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La Célestine/Acte 1

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La Célestine, tragi-comédie de Calixte et Mélibée
Traduction par A. Germond de Lavigne.
Alphonse Lemerre (p. 11-44).


ACTE PREMIER


Argument : Calixte, entrant dans un verger à la recherche d’un faucon, y rencontre Mélibée, de laquelle il est amoureux, et lui fait l’aveu de sa passion. Cruellement repoussé par elle, il rentre chez lui désespéré et se confie à l’un de ses serviteurs nommé Sempronio. Celui-ci lui donne quelques conseils et l’engage à s’adresser à une vieille femme qu’on appelle Célestine, et chez laquelle habite une maîtresse de Sempronio nommée Élicie. Sempronio se rend à la maison de Célestine pour traiter les intérêts de son maître ; Élicie en ce moment est en tête à tête avec un de ses amants nommé Criton, qu’elle fait cacher. Sempronio tient conseil avec Célestine, et pendant ce temps Calixte devise avec un autre serviteur appelé Parmeno. Ces causeries durent jusqu’à l’arrivée de Sempronio et de Célestine chez Calixte, Célestine reconnaît Parmeno, lui rappelle son enfance, lui parle de sa mère et l’engage à se lier avec Sempronio.


CALIXTE, MÉLIBÉE, SEMPRONIO, CÉLESTINE, ÉLICIE, CRITON, PARMENO.

Calixte. Ici, Mélibée, je reconnais la grandeur de Dieu.

Mélibée. Pourquoi cela ?

Calixte. Parce qu’il a permis à la nature de vous douer d’une beauté aussi parfaite, parce qu’il m’a fait la grâce de vous voir dans un lieu aussi favorable, et parce que je puis enfin vous dépeindre la douleur secrète que j’endure. Le bienfait que je reçois est bien plus grand, sans contredit, que ne le méritaient les prières, les sollicitations que je ne cessais d’adresser à la divinité pour l’obtenir. Qui a jamais vu un homme heureux comme je le suis en ce moment ? Sans aucun doute les glorieux saints, qui jouissent de la vue de Dieu, n’éprouvent pas plus de bonheur que je n’en ressens maintenant en votre présence. Mais, hélas ! quelle différence ! Ils jouissent sans crainte de déchoir d’une telle félicité, et moi, malheureux, je n’ose penser au cruel tourment auquel va me livrer votre absence.

Mélibée. Est-ce donc pour vous, Calixte, chose si précieuse ?

Calixte. À un tel point que si Dieu m’offrait le plus grand bien de la terre, je l’estimerais moins qu’un si grand bonheur4.

Mélibée. Je vous réserve une récompense plus conforme à votre mérite si vous persistez.

Calixte. Oh ! bienheureuses soient mes oreilles, indignes d’écouter si douce parole.

Mélibée. Puissent-elles être maudites pour ce qu’elles ont encore à entendre ! Votre récompense sera telle que le mérite votre folle audace. Le but des paroles, des pensées des hommes tels que vous est de lutter contre la vertu des femmes comme moi. Éloignez-vous, sortez d’ici, infâme ; ma patience ne peut supporter l’idée qu’il soit né dans le cœur d’un homme la pensée de partager avec moi son amour illicite.

Calixte. Je m’éloigne, semblable à celui contre lequel la fortune adverse s’exerce avec un continuel acharnement5.


Calixte. Sempronio, Sempronio ! où es-tu, maudit ?

Sempronio. Je suis ici, seigneur, je panse vos chevaux.

Calixte. Que veux-tu dire ? Pourquoi sors-tu de cette salle ?

Sempronio. Votre faucon était descendu, je suis venu le remettre sur le perchoir.

Calixte. Le diable t’emporte ! puisses-tu périr de misère ou souffrir un tourment éternel égal à celui que j’endure et dont la mort me délivrera, j’espère. Avance, maudit, ouvre ma chambre et dispose mon lit.

Sempronio. Tout cela est fait, seigneur.

Calixte. Ferme la fenêtre et cette porte, laisse les ténèbres près de l’affligé et l’isolement près du malheureux. Mes tristes pensées ne sont pas dignes de la lumière. Bienvenue est la mort quand elle visite les affligés qui l’implorent ! Si vous veniez maintenant, Hippocrate6 et Gallien, célèbres médecins, vous chercheriez la cause du mal qui me tourmente. Ô pitié céleste7 ! inspire la fille de Plebère, qu’elle ne m’abandonne pas sans espoir de salut au sort désastreux de Pyrame et de la malheureuse Tisbé.

Sempronio. Que veut dire tout cela ?

Calixte. Va-t’en, ne me parle pas, sinon mes mains furieuses hâteraient l’instant de ta mort.

Sempronio. Je m’en vais, puisque vous voulez souffrir seul.

Calixte. Va-t’en au diable !

Sempronio. Je ne pense pas qu’il veuille, venir avec moi s’il reste près de vous… Le malheureux ! quel mal subit ! quel fâcheux événement a détruit si rapidement la joie de cet homme et a pu, chose plus grave encore, lui enlever la raison ? Vais-je le laisser seul ou resterai-je avec lui ? Si je le quitte, il va se tuer ; si je reste, il me tuera. Qu’il reste seul, peu m’importe, après tout ; mieux vaut qu’il meure, lui, puisque la vie lui est à charge, que moi, qui suis bien aise de vivre. Lors même que je n’aurais pas d’autre motif de tenir à la vie que de voir mon Élicie, cela doit suffire pour me mettre en garde contre tous dangers. Mais s’il se tue sans témoins, je serai obligé de rendre compte de lui. Je demeure ; mais à quoi bon, s’il ne veut ni consolations ni conseils ? C’est un symptôme mortel que ne vouloir pas guérir. Au reste, je vais le laisser un peu s’apaiser, se calmer. J’ai ouï dire qu’il est dangereux d’ouvrir ou de comprimer les apothèmes à peine mûrs, car ils s’en irritent davantage. Attendons un peu, laissons pleurer celui que la douleur oppresse ; les larmes et les soupirs soulagent le cœur endolori. D’ailleurs, s’il me voit, si je me place devant lui, il se mettra en colère ; le soleil est bien plus ardent quand sa chaleur est répercutée. La vue se fatigue quand elle ne rencontre rien, elle reprend sa force quand elle trouve un aliment. Je vais me tenir tranquille un instant, et s’il veut se tuer, qu’il meure. Peut-être, qui sait, en résultera-t-il pour moi quelque bien qui me permettra de changer ma triste condition. Il est bien mal cependant d’attendre son salut de la mort d’autrui. — Je crains que le diable ne veuille me tenter. Si Calixte meurt, on me voudra tuer, et il faudra que la corde suive le seau8. D’un autre côté, les sages disent que c’est un grand soulagement pour les affligés que d’avoir à qui conter leurs peines ; les maladies concentrées sont les plus dangereuses. Ainsi donc, au lieu d’hésiter et de douter, je ferai bien mieux d’entrer, de supporter sa mauvaise humeur et de chercher à le consoler ; car, bien qu’il soit possible de guérir sans médecin et sans appareil, encore vaut-il mieux se tirer d’affaire avec l’art et de bons soins.

Calixte. Sempronio !

Sempronio. Seigneur ?

Calixte. Donne-moi mon luth.

Sempronio. Le voici.

Calixte. Hélas ! quelle douleur affreuse peut, ici-bas, se comparer à la mienne ?

Sempronio. Ce luth n’est pas d’accord.

Calixte. Et comment l’accorderai-je, désaccordé que je suis ? Peut-il comprendre l’harmonie, celui qui est si peu d’accord avec lui-même, celui dont la volonté n’obéit plus à la raison, celui qui ressent dans son cœur des aiguillons, la paix, la guerre, la trêve, l’amour, la haine, l’injure, la crainte, l’inquiétude, tout à la fois ? Prends ce luth et chante-moi la chanson la plus triste que ta saches.

Sempronio.

    Du sommet du rocher Tarpéien,
    Néron voit à ses pieds Rome en flammes,
    Enfants, vieillards poussent des cris affreux,
    Mais Néron ne s’émeut de rien 9.

Calixte. Le feu qui me dévore est encore plus grand, il y a moins de pitié dans le cœur qui me persécute.

Sempronio, à part. Je ne me trompe pas, mon maître est fou.

Calixte. Que murmures-tu là, Sempronio ?

Sempronio. Je ne dis rien.

Calixte. Répète ce que tu disais, ne crains rien.

Sempronio. Je me demande comment le feu qui tourmente un vivant peut être plus grand que celui qui brûla une telle ville et une telle multitude.

Calixte. Comment ? Je vais te le dire : la flamme qui dure quatre-vingts ans est plus grande que celle qui passe en un jour ; celle qui consume une âme est plus ardente que celle qui brûla cent mille corps. Il y a autant de différence du feu dont tu parles à celui que je ressens, qu’il y en a de l’apparence à la réalité, de la nature à l’art qui la représente, de l’ombre à l’objet qui la produit. En vérité, si la flamme du purgatoire est semblable, j’aime mieux que mon âme s’en aille avec celle des brutes, que de gagner la gloire des saints en passant par de pareilles souffrances.

Sempronio, à part. Je disais vrai, de telles paroles le prouvent encore plus : ce n’était pas assez d’être fou, le voilà hérétique.

Calixte. Ne t’ai-je pas dit de parler haut ! que dis-tu ?

Sempronio. Je dis que Dieu veuille ne pas vous entendre, ce que vous venez de dire sent l’hérésie.

Calixte. Pourquoi ?

