La Célestine/Acte 14
ACTE QUATORZIÈME
Mélibée. Il tarde bien ce cavalier que nous attendons ; que crois-tu ou que soupçonnes-tu de ce retard, Lucrèce ?
Lucrèce. Madame, qu’il y a un juste empêchement et qu’il n’est pas en son pouvoir de venir de suite.
Mélibée. Que les anges veillent sur lui, que sa personne soit sans péril ; son retard ne me donne pas de peine. Mais, hélas ! je pense à beaucoup de choses qui peuvent lui arriver depuis sa maison jusqu’ici. Qui sait si, avec la volonté de venir au rendez-vous convenu, et déguisé comme le sont à pareille heure les jeunes gens de sa classe, il n’a pas été rencontré par les alguazils de nuit et si ceux-ci ne l’ont pas attaqué sans le connaître ? Peut-être pour se défendre les a-t-il blessés ou a-t-il été blessé par eux. Peut-être encore les chiens de garde l’ont-ils mordu de leurs dents cruelles (car ils ne savent faire aucune différence, ni avoir aucun respect pour personne). S’il était tombé sur la chaussée ou dans quelque fossé, et s’il s’était fait mal ! Malheureuse que je suis ! quels peuvent être ces obstacles que redoute mon amour et qu’exagère sans doute mon imagination attristée ? Plaise à Dieu qu’aucune des choses que je crains ne lui arrive ! Qu’il reste plutôt sans me voir aussi longtemps qu’il lui plaira. Mais écoute, écoute, des pas se font entendre dans la rue, et il semble qu’on parle de ce côté du verger.
Sosie. Pose ici l’échelle, Tristan, c’est le meilleur endroit, quoiqu’il soit élevé.
Tristan. Montez, seigneur, j’irai avec vous, car nous ne savons pas qui est là dedans. J’entends parler.
Calixte. Restez là, j’entrerai seul, j’entends ma dame.
Mélibée C’est votre esclave, votre captive ; c’est celle qui fait plus de cas de votre vie que de la sienne. Ô mon seigneur ! ne sautez pas d’aussi haut, car je meurs de frayeur. Descendez, descendez peu à peu, par l’échelle ; ne vous hâtez pas tant.
Calixte. Ô angélique image ! Ô perle précieuse près de laquelle le monde entier est laid ! Ô ma dame et ma gloire, je vous tiens dans mes bras et ne le crois pas ! Le plaisir me trouble de telle sorte, que je ne puis apprécier toute la joie que j’éprouve.
Mélibée Mon doux seigneur, puisque je m’abandonne entre vos mains, puisque je me soumets à votre volonté, que je ne sois pas de pire condition pour être dévouée, que si j’étais dédaigneuse et sans miséricorde ; ne veuillez pas me perdre pour un plaisir aussi court et en si peu de temps. Quand le mal est fait, il est plus facile de le blâmer que de le réparer. Jouissez de ce dont je jouis, c’est-à-dire de voir et d’approcher de votre personne. N’exigez et ne prenez pas ce que, une fois pris, il ne sera plus en votre pouvoir de rendre. Gardez-vous, seigneur, de flétrir ce que tous les trésors du monde ne pourraient réparer.
Calixte. Madame, j’ai joué ma vie entière pour obtenir cette faveur, comment n’en profiterai-je pas maintenant qu’elle m’est offerte ? Vous ne voudriez pas l’ordonner, et je ne pourrais y renoncer. Ne me demandez pas une telle lâcheté, aucun homme au monde n’en serait capable, surtout s’il aimait autant que je vous aime. J’ai nagé toute ma vie à travers cet océan de mes désirs, ne voulez-vous pas que je m’arrête dans ce doux port pour m’y reposer de mes peines passées ?
Mélibée. Sur ma vie, seigneur, que votre langue parle autant qu’il lui plaira ; mais que vos mains n’agissent pas autant qu’elles le peuvent. Restez tranquille ; qu’il vous suffise, puisque je suis à vous, de jouir de l’extérieur, de ce qui est le véritable domaine des amants ; ne veuillez pas m’enlever le meilleur bien que la nature m’ait donné. Prenez garde ; le propre du bon pasteur est de tondre ses brebis et ses troupeaux, mais non de les détruire et de les perdre.
