pour empêcher les Bourbons de parvenir au trône. Le père se jeta à corps perdu au milieu des agitations populaires ; il fut membre du conseil des Seize et surnommé[8] par les royalistes, en souvenir de sa profession, le sire Safranier de la Ligue. Le fils devint lieutenant civil après la journée des Barricades, et fut en 1589 l’un des 24 élus de la bourgeoisie de Paris, qui prirent place dans l’assemblée générale de l’Union[9] pour diriger les affaires du royaume sous la présidence du duc de Mayenne. Il y mit plus de discrétion que son père ; mais tous les deux servirent la même cause de tout leur pouvoir et avec l’autorité que leur donnaient d’importantes fonctions. Tous les deux furent accusés de tiédeur et de trahison par les plus fougueux ligueurs ; tous les deux furent accusés plus justement par les politiques d’avoir pris part[10] à la journée du 15 novembre 1591, où furent pendus le premier président du parlement Bresson, le plus ancien conseiller de la grand’chambre Larcher, et Tardif, conseiller au Châtelet. Quand le duc de Mayenne brisa la puissance des Seize, les deux la Bruyère coururent de grands dangers[11]. Le lieutenant civil faillit être pris et étranglé. Guillaume du Vair, alors conseiller au parlement, se vanta de lui avoir sauvé la vie. Lorsque Henri IV entra dans Paris, 30 mars 1594, les la Bruyère furent exilés et leurs biens confisqués. Ils se retirèrent en terres espagnoles à Anvers dans les Pays-Bas.

Le roi Henri IV offrit à ceux qu’il exilait de les maintenir dans leurs terres et offices, s’ils voulaient lui prêter serment de fidélité. Les la Bruyère refusèrent. Ils supposaient sans doute que le nouvel établissement politique en France ne durerait pas. « Quand le peuple est en mouvement[12], on ne comprend pas comment le calme peut y rentrer. » Cependant, sous le règne réparateur du Béarnais, la France se relevait de ses ruines. Ce Bourbon jadis détesté des Français, et à qui les ligueurs croyaient avoir fermé à tout jamais le chemin du trône, maintenant victorieux de tous ses ennemis et adoré de ses sujets, finit par établir dans ses États le bon ordre et la tranquillité. Le peuple était devenu si paisible[13] qu’on ne voyait plus comment le calme pourrait en sortir. Le vieux Jehan de la Bruyère ne survécut pas longtemps, je suppose, à la ruine de son parti. Mathias de la Bruyère vieillit en exil. Il méditait le chapitre xviii de saint Luc, où se trouvent ces paroles : « Vous voyez, Seigneur, que nous avons tout quitté et que nous vous avons suivi ; » le Christ déclare que personne ne quittera pour le royaume de Dieu sa maison ou son père, ou sa mère ou ses frères, ou sa femme ou ses enfants, sans recevoir en ce monde-ci beaucoup d’avantage et dans le siècle à venir la vie éternelle. Tandis que, dans son affliction et volontaire exil, le vieux ligueur réfléchissait sur les effets de la sapience et miséricorde infinie, il employa une partie des loisirs qu’il avait plu à la bonté de Dieu de lui donner, à traiter un sujet qu’il regardait comme une inspiration du ciel : il prit plaisir à composer un livre intitulé le Rosaire de la Bienheureuse Vierge Marie[14]. Nous ignorons où et quand mourut Mathias de la Bruyère : seulement nous savons que son arrière-petit-fils, qui respecta toujours les sentiments de la piété, n’approuva jamais l’esprit de parti[15], parce qu’il rabaisse les plus grands caractères, empêche de voir la vérité et retarde le progrès des arts et des sciences.

Pendant ce temps-là Guillaume de la Bruyère ne se vantait pas d’être fils de Mathias de la Bruyère : il l’était pourtant. Secrétaire ordinaire de l’évêque de Paris, il rentra en partie dans les biens de sa famille. Il avait par contrat (1601), devant le notaire Barbereau, épousé Diane de la Mare, qui lui avait apporté quelque fortune en mariage. Elle le rendit père de nombreux enfants. — « Le mariage, qui devrait être à l’homme une source de tous les biens[16], lui est souvent par la disposition de la fortune un lourd fardeau sous lequel il succombe. C’est alors qu’une femme et des enfants sont une violente tentation à la fraude, au mensonge et aux gains illicites. On se trouve entre la friponnerie et l’indigence, étrange situation ! » — Guillaume de la Bruyère se trouva engagé dans plusieurs instances judiciaires où il ne fut pas heureux. Il n’en eut grand souci. Cependant il conserva au moins la terre de Romeau dans le Vendômois : nous la retrouvons plus tard dans l’héritage de l’un de ses enfants. Mais il géra mal ses biens. Ses amis menaient auprès de lui une vie agréable ; sa femme et ses enfants se plaignaient. On disait dans sa famille : « Il fait bon vivre[17] avec celui qui ne se sert pas de son bien à marier ses filles, à payer ses dettes, à faire des contrats, pourvu qu’on ne soit ni ses enfants ni sa femme. » Il fallut mettre un terme à cette belle existence qui durait depuis trop longtemps. Mme de la Bruyère présenta requête au juge ordinaire pour obtenir la séparation de biens. Nous savons comment les choses se passaient alors[18]. La femme exposait les faits de dissipation et de mauvais ménage sur lesquels était fondée sa demande en séparation. Sur cette requête on mettait : « Permis de faire assigner et à cette fin la femme autorisée. » Ensuite de quoi le mari ayant comparu, le juge invitait la femme à faire la preuve des faits qu’elle avançait, et l’on suivait une procédure assez semblable à celle qui était d’usage pour interdire un prodigue. La preuve étant faite, on plaidait comme en toute autre instance ; et si la demande était trouvée juste, on ordonnait que la femme fût séparée de son mari, on l’autorisait à administrer elle-même ses biens et l’on condamnait le mari à lui restituer sa dot et ses autres conventions, hormis le douaire, au lieu duquel on donnait à la femme une pension qui était ordinairement estimée à la moitié. En exécution de la sentence, la femme faisait faire inventaire des biens de la communauté, et pouvait se pourvoir pour ses conventions par toute voie de saisie sur tous les biens du mari. Ce fut le 2 juillet 1636 que Diane de la Mare[19] fut séparée de biens de Guillaume de la Bruyère. Cela n’empêcha pas le mari d’acquérir vers 1643 la charge de secrétaire ordinaire de la chambre du roi. Mais il n’en fut guère plus riche : car ses enfants n’acceptèrent sa succession que douze ans après sa mort. Le souvenir de ces événements demeura longtemps dans cette famille. Le petit-fils de Guillaume de la Bruyère semble y faire allusion quand il dit[20] : « Il n’y a qu’une affliction qui dure, c’est celle qui nous vient de la perte de nos biens : le temps qui adoucit toutes les autres aigrit celle-ci ; nous sentons à tous moments, pendant le cours de notre vie, que le bien que nous avons perdu nous manque. »

Il ne restait plus de Guillaume de la Bruyère que trois enfants : 1o Louis, né vers 1610, qui fut contrôleur des rentes assignées sur l’hôtel de ville de Paris, et qui épousa, le 25 juillet 1644, Élisabeth Hamonyn ; 2o Jean, né en 1617, et qui ne se maria jamais ; 3o Louise, mariée en 1652 à Martin de la Guyottière, chirurgien ordinaire du duc d’Anjou. Les enfants de Guillaume de la Bruyère eurent chacun une dot de 6,000 livres. Élisabeth Hamonyn, qu’épousa Louis, eut de son côté aussi une dot de 6,000 ls. Sa mère, veuve depuis treize ans, eut beaucoup de peine à lui constituer cette modeste dot. Elle était d’une bonne famille bourgeoise composée de marchands et de magistrats. Ainsi un capital de 12,000 ls et le revenu de la charge de contrôleur des rentes de l’hôtel de ville, voilà toute la fortune de ce ménage bien assorti qui vivait dans la Cité, près Notre-Dame. Il en naquit huit enfants, dont cinq garçons. L’aîné de tous eut pour parrain son oncle Jean de la Bruyère, qui lui donna son nom. Ce fut l’auteur des Caractères : il fut baptisé le 17 août 1645, à la paroisse Saint-Christophe.