Sempronio. Parce que c’est contraire à la religion chrétienne.

Calixte. Eh ! que m’importe ?

Sempronio. N’êtes-vous pas chrétien ?

Calixte. Moi ! je suis mélibéen, j’adore Mélibée, je crois en Mélibée, j’aime Mélibée.

Sempronio. Pouvez-vous parler ainsi ! Mélibée est si grande qu’elle ne peut tenir dans le cœur de mon maître, elle lui sort par la bouche à gros bouillons. Je n’ai pas besoin d’en savoir davantage, je vois de quel pied vous clochez, je vous guérirai.

Calixte. Tu me promets une chose incroyable.

Sempronio. Elle est facile : connaître le mal est le commencement de la guérison.

Calixte. Quel conseil peut régir celui qui n’a en lui ni ordre ni conseil ?

Sempronio, à part. Ha, ha, ha ! Est-ce là la flamme qui brûle Calixte ? Sont-ce là ses angoisses ? Comme si c’était contre lui seul que l’amour dirige ses traits ! Ô Dieu puissant, que tes mystères sont impénétrables ! Quelle malédiction as-tu donc imposée à l’amour, pour que l’inquiétude et l’angoisse soient ainsi nécessaires aux amants ! Tu ne lui a pas fixé de limites. Les amants se figurent que rien ne va jamais assez promptement au gré de leurs désirs ; aussi, tous courent, s’ouvrent un chemin ; semblables à de jeunes taureaux que blesse et qu’excite l’aiguillon10, ils s’élancent à travers les barrières sans que rien les retienne. Tu as commandé à l’homme d’abandonner son père et sa mère pour suivre la femme, et maintenant ils font plus, toi aussi ils t’abandonnent, ils renient ta loi comme fait Calixte. Je n’en suis pas surpris, mon Dieu, car pour la femme, les sages, les saints, les prophètes t’ont oublié.

Calixte. Sempronio !

Sempronio. Seigneur ?

Calixte. Ne me quitte pas.

Sempronio. Voici une autre chanson11.

Calixte. Que penses-tu de mon mal ?

Sempronio. Que vous aimez Mélibée.

Calixte. Et pas autre chose ?

Sempronio. C’est assez mal déjà de captiver ainsi sa volonté.

Calixte. Tu ne te connais pas en fermeté.

Sempronio. La persévérance dans le mal n’est pas de la constance, nous l’appelons dans mon pays résistance ou entêtement. Vous autres philosophes de Cupidon, nommez-la comme vous voudrez.

Calixte. Le mensonge est chose honteuse dans la bouche de celui qui professe ; ne vantes-tu pas sans cesse ton amie Élicie ?

Sempronio. Faites le bien que je vous dis et non le mal que je fais.

Calixte. Que me reproches-tu ?

Sempronio. De soumettre la dignité de l’homme à l’imperfection de la faible femme.

Calixte. Femme ! homme grossier ! c’est un dieu plutôt !

Sempronio. Le croyez-vous ainsi, ou bien vous riez-vous de moi ?

Calixte. Si je ris ? Je la crois dieu, je la reconnais pour dieu, et je ne crois pas qu’il y ait une autre puissance dans le ciel, bien qu’elle demeure parmi nous.

Sempronio. Ha, ha, ha ! (À part) Entendez-vous comme il blasphème ! Voyez-vous quel aveuglement !

Calixte. De quoi ris-tu ?

Sempronio. Je ris parce que je n’eusse pas cru qu’on pût inventer un péché pire que celui de Sodome.

Calixte. Comment ?

Sempronio. Parce que les habitants de Sodome ont commis une abominable faute avec des anges inconnus ; mais vous, vous aspirez à un être que vous croyez dieu.

Calixte. Maudit sois-tu pour m’avoir fait rire, ce que je ne pensais faire de l’année !

Sempronio. Mais voulez-vous pleurer toute votre vie ?

Calixte. Oui.

Sempronio. Pourquoi ?

Calixte. Parce que j’aime une femme près de laquelle je me trouve si indigne que je n’espère pouvoir jamais l’obtenir.

Sempronio, à part. Oh ! le poltron ! l’animal ! (Haut.) Quoi donc ! Nembrod, Alexandre le Grand, n’aspirèrent pas seulement à l’empire du monde, ils se crurent dignes aussi de celui du ciel.

Calixte. Je n’ai pas bien entendu ce que tu viens de dire ; recommence, ne te hâte point.

Sempronio. Je m’étonne que vous, qui avez plus de cœur que Nembrod et Alexandre, désespériez de parvenir jusqu’à une femme, tandis que beaucoup d’entre ses semblables, qui étaient de grandes dames, se soumirent aux embrassements de vils muletiers, d’autres même à d’ignobles animaux. N’avez-vous pas lu l’histoire du Taureau de Pasiphaé et celle du Chien de Minerve12 ?

Calixte. Je n’en crois rien, ce sont des fables.

Sempronio. Ce qu’on a dit de votre aïeule et de son singe, était-ce un conte ? Le couteau de votre grand-père peut porter témoignage.

Calixte. Maudits soient l’imbécile et ses impertinences !

Sempronio. Vous ai-je fâché ? Lisez les historiens, étudiez les philosophes, les poëtes : leurs ouvrages sont remplis de ces honteux exemples et des malheureuses fins de ceux qui, comme vous, firent trop de cas des femmes. Lisez Salomon, il dit que les femmes et le vin font apostasier les hommes13. Prenez conseil de Sénèque, et vous verrez à quel point il les estime14. Écoutez Aristote, consultez saint Bernard : gentils, juifs, chrétiens et maures, tous s’accordent à ce sujet. Mais malgré ce que j’ai dit et ce que je pourrai dire d’elles, ne croyez pas qu’il faille en faire une généralité ; il y en a et il y en a eu beaucoup de saintes, de vertueuses et de nobles, dont l’éclatante couronne rachète le blâme acquis par les autres. Mais quant à ces dernières, qui suffirait à citer leurs mensonges, leurs intrigues, leur versatilité, leur impudeur, leurs pleurnicheries, leur fausseté, leur audace ? Qui saurait dire tout ce qu’elles pensent, tout ce qu’elles font sans hésiter ? Qui définirait leur dissimulation, leur bavardage, leur fourberie, leur infidélité, leur ingratitude, leur inconstance, leur effronterie, leur présomption, leur vanité, leur folie, leur bassesse, leur gourmandise, leur saleté, leur pusillanimité, leur subtilité, leurs moqueries, leur honteuse complaisance ? Voyez quelle petite cervelle se cache sous ces toques riches et élevées ! quelles pensées s’agitent sous ces fraises empesées, sous ces vêtements fastueux, sous ces robes amples et imposantes ! Qu’on rencontre de honte et d’imperfection sous ces temples brillants de couleurs ! C’est d’elles qu’on a dit : « Armes du diable, tête de péché, destruction du paradis. » N’avez-vous pas lu au livre de la Fête de saint Jean : « Voici la femme, l’antique malice, qui a chassé Adam des délices du paradis ; c’est elle qui a voué la race humaine aux flammes de l’enfer ; c’est elle que le prophète Élie a maudite, etc… »

Calixte. Dis-moi pourquoi Adam, Salomon, David, Aristote, Virgile, ceux dont tu parles enfin, se sont-ils soumis aux femmes ? Suis-je plus qu’eux ?

Sempronio. Imitez ceux qui les ont vaincues et non ceux qu’elles ont dominés. Fuyez leurs ruses ; sachez qu’elles font des choses qu’on ne peut comprendre ; elles n’ont ni mode, ni raison, ni intention ; elles refusent avec rigueur ce qu’elles meurent d’envie d’offrir ; elles insultent dans la rue ceux qu’elles attirent ensuite dans leurs taudis ; elles invitent et éconduisent ; elles appellent et repoussent ; elles parlent d’amour et expriment de la haine ; elles s’irritent pour un rien et s’apaisent en un instant ; elles veulent qu’on devine tous leurs désirs15. Oh ! quelle plaie, quel ennui, quel dégoût d’avoir affaire à elles plus longtemps que les courts instants pendant lesquels elles sont bonnes au plaisir !

Calixte. Écoute, plus tu m’en dis, plus tu me démontres d’inconvéniens, et plus je sens que je l’aime ; je ne sais ce que c’est.

Sempronio. Ce que je dis est trop sage pour des enfants qui ne savent pas se soumettre à la raison et qui ne veulent pas se laisser diriger. C’est chose misérable que de voir un homme qui n’a jamais été disciple se donner des airs de maître.

Calixte. Mais toi qui sais tout cela, qui te l’a appris ?

Sempronio. Qui ? Elles. Dès qu’elles se découvrent, elles perdent toute honte : elles apprennent tout cela aux hommes et plus encore. Gardez avec elles la mesure de votre honneur ; pensez que vous êtes plus encore que ce que vous estimez ; c’est sans contredit une pire extrémité de tomber de la place qu’on occupe que de se placer plus haut qu’on ne doit.

Calixte. Mais moi, que suis-je pour cela ?

Sempronio. Ce que vous êtes ? Homme d’abord et homme d’esprit ; bien plus, la nature vous a doué de ses meilleurs biens : la beauté, la grâce, une noble taille, la force, la légèreté. Outre tout cela, la fortune a partagé avec vous de telle manière, que vos biens intérieurs vont au mieux avec ceux du dehors ; car sans les biens temporels, dont la fortune est maîtresse, il n’est permis à personne d’être heureux en cette vie. J’ajouterai, ce que personne n’ignore, que vous êtes aimé de tous.