Calixte. Pourquoi tout cela, madame ? Voulez-vous que mes souffrances ne puissent se calmer ? Voulez-vous que je souffre de nouveau, que je recommence à vivre comme j’ai vécu ? Pardonnez, madame, à mes mains déhontées, jamais elles ne pensèrent toucher votre robe, tant elles se jugeaient indignes et peu méritantes ; et maintenant, pour elles, le bonheur suprême est de parvenir à votre joli corps, à vos chairs blanches et délicates.
Mélibée. Éloigne-toi, Lucrèce.
Calixte. Pourquoi, madame ? je suis heureux d’avoir de semblables témoins de ma gloire.
Mélibée. Je ne veux pas de témoins de ma faute. Si j’eusse pensé que vous dussiez me traiter avec aussi peu de bienséance, je ne me fusse pas livrée à votre cruelle conversation.
Sosie. Tristan, tu entends bien ce qui se passe : l’affaire est en bon train !
Tristan. J’entends si bien que je juge mon maître pour le plus heureux homme qu’il y ait sur terre ; et, sur ma vie, bien que je sois jeune, j’en rendrais aussi bon compte que lui.
Sosie. Pour une telle bague chacun aurait des mains ; il a raison d’en profiter107, car cela lui coûte cher : il est entré deux jeunes gens dans la sauce de ces amours.
Tristan. Il les a déjà oubliés. Laissez-vous mourir en servant des gens sans cœur ! faites des folies dans l’espoir qu’ils vous défendront ! Quand j’étais chez le comte, mon père me conseillait de prendre garde de ne pas tuer un seul homme. Vois-les donc joyeux et embrassés ; il n’y a pas un instant que leurs serviteurs ont été décapités pour une faute qui n’était pas petite.
Mélibée. Ô ma vie ! ô mon seigneur ! comment se peut-il que vous ayez voulu me faire perdre le nom et la couronne de vierge pour un plaisir d’aussi courte durée ? Ô ma pauvre mère ! si tu apprenais semblable chose, ne voudrais-tu pas mourir à l’instant ou me tuer dans ta colère ? Tu te ferais le bourreau de ton propre sang ! Je serais la cause de ta mort ! Ô mon honorable père ! comme j’ai flétri ta réputation, comme j’ai profané ta maison ! Ô criminelle que je suis ! comment n’ai-je pas prévu, seigneur, quelle grande faute suivrait votre venue et quel danger me menaçait !
Sosie. J’aurais voulu entendre ces jérémiades auparavant. Vous savez toutes cette oraison quand le mal ne peut plus s’éviter. L’imbécile de Calixte qui l’écoute !
Calixte. Le jour va venir ; qu’est-ce que cela ? Il me semble qu’il y a une heure au plus que nous sommes ici, et l’horloge sonne trois heures.
Mélibée. Seigneur, pour Dieu, puisque tout est à toi, puisque maintenant je suis ton bien, puisque tu ne peux refuser mon amour, ne me refuses pas ta vue, et toutes les nuits qu’il te plaira, viens à la même heure dans ce lieu secret ; car je t’ai attendu avec impatience, et je t’attendrai à l’avenir avec la joie que tu me laisses. Et maintenant, va avec Dieu, tu ne seras pas vu, car il fait très-obscur, et je ne serai pas entendue, car il n’est pas encore jour.
Calixte. Amis, posez l’échelle.
Sosie. Seigneur, la voici, descendez.
Mélibée. Lucrèce, viens ici, je suis seule : mon doux seigneur est parti ; son cœur reste avec moi, il emporte le mien avec lui. Nous as-tu entendus108 ?
Lucrèce. Non, madame, j’ai dormi.
Sosie. Tristan, marchons en silence, car c’est à cette heure que se lèvent les riches, les gens désireux de biens temporels, les dévots des temples, des monastères, des églises, les amoureux comme notre maître, les travailleurs des champs et des labourages, les bergers qui dès le matin amènent les brebis à l’étable pour les traire, et il se pourrait qu’en passant ils recueillissent quelque mot qui pourrait perdre tout l’honneur de Mélibée.
