La Chaleur du nid/3

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Édition des loisirs (p. 157-219).

TROISIÈME PARTIE

Dix-huit mois plus tard, en effet, un dimanche de juin où, hébété par l’approche du baccalauréat, mélangeant les résultantes de Chateaubriand et de Shakespeare avec la détermination de la distance d’un point accessible à un point inaccessible, et la succession d’Espagne avec l’histoire de Charles XII, je passais la journée chez mes grands-parents Le Rebouteux. Maman se montra pour moi plus sensible et plus attentive que d’ordinaire. Elle parut s’inquiéter excessivement de mon examen. Où en es-tu de la géométrie ! As-tu revu ton Sénèque ? Et en sciences, est-ce que l’on vous pousse suffisamment à de Mun ? » Après le déjeuner, elle nous demanda à Rose et à moi de la suivre dans sa chambre. Alors je sus aussitôt que le moment était arrivé de l’aveu attendu, et qu’elle allait nous apprendre son mariage avec Florange. La rudesse de mes seize ans impitoyables, l’humeur où je me trouvais, l’émoi que je redoutais du choc même des mots ne me permirent pas d’attendre l’annonce qu’elle méditait. Je bousculai sa préparation, et dès que nous fûmes seuls, tout trois Je sais, lui dis-je. Inutiles tes précautions. Tu vas épouser le Docteur, n’est-ce pas ! Eh bien, c’est ton affaire ! »

Il fallait cependant que je fusse encore très enfant, puisqu’à cette seconde, j’espérais toujours secrètement qu’elle allait se récrier : « Non, non, je ne me marierai jamais. Je vous aime trop tous les deux. Vous me suffisez. » Mais elle sourit alors béatement et acquiesçant d’un signe des paupières :

— Le mois prochain, dit-elle.

Un petit frisson me parcourut. Et elle, insistant :

— Mon chéri, c’est un bien grand protecteur que je te donne là pour t’épauler dans la vie. Tu seras un peu son fils, désormais.

Je ne sais pas se qui se passa en moi à ces mots. Je pense que ce fut le déchaînement d’une colère comme il est peu d’occasions d’en ressentir dans une existence d’enfant. Ma gorge se serrait. Impossible de vomir les mots qui m’étouffaient, ni ce sentiment horrible de jalousie que je cherchais à expulser de ma poitrine contractée à cette image soudain réalisée de ma mère unie à cet homme.

Ce n’était pas pour moi, cependant, un événement inattendu. Mais autre chose est de prévoir depuis longtemps une catastrophe, autre chose de la voir objectivée et fondant sur vous. Je me rappelais les jours de mon enfance heureuse, ces parties matinales de jeux et de rires que je faisais à quatre ou cinq ans, après m’être glissé dans le lit de mes parents mal éveillés. L’heure était venue où le corps de ma mère s’allongerait pareillement auprès de cet étranger. Il me semblait qu’avec son sourire heureux, elle nous jouait tous les deux, Papa et moi. Quelques paroles sortirent enfin de mon gosier : Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/163 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/164 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/165 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/166 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/167 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/168 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/169 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/170 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/171 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/172 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/173 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/174 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/175 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/176 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/177 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/178 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/179 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/180 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/181 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/182 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/183 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/184 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/185 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/186 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/187 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/188 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/189 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/190 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/191 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/192 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/193 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/194 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/195 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/196 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/197 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/198 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/199 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/200 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/201 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/202 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/203 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/204 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/205 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/206 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/207 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/208 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/209 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/210 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/211 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/212 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/213 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/214 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/215 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/216 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/217 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/218 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/219 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/220 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/221 Page:Yver - La Chaleur du nid.djvu/222 n’avait jamais connu que de vagues reflets. Le dimanche, il m’accompagnait à la messe bénédictine. Quelquefois aussi nous allions ensemble chez mes grands-parents Le Rebouteux qui lui étaient demeurés très attachés. C’est à ma vieille et chère grand’mère que je confiai pour la première fois le grand attrait que j’éprouvais pour la vie monastique. Elle me répondit : « Je le savais. »

Après mon service militaire accompli dans le Midi, je suis venu pour une année à Rome où j’ai désiré recueillir l’inspiration de nos grands ainés dans la Foi, les Martyrs.

C’est ici, dans un hôtel, où, de ma fenêtre j’aperçois le Colisée que j’ai écrit ces souvenirs. C’est ici que j’ai appris de Rose l’histoire de son mariage manqué. Il s’agissait du frère d’Huguette de Séroz, dont les parents n’ont pas cru devoir passer outre à la situation des nôtres. Rose a un grand chagrin. Je la console comme je le puis par mes lettres quotidiennes.

FIN