Calixte. Mais non de Mélibée, et elle l’emporte, sans qu’aucune comparaison soit possible, sur tout ce que tu vantes en moi. Vois la noblesse et l’ancienneté de sa famille, son immense patrimoine, son excellent esprit, ses vertus éclatantes, sa grâce ineffable, sa beauté souveraine, de laquelle je te prie de me laisser parler un instant pour que j’aie du moins quelque consolation. Je ne te décrirai que ce que nous pouvons voir, car si je pouvais citer ce qui est caché à nos yeux, il ne nous serait plus nécessaire de discuter d’une manière aussi misérable16.

Sempronio, à part. Que de mensonges, que de folies va dire mon pauvre maître !

Calixte. Que dis-tu ?

Sempronio. Je dis que j’aurai grand plaisir à vous entendre. (À part.) Dieu te tienne compte de l’agrément que va me donner ce sermon !

Calixte. Quoi ?

Sempronio. Dieu m’est témoin de tout le bonheur que j’éprouve à vous écouter.

Calixte. Eh bien ! pour qu’il dure plus longtemps, je te vais faire ce portrait fort en détail.

Sempronio, à part. Me voilà bien, c’est tout le contraire que je cherchais. Cette ennuyeuse corvée va-t-elle durer longtemps ?

Calixte. Je commence par les cheveux. As-tu vu ces tresses d’or fin qu’on file en Arabie ? Ils sont plus beaux et ne brillent pas moins. Ils tombent jusque sous ses talons. Quand elle les déroule, quand elle les réunit avec un léger cordon, quand elle les arrange sur sa tête, il n’en faut pas davantage pour changer les hommes en pierres.

Sempronio, à part. Plutôt en ânes.

Calixte.. Que dis-tu ?

Sempronio. Je dis que de tels crins ne sont pas faits pour des ânes.

Calixte. La brute ! quelle comparaison !

Sempronio, à part. Êtes-vous sage vous-même ?

Calixte. Ses yeux verts bien fendus, ses longs cils, ses sourcils fins et arqués, son nez moyen, sa bouche petite, ses dents serrées et blanches, ses lèvres colorées et rondelettes, l’ovale parfait de son visage, sa gorge relevée, la rondeur et la forme de ses jolis petits seins17… qui pourrait te peindre tout cela ? L’homme se perd en regardant ces charmes ! Vois sa peau lisse et lustrée, dont la blancheur ternit la blancheur de la neige, ce teint si gracieusement nuancé qu’elle semble l’avoir choisi elle-même.

Sempronio, à part. Le niais n’en démordra pas.

Calixte. Ses mains moyennement petites, douces et potelées, ses doigts effilés, ses ongles allongés et colorés qui ressemblent à des rubis entourés de perles Et cette taille que je ne puis voir ; si j’en juge par l’apparence, elle est mieux encore que celle qui reçut la pomme de Pâris, l’arbitre des trois déesses.

Sempronio. Avez-vous tout dit ?

Calixte. Aussi brièvement que j’ai pu.

Sempronio. En supposant que tout cela soit la vérité, vous êtes homme et vous êtes plus digne encore.

Calixte. En quoi ?

Sempronio. En ce que la femme est imparfaite, et c’est pour ce défaut qu’elle vous désire, vous et tout autre moindre que vous. N’avez-vous pas lu le philosophe qui dit : « De même que la matière convoite la forme, de même la femme convoite l’homme. »

Calixte. Hélas ! quand verrai-je cela entre moi et Mélibée ?

Sempronio. Bientôt peut-être, et lors même que vous la haïriez autant que vous l’aimez, vous pourrez l’obtenir. Considérez-la avec d’autres yeux, libres du prestige qui vous fascine maintenant.

Calixte. Avec quels yeux18 ?

Sempronio. Avec des yeux clairvoyants.

Calixte. Et maintenant comment donc la considéré-je ?

Sempronio. Avec des yeux grossissants19, à l’aide desquels le peu semble beaucoup et le petit paraît grand. De peur que vous ne vous désespériez, je veux entreprendre d’accomplir votre désir.

Calixte. Oh ! Dieu te donne ce que tu souhaites ! Que je suis heureux de t’entendre, bien que je n’espère rien de ce que tu veux faire !

Sempronio. Je réussirai avant peu.

Calixte. Dieu t’exauce ! Le pourpoint de brocart que je portais hier, Sempronio, je te le donne.

Sempronio. Dieu vous récompense pour ce don et pour tous ceux que vous me ferez. (À part.) J’ai les meilleurs bénéfices de la plaisanterie ; s’il me stimule avec de tels aiguillons, je la lui amènerai jusque dans son lit. Bon courage ! ce sera là le résultat des cadeaux de mon maître ; sans récompense, rien n’arrive à bonne fin.

Calixte. Ne néglige rien.

Sempronio. Et faites de même, jamais maître négligent ne rendit valet diligent.

Calixte. Comment penses-tu parvenir à me rendre service ?

Sempronio. Je vais vous le dire. Il y a longtemps que je connais dans le voisinage une vieille barbue qui se fait appeler Célestine : c’est une rusée sorcière, habile à toute espèce de méchanceté. Je crois qu’on peut élever à cinq mille le nombre de virginités qui ont été faites et défaites par son autorité dans cette ville. Si elle le voulait, elle exciterait à la luxure et pousserait l’une vers l’autre les pierres les plus dures.

Calixte. Pourrai-je lui parler ?

Sempronio. Je vous l’amènerai ici. Préparez-vous à sa visite ; soyez avec elle gracieux et généreux surtout, et, pendant que je vais la chercher, disposez-vous à lui dire votre peine aussi clairement qu’elle vous en indiquera le remède.

Calixte. Ne tarde pas.

Sempronio. Je pars, Dieu vous garde !

Calixte. Qu’il t’accompagne !

Calixte, seul. Ô Dieu tout-puissant et éternel ! toi qui guides les hommes égarés, toi qui envoyas une étoile pour amener à Bethléem les rois de l’Orient et les reconduire dans leur patrie ! je te conjure humblement de guider mon Sempronio de telle manière qu’il puisse changer en joie ma peine et ma tristesse, et me conduire, moi indigne, au but que je désire tant !


Célestine. Bonne nouvelle20, Élicie, bonne nouvelle ! voici Sempronio.

Élicie. Chut, chut, silence !

Célestine. Pourquoi ?

Élicie. Criton est ici.

Célestine. Cache-le dans la chambre aux balais, vite. Dis-lui que c’est ton cousin, un de mes habitués qui vient.

Élicie. Criton, cache-toi ici. Voici mon cousin, je suis perdue.

Criton. Volontiers, ne t’inquiète pas.

Sempronio. Bonne mère ! que je désirais te voir ! Grâces à Dieu, qui me conduit vers toi.

Célestine. Mon fils, mon roi, tu m’as effrayée, je ne puis parler. Viens, embrasse-moi de nouveau. Comment as-tu pu passer trois jours sans nous voir ? Élicie, Élicie, le voilà.

Élicie. Qui, mère ?

Célestine. Sempronio.

Élicie. Ah ! mon Dieu ! le cœur me bat ! Où est-il ?

Célestine. Il est ici, je l’embrasse sans toi.

Élicie. Ah ! maudit traître ! la fièvre te tue, puisses-tu mourir entre les mains de tes ennemis puisses-tu te trouver au pouvoir de la justice pour des crimes dignes de mort ! Ah !

Sempronio. Ha, ha, ha ! Qu’est-ce, mon Élicie ? De quoi te tourmentes-tu ?

Élicie. Il y a trois jours que tu n’es venu me voir. Que jamais Dieu ne te regarde, que jamais Dieu ne te console et ne te visite ! Malheur à la femme qui met en toi son espérance et tout son bien !

Sempronio. Tais-toi, ma reine, crois-tu que la distance qui nous sépare soit assez grande pour éteindre mon violent amour et le feu qui brûle dans mon cœur ? Où je vais, tu viens avec moi, tu es avec moi ; ne t’afflige pas, ne cherche pas à souffrir plus que je ne souffre. Mais, dis-moi, quels sont ces pas que j’entends là-haut ?

Élicie. Qui marche là-haut ? Un mien amoureux.

Sempronio. Oui, je le crois.

Élicie. En vérité, monte, tu verras.

Sempronio. J’y vais.

Célestine. Veux-tu bien rester ! laisse là cette folle, que ton absence a étourdie et qui perd la tête. Elle va te dire mille sottises. Viens près de moi, nous causerons. Ne laissons pas ainsi passer le temps inutilement.

Sempronio. Mais qui est en haut ?

Célestine. Tu veux le savoir ?

Sempronio. Oui.

Célestine. Une jeune fille qu’un moine m’a donnée à garder !

Sempronio. Quel moine ?

Célestine. Peu t’importe.

Sempronio. Sur ma vie, mère, quel moine ?

Célestine. Entêté ! le prêtre, le gros21.

Sempronio. La malheureuse, quelle charge l’attend !

Célestine. Nous portons chacune la nôtre. As-tu remarqué, malgré cela, beaucoup d’écorchures sur le ventre des femmes ?

Sempronio. Des écorchures, non, mais des meurtrissures, oui.

Célestine. Ah ! farceur !

Sempronio. Écoute, si je suis farceur, laisse-la moi voir.

Élicie. Ah ! don maudit ! tu veux la voir ? Les yeux te démangent, une seule ne te suffit pas. Marche et laisse-moi pour toujours.

Sempronio. Tais-toi, ma vie, ne te fâche pas ; je ne veux voir ni elle ni aucune autre femme au monde. Je veux parler à la mère. Adieu !