Tristan. Ô le niais ! racleur de chevaux ! tu dis qu’il faut nous taire, et tu la nommes. Tu serais fameux pour guider de nuit les chrétiens dans le pays des Maures. Tu défends en même temps que tu permets ; tu couvres et tu découvres ; tu garantis et tu attaques ; tu te tais et tu cries ; tu questionnes et tu réponds à la fois. Puisque tu es si subtil et si discret, ne pourras-tu me dire en quel mois tombe la Notre-Dame d’août, afin que nous sachions s’il y a assez de paille à la maison pour que tu aies de quoi manger cette année ?
Calixte. Mes inquiétudes et les vôtres ne sont pas les mêmes. Entrez en silence afin qu’on ne vous entende pas à la maison ; fermez cette porte et allons nous reposer : je vais monter seul dans ma chambre, je me désarmerai ; vous autres, allez vous coucher. (Seul.) Hélas ! combien la solitude, le silence et l’obscurité conviennent à ma nature ! Est-ce parce que je suis honteux de la trahison que j’ai commise en me séparant de ma bien-aimée avant que le jour fût plus proche ? Est-ce parce que je souffre de mon déshonneur ? Hélas ! hélas ! qu’est-ce que cela ? Voici que je sens cette blessure maintenant qu’elle est refroidie, maintenant qu’est glacé le sang qui bouillait hier, maintenant que je vois la tache qui souille ma maison, le dérangement de mon service, la perte de mon patrimoine, l’infamie qui retombe sur moi après la mort de mes serviteurs. Qu’ai-je fait ? Quel parti ai-je pris ? Comment puis-je être assez calme pour ne pas me montrer à l’instant comme offensé, comme vengeur superbe et empressé de l’injustice évidente qui m’a été faite ? Ô misérable douceur de cette courte vie ! Comment un homme peut-il être assez avide de te posséder, pour ne pas mieux aimer mourir à l’instant que jouir pendant une année d’une existence avilie, déshonorée, flétrie malgré la juste réputation acquise dans le passé ? Pourquoi ne suis-je pas sorti pour m’informer de la véritable cause de mon malheur ? Ô plaisir de ce monde ! combien tes faveurs sont d’un haut prix et de courte durée ! Le repentir ne s’achète pas aussi cher. Malheureux que je suis ! quand se réparera une aussi grande perte ? Que ferai-je ? quel parti prendrai-je ? qui choisirai-je pour confident de ma honte ? Pourquoi ai-je caché ce qui m’arrive à mes autres serviteurs et à mes parents ? La justice me condamne, et on l’ignore dans ma maison109. Je vais sortir. Mais si je sors pour dire que j’étais présent, il est trop tard ; pour dire que j’étais absent, il est trop tôt ; et pour prévenir mes amis, mes anciens serviteurs, mes parents et mes alliés, pour chercher des armes et faire des préparatifs de vengeance, il faut du temps.
Ô cruel juge ! que tu m’as mal payé le pain que tu as mangé chez mon père ! Je pensais que, protégé par toi, j’aurais pu tuer mille hommes sans crainte de châtiment. Inique faussaire, éternel poursuivant de la vérité, homme de basse extraction ! on peut bien dire de toi qu’on t’a fait alcade à défaut d’hommes de bien110. Tu aurais dû penser que toi et ceux que tu as tués aviez été compagnons à mon service et à celui de mes ancêtres ; mais quand le vilain est riche, il n’a ni parents ni amis. Qui eût pensé que tu dusses agir contre moi ? Il n’y a certes pas de chose plus nuisible que l’ennemi qu’on ne soupçonne pas. Hélas ! on a dit depuis longtemps : « Il apporte de la forêt le bois qui le brûlera ; j’ai élevé le corbeau qui me crèvera l’œil. » Tu es criminel aux yeux de tous, et tu as frappé de mort des gens qui ne sont coupables que d’un délit privé. Tu sais cependant que cette dernière faute est moindre que le délit public et moins blâmable, selon les lois d’Athènes. Elles ne sont pas écrites avec du sang, car elles disent qu’il y a moins de tort à ne pas condamner les malfaiteurs qu’à punir les innocents. Oh ! qu’il est dangereux de soutenir une juste cause devant un juge injuste ! et à plus forte raison une cause qui, comme celle de mes serviteurs, n’était pas sans dangers pour eux, car ils n’étaient pas exempts de réprimande.
