La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Laisse 8

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À CORDRES. — CONSEIL TENU PAR CHARLEMAGNE

VIII

Li Emperere se fait e balt e liet : L’Empereur se fait tout joyeux et est de belle humeur.
Cordres ad prise e les murs peceiez, Il a pris Cordres, il en a mis les murs en pièces,
Od ses cadables les turs en abatiet. Avec ses machines il en a abattu les tours ;
Mult grant eschec en unt si chevaler Ses chevaliers y ont fait un très-riche butin
100 D’or e d’argent e de guarnemenz chers. D’or, d’argent, de riches armures.
En la citet nen ad remés paien Dans la ville il n’est pas resté un seul païen
Ne seit ocis u devient chrestiens. Qui ne soit forcé de choisir entre la mort et le baptême…
Li Emperere est en un grant verger, Le roi Charles est dans un grand verger ;
Ensembl’od lui Rollanz e Olivers, Avec lui sont Roland et Olivier,
105 Sansun li Dux e Anséis li fiers, Le duc Samson, le fier Anséis,
Gefreis d’Anjou li reis gunfanuners ; Geoffroi d’Anjou, qui porte le gonfanon royal,
E si i furent e Gerins e Gerers : Gerin et son compagnon Gerer
Là ù cist furent, des altres i out ben. Et, avec eux, beaucoup des autres ;
De dulce France i ad quinze milliers.
Car il y avait bien là quinze mille chevaliers de la douce France.
110 Sur palies blancs siedent cil chevaler, Ils sont assis sur des tapis blancs,
As tables juent pur els esbaneier, Et, pour se divertir, jouent aux damiers :
E as eschecs li plus saive e li veill ; Les plus sages, les plus vieux jouent aux échecs,
E escremissent cil bacheler leger. Les bacheliers légers à l’escrime…
Desuz un pin, delez un eglenter, Sous un pin, près d’un églantier,
115 Un faldestoed i out, fait tut d’or mer, Est un fauteuil d’or massif :
Là siet li reis ki dulce France tient ; C’est là qu’est assis le roi qui tient douce France.
Blanche ad la barbe e tut flurit le chef, Sa barbe est blanche et son chef tout fleuri ;
Gent ad le cors e le cuntenant fier. Son corps est beau, et fière est sa contenance.
S’est ki l’demandet, ne l’estoet enseigner. À celui qui le veut voir il n’est pas besoin de le montrer.
120 E li message descendirent à pied, Les messagers païens descendent de leurs mules,
Si l’saluèrent par amur e par ben. Aoi. Et saluent Charles en tout bien, tout amour.

... Sous un pin, près d’un églantier,
Est un fauteuil d’or massif.
C’est là qu’est assis le roi qui tient douce France.
Sa barbe est blanche, et son chef tout fleuri ;
Son corps est beau, et fière est sa contenance.
À celui qui le veut voir il n’est pas besoin de le montrer…
Les messagers païens descendent de leurs mules,
Et saluent Charles en tout bien, tout amour.

(Vers 114-121.)



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Vers 96.Empereres. O. V. la note du v. 1. — Se fait e balz e liez. O. Pour le cas régime, il faut : balt e liet.

═ D’après toutes nos Chansons de geste, comme aussi d’après toutes les autres sources françaises et étrangères, nous allons exposer la « Légende de Charlemagne ». Nous nous arrêterons ici à la grande expédition d’Espagne ; mais, plus tard, dans une dernière note, nous poursuivrons cette « Histoire poétique » jusqu’à la mort du grand Empereur. D’une part, ce sera : Charlemagne avant, et, de l’autre, Charlemagne après Roncevaux. ═ Nous avons dû, pour ce travail, nous servir du tome II de nos Épopées françaises ; mais nous avons pris soin d’adopter ici, avec un tout autre ordre, une forme toute différente et de rectifier un certain nombre d’erreurs. ═ Notre « Légende de Charlemagne » se divisera ainsi qu’il suit : I. Naissance, jeunesse et premiers exploits de Charlemagne. II. Expédition en Italie : Rome délivrée. III. Luttes de l’Empereur contre ses vassaux. IV. Avant la grande expédition d’Espagne. V. L’Espagne. ═ I. Naissance, jeunesse et premiers exploits de Charlemagne. Parmi les légendes relatives à la naissance de Charlemagne, parmi celles du moins qui sont parvenues jusqu’à nous, aucune ne paraît antérieure à la rédaction de la Chanson de Roland. La légende ou plutôt la fable de « Berte aux grands piés » ne s’est point fait jour avant le xiiie siècle, et c’est le poëme d’Adenès qui la mit le plus en lumière... « Berte, fille de Flore, roi