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La Chair est faible/02

La bibliothèque libre.
Éditions Prima (Collection gauloise ; no 61p. 10-14).

ii

La chair est faible



Il y avait réellement de quoi perdre la tête !

Anatole ne savait plus que penser.

— Peut-être, se dit-il, est-ce à l’étage au-dessus.

Et il allait sortir une troisième fois pour réveiller le locataire qui se trouvait immédiatement au-dessus de lui.

Mais il réfléchit qu’au-dessus de lui, il n’y avait pas de chambres. Il était au dernier étage. À moins que les servantes et les domestiques mâles ne s’esbaudissent dans le grenier !…

Cependant, il chassa encore cette pensée. Il savait, en effet, que chaque servante avait sa chambre sur le palier de l’étage qui lui était assigné, afin de pouvoir répondre à tout appel des clients.

— Eh bien ! se dit-il, c’est le cas ou jamais d’appeler la servante et de l’envoyer de ma part faire taire ces gens inconvenants, dans quelque logis qu’ils se cachent.

Il y était autorisé. La domestique ne lui avait-elle pas dit elle-même que s’il avait besoin d’elle, il lui était facile de sonner.

Sans hésiter une seconde, il appuya sur le bouton électrique, puis chaussa des pantoufles et se drapa dans son pardessus en guise de robe de chambre.

Quelques minutes plus tard, des coups discrets étaient frappés à sa porte et il répondait par un « entrez » sonore.

La même soubrette qui l’avait guidé jusqu’à sa chambre se trouvait devant lui.

— Monsieur a appelé ? demanda-t-elle.

Anatole Delaperche regarda la jeune servante :

Surprise dans son sommeil, elle avait, elle aussi, rapidement chaussé des pantoufles et avait passé un peignoir, qui l’habillait tout juste pour laisser voir des coins roses d’une chair féminine fort attirante.

Avec ça, elle glissait vers le chef de bureau un regard espiègle et provocant, auquel l’homme le plus vertueux était incapable de résister.

Anatole n’était pas l’homme le plus vertueux, mais il était pour le moment préoccupé de pénétrer le mystère du voisinage insolite qui troublait ses méditations et surtout l’étude de son discours.

Il n’avait pu néanmoins s’empêcher de remarquer combien la jeune Ernestine (c’était le nom de la servante) était ravissante et il lui fallut réprimer le désir coupable qui s’emparait de lui pour répondre, sans paraître troublé :

— Oui, mademoiselle, je vous ai appelée parce que… parce qu’il se passe dans l’hôtel des choses insolites.

— Insolites ?…

— Parfaitement !… D’abord, dites-moi, dans quelle chambre y a-t-il deux amoureux ?

— Deux amoureux ?… Mais, dans aucune.

— Je ne veux pas dire que ce soit des amoureux… coupables. Ce sont peut-être des jeunes mariés… Mais ils sont trop bruyants.

— Je vous assure, monsieur, qu’il n’y a pas de jeunes mariés dans l’hôtel.

Anatole allait protester lorsque, de nouveau, il crut entendre un bruit significatif et une voix masculine chanter :

Je suis un trompette en bois.

— Là, rugit-il, entendez-vous ?

Mais Ernestine répliqua :

— Je n’entends rien du tout.

— Par exemple ! Vous ne direz pas qu’on n’a pas chanté dans la chambre à côté, à moins que ce ne soit au-dessus, ou au-dessous, ou en face…

— Vous l’aurez rêvé !

— Je n’ai rien rêvé du tout, pas plus que tout à l’heure quand j’étais dans mon lit.

— Vous entendiez aussi chanter quand vous étiez dans votre lit ?

— Oui. Et beaucoup plus distinctement.

— Je devrais peut-être me coucher pour entendre… et savoir d’où ça vient.

— Vous avez raison. Couchez-vous un peu !…

Elle éclata de rire :

— Par exemple ! Elle est bien bonne ! Si c’est pour en arriver à que vous m’avez appelée, vous vous trompez,

— Je ne me trompe pas. Tenez !… Écoutez ! Ils recommencent… Couchez-vous vite !…

En même temps, il poussait vers le lit la servante qui se glissait entre les draps, mais en lui disant :

— Vous savez !… C’est pour écouter seulement.

— Naturellement, c’est pour écouter, mais taisez-vous si vous voulez entendre.

Ernestine reprenait :

— On n’est pas mal dans votre lit. Il est meilleur que le mien !

— Vous n’entendez pas… ce refrain : Joue-moi-z’en ?…

— Que voulez-vous que je vous joue ?…

— De la trompette !

— Bigre !… vous allez fort |

— Ce n’est pas moi ! Ce sont ces gens. On dirait qu’ils le font exprès… Écoutez-moi cette sarabande !…

— Je n’entends que vos discours qui sont bien amusants.

Le pauvre Anatole commençait à faiblir. À voir cette jolie fille dans son lit, il éprouvait, plus violente que l’instant d’avant encore, l’envie folle de l’aller rejoindre, d’autant plus que les échos de ce qui se passait — il ne savait où, mais tout près de lui — contribuaient encore à l’exaspérer.

Hypocritement, il s’était rapproché du lit.

— C’est bien curieux, dit-il, que vous n’entendez pas ! Approchez un peu votre oreille de la cloison.

Mais la servante poussa un cri effarouché.

— Je vous vois venir, vous. Vous voulez me jouer un air de trompette qui n’est pas de mon goût… J’aime mieux m’en aller.

Et, rejetant les couvertures, elle manifesta l’intention de mettre pied à terre.

Mais, dans le geste qu’elle fit, elle se découvrit. Son peignoir s’ouvrit et elle apparut, revêtue seulement d’une chemise.

La tentation était trop forte.

Anatole Delaperche oublia tout d’un coup sa mission officielle, le discours qu’il devait prononcer au nom du ministre, et même les voisins qui l’importunaient si fort.

Et comme Ernestine posait son petit pied, dont la pantoufle s’était échappée, sur le tapis, il la saisit dans ses bras et s’écria :

— Moi, je ne suis pas un trompette en bois… et je vais te le montrer tout de suite.

La servante résista un peu… Sans conviction.

— Eh bien !… Eh bien. Qu’est-ce qui vous prend ? disait-elle.

Mais elle se laissa saisir, embrasser et coucher sur le lit, où, bientôt, Anatole la rejoignait.

— Oh ! dit-elle… Si j’avais pu me douter ?…

Son discours n’alla pas plus loin, et la fin de sa phrase fut étouffée par la bouche vorace du représentant du ministre, qui n’était plus qu’un homme fou d’amour.