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La Célestine/Conclusion

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La Célestine, tragi-comédie de Calixte et Mélibée
Traduction par A. Germond de Lavigne.
Alphonse Lemerre (p. 240-242).


L’AUTEUR
CONCLUT ET APPLIQUE CE LIVRE AU BUT QU’IL S’EST PROPOSÉ EN LE CONTINUANT.



Maintenant que nous avons vu de ces deux amants
La fin désastreuse, gardons-nous de les imiter ;
Portons tout notre amour vers celui qui, couronné d’épines,
Percé de clous, versa pour nous son sang ;
Vers celui dont les Juifs impies ont conspué la face
Et qu’ils ont abreuvé de vinaigre et de fiel ;
Afin qu’il nous appelle au céleste séjour
Avec le bon larron qu’on plaça près de lui.

Lecteur, soyez sans honte et sans crainte
En lisant ces récits et joyeux et lascifs ;
Prudent et sage, vous verrez qu’ils sont le voile
Sous lequel est caché un travail utile et précieux.
Avec un tel appât, notre vile nature
Permet que près d’elle on tente de sages conseils ;
On excite ses désirs et sa curiosité
Avec des jeux de mots et des contes renouvelés du vieux temps.

Ne me jugez donc pas sur quelques passages peu décents ;
Mais croyez-moi jaloux de mener une vie honnête,
Ayant à cœur surtout d’aimer, craindre et servir
Notre-Seigneur Dieu tout-puissant.
Or donc, si vous voyez ma main mal assurée
Confondre et réunir et le bien et le mal.
Écartez les plaisanteries, ainsi que la mauvaise herbe,
Et parmi elles choisissez le bon grain.




ALONZO DE PROAZA,

correcteur de l’impression[1] au lecteur :


  La lyre d’Orphée et sa douce harmonie
Attirait et déplaçait les rochers ;
Elle ouvrit les portes du triste palais de Pluton,
Arrêta immobiles les eaux des torrents.
Les oiseaux cessaient de voler, les animaux cessaient de paître.
Animées par la voix de ce chantre divin,
Les pierres à l’envi, sur les remparts de Thèbes,
S’amoncelaient sans le secours des mains.

il continue et compare :


  Mais ta voix peut faire encore plus,
Lecteur, avec le livre qu’ici je te présente :
En le lisant tu sauras amollir
Un cœur plus dur que l’acier ;
Tu guériras de l’amour celui que l’amour tourmente,
Tu rendras gai le malheureux,
Tu donneras l’esprit, la prudence à celui qui n’en a pas :
Travaux plus merveilleux que d’animer les pierres.

il continue :


  Jamais le comique talent
De Nevius ou de Plaute, ces hommes prudents et sages,
Ne dépeignit si bien dans la langue romaine
Les ruses des valets et des femmes.
Cratinus, Menandre et Magnès l’ancien
Ne purent, dans la langue d’Athènes,
Peindre ces mœurs aussi exactement
Que le fit ce poëte en dialecte castillan.

il indique de quelle manière doit se lire cette tragi-comédie :


Si tu aimes, si tu veux, en récitant le rôle de Calixte,
Attirer l’attention et toucher tes auditeurs,
Sache en lisant parler entre les dents,
Tantôt avec gaité, espérance et passion,

Tantôt avec colère et grand désespoir.
Prends en parlant mille tons différents,
Questionne et réponds par la bouche de tous,
Pleurant ou riant à propos.

il fait connaître le secret que l’auteur a caché dans
        les vers qui précèdent le livre :


  Ma plume ne veut pas et la raison défend
Que demeure inconnu plus longtemps
Le nom de ce grand écrivain,
Et que sa gloire soit incomplète.
Or, prenez dans ces onze strophes
La première lettre de chaque vers ;
Réunies, elles vous diront clairement
Son nom, son pays, sa patrie.


LAUS DEO.


il indique à quelle époque ce livre fut imprimé :

  Le char de Phébus, autour de la terre,
Avait fait quinze cent un voyages ;
Le dieu, parcourant l’espace,
Chez Castor et Pollux avait fait une halte,
Lorsque ce divin ouvrage,
Bien revu et bien corrigé,
Avec grand soin relu et ponctué,
Fut à Séville imprimé.





  1. Édition de Séville, 1501.