de Hongrie et de Blanchefleur, est demandée en mariage par Pépin. (Berte, poëme composé vers 1275, édit. P. Paris, pp. 7-9.) Elle arrive, joyeuse, à Paris ; mais y est tout aussitôt circonvenue par des traîtres. Craignant que son mari ne la tue durant la nuit des noces, elle permet, elle demande à la perfide Aliste de prendre sa place dans le lit nuptial (Ibid., pp. 16-19) ; mais, victime de sa crédulité, la pauvre reine est chassée comme une inconnue, et c’est Aliste qui va longtemps passer pour Berte. (Ibid., pp. 19-26.) On connaît le reste. La véritable reine va, comme Geneviève de Brabant, se réfugier au fond des bois (Ibid., p. 32) ; elle pense y mourir de peur, de froid et de faim (Ibid., pp. 41-52, etc.), et, recueillie par un pauvre voyer, nommé Simon (Ibid., pp. 64-68), elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par son mari (Ibid., pp. 148-153), qui a depuis longtemps découvert la trahison d’Aliste. (Ibid., pp. 88-132.) Quelques mois après, naît Charlemagne. (Ibid., p. 180.) » Telle est la légende, sous sa forme définitive. ═ La « Chronique Saintongeaise » du commencement du xiiie siècle, est la première à en parler. ═ Le Charlemagne de Venise, du xiiie siècle (Mss. fr. de Venise, n° xiii), la reproduit aussi, mais en rattachant la serve Aliste à toute la famille, à toute la « geste des traîtres ». ═ Philippe Mouskes (vers 1240) donne une raison obscène au refus que fait Berte elle-même d’entrer au lit nuptial. ═ La Gran Conquista de Ultramar (fin du xiiie siècle) ne modifie pas la version d’Adenès. ═ Les Reali (vers 1350) et le roman de Berte en prose ( Berlin, Mss. fr., n° 130, prem. moitié du xve siècle) ajoutent quelques traits, plus anciens sans doute, à la Berte d’Adenès, qui cependant avait été composée vers l’an 1275. ═ La « Chronique de Weihenstephan » (xive siècle), précédée ici par le Karl de Stricker (vers 1230), nous montre Berte se faisant plus rapidement reconnaître par Pépin et le petit Charles élevé comme le fils d’un meunier. ═ Enfin la Chronica Bremensis de Wolter, du xve siècle, peu soucieuse de la dignité de Berte, la fait passer une nuit, dans la cabane d’un paysan, avec Pépin, qui ne l’a pas encore reconnue. (V. G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, p. 228.) ═ En résumé, l’on n’a pensé que fort tard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque achevée, lorsqu’on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires, celles-là même qu’on mit plus tard sur le compte de Geneviève de Brabant. Ce travail n’était pas encore commencé quand fut écrite la Chanson de Roland. ═ Pour l’enfance du grand Empereur, la légende est également de formation très-récente. On n’en trouve aucune trace avant la « Chronique de Turpin ». (La rédaction est de 1109-1119, sauf les cinq premiers chapitres.) Les Enfances-Charlemagne de Venise (2e branche du Charlemagne, Mss. français, n° xiii, comm. du xiiie siècle) sont le premier document poétique où l’on fasse enfin de l’enfance du fils de Pépin le sujet d’un « récit à part ». Mais c’est Girart d’Amiens qui a donné à ces fables le plus de corps dans son Charlemagne, poëme très-médiocre du commencement du xive siècle. (B. N. 778, f° 22, v°. — 169, r°.) Les enfances de notre héros, d’après le Charlemagne de Venise et le poëme de Girart d’Amiens, sont faciles à résumer... « Donc, Berte est reconnue comme reine et devient mère de Charlemagne. Mais Pépin avait eu deux enfants de la fausse Berte, d’Aliste : Heudri et Lanfroi ne rêvent que de supplanter le jeune Charles. (Ms. 778, f° 23, r° — 24, r°.) Ils essaient de l’empoisonner, et le mari de Gilain, de cette sœur de Charles, est forcé d’emmener l’enfant en Anjou. Les deux traîtres, peu satisfaits de cette fuite, calomnient le jeune Charles et lui enlèvent toute sa popularité ; puis ils l’attirent à Reims, sous prétexte de l’y faire couronner. (Ibid., f° 24, v°.) Une lutte s’engage dans la salle même du banquet ; le fils légitime de Pépin insulte les bâtards et se refuse à les servir ; on l’arrache à grand’peine à leur fureur (Ibid., f° 27, v° — 28, r°.) Un serviteur fidèle, David, se charge alors de sauver « l’hoir de France ». Ils s’enfuient tous deux du côté de l’Espagne, traversent la