La famille de la Bruyère, trop connue sous la Ligue, tombe dans un complet oubli sous la Fronde. L’esprit frondeur ne lui manquait pas, mais la Fronde était plutôt une révolution aristocratique que populaire. Notre auteur a toujours montré un profond respect pour Richelieu[21], dont le grand dessein avait été d’affermir l’autorité du prince par l’abaissement des grands. Il n’a jamais nommé Mazarin. On dit que Mazarin se faisait si longtemps prier, qu’il donnait si sèchement, et chargeait une grâce qu’on lui arrachait de conditions si désagréables, qu’une plus grande grâce était d’obtenir de lui l’avantage de ne rien recevoir[22]. Je suppose que la famille la Bruyère obtint cette dernière faveur du ministre italien qui gouverna la France pendant la minorité de Louis XIV. Ces bourgeois de Paris avaient conscience de leur valeur personnelle[23]. « Il suffit, dit notre auteur, de n’être point né dans une ville, mais sous une chaumière dans la campagne, ou sous une ruine qui trempe dans un marécage et qu’on appelle château, pour être cru noble sur sa parole. » Lui, il était né à Paris, à l’ombre des tours de Notre-Dame et près de la Sainte-Chapelle. On dirait qu’il se souvient de ce voisinage[24] lorsqu’il nous parle du « bruit des cloches qui éveille les chantres et les enfants de chœur pendant la nuit, et dont la mélodie endort les chanoines et les berce de doux rêves jusqu’à ce que, tard dans la matinée, ils viennent à l’église réclamer le prix d’avoir bien dormi. » Mais il avait seulement 5 ans quand ses parents, en 1650, allèrent se loger sur la paroisse Saint-Merry. Deux ans plus tard, ils allèrent rue Grenier-Saint-Lazare, ou ils demeurèrent longtemps.

La Bruyère reçut une éducation religieuse. De son temps on n’en connaissait point d’autre. Alors l’idée de Dieu semblait si naturelle qu’on ne pouvait s’en passer[25]. « Je sens qu’il y a un Dieu, dit-il, et je ne sens pas qu’il n’y en ait point : cela suffit ; tout le raisonnement du monde m’est inutile, je conclus que Dieu existe. Cette conclusion est dans ma nature ; j’en ai reçu les principes trop aisément dans mon enfance, et je les ai conservés depuis trop naturellement, dans un âge plus avancé, pour les soupçonner de fausseté. — Mais il y a des esprits qui se défont de ces principes. — C’est une grande question s’il s’en est trouvé de tels : et quand il serait ainsi, cela prouverait seulement qu’il y a des monstres. » La violence de cette expression trahit la sincérité de sa foi.

On lui enseigna encore autre chose que les principes de la religion. Il paraît qu’il apprit de bonne heure le latin, le grec, l’allemand, l’espagnol, l’italien. « Les langues, dit-il[26], sont la clef ou l’entrée des sciences et rien davantage : le mépris des unes tombe sur les autres. » Mais cinq langues ! on dira peut-être que c’est beaucoup. Il affirme que l’on ne peut guère charger l’enfance de la connaissance de trop de langues. « Si, dit-il[27], l’on remet cette étude si pénible à un âge plus avancé, et qu’on appelle la jeunesse, ou l’on n’a pas la force de l’embrasser par choix, ou l’on n’a pas celle d’y persévérer ; et si l’on y persévère, c’est consacrer à l’étude des langues le même temps qui est consacré à l’usage que l’on en doit faire. » La Bruyère apprit donc les langues dans son enfance, avant ce qu’on appelle la jeunesse.

Il y mit du temps, mais il avait une certaine facilité pour cette étude. L’enfance a le don des langues. Alors tout s’imprime dans l’âme naturellement et profondément ; la mémoire est neuve, prompte et fidèle, l’esprit et le cœur sont encore vides de passions, de soins et de désirs, et l’on est déterminé à de longs travaux par les maîtres qui nous gouvernent. « Je suis persuadé, dit-il[28], que le petit nombre d’habiles ou le grand nombre de gens superficiels vient de l’oubli de cette pratique. »

Il ne se mettait pas au rang des gens superficiels. Ses amis[29] remarquaient dans ses conversations particulières, quand l’occasion s’en présentait, qu’il savait les langues mortes et vivantes, et qu’il n’était étranger à aucun genre d’érudition. Il devait donc savoir gré aux hommes qui avaient gouverné son enfance de lui avoir appris les langues[30], qui sont la clef des sciences, d’avoir mis leur application à l’en instruire[31], de lui avoir ainsi ouvert l’entrée d’une profonde et agréable érudition. Mais quels étaient ces hommes ? Il ne l’a jamais dit.

Les oratoriens le réclamaient comme un des leurs[32] : des mémoires particuliers, que l’on conservait dans leur bibliothèque, marquaient qu’il avait été de l’Oratoire. On possède encore les listes des prêtres de l’Oratoire et de tous ceux qui furent admis aux exercices de piété de la maison de Paris : ainsi on trouve le nom de Jean de la Fontaine parmi les jeunes gens du séminaire de Saint-Magloire[33] ; mais on ne trouve nulle part le nom de Jean de la Bruyère. Il est possible que la Bruyère fût simplement élève dans une maison de l’Oratoire : car les listes que nous avons ne donnent pas les noms des élèves. On peut donc accorder aux oratoriens l’honneur d’avoir fait l’éducation de la Bruyère. Du moins jusqu’ici personne n’a pu le leur disputer. C’est pour cela peut-être que certains écrivains[34] ont cru que la Bruyère avait été quelque temps ecclésiastique. En effet, chez les oratoriens on respirait, selon Bossuet[35], l’air le plus pur de la discipline cléricale. M. de Bérulle n’avait voulu donner à l’Oratoire d’autre esprit que l’esprit de l’Église, ni d’autres règles que ses canons, ni d’autres supérieurs que ses évêques, ni d’autres biens que sa charité, ni d’autres vœux que ceux du baptême et du sacerdoce. L’Oratoire avait pour but la perfection chrétienne et sacerdotale. L’éducation que les oratoriens donnaient aux enfants devait les préparer à cette profession sublime où une sainte liberté fait un saint engagement, où l’on obéit sans dépendre, où l’on gouverne sans commander, où toute l’autorité est dans la douceur, et le respect s’entretient sans le secours de la crainte. « La charité, qui bannit la crainte, fait, dit Bossuet, un si grand miracle ; et, sans autre secours qu’elle-même, elle sait non seulement captiver, mais encore anéantir la volonté propre. » Assurément la charité des oratoriens ne fit point ce miracle dans l’âme de la Bruyère. La manière dont il s’est conduit pendant le reste de sa vie prouve qu’il n’était guère capable de s’élever à une si haute perfection. On pouvait captiver son affection, mais il fut toujours difficile d’anéantir sa volonté propre.