Pense, si tu as mal agi, qu’il y a des arbitres sur la terre et dans le ciel ; Dieu et le roi te tiendront pour coupable, et moi pour ennemi mortel. Si un seul a été criminel, pourquoi as-tu tué l’autre par cela seul qu’il était son compagnon ?
Mais que dis-je ? À qui parlé-je ? Suis-je dans mon bon sens ? Qu’est-ce que cela, Calixte ? Rêves-tu ? dors-tu ? es-tu éveillé ? es-tu debout ou couché ? Fais attention que tu es dans ta chambre. Ne vois-tu pas que l’offenseur n’est pas présent ? À qui en as-tu ? Reviens à toi ; pense que jamais les absents n’ont raison ; écoute les deux parties avant de prononcer. Ne sais-tu pas que, devant la justice, il ne faut considérer ni l’amitié, ni la parenté, ni la confraternité ? Ignores-tu que la loi doit être égale pour tous ? Pense que Romulus, le fondateur de Rome, tua son propre frère parce qu’il avait enfreint la loi. Souviens-toi du Romain Torquatus, qui tua son fils pour avoir désobéi à la constitution des tribuns111 ; beaucoup d’autres firent de même. Considère que si ce juge était ici présent, il répondrait que ceux qui agissent et ceux qui consentent méritent une même peine ; que c’est ainsi qu’il les a tués tous deux, bien qu’un seul eût péché ; que s’il a hâté leur mort, c’est que le crime était notoire et qu’il n’y avait pas besoin de beaucoup de preuves ; qu’ils ont été pris sur le fait ; que l’un d’eux était déjà mort de la chute qu’il fit. Je dois croire aussi qu’il fut effrayé par les lamentations de cette pleureuse que Célestine avait dans sa maison ; que, pour éviter le bruit, pour éviter de me déshonorer, pour ne pas attendre que les voisins se levassent et entendissent ses cris, qui auraient attiré sur moi une honte publique, il se hâta de les faire exécuter d’aussi grand matin : car il fallait le bourreau et le crieur pour l’exécution et pour la décharge du juge. Or, si tout cela s’est fait comme je le crois maintenant, je devrai plutôt lui en être obligé et reconnaissant tant que je vivrai, non pas comme à un serviteur de mon père, mais comme à un véritable frère.
Lorsqu’il n’en aurait pas été ainsi, dans le cas où ce qui s’est fait n’aurait pas été pour le mieux, souviens-toi, Calixte, de la grande joie que tu as éprouvée ; souviens-toi de ta dame, de ton bien suprême. Puisque tu lui abandonnerais ta vie sans hésiter, tu ne dois pas faire cas de la mort des autres. Aucune douleur, aucun sacrifice ne payeront jamais le plaisir que tu as éprouvé. Ô ma dame et ma vie ! ne pas penser à toi, c’est t’offenser ; il semblerait que je fais peu de cas de la grâce que tu m’as accordée. Je ne veux pas avoir de sombres idées, je ne veux pas faire alliance avec la tristesse. Ô bien incomparable ! ô contentement insatiable ! que puis-je demander à Dieu de plus que ce que j’ai obtenu en récompense de mes mérites, s’ils sont quelque chose en cette vie ? Pourquoi ne suis-je pas content ? Il n’est pas raisonnable d’être ingrat envers celle qui m’a donné un tel bien ; je dois lui en témoigner ma reconnaissance ; je ne veux pas perdre ma raison à force de tristesse, afin de ne pas cesser un instant d’apprécier tout mon bonheur. Je ne veux pas d’autre honneur ni d’autre gloire, pas d’autres richesses ; je ne veux pas un autre père, ni une autre mère, ni d’autres parents. Je resterai le jour dans ma chambre, la nuit dans ce doux paradis, dans cet agréable verger, au milieu de ces plantes suaves et de ces fraîches verdures.