Navarre, franchissent les Pyrénées, et, pleins d’effroi, ne s’arrêtent point jusqu’à Tolède. C’est là, c’est parmi les païens que va s’écouler l’enfance de Charles. (Ibid., f° 28, r° — 30, r°.) Pour se mieux cacher, l’enfant prend le nom de « Mainet », si fameux dans toute notre légende. Il se met au service du roi païen Galafre (Ibid., f° 30, 31) et, malgré David, se lance dans la bataille contre l’émir Bruyant, ennemi de Galafre. Il le tue, et on le fait chevalier. (Ibid., f° 32, r° — 35, v°.) Il délivre ainsi Galafre de tous ses ennemis et se prend d’amour pour la belle Galienne, fille du Roi. (Ibid., f° 35, v° — 38, r°.) Le récit de ces amours est charmant. (Ibid., f° 38 — 41, r°.) Cependant Charles ne s’amollit point, attaque et tue Braimant : nouveau triomphe. (Ibid., f° 46, v°.) Enfin il épouse Galienne, qui déjà s’est convertie à la foi chrétienne. (Ibid., f° 50, r°, v°.) C’est en vain que Marsile, frère de Galienne, conçoit pour lui une haine mortelle et essaie de le faire périr : Charles, une fois de plus vainqueur, ne songe désormais qu’à quitter l’Espagne et à reconquérir son royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la Papauté, menacées par Corsuble. (Ibid., f° 55, r° et v°.) Il fait ensuite son entrée en France, et sa marche n’est qu’une suite de victoires. Heudri et Lanfroi, les deux traîtres, les deux fils de la serve, sont vaincus et châtiés. (Ibid., f° 64, r° — 66, v°.) Charles reste seul roi, mais il a la douleur de perdre sa chère Galienne... » (Ibid., f° 67, v°.) — Tel est ce récit, telle est cette « légende » des Enfances de Charles. Rien n’en transpire avant le xiie siècle. La Chronique de Turpin (cap. xiii et xxi) n’y fait que quelques allusions. ═ Le Charlemagne de Venise (comm. du xiiie siècle) est, par avance, d’accord avec Girart d’Amiens : seulement, les traîtres y sont appelés Landri et Leufroi et se font secourir, à la fin du poëme, par le trop célèbre Girart d’Aufraite. Charles, d’ailleurs, a eu affaire à un pape de la race de Ganelon, et n’a pu sortir d’embarras que grâce à l’appui du roi de Hongrie et au dévouement d’un cardinal dont il fit plus tard un pape. (V. l’analyse de M. Guessard,dans la Bibl. de l’École des Chartes, xviii, 397-402.) ═ Le Renaus de Montauban (xiiie siècle) nous offre à peu près la même légende. (Éd. Michelant, p. 266.) ═ Dans la Karlamagnus Saga du xiiie siècle (V. l’analyse de Gaston Paris dans la Bibl. de l’École des Chartes, xxv, 83-93), Charles s’allie, contre Lanfroi et Heudri, avec un voleur du nom de Basin. Caché derrière les rideaux du comte Reinfroi, il entend tout le complot tramé contre lui et le démasque. ═ Renaus de Montauban reproduit aussi cette légende, bien qu’elle s’accorde mal avec la précédente. (Éd. Michelant, pp. 266, 267) ═ Le Karl Meinet (compilation du comm. du xive siècle) raconte une histoire qui se rapproche assez de celle du Charlemagne de Girart d’Amiens, et qu’il emprunte à un Meinet néerlandais des xiie et xiiie siècles : « Haenfrait et Hoderich gagnent la confiance de Pépin, et même passent pour ses fils. Ces bâtards veulent se débarrasser de l’enfant légitime, qui leur échappe en se retirant chez Galafre... » ═ La Cronica general de Espana (xiiie siècle) se hâte, dès l’arrivée de Charles en Espagne, de le mettre en rapport avec Galienne, qu’il rencontre, qu’il délivre de Braimant, et à laquelle il fait connaître son véritable nom. ═ La Gran Conquista de Ultramar (fin du xiiie siècle) et notre Garin de Montglane (prem. tiers du xiiie s.) sont d’accord avec Girart d’Amiens. ═ Les Reali (vers 1350) veulent que les deux Bâtards aient empoisonné Berte, assassiné Pépin et forcé Charles à se faire moine à Saint-Omer. C’est seulement après le récit de ces faits que l’auteur italien se décide à reproduire la légende première. (G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, pp. 239-244) ═ Dans l’Entrée en Espagne (xiiie et xive siècles), il est fait allusion aux amours de Charles et de Galienne, qui étaient devenus une légende très-populaire. (Mss. fr. de Venise, n° xxi, f° 230, r°.) ═ En résumé, on ne trouve aucune trace des « Enfances de Charlemagne » avant le xiie siècle, et il n’y est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland.