Il était dans sa vingtième année lorsque, le 3 juin 1665, il présenta à messieurs les docteurs de l’université d’Orléans[36] ses thèses imprimées de Tutelis et Donationibus pour les soutenir dans les écoles de droit et avoir son degré de licencié es deux droits[37]. Charles Perrault a gaiement raconté dans ses mémoires le voyage qu’il fit à Orléans pour prendre sa licence ; la Bruyère n’était pas si gai dans cette circonstance. Il était même fort troublé quand il écrivit sa requête sur le registre des suppliques de l’université d’Orléans. On le voit bien à son écriture et aux inexactitudes de la rédaction. Quelques heures après, quand il eut passé son examen et pris ses licences par acte public, il était plus maître de lui-même ; toutefois on remarque encore une distraction sur le registre où il consigna son succès. Peu importe ; il avait ses degrés : la carrière du barreau s’ouvrait devant lui ; il peut devenir avocat au parlement de Paris.

Mais pourquoi donc la Bruyère était-il si fort troublé en présentant ses thèses devant messieurs les docteurs de l’université d’Orléans ? D’abord l’université d’Orléans, avec celle de Poitiers[38], pouvait seule à cette époque enseigner le droit civil ; ensuite la Bruyère avait peut-être, en apprenant le droit, suivi une autre méthode que celle qu’il croyait suivie à Orléans ; enfin les écoles de droit étaient alors mal tenues et mal organisées. Des années entières[39] se passaient à expliquer un ou deux titres du Digeste ; en sorte qu’il eût fallu un siècle pour expliquer tous les titres des cinquante livres, et d’autres siècles pour le Code et pour les Novelles. Tout cela n’était encore que le droit romain, où il fallait ajouter la connaissance « de nos coutumes, de nos ordonnances et de notre procédure »[40]. C’est pourquoi, faute d’entendre les textes, on s’en rapportait aux sommaires et aux gloses de ceux qui passaient pour les mieux entendre, et toute la jurisprudence, réduite en disputes d’école, se bornait aux opinions de docteurs qui n’y cherchaient pas d’autre utilité que celle de gagner de l’argent ou de la réputation. On appelait glose d’Orléans celle qui fait périr le texte sous le poids des commentaires. De là le proverbe : Glose d’Orléans, plus obscure que le texte. Cujas et les grands jurisconsultes du seizième siècle avaient détruit cette routine scolastique ; mais les écoles de droit avaient elles-mêmes été détruites par les guerres civiles et religieuses ; et lorsqu’elles s’étaient relevées, les abus de la routine s’étaient relevés avec elles. Racine s’en moque[41] dans la comédie des Plaideurs. Alors il y avait à Paris des hommes de sens et d’expérience qui s’étaient dégagés des entraves de la scolastique et avaient repris la méthode de Cujas : s’attacher au droit romain comme étant le fond de la science du palais, lire toujours les textes et les ouvrages originaux sans se perdre dans le fatras des commentaires, rapprocher les textes les uns des autres pour en dégager les principes et leurs conséquences[42], telle était la méthode de MM. Halley, Vautier et de Gaumont pour mettre les lois civiles dans leur ordre naturel et rétablir la raison dans la jurisprudence. C’est ce que fera Domat quelques années plus tard. Cette méthode était publiquement enseignée à Orléans[43]. Un condisciple de la Bruyère, Vincent Flaccius de Hambourg, l’atteste de la manière la plus formelle. Mais on comprend que la Bruyère, qui avait étudié le droit à Paris, arrivât avec quelques préventions contre messieurs de l’université d’Orléans, et redoutât la sévérité de ses juges en passant ses examens de licence.

Son succès l’affermit dans son estime pour la méthode qu’il avait adoptée. Il reconnut qu’elle était excellente pour tout genre d’érudition : et fort de son expérience, il répétera plus tard et même publiera les conseils qu’il avait reçus et dont il avait profité. « L’étude des textes[44] ne peut jamais être assez recommandée, c’est le chemin le plus court, le plus sûr et le plus agréable pour tout genre d’érudition. Ayez les choses de première main ; puisez à la source ; maniez, remaniez le texte ; apprenez-le de mémoire ; citez-le dans les occasions ; songez surtout à en pénétrer le sens dans toute son étendue et dans ses circonstances ; conciliez un auteur original, ajustez ses principes, tirez vous-même les conclusions. Les premiers commentateurs se sont trouvés dans le cas où je désire que vous soyez : n’empruntez leurs lumières et ne suivez leurs vues qu’où les vôtres seraient trop courtes ; leurs explications ne sont pas à vous, et peuvent aisément vous échapper ; vos observations au contraire naissent de votre esprit et y demeurent : vous les retrouvez plus ordinairement dans la conversation, dans la consultation et dans la dispute. Ayez le plaisir de voir que vous n’êtes arrêté dans la lecture que par les difficultés qui sont invincibles, où les commentateurs et les scoliastes eux-mêmes demeurent court, si fertiles d’ailleurs, si abondants et si chargés d’une vaine et fastueuse érudition dans les endroits clairs, et qui ne font de peine ni à eux ni aux autres. Achevez ainsi de vous convaincre par cette méthode d’étudier, que c’est la paresse des hommes qui a encouragé le pédantisme à grossir plutôt qu’à enrichir les bibliothèques, à faire périr le texte sous le poids des commentaires, et qu’elle a agi en cela contre soi-même et contre ses plus chers intérêts en multipliant les lectures, les recherches et le travail qu’elles cherchent à éviter. »

La pratique des affaires[45] sert plus encore que les livres à former le jugement et à développer le bon sens, qui est le maître de la vie humaine. En faisant son stage pour devenir avocat au parlement de Paris, la Bruyère recueillit, je suppose, quelques observations ; en voici qui sont bien dans le goût de la basoche de ce temps-là :

« Dîne bien, Cléarque, soupe le soir, mets du bois au feu, achète un manteau, tapisse ta chambre[46] : tu n’aimes point ton héritier, tu ne le connais point, tu n’en as point. »

« Jeune, on conserve pour sa vieillesse ; vieux, on épargne pour la mort[47]. L’héritier prodigue paye de superbes funérailles, et dévore le reste. »

« L’avare dépense plus mort en un seul jour, qu’il ne faisait vivant en dix années[48] ; et son héritier plus en dix mois, qu’il n’a su faire lui-même en toute sa vie. »

« Ce que l’on prodigue, on l’ôte à son héritier[49] ; ce que l’on épargne sordidement, on se l’ôte à soi-même. Le milieu est justice pour soi et pour les autres. »

« Les enfants peut-être seraient plus chers à leurs pères, et réciproquement les pères à leurs enfants, sans le titre d’héritiers[50]. »

« Triste condition de l’homme et qui dégoûte de la vie ! Il faut suer, veiller, fléchir, dépendre, pour avoir un peu de fortune, ou la devoir à l’agonie de nos proches[51]. Celui qui s’empêche de souhaiter que son père y passe bientôt, est homme de bien. »