Ô nuit de mon bonheur ! que n’es-tu déjà arrivée ! Ô lumineux Phébus ! hâte ta course accoutumée ! Ô délicieuses étoiles ! paraissez avant votre heure ordinaire ! Horloge, qui marche si lentement, puissé-je te voir brûler d’une vive flamme d’amour ! Si tu attendais ce que j’attends quand tu sonneras minuit, tu ne serais jamais soumise à la volonté du maître qui t’a construite. Et vous, mois d’hiver, qui êtes encore cachés, viendrez-vous bientôt avec vos longues nuits, pour les mettre à la place de ces jours éternels ? Il me semble qu’il y a un an que je n’ai vu ce suave séjour, cet heureux repos de mes peines. Mais que demandé-je ? Que veux-je, fou et impatient que je suis ? Ce qui n’a jamais été, ce qui ne peut être. Les choses de ce monde ne peuvent changer la marche que leur a fixée la nature, car toutes ont un même cours, toutes un même temps pour vivre et mourir, toutes une limite fixée. Les secrets mouvements du haut firmament, des planètes et de l’étoile du Nord, les apparitions ou les disparitions mensuelles de la lune, tout est dirigé par un frein égal, tout obéit au même éperon, le ciel, la terre, la mer, le feu, lèvent, la chaleur, le froid. De quel profit sera-ce pour moi que l’horloge sonne minuit, si celle du ciel n’en sonne pas autant ? Lorsque je me lèverai de bonne heure, il n’en sera pas jour plus tôt.
Mais toi, douce imagination, toi qui le peux, viens à mon secours, retrace-moi la forme angélique de cette brillante image ; ramène à mes oreilles le doux son de ses paroles, ces dédains involontaires, ces « éloignez-vous de moi, seigneur, n’approchez pas de moi, » ce « ne soyez pas discourtois, » que je voyais sortir de ses lèvres rosées, ce « ne veuillez pas ma perte, » qu’elle disait à chaque instant, et ces amoureux embrassements entre chaque parole. Rappelle-moi comment elle me saisissait et me repoussait, comment elle me fuyait et se rapprochait de moi ; ces baisers sucrés, ce dernier salut avec lequel elle prit congé de moi et qui sortit de sa bouche avec tant de peine ; puis cet abandon, ces larmes semblables à des perles, qui tombaient, sans qu’elle s’en aperçût, de ses yeux clairs et brillants.
Sosie. Tristan, que te semble de Calixte ? Il a fait un bon somme ; il est déjà quatre heures du soir, et il ne nous a pas appelés, il n’a pas mangé.
Tristan. Tais-toi, le sommeil n’est jamais pressé. Au reste, notre maître est triste, d’une part, du malheur de nos deux camarades ; joyeux, d’une autre part, du grand plaisir qu’il a goûté avec sa Mélibée. Quel autre effet veux-tu que produisent deux sentiments aussi contraires sur un cœur aussi affaibli que celui dans lequel ils sont logés ?
Sosie. Penses-tu que les morts lui donnent bien du regret ? Si celle que je vois de cette fenêtre passer dans la rue n’en avait pas plus, elle ne porterait pas une toque de cette couleur.
Tristan. Qui est-ce, frère ?
Sosie. Approche-toi et tu la verras avant qu’elle soit passée. Vois cette femme en deuil qui essuie ses larmes : c’est Élicie, la protégée de Célestine et la maîtresse de Sempronio ; une fort jolie fille, bien que maintenant la pauvrette soit perdue, car Célestine lui tenait lieu de mère, et Sempronio était le principal de ses amants. Dans la maison où elle entre demeure une jolie femme, fort gracieuse et fraîche, amoureuse, un peu galante ; on l’appelle Areusa. Je sais que le pauvre Parmeno passa pour elle plus de trois mauvaises nuits, et qu’elle, non plus, n’est pas trop contente de sa mort.
107, page 188. — Il y a dans le texte : « Il a raison de le manger avec son pain. »
108, page 189. — C’est ici, à partir des mots : « Nous as-tu entendus », qu’ont été introduites par l’auteur dans la deuxième édition (Salamanque, 1500) les scènes nouvelles qui forment la fin du quatorzième acte, le quinzième, le seizième, le dix-septième, le dix-huitième et presque tout le dix-neuvième, jusqu’aux mots : « Tenez-vous, seigneur, à l’échelle… »
109, page 190. — Tresquilan me en consejo, y no lo saben en mi casa. Expression proverbiale.
110, page 191. — Allusion au proverbe espagnol : A falta de hombres buenos, mi padre es alcade. « Faute d’hommes de bien, mon père est alcade. »
111, page 192. — Calixte commet une erreur : ce ne furent pas les tribuns, ce fut Manlius Torquatus lui-même qui donna les ordres auxquels son fils désobéit.