II. Expédition de Charles en Italie : Rome délivrée. « Un jour, les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Danemark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s’apprête à faire mourir le fils et l’otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient annoncer que les Sarrazins se sont emparés de Rome. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poëme du xiie siècle, v. 174-186.) Charles, tout aussitôt, part en Italie, traverse les défilés de Montjeu (Ibid., 191-222), où il est miraculeusement conduit par un cerf blanc (Ibid., 222-283), et s’avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami, marche à sa rencontre et lui fait bon accueil. (Ibid., 315-329.) Corsuble cependant, le Sarrazin Corsuble est maître de Rome, et n’aspire qu’à lutter contre les Français. (Ibid., 284-299 et 330-383.) Une première bataille s’engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L’Oriflamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français. (Ibid., 468-681.) On l’acclame, on lui fait fête, on l’arme chevalier. (Ibid., 682-749.) C’est alors que les Sarrazins s’apprêtent à opposer, dans un duel décisif, leur Caraheu à notre Ogier. (Ibid., 851-961.) Le succès est un moment compromis par les imprudences de Charlot, fils de l’Empereur. (Ibid., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel entre les deux héros se prépare, et l’heure en va sonner (Ibid., 1225-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une trahison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire d’Ogier, qui est fait prisonnier. (Ibid., 1538-2011.) Mais les Français n’en sont que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (Ibid., 2525 et suiv.) Ogier est vainqueur (Ibid., 2635-3041) ; Corsuble s’éloigne de Rome (Ibid., 3042-3052) et Charles fait dans la grande ville une entrée triomphale. Il a la générosité d’épargner Caraheu et Gloriande (Ibid., 3053-3073) et, chargé de gloire, reprend le chemin de la France. » (Ibid., 3074-3102.) ═ Telle est la version attribuée au vieux Raimbert de Paris (xiie siècle) et reproduite, avec amplification, par Adenès en ses Enfances Ogier (seconde moitié du xiiie siècle). ═ Le Charlemagne de Venise (comm. du xiiie siècle) nous offre une troisième forme de la même légende, qui ne diffère pas notablement des deux premières... C’est Dieu lui-même qui, par un ange, ordonne à Charles l’expédition d’Italie. Ogier n’est ici qu’un écuyer inconnu ; Caraheu reçoit le nom de Caroer, et il meurt à la fin du Roman, etc. ═ La Karlamagnus Saga, du xiiie siècle (en sa 3e branche) ; les remaniements en vers (Bibl. de l’Ars., B. L. F., 190, 191, xive siècle) et en prose (Éditions incunables qui reproduisent la version du manuscrit précédent) ; les Conquestes de Charlemagne, de David Aubert (1458), n’apportent à la légende aucune variante considérable. ═ Cette même légende n’a laissé aucune trace dans la Chanson de Roland, où cependant Ogier joue un rôle très-important (sans être toutefois compté au nombre des douze Pairs). Ogier est néanmoins un personnage historique, et sa légende s’est formée bien avant le xiiie siècle. Dans l’histoire poétique de Charlemagne, c’est l’élément le plus antique que nous ayons rencontré jusqu’ici. ═ Les Enfances Ogier nous ont parlé fort longuement d’une première expédition en Italie : Aspremont, plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne de l’Empereur par delà les Alpes. C’est donc ici qu’il convient de résumer Aspremont... « Charles tient sa cour un jour de Pentecôte. (Édit. Guessard, pp. 2 et 3, v. 1-5.) Soudain, un Sarrazin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître Agolant. L’ambassadeur païen s’appelle Balant. (Ibid., p. 4, v. 9 et suiv.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande armée de France se met en route vers l’Italie. La voilà qui passe à Laon. (Ibid., p. 11, v. 77 et suiv.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles, qu’on ne voulait pas encore mener à la guerre : il n’avait que 12 ou 15 ans. Roland s’échappe et rejoint l’armée. (Ibid., pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girart de Fraite, qui d’abord répond par un refus insolent, et veut assassiner l’Archevêque (Ibid., pp. 17-18) ; mais qui, sur les conseils pressants de sa femme, se décide à marcher au secours de l’Empereur. (B. N. Ms. 2495, f° 85, r° — 87, r°.) Alors toute l’armée franchit les Alpes et traverse l’Italie ; car c’est la Calabre qui doit être le théâtre de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Yaumont, qui est le héros du poëme. Yaumont lutte avec Charles et est sur le point de le vaincre, quand arrive Roland, qui tue le jeune Sarrazin et s’empare de l’épée Durendal. (B. N. Ms. Lavall., 123, f° 41, v° — 43, r°.) La guerre cependant n’est pas finie : il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (Ibid., f° 64, v° — 65, r°) ; il faut que Turpin porte au front de l’armée le bois sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil, donne à ce bois l’éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes, tout l’effort humain de Charlemagne, de Roland et de Girart, pour qu’enfin les Sarrazins soient vaincus. (Ibid., f° 65, 2° et suiv.) Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard (Ibid., f° 81, v°) ; Girard lui-même s’empare de Rise (Ibid.), et l’on donne le royaume d’Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie. » (Ibid., f° 81, v° — 87.) ═ Les débuts de Roland sont autrement racontés, comme nous le verrons ailleurs, par l’auteur de Girars de Viane, par le Charlemagne de Venise, par Renaus de Montauban. ═ Les Reali sont conformes au récit précédent, mais lui donnent une Suite où Girart de Fraite est représenté sous les traits d’un renégat furieux, que ses fils sont forcés d’enfermer dans une tour. ═ Quant à l’Agolant de la Chronique de Turpin (de 1109 à 1119), il n’a rien de commun avec celui de la Chanson d’Aspremont. Tout d’abord il règne en Espagne, et non pas en Italie. En second lieu, c’est quelque temps avant Roncevaux que le faux Turpin place l’action de sa lutte avec Charles. Le roi païen tue 40,000 chrétiens ; une première fois vaincu, il se réfugie dans Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C’est alors qu’il repasse les Pyrénées, et qu’il est définitivement vaincu et tué sous les murs de Pampelune. (V. les Épopées françaises, t. II, pp. 68-69.) Quoi qu’il en soit et pour en revenir à Aspremont, le dénoûment de ce poëme est le même que celui des Enfances Ogier : c’est l’Italie et Rome délivrées des païens.

III. Luttes de Charlemagne contre ses vassaux : 1° Girart de Viane. « Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mille, Hernault et Girart, est tombé dans une misère profonde. (Girars de Viane, poëme du commencement du xiiie siècle, éd. P. Tarbé, pp. 4-7.) Les Sarrazins entourent son château que baigne le Rhône ; mais ses fils le délivrent (Ibid., pp. 6-9) et se lancent dans les aventures. (Ibid., pp. 9-10.) Girart arrive à Reims pour se mettre au service de Charles avec son frère Renier. (Ibid., pp. 11-20.) Adoubés par l’Empereur (Ibid., pp. 20-21), ils lui rendent en effet mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et Girart devient l’ennemi mortel de Charlemagne, qui lui avait d’abord promis la duchesse de Bourgogne en mariage, et avait fini par l’épouser lui-même. La nouvelle Impératrice, irritée contre Girart, lui fait baiser son pied, quand le jeune vassal pense baiser celui de l’Empereur. De là, toute la lutte qui va suivre. (Ibid., pp. 31-41.) Une guerre terrible s’engage entre les fils de Garin et Charlemagne. (Ibid., pp. 51-66.) Les deux héros de cette guerre seront, d’une part, Olivier, fils de Renier et neveu de Girart ; de l’autre, Roland, neveu de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d’Olivier, devient l’amante de Roland : nouvelle complication, qui donne un intérêt plus vif à cette légende héroïque dont le principal épisode est le siége de Vienne. (Ibid., pp. 66-105.) La guerre devenant interminable, on se résout à l’achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid., pp. 106 et ss.) Le combat est admirable, mais demeure indécis. (Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite ; Girart se réconcilie avec Charles ; Aude est promise à Roland, et l’on part pour Roncevaux. (Ibid., pp. 155-184.) » ═ 2° Les quatre fils Aymon... « Charles tient cour plénière. Il se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de Beuves d’Aigrement : même il s’apprête à rassembler contre ce dernier toutes les forces de son empire. (Renaus de Montauban, poëme du xiiie siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures ; édit. Michelant, pp. 1-3.) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de Beuves, proteste courageusement contre la colère de l’Empereur. Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la Cour avec tous ses chevaliers. C’est ici que commence la lutte entre l’Empereur et le duc Aymon, qui est soutenu par ses quatre fils, Renaud, Alard, Guichard et Richard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.) Le roi de France, pour mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d’Aigremont un ambassadeur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager, qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.) Désormais la guerre est inévitable ; elle commence. (Ibid., pp. 19-27.) Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l’armée féodale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés. (Ibid., pp. 30-37.) Charles pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le duc Beuves, qui s’acheminait vers Paris. (Ibid., pp. 37-44.) Aymon, lui, fait la paix assez bassement avec l’assassin de son frère ; Doon de Nanteuil et Girart de Roussillon font de même. La guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.) Là-dessus, les quatre fils Aymon viennent à la cour de Charles et y sont faits chevaliers, adoubés. (Ibid., pp. 45-47.) Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d’échecs vient tout changer. Le neveu de l’Empereur, Bertolais, joue avec Renaud : survient une dispute et, d’un coup d’échiquier, Renaud tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, 52.) Le meurtrier et ses trois frères s’enfuient au plus vite de la Cour où ils sont menacés. Leur père est le premier à les abandonner. Leur mère, leur mère seule leur demeure fidèle. Ils se retirent dans la vieille forêt des Ardennes. (Ibid., pp. 52, 53.) C’est là qu’ils vont se cacher durant sept ans ; c’est là que va commencer leur « grande misère ». Ils sont poursuivis par Charlemagne, qui fait le siége de leur château de Montrésor. Un traître est sur le point de le livrer à l’Empereur, et les fils du duc Aymon, affamés, sont forcés de s’éloigner de ces murs où pendant cinq années ils ont arrêté l’effort de tout l’Empire. (Ibid., pp. 53-74.) Ils errent dans la grande forêt, et le cheval de Renaud, Bayard, leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid., pp. 74-85.) Mais la faim les éprouve de plus en plus ; tous leurs chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85, 86.) Leur mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état, leur offre en vain l’hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Ils sont forcés de se remettre en route, chassés par leur propre père, et s’acheminent vers le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.) Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid., pp. 96, 97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa lutte contre les Sarrazins, et délivrent une fois de plus la Chrétienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.) Cependant Charlemagne les menace toujours, et ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Montauban). C’est là qu’ils espèrent pouvoir résister à Charles. (Ibid., pp. 107-111) Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la sœur du roi Yon. (Ibid., pp. 111-114.) À peu de temps de là, Charles, revenant d’Espagne, aperçoit le château de Montauban. Fou de jalousie et de rage, il en prépare le siége. Roland y prend part et rivalise avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid., pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les quatre frères, et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers de l’Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges. (Ibid., pp. 142-192.) C’est Ogier qui est chargé d’exécuter les ordres de Charles contre les quatre frères, mais il rougit de seconder une trahison : Maugis, alors, délivre les quatre frères. (Ibid., pp. 192-219.) Renaud, en vassal fidèle, désire d’ailleurs se réconcilier avec Charlemagne. (Ibid., pp. 230-246.) Mais, hélas ! les ruses et les enchantements de Maugis ont irrité l’Empereur ; et il exige qu’on lui livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.) Sur ces entrefaites, Richard, frère de Renaud, tombe au pouvoir de l’Empereur, qui le veut faire pendre. Mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.) Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles batailles : Charles devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 285-337.) L’Empereur ne sait pas reconnaître une telle générosité et assiége de nouveau Montauban, où la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souterrain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.) Cependant la guerre est loin d’être finie : il faut que Richard de Normandie soit fait prisonnier par les rebelles ; il faut que les Pairs forcent l’Empereur à conclure la paix ; il faut qu’ils aillent jusqu’à abandonner Charles. (Ibid., pp. 362-398.) Enfin la paix est faite, et elle est définitive. Renaud s’engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, et arrive dans la Ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarrazins. Il la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d’en être le roi. (Ibid., pp. 407, 408.) Il revient en France ; mais sa femme est morte, mais ses fils sont menacés par toute la famille de Ganelon et d’Hardré ! Il a la joie d’assister à leur triomphe. (Ibid., pp. 418-442.) C’est alors que, dégoûté des grandeurs humaines, il s’échappe un jour de son château et va, comme maçon, comme manœuvre, offrir humblement ses services à l’architecte de Cologne. (Ibid., pp. 442-445.) Sa force et son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers, qui le tuent. (Ibid., pp. 445-450.) Mais Dieu fait ici un grand prodige : le corps de Renaud, jeté dans le Rhin, surnage miraculeusement au milieu de la lumière et des chants angéliques ; puis, comme un autre saint Denis, il guide lui-même jusqu’à Trémoigne les nombreux témoins de ce miracle. (Ibid., pp. 450-454.) C’est plus tard seulement qu’on reconnut le fils du duc Aymon, dont l’intercession faisait des miracles, et saint Renaud, canonisé populairement, reçut les honneurs dus aux serviteurs de Dieu. » (Ibid., pp. 454-457.) ═ 3° Ogier de Danemark. « Ogier était le fils de ce roi de Danemark qui avait jadis outragé les messagers de Charles. Otage de son père, il avait été retenu prisonnier par l’Empereur, qui même voulait le faire mourir. Nous avons vu plus haut comment il avait mérité le pardon de Charlemagne en combattant contre les Sarrazins envahisseurs de Rome, en luttant contre Caraheu et Danemont. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poëme de Raimbert, xiie siècle, 174-3102.) Le Danois, vainqueur, se repose depuis longtemps à la cour de Charlemagne. Mais une partie d’échecs va changer sa fortune, et il en est de lui comme de Renaud de Montauban. Son fils, Baudouinet, est tué par le fils de l’Empereur, Charlot, qu’il a fait échec et mat. (Ibid., vers 3152-3180.) Ogier l’apprend ; Ogier veut tuer le meurtrier ; mais, assailli par mille Français, il est forcé de s’enfuir et va jusqu’à Pavie demander asile au roi Didier, qui le fait gonfalonier de son royaume. (Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du roi lombard l’expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tête de l’ambassadeur impérial. (Ibid., 4074-4288.) Charles veut se venger à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards. Une formidable bataille se livre entre les deux armées, entre les deux peuples. Didier s’enfuit ; Ogier reste avec cinq cents hommes devant tout l’effort de l’armée française. Sa résistance est héroïque, mais inutile. Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid., 4534-5883.) C’est pendant cette fuite, ou plutôt durant cette retraite, que, devenu tout à fait fou de colère, Ogier égorge lâchement Amis et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable cheval, Broiefort, qui prend enfin son galop à travers ces cent mille hommes et sauve son maître cerné dans un château. Le Danois parvient à s’enfermer dans Castelfort : le siége de Castelfort va commencer. (Ibid, 5892-6688.) Dans ce château Ogier est seul, tout seul, et il a devant lui toute l’armée de Charlemagne. Son ami Guielin a succombé, tous ses chevaliers sont morts, et c’est l’Occident tout entier qui semble conjuré contre le seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force, il essaie de la ruse, et il fabrique en bois de nombreux chevaliers qui étonnent l’ennemi et l’arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim et sort de ce château. Il en sort pour égorger l’Empereur, et essaie en réalité d’assassiner Charles, qui cependant s’est montré pour lui plein de générosité et de douceur. Mais, de nouveau poursuivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid., 8375-9424.) Charles veut l’y laisser mourir de faim ; mais Turpin sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années. L’Empereur le croit mort... (Ibid., 9425-9793.) La France cependant est menacée d’un épouvantable danger : elle est envahie par le Sarrazin Brehus : Ogier seul serait en état de la sauver, et c’est alors que Charles apprend que le Danois vit encore. (Ibid., 9794-10082.) L’Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi mortel, et le supplie de sauver la France. Mais Ogier est implacable, et n’y consent qu’à la condition de tuer de sa propre main Charlot, auteur de la mort de son fils. (Ibid., 10081-10776.) Et déjà, en effet, il lève son épée sur le malheureux fils de Charlemagne, quand un ange descend du ciel pour empêcher ce meurtre. On s’embrasse, on s’élance au-devant de Brehus. (Ibid., 10870-11038.) Les Sarrazins sont battus ; Brehus est tué par Ogier, qui a vainement cherché à le convertir. (Ibid., 11039-12969.) Le Danois, décidément réconcilié avec Charlemagne, épouse la fille du roi d’Angleterre, qu’il a délivrée des infidèles. Il reçoit de l’Empereur le comté de Hainaut, et c’est là qu’il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux. » (Ibid., 12970-13042.) ═ Toute cette légende d’Ogier s’est formée en même temps que celle de Roland, et elle était presque achevée quand fut écrite notre Chanson. Mais ce sont là, notons-le bien, deux Cycles différents, et qui n’ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux légendes se sont formées chacune de leur côté, très-indépendantes l’une de l’autre. On en peut dire autant, dans une certaine mesure, de Renaus de Montauban et de Girars de Viane. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’il faut comprendre le mot « cycle ». ═ 4° Jean de Lanson. « Jean de Lanson est un neveu de Ganelon, un petit-fils de Grifon d’Hautefeuille : il est de la race des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le Maroc, qu’il a reçus de Charlemagne. Tant de bonté n’a pas désarmé la haine qu’il porte à l’Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liége. Cette dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean de Lanson les douze Pairs pour le défier. (Jehan de Lanson, poëme du commencement du xiiie siècle, qui n’a d’ailleurs aucune racine dans la tradition, Ms. de l’Arsenal, B. L. F. 186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l’Italie, et se voient menacés par les traîtres à la tête desquels est Alori. (Ibid., f° 121.) Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l’enchanteur Bazin de Gênes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour déjouer les projets d’Alori. (Ms. de la B. N. 2,495, f° 1-13, v°.) C’est en vain que Jehan de Lanson oppose Malaquin à Bazin, magicien à magicien : Bazin parvient à restituer aux douze Pairs leurs épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à Paris, où il avertit l’Empereur de la détresse de ses messagers. (Ibid., f° 15-29.) Charles réunit son armée : il marche sur la Calabre et, vainqueur dans une première bataille, met le siége devant Lanson. (Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Bazin lui vient en aide. Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui-même. Charles pénètre dans ce château enchanté et délivre les douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers... » (Ibid., f° 55-64 v°.) Ainsi se termine ce poëme curieux, œuvre purement littéraire et où la légende ne tient aucune place.