Le père de notre auteur, Louis de la Bruyère, mourut à Paris, le 7 septembre 1666, rue du Grenier-Saint-Lazare[52]. Il fut inhumé deux jours après, « en l’église, où un service complet fut chanté à son intention, le corps présent, avec l’assistance de M. le curé et de quarante prêtres ». On voit encore aujourd’hui son épitaphe dans la chapelle Saint-Vincent de Paul de l’église Saint-Nicolas des Champs ; mais elle est un peu cachée sous un confessionnal. La mort de Louis de la Bruyère fut un coup terrible pour sa famille. Le défunt laissa ses affaires dans un tel état[53], que ses enfants furent obligés de renoncer à sa succession. Il ne pouvait rien donner à sa veuve : la coutume de Paris s’y opposait ; et cependant il avait peut-être compromis l’avoir de sa femme pendant sa vie. Qu’allaient devenir Mme de la Bruyère et ses enfants ? « Il y a, dit notre auteur[54], des maux effroyables et d’horribles malheurs où l’on n’ose penser et dont la seule vue fait frémir : s’il arrive que l’on y tombe, l’on se trouve des ressources que l’on ne se connaissait point ; l’on se raidit contre son infortune, et l’on fait mieux qu’on ne l’espérait. »

Jean de la Bruyère, oncle et parrain de notre auteur, n’abandonna point sa famille dans le malheur. Depuis quelque temps, il demeurait avec son frère rue Grenier-Saint-Lazare. Il accepta la succession de son frère et prit en main les affaires de sa veuve et de ses enfants : il devint seul chef de la famille.

C’était un singulier personnage que l’oncle Jean, comme l’appelaient ses neveux. Il était, comme son père Guillaume de la Bruyère, secrétaire du roi ; mais, bien différent de son père, il aimait à faire des contrats et il voyait l’argent grossir dans ses coffres. Il avait aussi l’esprit de famille et, après avoir fait assez vite fortune, il avait racheté des créanciers de son père et de sa mère une partie de leurs titres, sinon tous : il retira même un assez joli denier de la succession de son frère. — M. Servois, qui a trouvé dans les archives d’un notaire de Paris quelques actes relatifs à la famille de la Bruyère, nous explique ainsi le procédé de l’oncle Jean pour s’enrichir[55] : « Le prêt à intérêt étant interdit aussi bien par la loi civile que par la loi religieuse, la seule manière licite de tirer profit d’un prêt fait à un particulier était de lui constituer une rente perpétuelle, c’est-à-dire de lui remettre un capital qu’il restait maître de garder aussi longtemps que bon lui semblerait, à la seule condition d’en payer annuellement la rente. Les particuliers étaient, en général, de plus sûrs débiteurs que l’État et que la ville, dont les rentes étaient parfois soumises à des réductions arbitraires, ou encore que les hôpitaux, exposés à la banqueroute. Aussi l’oncle Jean avait-il préféré à toutes autres les créances par contrats. Ses emprunteurs étaient quelquefois des membres de sa famille ou de la famille de sa belle-sœur, plus souvent des étrangers nobles ou bourgeois. Il ne prêtait pas toujours à visage découvert, et se dissimulait quelquefois derrière son frère, ou, quand il l’eut perdu, derrière l’un de ses neveux. De temps à autre il lui fallait user contre ses débiteurs de voies de rigueur, ou accepter des accommodements. C’est ainsi qu’il fut amené à se rendre propriétaire d’une maison de campagne qui était située dans le village de Saulx, près Lonjumeau, et qui fera partie de sa succession. » M. Servois estime que la fortune mobilière de l’oncle Jean pouvait bien s’élever à plus de 100,000 livres. Comme tous les bourgeois aisés de ce temps-là, il avait renoncé au service d’étain sur sa table, et à la mule de ses ancêtres. M. Servois ne doute pas que les neveux de l’oncle Jean fissent usage de son argenterie et montassent dans son carrosse. Cela dut[56] un peu adoucir leur chagrin. « Dans une grande affliction[57], l’on pleure amèrement et l’on est sensiblement touché : mais l’on est ensuite si faible et si léger que l’on se console. »

Notre auteur, reçu avocat au parlement, s’occupa d’être un homme éloquent, « Le métier de la parole[58] ressemble en une chose à celui de la guerre : il y a plus de risque qu’ailleurs, mais la fortune est plus rapide. » La Bruyère réfléchit longtemps avant d’affronter ces risques, si longtemps qu’à la fin il n’en eut plus le courage.

« Il y a moins d’un siècle, disait-il en 1690[59], un livre français était un certain nombre de pages latines où l’on découvrait quelques mots en notre langue. Les passages, les traits, et les citations n’en étaient pas demeurés là : Ovide et Catulle achevaient de décider des mariages et des testaments, et venaient avec les Pandectes au secours de la veuve et des pupilles. Le sacré et le profane ne se quittaient pas. Ils s’étaient glissés ensemble jusque dans la chaire : saint Cyrille, Horace, saint Cyprien, Lucrèce parlaient alternativement. Les poètes étaient de l’avis de saint Augustin et de tous les Pères : on parlait latin, et longtemps, devant des femmes et des marguilliers ; on a parlé grec. Il fallait savoir prodigieusement pour parler si mal. Autre temps, autre usage. Le texte est encore latin, tout le discours est français et d’un beau français. » — « Les citations profanes[60] ont fini ; les froides allusions, le mauvais pathétique, les antithèses, les figures outrées ont pris leur place. » Quand se fit ce changement ? La Bruyère en a indiqué la date. Depuis trente ans, écrivait-il en 1694[61], on prête l’oreille aux rhéteurs, aux déclamateurs, aux énumérateurs… Cette date de 1664 n’est qu’approximative. Le changement que signale notre auteur a commencé plus tôt et duré plus longtemps : mais il s’en aperçut vers le temps où il étudia l’éloquence de la chaire et celle du barreau.

Le même changement que Richelieu avait fait dans la politique[62], Condé dans l’art de la guerre, Pascal l’avait fait dans l’art d’écrire et le jésuite Lingendes dans l’art de parler[63]. Le P. Lingendes fut cité comme le plus parfait prédicateur de son temps. Il composait en latin les sermons qu’il devait prononcer en français ; et dans l’édition française que l’on possède de ses sermons, si on ne peut juger de son éloquence[64], on aperçoit très facilement les premiers modèles du nouveau genre ainsi décrit par la Bruyère. « Un beau sermon[65] est un discours oratoire qui est, dans toutes ses règles, purgé de tous ses défauts, conforme aux préceptes de l’éloquence humaine et paré de tous les ornements de la rhétorique. Ceux qui entendent finement n’en perdent pas le moindre trait, ni une seule pensée ; ils suivent sans peine l’orateur dans toutes les énumérations où il se promène, comme dans toutes les élévations où il se jette. Ce n’est une énigme que pour le peuple. » Dans ce genre, depuis Lingendes jusqu’à Bourdaloue, les jésuites eurent souvent l’avantage sur les oratoriens. À l’Oratoire même, ce nouveau genre avait la vogue au moment où la Bruyère en sortait.

