La Chèvre d’or/29

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Lemerre (p. 142-145).


XXIX

les amours de ganteaume


Et pourtant ces bouquets ne sont pas tombés du ciel, ils n’ont pas poussé tout seuls sur le banc !

Or personne, sauf les Gazan, ne pénètre dans le jardin ; et personne aussi, sauf Ganteaume et moi, n’a la clef de la terrasse.

Je suis bien sûr, à moins de me croire somnambule, de n’avoir jamais jeté aucun bouquet du haut de la tour. Reste Ganteaume. Est-ce que Ganteaume ?…

J’avais bien remarqué ses extases devant Norette, son empressement à la servir, et son trouble mal dissimulé, le jour de lessive, à l’aspect des fleurs offertes par moi.

Ganteaume doit être coupable.

Je l’ai fait comparaître. Il est venu, l’air repentant, la mine basse.

— « Holà ! maître Ganteaume, lui ai-je dit, est-ce ainsi qu’on comprend ses devoirs de page ? Et pensez-vous que j’autoriserai une personne de ma suite à nouer de coupables intrigues dans la maison qui nous offre l’hospitalité ? »

La solennité d’un tel début achève de décontenancer le misérable. C’est en sanglotant qu’il avoue toute une série de méfaits.

Pendant que je le croyais occupé à rouler les ruelles du Puget-Maure en compagnie des galopins de son âge, à pêcher la truite au torrent, ou à dénicher, capture rare, quelque couvée de merles de roches, Ganteaume, ambitieux déjà, rêvant de plus hautes destinées, entreprenait, pour son compte, la conquête de la Chèvre d’Or.

Il s’est lié avec Peu-Parle. Ce vieux fou l’honore de ses confidences et maître Ganteaume, en échange, lui a fait part de mes projets.

Le soir, Ganteaume apprend à connaître le nom des étoiles. Puis, s’asseyant dans la lavande, tous deux s’entretiennent longuement du roi de Majorque et de la Chèvre.

Ganteaume croit fermement à l’existence du trésor. Il sait, d’ailleurs, toujours par Peu-Parle, des détails curieux que j’ignorais.

C’est bien, comme je l’avais conjecturé, l’ombre d’une pierre, à certaine heure du jour, à certaine époque de l’année, qui doit marquer la place où il s’agit de fouiller.

Là, on ne trouvera pas encore le trésor, mais une cassette en fer contenant des papiers mystérieux. Avec ces papiers, la réussite est certaine. Seulement on ne peut rien faire sans Mlle Norette qui possède le talisman, portant gravé le secret de l’ombre.

— « Une clochette peut-être ?

— Oui ! il me semble que Peu-Parle a prononcé le mot de clochette. »

Ganteaume, au surplus, me jure qu’il n’a jamais prétendu accaparer seul le trésor. Son intention était d’en faire trois parts : l’une à moi destinée, l’autre destinée à patron Ruf. Comme troisième part, Ganteaume se contentait du bonheur d’épouser Norette et de vivre éternellement auprès d’elle.

C’est avec l’espoir de plaire à Norette que, d’après les conseils de Peu-Parle, il avait imaginé le galant envoi de bouquets dont Norette me fait honneur.

Mais Ganteaume comprend désormais combien tout cela est irréalisable. Il a renoncé à Norette silencieusement, sans se plaindre, dès qu’il a vu qu’elle m’aimait.

Et maintenant, meurtri par l’écroulement de son rêve, il me supplie de le garder, de ne pas le renvoyer à patron Ruf.

La joie est mère d’indulgence : je pardonne à mon rival de douze ans.

Il essuie ses larmes, il me remercie.

Mais Norette, visiblement, lui tient au cœur, et la blessure saigne encore.

Hélas ! qui eût imaginé que Ganteaume, l’infortuné Ganteaume, serait la première victime de cette capricieuse Chèvre d’Or ?