Élicie. Adieu ; va, indigne, reste encore trois autres années sans revenir.

Sempronio. Mère, aie confiance en moi et sois persuadée que je ne veux pas me jouer de toi. Prends ta mante et partons ; en chemin je te dirai une chose qui est telle que si je m’arrêtais ici pour te l’apprendre, c’en serait fait de ton profit et du mien.

Célestine. Partons. Élicie, Dieu te garde, ferme la porte. Adieu, maison22.

Sempronio. Ô ma mère ! laissons là toute autre question ; écoute-moi attentivement et réfléchis à ce que je vais te dire ; ne laisse pas aller ton imagination à droite et à gauche, car celui qui pense à plusieurs choses à la fois ne pense bien à aucune. Je veux que tu saches de moi chose que tu n’as jamais entendue, et chose telle que, depuis que j’ai foi en toi, je n’ai rien pu désirer de mieux pour t’en faire part.

Célestine. Que Dieu partage ses biens avec toi, mon fils, il ne le fera pas sans raison, puisque tu as pitié de cette pauvre vieille pécheresse. Mais parle, ne t’arrête pas, l’amitié qui existe entre nous deux n’a besoin ni de préambules ni de précautions pour captiver la bonne volonté. Abrège et va au fait, il est inutile d’employer beaucoup de paroles quand il ne faut qu’un mot.

Sempronio. Tu as raison. Calixte est éperdument amoureux de Mélibée, il a besoin de toi et de moi. Puisque nous lui sommes tous deux nécessaires, profitons-en tous deux ; connaître le temps et saisir l’occasion, c’est ce qui fait prospérer les hommes.

Célestine. Tu as bien dit, je suis au fait, un clin d’œil me suffit. Je me réjouis de cette nouvelle tout autant que les chirurgiens des blessures. Et de même que ceux-ci irritent toujours le mal dans le principe et ne donnent pas grand espoir de guérison, de même j’agirai avec Calixte. J’éloignerai de lui toute espérance de salut, parce que longue attente afflige le cœur ; et plus je lui ferai de peine en lui ôtant l’espoir, plus je lui ferai de plaisir en le lui rendant. Tu m’entends ?

Sempronio. Taisons-nous, nous voici à la porte, et, comme on dit, les murs ont des oreilles.

Célestine. Frappe.

Sempronio. Tac, tac, tac.



Calixte, dans l’intérieur. Parmeno !

Parmeno. Seigneur ?

Calixte. N’entends-tu pas, maudit sourd ?

Parmeno. Qu’est-ce, seigneur ?

Calixte. On frappe à la porte, cours.

Parmeno. Qui est là ?

Sempronio. Ouvre à moi et à cette vieille dame.

Parmeno. Seigneur, ce sont Sempronio et une vieille putain toute fardée.

Calixte. Silence, tais-toi, maudit, c’est ma tante, cours et va ouvrir. (À part.) J’ai toujours vu que lorsque l’homme veut fuir un danger, il tombe dans un danger plus grand. En cachant cette affaire à Parmeno, que je pouvais maintenir par attachement, par fidélité ou par crainte, j’ai encouru la colère de cette femme qui a un si grand pouvoir sur ma vie.

Parmeno. Pourquoi, seigneur, vous adressez-vous des reproches ? pourquoi vous tourmentez-vous ? Pensez-vous que le nom que j’ai donné à cette vieille ait quelque chose de choquant pour ses oreilles ? Ne le croyez pas ; elle se fait autant de gloire de l’entendre que vous lorsqu’on dit : « Calixte est un habile cavalier. » C’est ainsi qu’on la nomme, c’est sous ce titre qu’elle est connue. Si elle se trouve au milieu de cent femmes et que quelqu’un, en passant, dise : « Vieille putain, » sans aucun doute elle tourne à l’instant la tête et répond en souriant. Dans les réunions, dans les fêtes, dans les noces, dans les festins, dans les enterrements, dans toutes les assemblées on la rencontre. Si elle passe près des chiens, ils aboient son nom ; si elle se trouve près des oiseaux, ils ne chantent pas autre chose ; si les moutons l’aperçoivent, ils la nomment en bêlant ; si les bestiaux la rencontrent, ils disent en beuglant : « Vieille putain ! » les grenouilles des marais ne prononcent pas d’autre mot ; si elle va près des forgerons, leurs marteaux l’appellent ; ainsi font les charpentiers, les armuriers, les serruriers, les chaudronniers, toute espèce de métier lance son nom dans les airs. Les charpentiers la chantent, les matelassiers la cardent, les tisserands l’ourdissent. Les laboureurs dans les vergers, dans les vignes, dans les blés, passent avec elle leur travail de chaque jour ; les joueurs, quand ils perdent, chantent ses louanges. Tout ce qui a un son, partout où elle se trouve, reproduit son nom. Que voulez-vous de plus ? Si une pierre heurte contre une autre pierre, elle dit à l’instant : « Vieille putain ! »

Calixte. Comment sais-tu cela ? comment la connais-tu ?

Parmeno. Je vais vous le dire. Il y a longtemps que ma mère, pauvre femme, demeurait dans son voisinage ; à la prière de Célestine, elle me donna à elle pour la servir. La sorcière ne me connaît guère cependant, car je l’ai servie peu de temps, et l’âge m’a changé depuis.

Calixte. Et à quoi lui servais-tu ?

Parmeno. Seigneur, j’allais au marché, je lui apportais ses provisions et je l’accompagnais. J’accomplissais près d’elle les devoirs auxquels suffisaient mes petites forces. Dans ce peu de temps que je l’ai servie, j’ai garni ma mémoire de bien des choses que quelques années n’en ont pu arracher. Cette bonne vieille possède au bout de la ville, près des tanneries, sur le bord de la rivière, une maison isolée, à moitié détruite, peu meublée et encore moins abondamment pourvue. Elle y faisait une demi-douzaine de métiers : elle était lingère, parfumeuse, maîtresse passée dans l’art de fabriquer du fard et de restaurer les virginités, maquerelle et quelque peu sorcière. Le premier métier servait de couverture pour les autres ; à l’ombre de cette profession, bien des servantes entraient dans sa maison pour faire métier d’elles-mêmes23, puis pour faire des chemises, des gorgerettes et bien d’autres ouvrages. Pas une ne venait sans provisions : du jambon, un peu de blé, de la farine, du vin et choses semblables qu’elle dérobait à ses maîtres ; là se recelaient bien des vols de toute qualité. La vieille connaissait bon nombre d’étudiants, d’économes et de novices de couvents ; elle leur vendait le sang innocent de ces pauvres filles, qui l’aventuraient hardiment, confiantes en la restitution qu’elle leur promettait. Elle alla plus loin : à l’aide de ses élèves, elle communiquait avec les filles les mieux surveillées, et venait toujours à bout de ses projets. J’ai vu entrer bon nombre de ces dernières en temps de prières, à l’aide des stations, des processions de nuit, des messes de Noël, des messes de l’aube et de mille prétextes de dévotion ; derrière elles venaient des hommes déchaussés, à l’air contrit, à demi vêtus, semblables à des pénitents, et qui se rendaient chez la vieille pour pleurer leurs péchés. Pensez quel trafic c’était ! Elle faisait profession de soigner les petits enfants, elle prenait du lin dans une maison et le donnait à filer dans l’autre, tout cela pour avoir moyen d’entrer partout. Partout on la connaissait : « Mère par ci, mère par là, voilà la vieille, voici la matrone. » Malgré tant d’affaires, elle ne négligeait ni messe ni vêpres ; elle ne manquait aucun couvent de moines ou de religieuses : c’est là qu’elle disait ses dévotions et ses intrigues. Dans sa maison, elle faisait des parfums, falsifiait des essences, du benjoin, de l’ambre, du musc, des poudres, des odeurs. Elle avait une chambre pleine d’alambics, de fioles, de petits barils de terre, de verre, de cuivre et d’étain, faits de mille façons ; elle fabriquait du sublimé, des fards, des fausses broderies, des petites bougies, de la laine, des pommades, de l’eau lustrale, des eaux pour le teint, du blanc et autres drogues pour le visage, avec de la lie de vin, avec de l’asphodèle, avec de l’écorce de baguenaudier, de la serpentaire, du fiel, du verjus. Elle distillait des sirops et des choses sucrées. Elle adoucissait la peau avec du jus de limon, du turbith, de la moelle de chevreuil et de héron et autres matières. Elle fabriquait des eaux de senteurs, de roses, d’oranges, de citrons, de jasmins, de chèvrefeuille, d’œillets sauvages musqués, pulvérisés avec du vin. Elle faisait une lessive pour teindre les cheveux en blond avec des sarments, du chêne vert, du seigle, des marrubes, du salpêtre, de l’alun et diverses autres choses. Il serait fastidieux de dire les graisses, les beurres, les suifs qu’elle possédait. Elle en avait de vache, d’ourse, de jument, de chamelle, de couleuvre, de lapin, de baleine, de héron, de butor, de daim, de chat sauvage, de blaireau, de hérisson, de loutre ; des essences pour bains, en quantité. Rien n’est merveilleux comme le nombre d’herbes et de racines qui étaient suspendues au toit de sa maison. De la camomille, du romarin, de la guimauve, de la capillaire, du mélilot, de la fleur de sureau et de moutarde, du nard, du laurier blanc, de la fleur sauvage, du figuier, du bec d’or, de la feuille noire. Elle composait pour le visage un nombre incroyable d’huiles, d’alibousier, de jasmin, de limon, de pépins, de violettes, de benjoin, de pistachier, de pignons, de jujubier, de lupin, de pois chiches, d’herbe aux oiseaux. Elle conservait précieusement dans une armoire un petit pot de baume pour cette balafre qu’elle a au travers du nez. Quant aux virginités endommagées, elle refaisait les unes avec de petites vessies, elle réparait les autres avec un point de couture. Elle a sur une tablette, dans une petite armoire peinte, quelques aiguilles très-fines de pelletier et des fils de soie cirée, des racines de fustet, d’ognon sauvage et de poireau ; avec cela elle faisait des merveilles. Quand l’ambassadeur français vint ici, elle lui vendit trois fois pour vierge une servante qu’elle avait.