« Il y a, dit Bossuet dans l’oraison funèbre du R. P. Bourgoing (décembre 1662), des prédicateurs infidèles qui ravilissent leur dignité jusqu’à faire servir au désir de plaire le ministère chrétien ; qui ne rougissent pas d’acheter des acclamations et des flatteries par la parole de vérité ; des louanges, vains aliments d’un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée à ses enfants ! Quelle indignité ! Est-ce ainsi qu’on fait parler Jésus-Christ ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole ? Faibles discoureurs dont les sermons sont le fruit d’une étude lente et tardive, détruirez-vous les remparts des mauvaises habitudes en jetant des fleurs ? L’éloquence ne doit jamais être recherchée avec soin ; si elle vient, ce ne doit être que comme la servante de la vérité et attirée par les choses mêmes. » Le discours chrétien se répand à la manière d’un torrent, et s’il trouve en chemin les fleurs de l’élocution, il les entraîne plutôt après lui par sa propre impétuosité qu’il ne les cueille avec choix pour se parer d’un tel ornement. C’est l’idée de l’éloquence que donne saint Augustin aux prédicateurs, c’est celle dont Bossuet offrait alors à ses auditeurs étonnés le plus parfait modèle, c’est celle qu’avait recommandée M. de Bérulle à ses disciples. Le P. Bourgoing s’était efforcé de la mettre en pratique[66] ; il n’avait point cette richesse d’imagination qui voit naître sous ses pas les fleurs de l’élocution, ni cette impétuosité de génie qui les entraîne dans sa course sans s’amuser à les cueillir[67] : son style terne et triste, nourri des saintes Écritures[68], et sa parole sans art et sans éclat, n’avaient rien d’oratoire : « il expliquait l’Évangile au peuple uniment et familièrement ».

Le même genre d’éloquence simple et familière, dans la prédication de l’Évangile, était bien plus marqué dans les sermons du P. le Jeune, dont on venait de publier la première édition. Il abondait en images populaires et en comparaisons sensibles, et s’en servait avec un bon sens ingénu[69]. Les yeux fixés sur ses auditeurs, le missionnaire mesurait ses paroles à leurs besoins ; il était toujours près d’eux, avec eux, et ne pensait qu’à eux. Depuis saint François de Sales, personne n’avait mis dans la prédication évangélique plus de simplicité, plus d’expérience et de charité. — Voilà l’idéal que la Bruyère rêvait ; vingt-cinq ans après, il le regrettait encore en disant[70] : « Jusqu’à ce qu’il revienne un homme comme lui, les orateurs et les déclamateurs seront suivis. »

Parmi les orateurs, la Bruyère mettait le P. Senault, qui succéda au P. Bourgoing, comme supérieur général de l’Oratoire. C’était le propre fils du fameux Senault, l’un des Seize de la Ligue ; il était né à Anvers, pendant que son père exilé y demeurait avec le lieutenant civil de Paris Mathias de la Bruyère. Il est possible que le P. Senault n’ait pas été étranger à l’entrée de Jean de la Bruyère dans une des maisons de l’Oratoire, mais il ne fut peut-être pas étranger non plus à sa sortie. Dans son traité de la monarchie[71], le P. Senault posa des principes politiques d’un sage libéralisme, qui devaient plaire à notre auteur ; dans son traité des passions, il expose un système que la Bruyère ne devait guère goûter ; dans ses sermons[72], il déployait une éloquence dont le jeune moraliste démêla facilement l’artifice et l’habileté.

De l’école du P. Senault était Mascaron, comme Bourdaloue était de l’école de Lingendes. Il faut voir dans Mme de Sévigné la manière dont on allait les entendre, Mascaron à Saint-Gervais et Bourdaloue à Notre-Dame, en 1671. Ou plutôt il faut écouter la Bruyère, qui observa cette lutte oratoire avec un esprit aussi clairvoyant que Mme de Sévigné. Les deux témoignages sont parfaitement d’accord et se fortifient l’un l’autre. Voici celui de la Bruyère : « Le discours chrétien est devenu un spectacle[73]. Cette tristesse évangélique qui en est l’âme ne s’y remarque plus ; elle est suppléée par les avantages de la mine, par les inflexions de la voix, par la régularité du geste, par le choix des mots et par les longues énumérations. On n’écoute plus sérieusement la parole sainte ; c’est une sorte d’amusement entre mille autres ; c’est un jeu où il y a de l’émulation et des parieurs. »

La Bruyère s’était vite dégoûté du métier de prédicateur et nous en a dit les raisons[74]. D’abord l’éloquence de la chaire est l’œuvre de la grâce divine. La sainteté du prédicateur en fait la plus grande partie. « Pour ce qui y entre d’humain et du talent de l’orateur, c’est chose cachée, connue de peu de personnes et d’une difficile exécution : quel art en ce genre pour plaire en persuadant ! Il faut marcher par des chemins battus, dire ce qui a été dit, et ce que l’on prévoit que vous allez dire. Les matières sont grandes, mais usées et triviales ; les principes sûrs, mais dont les auditeurs pénètrent les conclusions d’une seule vue. Il y entre des sujets qui sont sublimes ; mais qui peut traiter le sublime ? Il y a des mystères que l’on doit expliquer, et qui s’expliquent mieux par une leçon de l’école que par un discours oratoire. La morale même de la chaire, qui comprend une matière aussi vaste et aussi diversifiée que le sont les mœurs des hommes, roule sur les mêmes pivots, retrace les mêmes images, et se prescrit des bornes bien plus étroites que la satire[75] ; après l’invective commune contre les honneurs, les richesses et le plaisir, il ne reste plus à l’orateur qu’à courir à la fin de son discours et à congédier l’assemblée. Si quelquefois on pleure, si on est ému, après avoir fait attention au génie et au caractère de ceux qui fout pleurer, peut-être conviendra-t-on que c’est la matière qui se prêche elle-même, et notre intérêt le plus capital qui se fait sentir ; que c’est moins une véritable éloquence que la ferme poitrine du missionnaire qui nous ébranle et qui cause en nous ces mouvements. Enfin le prédicateur n’est point soutenu, comme l’avocat, par des faits toujours nouveaux, par de différents événements, par des aventures inouïes ; il ne s’exerce point sur les questions douteuses, il ne fait point valoir les violentes conjectures et les présomptions, toutes choses néanmoins qui élèvent le génie, lui donnent de la force et de l’étendue, et qui contraignent bien moins l’éloquence qu’elles ne la fixent et ne la dirigent. Il doit au contraire tirer son discours d’une source commune, et où tout le monde puise ; et s’il s’écarte de ces lieux communs, il n’est plus populaire, il est abstrait ou déclamateur, il ne prêche plus l’Évangile. Il n’a besoin que d’une noble simplicité, mais il faut l’atteindre, talent rare, et qui passe les forces du commun des hommes : ce qu’ils ont de génie, d’imagination, d’érudition et de mémoire, ne leur sert souvent qu’à s’en éloigner. »

On voit avec quelle ardeur le jeune avocat embrassait la carrière du barreau : il se laissa entraîner par son enthousiasme jusqu’à des exagérations étranges qui lui valurent d’amers désappointements[76]. « La fonction de l’avocat est pénible, laborieuse, et suppose, dans celui qui l’exerce, un riche fonds et de grandes ressources. Il n’est pas seulement chargé, comme le prédicateur, d’un certain nombre d’oraisons[77] composées avec loisir, récitées de mémoire, avec autorité, sans contradicteurs, et qui avec de médiocres changements lui font honneur plusieurs fois ; il prononce de graves plaidoyers devant des juges qui peuvent lui imposer silence, et contre des adversaires qui l’interrompent ; il doit être prêt sur la réplique ; il parle en un même jour, dans divers tribunaux, de différentes affaires. Sa maison n’est pas pour lui un lieu de repos et de retraite, ni un asile contre les plaideurs ; elle est ouverte à tous ceux qui viennent l’accabler de leurs questions et de leurs doutes. Il ne se met pas au lit, on ne l’essuie point, on ne lui prépare point des rafraîchissements ; il ne se fait point dans sa chambre un concours de monde de tous les états et de tous les sexes, pour le féliciter sur l’agrément et sur la politesse de son langage, lui remettre l’esprit sur un endroit où il a couru risque de demeurer court, ou sur un scrupule qu’il a sur le chevet d’avoir plaidé moins vivement qu’à l’ordinaire. Il se délasse d’un long discours par de plus longs écrits, il ne fait que changer de travaux et de fatigues : j’ose dire qu’il est dans son genre ce qu’étaient dans le leur les premiers hommes apostoliques. »

Parmi les avocats que la Bruyère put entendre et prendre pour modèles, il y avait certainement des hommes respectables ; mais du moins parmi les vivants, je n’en vois pas que la Bruyère pût raisonnablement comparer aux premiers hommes apostoliques. La célébrité de Jean de Gomon nous est attestée par les mémoires de l’intendant Foucault[78], d’une manière qui ne laisse pas de place au doute. J. de Gomon fut chargé des affaires des héritiers du cardinal Mazarin ; il fit partie de la commission nommée en 1665 pour réformer la justice ; et il contribua pour sa bonne part à rédiger l’ordonnance civile de 1667. Georges Duhamel nous est signalé aussi comme un des avocats les plus habiles de son siècle. On cite de lui[79] des plaidoyers qui passaient alors pour des chefs-d’œuvre. On en a même traduit en latin pour les conserver à la postérité[80]. Il fut choisi par Louis XIV pour travailler aux ordonnances générales. On assure que, peu de temps avant sa mort[81], il avait préparé l’ordonnance du commerce de 1673. La dignité de son caractère égalait son mérite. La noblesse de son emploi, l’indépendance de sa profession, son talent de parole, sa science et ses grands services[82] le mettaient certainement au niveau de la magistrature de longue robe. Il fut nommé conseiller d’État, place honorable qu’il refusa[83] par une modestie plus honorable encore. Mais il y avait loin de là à la vertu héroïque des premiers apôtres de l’Église. Ce qui excuse l’illusion du jeune avocat[84], c’était de voir à côté d’avocats sérieux, laborieux, qui ne craignaient pas de se délasser quelquefois au théâtre de leurs pénibles travaux, une foule d’avocats sans causes, qui faisaient semblant d’en être accablés et affectaient une austérité de mœurs aussi fausse que ridicule[85] ! « Vous moquez-vous de rêver en carrosse, ou peut-être de vous y reposer ? Vite prenez votre livre ou vos papiers, lisez, ne saluez qu’à peine ces gens qui passent dans leur équipage ; ils vous croiront plus occupé ; ils diront : « Cet homme est laborieux, infatigable ; il lit, il travaille jusque dans les rues ou sur la route. » Apprenez du moindre avocat qu’il faut paraître accablé d’affaires, froncer le sourcil, et rêver à rien très profondément ; savoir à propos perdre le boire et le manger ; ne faire qu’apparoir dans sa maison, s’évanouir et se perdre comme un fantôme dans le sombre de son cabinet ; se cacher au public, éviter le théâtre, le laisser à ceux qui ne courent aucun risque à s’y montrer, qui en ont à peine le loisir, aux Gomons, aux Duhamels. »

Les vrais hommes apostoliques du barreau, ceux dont on pouvait comparer l’éloquence et les mœurs austères à celles des Pères de l’Église, Antoine Lemaître et Claude Pucelle, venaient de mourir, l’un dans la solitude de Port-Royal, l’autre dans toute l’activité d’une brillante carrière[86], tous deux avec l’estime de leurs adversaires. Il ne restait plus, parmi les avocats qu’on pût leur comparer pour la puissance oratoire, que Fourcroy, qui était alors dans toute sa vogue et dont on ne se lassait pas. Il avait[87] ce que le peuple appelle éloquence, c’est-à-dire cette facilité qu’ont quelques hommes de parler seuls et longtemps, jointe à l’emportement du geste, à l’éclat de la voix et à la force des poumons. Il se piquait de talent littéraire : outre son livre sur l’origine du droit[88], qu’il composait alors, il avait publié[89] vingt et un sonnets à M. le prince de Conti, et les sentiments de Pline le jeune sur la poésie ; il était ami de Molière et de Boileau ; il disputait un jour avec Molière en présence de Boileau, qui s’écria : « Qu’est-ce que la raison avec un filet de voix contre une gueule comme celle-là ? » — La Bruyère s’amusa beaucoup à entendre plaider Fourcroy et[90]


                     d’une gueule infernale,
La Chicane en fureur mugir dans la grand’salle.


« La principale partie de l’orateur[91], c’est la probité ; sans elle il dégénère en déclamateur, il déguise ou exagère les faits, il cite faux, il calomnie, il épouse la passion et les haines de ceux pour qui il parle, il est de la classe de ces avocats dont le proverbe dit qu’ils sont payés pour dire des injures. » Ainsi l’éloquence de Fourcroy n’était pas plus la véritable éloquence que celle que les pédants mettent dans le discours oratoire[92], et ne distinguent pas de l’entassement des figures, de l’usage des grands mots et de la rondeur des périodes. Les juges n’étaient pas dupes de l’action ni de la parole des avocats ; et la Bruyère fut tout surpris de reconnaître qu’au moment précis où il quittait la chaire pour le barreau, l’éloquence profane[93], la seule qui pût s’apprendre, avait quitté le barreau, où elle était à sa place, pour passer à la chaire[94], où elle ne devait pas être. Il avait mal pris son temps ; fort décontenancé, il renonça au métier de la parole.

La science du droit conserva toujours de l’intérêt pour la Bruyère ; c’est la pratique qui l’avait dégoûté. Il ne pouvait admettre qu’une chose qui paraît injuste à la conscience, devienne juste parce que les hommes en sont convenus. « Il est vrai, dit-on, cette somme lui est due, et ce droit lui est acquis. Mais je l’attends à cette petite formalité ; s’il l’oublie, il n’y revient plus et conséquemment il perd la somme, ou incontestablement il est déchu de son droit ; or il oubliera cette formalité. Voilà ce que j’appelle, dit la Bruyère[95], une conscience de praticien. » L’ordonnance de 1667 réforma la procédure civile : c’était un progrès, mais il en restait beaucoup à faire, et d’ailleurs il est des abus qu’on ne pourra jamais réformer : « Une bien belle maxime pour le palais, utile au public et remplie de raison, de sagesse et d’équité, ce serait[96] précisément la contradictoire de celle qui dit que la forme emporte le fond. » L’ordonnance de 1670 réforma aussi bien des abus dans la procédure criminelle ; mais il en restait encore assez pour scandaliser la Bruyère ; il était indigné de ces prétendues découvertes que l’on avait faites pour contraindre les coupables à confesser leurs crimes[97]. « La question est une invention merveilleuse et tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste. » Il maudissait ce progrès et ne pouvait supporter la réputation de ces hommes qui s’étaient rendus célèbres par leur habileté à faire souffrir leurs semblables. De combien de grands hommes dans les différents exercices de la paix et de la guerre aurait-on dû se passer[98] ! À quel point de perfection et de raffinement n’a-t-on pas porté de certains arts et de certaines sciences qui ne devaient point être nécessaires, et qui sont dans le monde comme des remèdes à tous les maux dont notre malice est l’unique source ! »