Calixte. Elle eût pu le faire pour cent autres.

Parmeno. Ah ! Dieu puissant ! elle restaurait par charité un grand nombre d’orphelines et de pauvres égarées qui s’adressaient à elle. Dans une pièce éloignée, elle avait mille remèdes pour les amours malheureux et des philtres pour se faire aimer. Elle avait des morceaux de cœur de cerf, de langue de vipère, des têtes de cailles, des cervelles d’ânes, des excréments de cheval et de petit enfant, des fèves mauresques, des aiguilles aimantées, des cordes de pendus, de la fleur de lierre, des pointes de hérisson, des pieds de blaireau, des graines de fougère, la pierre du nid de l’aigle et mille autres choses. Bien des hommes et des femmes venaient la consulter : aux uns elle demandait le pain dans lequel ils mordaient, aux autres un morceau de leur robe, à d’autres des mèches de leurs cheveux ; à ceux-ci elle peignait des caractères avec du safran dans la paume de la main, à ceux-là des signes avec du vermillon ; à quelques-uns elle donnait des cœurs de cire pleins d’aiguilles brisées et d’autres choses faites de glaise et de plomb et fort hideuses à voir. Elle traçait des figures, marmottait des paroles près de terre… Qui pourrait vous dire ce que faisait cette vieille sorcière ? tout était mensonge et moquerie.

Calixte. Tout cela est bien, Parmeno ; nous y reviendrons en temps opportun. Je te sais bon gré de ces avis et t’en remercie. Ne perdons plus de temps, car la nécessité n’aime pas les retards. Cette vieille vient ici à ma demande ; elle attend plus qu’elle ne devrait le faire ; il ne faut pas qu’elle s’impatiente. Je crains, et la crainte éveille la mémoire et force à chercher des ressources. Allons, hâtons-nous, avisons. Mais, je t’en conjure, Parmeno, que la jalousie qui règne entre toi et Sempronio, qui me sert à cette occasion, ne mette pas obstacle au remède de ma vie ; si pour lui j’ai trouvé un pourpoint, la casaque ne te manquera point. Ne pense pas que je fasse moins de cas de tes conseils et de tes avis, que de ses démarches et de ses peines. Je sais que les droits de l’esprit passent avant les droits du corps. Les animaux travaillent plus de corps que les hommes ; c’est pour cela qu’on les soigne, qu’on les panse ; mais on ne les prend pas en amitié. C’est là la différence que je veux établir entre Sempronio et toi, je te le dis sous le sceau du secret. À part mes droits de maître, c’est toi que je choisirai pour ami.

Parmeno. J’ai le droit de me plaindre, seigneur, si j’en juge par vos promesses et vos protestations, de ce que vous semblez mettre en doute mon zèle et ma fidélité. Quand m’avez-vous vu, seigneur, agir avec envie ou négliger vos intérêts pour quelque profit personnel ?

Calixte. Ne te fâche pas, car de tous mes serviteurs tu es celui dont la conduite et la tenue me sont les plus agréables. Mais dans cette occasion importante de laquelle dépendent mon bonheur et ma vie, il faut agir de prévoyance, et j’avise aux événements. Je sais qu’une bonne conduite comme la tienne vaut mieux qu’un bon naturel, mais je sais aussi que le bon naturel est le principe de la ruse. N’en parlons pas davantage et courons à mon salut.

Célestine, à la porte. J’entends marcher, on descend. Sempronio, fais semblant de ne pas les entendre, écoute et laisse-moi dire ce qui convient à nos intérêts à tous deux.

Sempronio. Parle.

Célestine. Ne me tourmente pas et ne m’importune pas : surcharger le malheureux, c’est aiguillonner l’animal fatigué. Tu comprends tellement la peine de ton maître Calixte, qu’il semble que toi et lui ne fassiez qu’un et que vous supportiez tous deux les mêmes tourments. Sois persuadé que je ne suis pas venue ici pour laisser cette affaire sans solution ; Calixte parviendra à son but, ou bien je périrai à la tâche.

Calixte, dans l’intérieur. Parmeno, arrête-toi, écoute, ils parlent tous deux, voyons de quoi il est question. Ô l’excellente femme ! ô biens de ce monde indignes d’être possédés par un si noble cœur ! ô fidèle et sincère Sempronio ! Vois-tu, mon cher Parmeno ? Entends-tu ? Ai-je raison ? Que penses-tu, dépositaire de mes secrets24, mon conseil et mon âme ?

Parmeno. Je dois protester de mon innocence au moindre soupçon et vous conserver jusqu’au bout ma fidélité ; je parlerai, puisque vous m’y autorisez. Écoutez-moi, que la prévention ne vous rende pas sourd, que l’espérance d’un bonheur à venir ne vous aveugle pas. Soyez calme et ne vous hasardez pas, car bien des gens s’efforcent de toucher au but qui se perdent dans le blanc. Quoique jeune ; j’ai vu bon nombre de choses ; la mémoire et la réflexion forment l’expérience. En vous voyant ou en vous entendant descendre, Sempronio et la vieille ont dit à dessein ce que vous venez d’entendre ; et c’est sur ces fausses paroles que vous fondez tout votre succès.

Sempronio, à la porte. Célestine, ce que dit Parmeno ne sonne pas bien.

Célestine. Tais-toi, par ma patronne, où est venu l’âne viendra aussi le bât. Laisse-moi là Parmeno, je le gagnerai à notre cause ; de ce que nous aurons nous lui donnerons sa part ; les biens ne sont des biens que s’ils sont partagés. Gagnons tous, partageons tous, jouissons tous ; je te l’amènerai doux et humble à manger dans la main ; nous serons deux à deux ou, comme on dit, trois contre un.

Calixte, dans l’intérieur. Sempronio !

Sempronio. Seigneur ?

Calixte. Que fais-tu, clef de ma vie ? Ouvre. — Ô Parmeno, je la vois, je suis sauvé, je renais. Vois, quelle révérende personne, quelle tenue ! Qu’il est facile, en mainte occasion, de juger par la physionomie des qualités intérieures ! Ô vertueuse vieillesse ! Ô vertu sur le retour ! ô glorieuse espérance d’un heureux succès ! ô succès de ma douce espérance ! ô salut de ma passion, terme de mon tourment, régénération inespérée, vivification de ma vie, résurrection de ma mort ! Je brûle d’être près de toi, je suis impatient de baiser ces mains pleines de salut. L’indignité de ma personne m’en empêche. D’ici j’adore la terre que tu foules et je la baise en ton honneur.

Célestine, à part. Sempronio, ce n’est pas de cela que je vis. Ton imbécile de maître pense-t-il me nourrir des os que j’ai rongés ? J’attends autre chose de lui, nous le verrons à l’œuvre. Dis-lui de fermer la bouche et de commencer à ouvrir la bourse ; je doute des œuvres et encore plus des paroles. Attends que je te gratte, ânesse paresseuse25 ? Tu aurais mieux fait te lever matin.

Parmeno, à part. Malheur aux oreilles qui entendent de pareilles choses ! Il est perdu celui qui hante les gens perdus. Ô malheureux Calixte, homme aveugle et démoralisé ! Le voilà, la face contre terre, adorant la plus vieille carogne que la terre ait portée et qui ait jamais frotté ses épaules dans les bordels. Il est perdu, il est vaincu, il est terrassé, incapable de la moindre réflexion, du moindre effort.

Calixte. Que disait la vieille ? Il me semble qu’elle pensait que je voulais la payer en paroles.

Sempronio. C’est ce que j’ai compris.

Calixte. Viens avec moi, apporte les clefs, je suis certain de ma guérison.

Sempronio. Vous faites bien, hâtons-nous, il ne faut pas laisser croître la mauvaise herbe parmi le bon grain ni le soupçon dans le cœur de nos amis ; il faut les en chasser avec le sarcloir des bonnes œuvres.

Calixte. Tu raisonnes sagement, marchons et ne tardons pas. (Ils sortent.)