Vous vous récriez et vous dites : les hommes sont toujours des hommes. « Si les hommes, reprend la Bruyère[99], sont hommes plutôt qu’ours et panthères, s’ils sont équitables, s’ils se font justice à eux-mêmes, et qu’ils la rendent aux autres, que deviennent les lois, leur texte et le prodigieux accablement de leurs commentaires ? Que devient le pétitoire et le possessoire, et tout ce qu’on appelle jurisprudence ? Où se réduisent même ceux qui doivent tout leur relief et toute leur enflure à l’autorité où ils sont établis de faire valoir ces mêmes lois ? Si ces mêmes hommes ont de la droiture et de la sincérité, s’ils sont guéris de la prévention, où sont évanouies les disputes de l’école, la scolastique et les controverses ? S’ils sont tempérants, chastes et modérés, que leur sert le mystérieux jargon de la médecine, et qui est une mine d’or pour ceux qui s’avisent de le parler ? Légistes, docteurs, médecins, quelle chute pour vous si nous pouvions tous nous donner le mot de devenir sages ! »

L’oncle Jean ne goûtait pas cette sagesse présomptueuse : il se sentait malade et craignait de subir bientôt le sort de son frère aîné. Le moraliste était à la fleur de l’âge et se trouvait fort à l’aise[100] pour crier jusque sur les toits : « Que font donc les médecins ? À quoi sert la médecine ? » Jamais les médecins n’ont été plus divisés qu’à cette époque, et ils se traitaient eux-mêmes d’assassins ou de charlatans. Alors la faculté de Paris jouissait de formidables privilèges qu’elle maintenait avec la plus grande énergie. « Les hommes meurent, dit le doyen Guy Patin[101], mais les compagnies ne meurent point : le plus puissant homme qui ait été depuis cent ans en Europe sans avoir la tête couronnée, le cardinal de Richelieu, qui avait rudement traité et secoué le roi d’Espagne, qui avait fait peur à Rome et vu trembler toute la terre devant lui, n’avait pu vaincre l’indépendance de la Faculté. » Fondée, dotée et entretenue par les médecins eux-mêmes, elle ne devait rien à l’État. Juge souveraine de ses décisions, elle n’admettait point qu’elle pût se tromper[102]. Elle avait voulu restituer la médecine grecque et latine ; ce but atteint, elle s’y arrêta obstinément. Cependant tout marchait autour d’elle, on découvrit la chimie, l’anatomie et la physiologie moderne : elle repoussa ces sciences comme des hérésies. Le gouvernement fut obligé de les faire enseigner, malgré ses plaintes, au Jardin du Roi[103]. Guy Patin, qui était le plus éloquent orateur de la Faculté et le plus ferme champion de l’orthodoxie médicale[104], rejetait l’opium comme poison, le thé comme impertinente nouveauté du siècle, l’antimoine comme l’ennemi du genre humain, et le quinquina, ce qui était bien pire à ses yeux, comme poudre des jésuites : il réduisait son symbole aux deux articles signalés par Molière, saigner et purger. La querelle entre l’ancienne et la nouvelle médecine éclata à propos du vin émétique d’antimoine. La Faculté avait proscrit l’antimoine en 1566. Dès 1652 Gueneau l’employait comme remède ; la Faculté voulut expulser de son sein ce docteur téméraire. Il ne pouvait calculer combien de gens mouraient de la saignée ; on calcula combien l’antimoine faisait de martyrs[105]. Enfin plainte fut portée au parlement contre les apothicaires qui vendaient ce poison[106]. Le parlement soumit la question à la Faculté, qui, après de longs et orageux débats, reconnut qu’on pouvait, dans certains cas, se servir de l’antimoine pour guérir les maladies. « Ces messieurs disent, écrit Guy Patin[107], qu’un poison n’est point un poison dans les mains d’un bon médecin. Ils parlent contre leur propre expérience, car la plupart d’entre eux ont tué leurs femmes, leurs enfants et leurs amis. Quoi qu’il en soit, pour favoriser les apothicaires, ils disent du bien d’une drogue dont ils n’oseraient goûter. Je me console, parce qu’il faut qu’il y ait des hérésies[108] afin que les bons soient éprouvés. » La Bruyère ne pouvait supporter cette science orgueilleuse qui ne doute de rien, et s’attribue l’infaillibilité, comme si elle était inspirée par Dieu lui-même. « Un bon médecin, dit-il[109], est celui qui a des remèdes spécifiques, ou s’il en manque, qui permet à ceux qui les ont de guérir son malade. » Mais, d’un autre côté[110], « la témérité des charlatans, et leurs tristes succès font valoir les médecins ; si ceux-ci laissent mourir, les autres tuent. » Ne voilà-t-il pas les malades dans une belle situation ? Il est si commode de se moquer des médecins et de la médecine, quand on est en bonne santé ! L’oncle Jean devait trouver que son filleul avait l’esprit trop enclin à la critique et le goût trop délicat.

En effet, que pouvait-on attendre d’un homme de loi qui doutait de la loi et d’un avocat qui n’osait parler ? « Dans la conversation ordinaire, dire d’une chose modestement ou qu’elle est bonne ou qu’elle est mauvaise, et pourquoi elle est telle, demande du bon sens et de l’expression : c’est, dit-il[111], une affaire. Il est plus court de prononcer d’un ton décisif, ou qu’elle est exécrable, ou qu’elle est miraculeuse. » Avec de pareilles dispositions, notre auteur n’était vraiment propre à rien : que voulez-vous faire d’un jeune homme[112] qui cherche seulement à parler et à penser juste, sans vouloir amener les autres à son goût ni à ses sentiments ? Du reste, s’il n’avait pas assez d’esprit pour parler[113], il avait assez de jugement pour se taire. Après tout, c’est encore ce qu’il pouvait faire de mieux : car de faire fortune ou de chercher un établissement, il en était incapable[114]. « On ne vole point des mêmes ailes pour sa fortune que l’on fait pour des choses frivoles et de fantaisie. Il y a un sentiment de liberté à suivre ses caprices, et tout au contraire de servitude à courir pour son établissement : il est naturel de le souhaiter beaucoup et d’y travailler peu, de se croire digne de le trouver sans l’avoir cherché. » Mais « les choses les plus souhaitées[115] n’arrivent point ; ou si elles arrivent, ce n’est ni dans le temps ni dans les circonstances où elles auraient fait un extrême plaisir ». Et le jeune homme[116] ajoutait « qu’il faut rire avant d’être heureux, de peur de mourir sans avoir ri ». Que répondre à cette philosophie du jeune fainéant ? L’oncle Jean ne pouvait pardonner à son neveu[117], qui le surprenait en faute et qui se plaignait de lui avec raison ; sa fierté ne s’adoucit que lorsqu’il reprit ses avantages et qu’il mit l’autre dans son tort. Hélas ! ce ne fut pas difficile[118]. « Il faut en France beaucoup de fermeté et d’étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi, et à ne rien faire. Personne presque n’a assez de mérite pour jouer ce rôle avec dignité, ni assez de fond pour remplir le vide du temps, sans ce que le vulgaire appelle des affaires. Il ne manque cependant à l’oisiveté du sage qu’un meilleur nom, et que méditer, parler, lire, et être tranquille, s’appelât travailler. » La Bruyère était oisif, mais était-il sage ? C’est ce dont l’oncle Jean pouvait douter.