Célestine. Je suis ravie, Parmeno, que nous puissions trouver un moment pour que tu connaisses l’amour que je te porte et la part qui te revient dans mon indigne affection. Je dis indigne, en raison de ce que je t’ai entendu dire tout à l’heure et dont je fais peu de cas. La vertu nous apprend à supporter les tentations et à ne pas rendre mal pour mal, surtout quand nous sommes molestés par des enfants, peu savants en matières de ce monde, qui, avec une fidélité irréfléchie, perdent leurs maîtres et eux-mêmes, comme tu le fais pour Calixte et pour toi. Je t’ai fort bien entendu ; ne crois pas que ma vieillesse ait perdu l’ouïe ainsi que les autres sens ; non-seulement je comprends ce que je vois, ce que j’entends, ce que je connais, mais encore je devine et j’analyse avec les yeux de l’esprit. Tu dois savoir, Parmeno, que Calixte est victime d’un amour malheureux ; ne crois pas pour cela qu’il soit sans force ; l’amour sait venir à bout de tout26. Apprends, si tu l’ignores, qu’il y a deux maximes d’une vérité incontestable : la première, que l’homme est obligé d’aimer la femme, que la femme doit aimer l’homme ; la seconde, que celui qui aime véritablement doit être poussé par le désir des souveraines jouissances créées par le père de toutes choses ; il faut que l’espèce se perpétue, sans cette loi elle s’anéantirait. Il n’en est pas ainsi seulement des hommes, mais des poissons, des bêtes, des oiseaux, des reptiles. Dans le règne végétal, quelques plantes obéissent à la règle commune, si elles ont crû à peu de distance l’une de l’autre et sans interposition de choses étrangères ; de là les horticulteurs et les agriculteurs ont dit qu’il y avait des plantes mâles et des plantes femelles. Que peux-tu répondre à cela, Parmeno ? Enfant, petit fou, petit ange, petite perle, louveteau ! Approche, innocent, tu ne sais rien de ce monde ni de ses jouissances. Mais la male rage me tue, si je te tiens près de moi, toute vieille que je suis… Tu as la voix rauque, ta barbe perce à peine ; tu dois avoir la pointe de la bedaine un peu inquiète27.

Parmeno. Comme la queue du scorpion.

Célestine. Plus encore, je pense, car l’une pique sans enfler, la tienne fait enfler pour neuf mois.

Parmeno. Hi, hi, hi !

Célestine. Ris, petit truand.

Parmeno. Tais-toi, mère, ne me fais pas de reproches, ne me prends pas pour un ignorant, bien que je sois jeune. J’aime Calixte, parce que je lui dois fidélité, parce que je lui appartiens, parce que je suis à ses gages, parce qu’il me traite bien et me considère ; c’est là la meilleure chaîne qui puisse attacher le serviteur à son maître ; le contraire les éloigne l’un de l’autre. Je vois qu’il est perdu, car je ne connais pas de position plus triste que de désirer une chose dont on n’espère pas le succès, et surtout de vouloir remédier à un mal aussi instant et aussi intraitable avec les vains conseils et les sottes raisons d’une brute comme Sempronio. C’est faire la chasse aux fourmis à coups de pelle et de pioche. Je ne puis supporter cela, je le dis et je m’en afflige.

Célestine. Tu ne vois pas, Parmeno, que c’est le comble de la simplicité et de l’enfantillage que de s’affliger pour une chose à laquelle les larmes ne peuvent apporter aucun remède.

Parmeno. Et c’est cela qui me désole, car si en pleurant je pouvais soulager mon maître, cette espérance me donnerait un plaisir tel que la joie m’empêcherait de pleurer ; or, je perds l’espérance, je perds la joie, et je pleure.

Célestine. Les larmes sont sans pouvoir pour ce qu’elles veulent empêcher : tu ne parviendras pas à le guérir. Cela n’est-il pas arrivé à d’autres, Parmeno ?

Parmeno. Si fait, mais je ne voudrais pas voir mon maître souffrant.

Célestine. Il ne l’est pas ; mais lors même qu’il le serait, il pourrait guérir.

Parmeno. Je fais peu de cas de ce que tu dis, car dans le bien, mieux vaut le fait que l’intention ; dans le mal, mieux vaut l’intention que le fait. Ainsi il vaut mieux se bien porter que le pouvoir, il vaut mieux pouvoir être malade qu’être malade en effet. Or donc, il vaut mieux avoir la possibilité dans le mal que le mal lui-même.

Célestine. Oh, maudit ! qu’on ne te comprend guère ! Tu ne connais pas son mal ? Qu’as-tu dit jusqu’à présent ? De quoi te plains-tu ? Te moques-tu de moi ou mens-tu à plaisir ? Crois-en ce que tu voudras, ton maître est malade en effet, la possibilité de le guérir est entre les mains de cette pauvre vieille.

Parmeno. Ou plutôt de cette pauvre vieille gueuse.

Célestine. Puisses-tu vivre avec autant de gueuserie qu’elle28, rusé coquin ! D’où te vient pareille audace ?

Parmeno. De ce que je te connais.

Célestine. Qui es-tu donc ?

Parmeno. Qui je suis ? Parmeno, le fils d’Albert, ton compère ; j’ai vécu quelque temps chez toi ; ma mère me mit sous ta garde lorsque tu demeurais au bord de la rivière, près des tanneries.

Célestine. Jésus, Jésus, Jésus ! tu es Parmeno, le fils de la Claudine ?

Parmeno. En vérité.

Célestine. Le feu du ciel te brûle ! ta mère était une aussi vieille gueuse que moi. Pourquoi m’attaques-tu ainsi, Parmeno, mon fils ? Est-ce bien lui ? C’est lui, par tous les saints ! Approche-toi, viens ici. Je t’ai donné dans ce monde bien des soufflets, bien des coups de poing et tout autant de baisers. Te souviens-tu quand tu dormais à mes pieds, petit fou ?

Parmeno. Ah ! je m’en souviens bien, et quelquefois, bien que je fusse tout petit, tu m’attirais à ton chevet, tu me pressais contre toi, et je me sauvais parce que tu sentais la vieille.

Célestine. La fièvre te brûle ! n’as-tu pas honte de parler ainsi ! Laisse là ces folies et ces passe-temps ; écoute, mon fils, et sois attentif, car bien que j’aie été appelée dans un but, je suis venue pour un autre ; j’ai conçu de nouvelles idées en te voyant, et je ne suis ici maintenant que pour toi. Tu sais, mon cher fils, comment ta mère (que Dieu garde !) te confia à moi du vivant de ton père. Au moment de sa mort, déjà tu m’avais quittée, elle n’avait d’autre inquiétude que toi et ton avenir ; ton absence lui rendît cruelles les dernières années de sa vieillesse ; au moment de sa mort, dis-je, elle m’envoya chercher, et, en secret, me chargea de toi ; puis, sans autre témoin que celui qui peut témoigner de toutes actions et de toutes pensées, qui connaît les secrets de nos cœurs et de nos entrailles, et qui se plaça entre elle et moi, elle me dit de te chercher, de t’amener chez moi et de te donner asile. Lorsque tu aurais atteint un âge raisonnable, je devais, pour qu’en vivant tu pusses tenir une position, te découvrir un lieu où elle avait caché une quantité d’or et d’argent qui vaut bien mieux que tous les revenus de ton maître Calixte. Je le lui promis, et ma promesse la laissa plus tranquille ; il est mieux de tenir parole aux morts qu’aux vivants, car les premiers ne peuvent plus agir par eux-mêmes. J’ai perdu beaucoup de temps et beaucoup dépensé à ta recherche jusqu’à ce jour, où il a plu à celui qui a soin de tout, qui accueille toutes les prières et exauce les pieuses demandes, de me faire te rencontrer ici, où je sais depuis trois jours seulement que tu demeures. J’ai été bien vivement affligée, car tu as voyagé et couru de tant de côtés, que tu n’as pu faire aucun profit ni aucun ami. Sénèque l’a dit : « Les voyageurs ont beaucoup d’auberges et peu d’amis, » parce que ce n’est pas en quelques jours que se forment les intimités. Celui qui traite plusieurs affaires à la fois ne s’occupe bien d’aucune ; la nourriture ne peut profiter à celui qui mange en courant ; rien n’est plus nuisible à la santé que la diversité des mets ; jamais une blessure ne se cicatrise si on y applique sans cesse des traitements différents ; l’arbre qu’on transplante trop souvent ne peut prendre racine ; il n’y a pas une chose, quelque profitable qu’elle puisse être, qui soit avantageuse au premier moment29. Enfin, mon fils, renonce aux folies de la jeunesse, suis les principes de tes pères, reviens à la raison, fixe-toi quelque part. seras-tu mieux qu’avec ma volonté, ma pensée, mes conseils, à moi qui t’ai reçu de tes parents ? Et je te parle comme si j’étais ta véritable mère, sous peine de la malédiction qu’elle a prononcée contre toi si tu me désobéis. Reste maintenant près de ce maître que tu as choisi, jusqu’à ce que je te conseille autre chose ; mais ne va pas le servir avec cette inconséquente fidélité, ne va pas combattre en lui la mobilité, qui est le caractère essentiel des seigneurs de ce temps. Fais-toi des amis, c’est chose durable ; sois-leur constant, ne vis pas en fleur30 ; laisse là les vaines promesses des seigneurs, qui sucent la substance de leurs serviteurs comme la sangsue suce le sang, qui ensuite les maltraitent, les injurient, oublient leurs services et leur refusent toute récompense. Malheur à qui vieillit dans un palais ! c’est ce qu’on écrit de la piscine Probatique : pour cent malades qui y entraient, il en guérissait un31. Les seigneurs de ce temps s’aiment plus eux-mêmes que leurs serviteurs, et ils n’ont pas tort ; ceux qui leur appartiennent doivent agir de même avec eux. La bonne conduite, les actions nobles et généreuses sont choses perdues, chacun d’eux en profite et préfère mesquinement son intérêt à celui des autres. Or les autres, qui ne sont pas en majorité, ne doivent pas faire autre chose que suivre la même loi. Je te dis tout cela, mon fils Parmeno, parce que ton maître (comme on l’appelle) me semble un attrape-nigauds, il veut se servir de tous sans salaire. Penses-y bien, crois-moi, fais-toi des amis dans sa maison, c’est le bien le plus précieux de ce monde ; mais ne compte pas sur son amitié, la différence des états et des conditions le permet rarement. L’occasion se présente, comme tu sais, pour que nous profitions tous ; pense à toi pour le moment ; ce dont je t’ai parlé, je te le garde pour un autre temps, il est d’un grand avantage pour toi d’être l’ami de Sempronio.

Parmeno. Célestine, je suis tout tremblant de t’entendre, je ne sais que faire, je suis indécis. D’un côté je te vois, toi, qui es ma mère ; de l’autre Calixte, qui est mon maître. Je désire la richesse, mais celui qui s’élève honteusement retombe plus vite qu’il n’était monté. Je ne voudrais pas de biens mal acquis.

Célestine. Et je veux, moi, soit à tort, soit à bon droit, maison pleine jusqu’au toit.

Parmeno. Je ne vivrais pas content avec de tels biens ; une honnête pauvreté est une noble chose ; je te dirai même que n’est pas pauvre qui a peu, mais qui désire beaucoup ; sur ce point, quoi que tu dises, je ne te crois pas. Je voudrais passer la vie sans envie, le désert et la solitude sans crainte, le sommeil sans sursaut, supporter les injures sans colère, la force sans rébellion, et résister à l’oppression.

Célestine. Ô fils, on a bien raison de dire que la prudence ne peut exister que chez les vieillards. Tu es bien enfant.

Parmeno. Une douce pauvreté est le bien le plus précieux.

Célestine. Mais dis plutôt comme Maro, la fortune favorise l’audace. Enfin, quel est l’homme riche dans la république qui veuille vivre sans amis ? Dieu soit loué, tu possèdes quelque bien ; ne sais-tu pas que tu as besoin d’amis pour le conserver ? Ne pense pas que ton intimité avec ce seigneur te fasse grand profit ; plus la fortune est grande, moins elle est solide ; dans toutes les infortunes, le remède le plus sûr, ce sont les amis. Où trouveras-tu plus facilement cet avantage, que là où se réunissent les trois genres d’amitié ? Je veux dire ceux qui procurent le bien, le profit et le plaisir. Pour le bien, considère la volonté de Sempronio unie à la tienne, et la grande similitude de caractère qui existe entre vous deux. Pour le profit, il est entre vos mains si vous êtes d’accord. Il en est de même pour le plaisir : vous êtes d’âge à goûter toute espèce de jouissances, c’est pour cela que les jeunes gens se réunissent plus volontiers que les vieillards ; pour jouer, pour s’habiller, pour rire, pour manger et boire, pour traiter les affaires d’amour, ils font tout de compagnie. Oh ! si tu voulais, Parmeno, quelle heureuse vie nous mènerions ! Sempronio aime Élicie, la cousine d’Areusa.

Parmeno. D’Areusa !

Célestine. D’Areusa.

Parmeno. D’Areusa, la fille d’Élisée ?

Célestine. D’Areusa, la fille d’Élisée.

Parmeno. Est-il possible

Célestine. En vérité.

Parmeno. C’est une chose merveilleuse.

Célestine. Cela te semble bien ?

Parmeno. Je ne connais rien de mieux.

Célestine. Puisque ta bonne étoile le veut, il y a ici quelqu’un qui te la donnera.

Parmeno. Ma foi, mère, je ne crois plus personne.

Célestine. C’est un excès de croire tout le monde ; ne croire personne est un tort.

Parmeno. Eh bien, je te crois ; mais je ne veux pas ; laisse-moi.

Célestine. Oh ! le niais ! ne pouvoir supporter le bien, c’est l’acte d’un cœur malade. Dieu donne des fèves à qui n’a pas de mâchoires. Ô innocent ! On peut bien dire que là où se trouve le moins de bon sens se rencontre le plus de fortune ; plus il y a d’esprit, moins il y a de fortune ; c’est fort heureux.

Parmeno. Ô Célestine, j’ai entendu dire à mes parents qu’un exemple de luxure et d’avarice fait beaucoup de mal, et que l’homme doit rechercher ceux qui peuvent le rendre meilleur et fuir ceux qui sont moins bons que lui. Sempronio ne me rendra pas meilleur par ses exemples, et moi, je ne guérirai pas ses vices. Pour que je me rende à ce que tu me dis, il faudrait que je fusse seul à le savoir, afin au moins que le péché fût caché pour l’exemple. Si l’homme vaincu par le plaisir agit contre la vertu, que du moins il n’attente pas à l’honnêteté.

Célestine. Tu parles sans réflexion ; la possession d’aucune chose n’est agréable sans compagnie. Ne recherche pas l’isolement et l’amertume, car la nature fuit ce qui est triste et désire ce qui est joyeux. Le bonheur est d’être avec ses amis pour les plaisirs sensuels, et surtout pour se souvenir de ses amours et les raconter. J’ai fait ceci, elle m’a répondu cela, nous avons dit telle et telle plaisanterie, je l’ai prise de telle manière, je l’ai embrassée ainsi, elle m’a mordu, je l’ai embrassée, elle s’est placée de la sorte. Ô quelles douces paroles ! quelle grâce ! quels jeux ! quels baisers ! allons là, retournons là-bas, vive la musique, écrivons-lui des vers, chantons ses louanges, inventons mille choses galantes, joutons. Quelle devise prendrons-nous ? Elle va à la messe ; elle sortira demain ; rôdons dans sa rue ; vois cette lettre qu’elle m’a écrite ; allons-y cette nuit ; tiens-moi l’échelle, garde la porte. Comment t’en es-tu tiré ? Voilà le cornard, il l’a laissée seule, amuse-le, j’y retourne. Et pour tout cela, Parmeno, y a-t-il plaisir sans compagnie ? En vérité, en vérité, que chacun parle de ce qu’il connaît ; c’est là le vrai bonheur ; les ânes en font au moins autant dans la prairie.

Parmeno. Je ne voudrais pas, mère, que tu me donnasses des conseils sous promesse de plaisir, comme font ceux qui manquent de raisons valables, qui environnent leurs paroles d’un doux venin, pour chasser ou captiver la volonté de leurs dupes, et qui aveuglent les yeux de la raison avec des semblants de douce affection.

Célestine. Quelle raison, fou ? Quelle affection, âne ? C’est le bon sens qui te manque, la prudence vaut mieux que le bon sens, et la prudence ne peut exister sans expérience, l’expérience ne se trouve que chez les vieillards ; nous autres anciens, on nous appelle pères, et les bons pères conseillent bien leurs enfants ; moi, surtout, je te donne des conseils à toi dont je désire le bonheur et l’honneur plus que les miens. Quand me payeras-tu de tout cela ? On ne peut rendre aux parents et aux maîtres le bien qu’on en a reçu.

Parmeno. J’hésite, mère, à suivre un conseil qui me semble douteux.

Célestine. Tu ne veux pas ? Je te dirai ce que dit le Sage : le découragement le plus prompt, la misère et tous les maux attendent l’homme qui se révolte contre la main qui le châtie. Parmeno, je te laisse, c’en est assez sur ce point.

Parmeno. Ma mère est fort irritée, je doute de ses conseils ; ne pas croire est une faute, c’en est une autre que de tout croire. C’est chose humaine que d’avoir confiance, surtout lorsqu’on promet avantages et lorsqu’il y a au delà bénéfices d’amour. J’ai ouï dire que l’homme doit croire ses aînés. Or, que me conseille la vieille ? La paix avec Sempronio ; la paix ne doit jamais se refuser : bienheureux sont les gens pacifiques, on les appellera fils de Dieu32. On ne doit refuser à son prochain ni amour ni charité, chacun y trouve son intérêt ; je veux lui plaire et l’écouter. — Mère, le maître ne doit pas s’irriter de l’ignorance du disciple, sinon la science (qui de sa nature est communicable) ne pourrait pénétrer qu’en peu d’endroits. Pardonne-moi et parle-moi, je veux non-seulement t’écouter et te croire, mais encore recevoir tes conseils avec grande reconnaissance. Ne m’en remercie pas, car la gloire et l’honneur de l’action reviennent plutôt à celui qui donne qu’à celui qui reçoit. Ordonne donc, ma volonté se soumet à tes ordres.

Célestine. L’erreur est le fait des hommes, l’opiniâtreté le fait des bêtes. Je me réjouis, Parmeno, que tu aies déchiré le voile qui te couvrait les yeux et que tu fasses honneur aux connaissances, au savoir et à l’esprit de ton père. Son souvenir, présent à ma mémoire, m’attendrit et fait verser à mes yeux les larmes que tu leur vois répandre. Souvent comme toi il s’obstinait à d’étranges choses, mais bientôt il revenait à la raison. Sur Dieu et sur mon âme, à penser comment tout à l’heure tu t’opiniâtrais et comme tu es revenu à la vérité, je crois le voir encore devant moi. Quel homme c’était, quelle bonté, quelle figure vénérable ! Taisons-nous, car Calixte approche ainsi que ton nouvel ami Sempronio. La grande conformité qui existe entre vous deux vous sera bientôt profitable ; vivre deux dans un seul cœur, c’est être bien puissants pour agir et pour penser.

Calixte. Je doutais, mère, tant je suis malheureux, de te trouver encore vivante ; mais ce qui est plus merveilleux encore, c’est que je sois de ce monde. Reçois ce faible don et ma vie avec lui.

Célestine. De même que dans l’or fin travaillé par la main de l’habile ouvrier, l’œuvre l’emporte sur la matière, de même ce don magnifique surpasse tous les autres par la grâce et le ton de votre libéralité. C’est donner deux fois que de donner promptement ; quiconque fait attendre le résultat de ses promesses semble regretter ce qu’il a offert33.