  1. Vitrine xxxii de la galerie Mazarine, no 356.
  2. Chap. xiv, n° 14.
  3. Vigneul de Marville, Mélanges d’histoire et de littérature, t. III, p. 382.
  4. Recueil des historiens des Gaules, t. XVIII, p. 512.
  5. Historiæ Thuani, éd. 1733, t. III, p. 493, t. V, p. 405.
  6. Chap. xiv, n° 12.
  7. Notice biographique sur la Bruyère, par G. Servois, p. xxiii et p. xxiv et en note, Bibliothèque nationale, mss. fr. n° 11692. Compte du don de 300 000 livres tournois à Charles IX, par la ville de Paris.
  8. Le Maheustre, dialogue entre le Maheustre et le Manant dans la satire Ménippée.
  9. Bibliothèque de l’École des Chartes, année 1845-1846, p. 422 et suivantes. Un article par Taillandier.
  10. Chronologie novennaire de Palma Cayet, p. 327.
  11. Anecdotes de du Vair, à la suite des Mémoires de Marguerite de Valois, par Ludovic de Lalanne ; Bibliothèque elzévirienne, 1858, p. 241.
  12. Chap. x, n° 6.
  13. Chap. x, n° 6.
  14. Le Rosaire, par Mathias de la Bruyère ; Bruxelles, chez Volpics, 1603. Cf. la préface.
  15. Chap. xi, n° 63 ; c. i, n° 49 et n° 58.
  16. Chap. vi, n° 61.
  17. Chap. vi, n° 77.
  18. Cl. Fleury, Institution au droit français, édition Laboulaye et Dareste, t. II, p. 315-316.
  19. Dictionnaire critique de Jal, article la Bruyère.
  20. Chap. vi, n° 76.
  21. Chap.x, n° 21.
  22. Chap. viii, n° 45.
  23. Chap. xiv, n° 6.
  24. Chap. xiv. n° 26.
  25. Chap. xvi, n° 15.
  26. Chap. xii, n » 19.
  27. Chap. xiv, n° 71.
  28. Chap. xiv. n° 71.
  29. Fleury, Discours à l’Académie.
  30. Chap. XII, n° 19.
  31. Chap. xiv, n° 71.
  32. Bibliothèque des écrivains de l’Oratoire, par M. Adry, t. I, p. 230, mss. de la Bibliothèque nationale, fonds français, n° 25681.
  33. Mss. du P. Batterel de l’Oratoire. Archives nationales, registres MM 610 et suivantes.
  34. Bulletin du bibliographile, 1855, p. 52, article Leroux de Lincy.
  35. Oraison funèbre du P. Bourgoing, par Bossuet, prononcée le 20 décembre 1662.
  36. Archives départementales du Loiret.
  37. Album des œuvres de la Bruyère, par Servois. Fac-similé de l’écriture de la Bruyère.
  38. Histoire de l’École de droit d’Orléans, par E. Bimbenet, greffier à la cour d’Orléans.
  39. Choix et méthode des études, c. xv, par Cl. Fleury.
  40. Ibid., c. XI.
  41. Acte III, scène III.
  42. Fleury, Lettre sur M. de Gaumont.
  43. Theatrum anonymorum et pseudonymorum, V. Flaccius ; Hambourg, 1707, iii. in-f°. Préface par Fabrïcius.
  44. Chap. xiv, n° 72.
  45. Cl. Fleury.
  46. Chap. vi, n° 63.
  47. Chap. vi, n° 64.
  48. Chap. vi, n° 65.
  49. Chap. vi, n° 66.
  50. Chap. vi, n° 67.
  51. Chap. vi, n° 68.
  52. Cf. Servois, Album. Archives de l’état civil de Paris aujourd’hui détruites.
  53. Servois. Notice biographique, p. XXXIII.
  54. Chap. xi, n° 30.
  55. Notice biographique, p. XXX-XXXI.
  56. Chap. XI, n° 31.
  57. Chap. iv, n° 35.
  58. Chap. xv, n° 15.
  59. Chap. XV, n° 6.
  60. Chap. xv, n° 4.
  61. Chap. xv, n° 5.
  62. Chap. xi, n° 143.
  63. Réflexions sur l’Éloquence. Le P. Rapin, Œuvres complètes, t. II, p. 92, éd. de 1725.
  64. Voltaire, Siècle de Louis XIV, c. XXXII.
  65. Chap. xv, n° 10.
  66. Bibliothèque oratorienne. Vies de Cloysault. 2e vie, celle du P. Bourgoing.
  67. Excellences et vérités de la doctrine chrétienne, par le P. Bourgoing.
  68. Chap. xv, n° 3.
  69. Jacquinet, Des prédicateurs français avant Bossuet.
  70. Chap. xv, n° 3.
  71. Chap. de la tyrannie.
  72. Vie du P. Senault, par Cloysault.
  73. Chap. xv, n° 1.
  74. Chap. xv, n° 24 et n° 26.
  75. Les neuf premières satires de Boileau.
  76. Chap. xv, n° 20.
  77. Vie du P. Senault, par Tabaraud, dans la Biographie universelle.
  78. Publié par M. Baudry dans les Documents inédits de l’histoire de France.
  79. Journal des Audiences, année 1667.
  80. Dictionnaire historique de Morèri, article Duhamel.
  81. Savary, préface du Parfait négociant, 1675.
  82. Chap. vii. n° 5.
  83. Histoire du Barreau de Paris, par Gaudry, t. I, p. 409, 431, 482.
  84. Lettre à M. de Gaumont. Opuscules de Fleury, Paris, 1807.
  85. Chap. vii, n° 6.
  86. Guy Patin, t. III, p. 210.
  87. Chap. I, n° 55.
  88. Paris, 1674, in-12.
  89. 165 et 1660.
  90. Boileau, Satire VIII.
  91. Chap. xiv, n° 49.
  92. Chap, i, n° 55.
  93. Chap. xv. n° 2.
  94. Chap. xv, n° 2.
  95. Chap. xiv, n° 50.
  96. Chap. xiv, n° 50.
  97. Chap. xiv, n° 51.
  98. Chap. xii, n° 11.
  99. Chap. xii, n° 11.
  100. La médecine au temps de Molière, parle Dr Maurice Reinaud.
  101. Lettre de Guv Patin, éd. Réveillé-Parise, t. I, p. 347.
  102. Flourens, Histoire de la découverte de la circulation du sang, 1854, p, 189.
  103. Annales du muséum d’histoire naturelle, t. I, p. 12.
  104. Guy Patin, t. I, p. 424 ; ibid., p. 383.
  105. Boileau, Satire IV.
  106. Martyrologe de l’antimoine, par Guy Patin.
  107. Paris, 30 juillet 1666, t. III, p. 609-610.
  108. Première épître de saint Paul aux Corinthiens, c. IX, v. 19.
  109. Chap. xiv, n° 66.
  110. Chap. xvi, n° 67.
  111. Chap. v, n° 19.
  112. Chap. i, n° 2.
  113. Chap. v, n° 18.
  114. Chap. iv, n° 59.
  115. Chap. iv, n° 62.
  116. Chap. iv, n° 63.
  117. Chap. iv, n° 67.
  118. Chap. n° 12.