Parmeno. Que lui a-t-il donné, Sempronio ?

Sempronio. Cent pièces d’or.

Parmeno. Hi, hi, hi !

Sempronio. La mère t’a parlé ?

Parmeno. Oui, silence.

Sempronio. Eh bien, en quels termes sommes-nous ?

Parmeno. Comme tu voudras ; j’en suis encore tout étourdi.

Sempronio. Ce n’est rien, je t’étourdirai bien autrement.

Parmeno, à part. Ô mon Dieu ! il n’y a pas de pire ennemi que l’ennemi de la maison.

Calixte. Va donc, mère, revoir ta demeure, puis reviens m’apporter tes consolations.

Célestine. Dieu soit avec vous, seigneur !

Calixte. Dieu t’accompagne !



4, page 12. — On trouve ici, dans les éditions anciennes, un blasphème qui a été supprimé plus tard et qu’indique seulement une note de l’édition de D. Léon Amarita (Madrid, 1822) : « Si Dieu me donnait dans le ciel une place au-dessus des saints, etc. »

5, page 12. — La scène se transporte chez Calixte.

6, page 13. — Il y a ici Erasistrato au lieu d’Hippocrato dans l’édition de Mathias Gast (Salamanque, 1570).

7, page 13. — La même édition écrit piedad seleucal au lieu de piedad celestial. Cette correction et la précédente, que n’a point admises l’édition de 1822, font allusion à un fait de l’histoire ancienne cité par Valère Maxime :
« Antiochus, fils de Seleucus, roi de Syrie, devint éperdument amoureux de Stratonice, sa belle-mère. Sentant néanmoins tout ce que sa flamme avait de criminel, il cachait religieusement au fond de son cœur cette blessure sacrilége : deux affections opposées, un amour extrême et un respect sans bornes, renfermées dans le même sein, dans les mêmes entrailles, réduisirent le prince au dernier degré de langueur. Il était étendu sur son lit dans un état voisin de la mort. Son père, accablé de douleur, se représentait la perte d’un fils unique et l’horrible malheur de voir sa vieillesse privée d’enfants. Mais la sagacité de l’astrologue Leptine ou, selon d’autres, du médecin Erasistrate, dissipa ce nuage de tristesse. Assis auprès d’Antiochus, il remarqua que lorsque Stratonice entrait, il rougissait et que sa respiration devenait pressée ; que sitôt qu’elle était sortie, il pâlissait et reprenait une respiration plus libre. En observant ces symptômes avec attention, il parvint à découvrir la vérité. Aussitôt il en rendit compte à Seleucus. Ce prince, tout passionné qu’il était pour son épouse, n’hésita pas à la céder à son fils. »

(Valère Maxime, lib. V, cap vii, de Patrum amore.

8, page 14. — « La jument suit son frein, la chamelle suit sa courroie, et le seau suit la corde. » (Vieux proverbe arabe.)

9, page 14. — Cervantes a mis une strophe toute semblable dans une romance que l’amoureuse Altisidore chante sous la fenêtre du chevalier de la Triste-Figure :

« Ne regarde point, du haut de ta roche Tarpéienne, l’incendie qui me dévore, ô Manchois, Néron du monde, et ne l’excite point par ta rigueur ! » (IIe partie, chap. xliv.)

10, page 16. — Il y a dans le texte agarrochados, blessés par la garrocha, dard ou petite lance à crochet dont se servent les chulos pour exciter les taureaux, dans les courses.

11, page 16. — Littéralement : cette musette est sur un autre ton.

12, page 18. — J’ai relu l’histoire bien connue de Minerve, j’ai parcouru quelques ouvrages mythologiques, et nulle part je n’ai pu trouver un seul mot qui m’aidât à deviner l’énigme posée par Sempronio. Il n’est guère probable que ce soit un mythe inconnu sur la déesse de la sagesse. Ses historiens avaient trop de respect pour elle. Ce ne peut être qu’une erreur typographique commise dès les premières éditions ; je crois qu’il serait impossible maintenant de rétablir l’intention de l’auteur.

13, page 18. — Vinum et mulieres apostare faciunt homines, et arguent sensatos. (Ecclésiaste, chap. IX, v. 2.)

14, page 18. — Æque imprudens animal est, et nisi scientia accessit ac multa eruditio, ferum cupiditatem incontinens.

(Sénèque, de Constantia sapientis, cap. xv.)

Non satis muliebris insania viros subjecerat, nisi bina ac terna patrimonia auribus singulis pependissent.

(De Beneficiis, lib. vii, cap. ix.)

15, page 19. — Un proverbe italien non moins impertinent que les maximes de Sempronio dit : La donna e como la castagna, bella di fuori, dentro e la magnana. Pétrone disait que le sexe « était de la nature des milans, qu’il ne fallait jamais lui faire du bien, car c’était peine perdue. »
« Elles sont fines, elles sont cautes, tellement que, si par finesse s’acquérait la victoire, les femmes commanderaient à l’univers. Il ne fut jamais rien pire que la femme entre les calamités des hommes. »
Bienveillante réflexion intercalée par messire J. de Lavardin, dans sa traduction (Paris, 1578).

16, page 20. — Près d’un siècle après l’apparition de la Célestine, Cervantes mettait dans la bouche de don Quichotte un éloge à peu près semblable des charmes secrets de Dulcinée : « Ce que la pudeur cache aux regards des hommes est tel, je m’imagine, que le plus judicieux examen pourrait seul en reconnaître le prix, mais non pas y trouver des termes de comparaison. » (Chap. xiii, trad. de M. Viardot.)

17, page 21. — Il y a dans le texte : pequeñuelas tetas.

18, page 22. — « Calixte. Je te répondrais volontiers ce que Nicomaque dit à un certain ignorant à qui n’avait semblé belle l’Hélène de Zeuxis : « Prends mes yeux, et tu la trouveras une déesse. — Et de quels yeux, sot, voudrais-tu que je la visse ? » (Variante de la traduction de Lavardin.)

19, page 22. — Il y a dans le texte : con ojos de alinde, des yeux de miroir. — (Des lunettes de longue vue. — Traduction de Rouen, 1634.)

20, page 23. — Il y a dans le texte albricias, littéralement étrennes, don que l’on faisait à celui qui apportait une bonne nouvelle.

21, page 25. — Lavardin a traduit « un officier » au lieu de « un moine », et ici « le gros commandeur ». Variantes pudibondes que Rojas n’avait nullement jugées nécessaires un siècle auparavant, malgré toutes les rigueurs de l’autorité ecclésiastique. Lavardin ne s’en est pas tenu à ces légers changements ; nous trouverons au neuvième acte des phrases entières que ses scrupules ne lui ont pas permis de conserver textuellement.

22, page 26. — Le texte dit : A Dios, paredes. — Adieu, murailles.

23, page 28. — Le texte dit : para labrar se.

24, page 32. — Textuellement : rincon de mi secreto, coin de mon secret.

25, page 33. — Xó, que te estriego, asna coja. Vieille expression du jargon villageois dont il est impossible de définir positivement le sens. On la retrouve dans le Don Quichotte (chap. x de la 2e partie) : Xó, que te estrego, burra de mi suegro.

26, page 34. — « Otez l’amour et les voluptés de la vie, il n’y a plus rien en icelle que la triste mort. » (Variante de la traduction de Lavardin.)

27, page 35. — Le texte dit : La punta de la barriga.

28, page 36. — Le texte dit : Putos dias vivas.

29, page 38. — Les Arabes nomades observent une maxime tout opposée ; c’est un gracieux recueil d’images riches et heureuses :
« Voyageur, tu trouveras sans peine un ami à la place de celui dont tu t’éloignes. Change souvent de demeure, car la douceur de la vie consiste dans la variété. Je ne connais rien sur la terre qui soit plus charmant que les voyages : abandonne donc ta patrie et mets-toi en route. L’eau qui reste dans un étang se corrompt bientôt ; coule-t-elle sur un lit de sable, elle devient limpide et douce ; mais à peine s’arrête-t-elle qu’elle devient amère. Si le soleil demeurait constamment sur l’horizon, les peuples de la Perse et de l’Arabie se fatigueraient de sa clarté bienfaisante ; si le lion ne sortait pas de sa forêt, comment prendrait-il sa proie, et si la flèche ne s’éloignait pas de l’arc, comment atteindrait-elle le but ? La poudre d’or, abandonnée dans la mine, n’est pas plus précieuse que de la paille ; et l’aloès, dans son sol natal, est regardé comme le bois le plus commun. »

30, page 38. — No vivas en flor, expression proverbiale pour dire : « Ne perds pas ton temps à des choses frivoles. »

31, page 39. — Voici le texte ; le souvenir de Célestin n’est pas tout à fait exact : Est autem Hierosolymis Probatica piscina, quæ cognominatur hebraice Bethsaida… Angelus autem Domini descendebat secundum tempus in piscinam, et movebatur aqua ; et qui prior descendisset in piscinam post motionem aquæ sanus fiebat à quâcumque detinebatur infirmitate.

(Evang. sec. Joann., cap. v.)

32, page 43. — Beati pacifici, quoniam filii Dei vocabuntur.

(Evang. sec. Matthæum, cap. v.)

33, page 44 :

Tel donne à pleines mains qui n’oblige personne :
La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne.
(P. Corneille, le Menteur.)

Ausone a dit :


  Gratia quæ tarda est, ingrata est gratia ; namque
    Cum fieri properat, gratia grata magis.
  Si benè quid facis, facias citò, nam citò factum
  Gratum erit. Ingratum gratia tarda facit.