IV. Avant la grande expédition d’Espagne : 1° Charlemagne en Orient. « L’Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en tête et ceint son épée : « Connaissez-vous, dit-il à l’Impératrice, un chevalier, un roi auquel la couronne aille mieux ? — Oui, répond-elle imprudemment, j’en connais un : c’est l’empereur Hugon de Constantinople. » (Vers 1-52 ; 58 et suiv. du Voyage à Jérusalem et à Constantinople, première partie du xiie siècle.) Charles, brûlé de jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze Pairs, et va d’abord à Jérusalem pour adorer le Saint-Sépulcre. Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte. (Ibid., v. 67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui la sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait de la Vierge. L’attouchement de ces reliques guérit un paralytique : leur authenticité est, par là, mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L’Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après avoir fait vœu de chasser les païens de l’Espagne. (Ibid., 221-332.) Charles traverse l’Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est gracieusement accueilli par l’empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des plaisanteries, à des gabs, où l’empereur et l’empire d’Orient sont fort insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui s’irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs gabs. (Ibid., 446-685.) C’est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles fort embarrassé ; c’est alors aussi que les plaisanteries des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d’exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la Passion. » (Ibid., 803-859.) ═ Cependant Olivier, pendant la fameuse nuit des gabs, avait déshonoré la fille de l’empereur Hugon, et en avait eu un fils. C’est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et qui le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l’ami de Roland rend le dernier soupir. (V. le roman en prose de Galien, Bibl. de l’Arsenal, 226, analysé dans le t. II des Épopées françaises, pp. 282-287. Cf. les éditions de Galien le rhétoré, 1500, Verard, etc.) ═ La légende du voyage de Charlemagne à Jérusalem et à Constantinople n’apparaît pas avant le Benedicti Chronicon, œuvre d’un moine du mont Soracte, Benoît (mort vers 968), qui s’est contenté de falsifier un passage d’Eginhard, en substituant le mot Rex aux mots : Legati regis. Nous avons été le premier à le démontrer. (Épopées, II, 265, 266.) ═ D’après une légende latine anonyme, composée vers 1060-1080 (Descriptio qualiter Carolus Magnus clavum et coronam Domini a Constantinopoli Aquisgrani attulerit qualiterque Carolus Calvus hæc ad Sanctum Dionysium retulerit), le Patriarche de Jérusalem est chassé de sa ville par les Sarrazins, et vient réclamer l’aide de l’empereur d’Orient. Mais c’est à Charles qu’est réservée la gloire de venger la cause de Dieu. Un songe en avertit l’empereur de Constantinople, et celui-ci en prévient tout aussitôt le roi des Franks. Sans hésiter, il part, il arrive en Terre-Sainte, y est miraculeusement protégé, bat les païens et délivre Jérusalem. Pour prix d’un tel service, il demande les saintes reliques. On les lui délivre, et vingt miracles attestent l’authenticité du saint suaire, des langes et surtout de la sainte couronne : les aveugles voient, les sourds entendent, les malades sont guéris. Chargé de ce trésor, Charles revient en France. ═ La « Chronique de Turpin » ne fait à ce fameux voyage qu’une allusion en passant. (Cap. xx.) ═ La légende, dès lors, se répand partout avec une autorité de plus en plus considérable. Pierre Comestor fait honneur à Charlemagne de la translation à Charroux d’une relique célèbre. Gui de Bazoches (fin du xiie siècle) dit que Charlemagne est réellement l’auteur de la première croisade, et cette idée est répétée par Hélinand, Vincent de Beauvais et Marino Sanuto. ═ La Karlamagnus Saga du xiiie siècle, résumée au xve dans le livre danois : Keiser Karl Magnus’s Kronike, raconte très-gravement un voyage de Charlemagne en Orient où il n’est pas question des gabs... Charles fait vœu de visiter le Saint Tombeau : il revient, en effet, par Constantinople, mais c’est pour la délivrer des Sarrazins. Il en rapporte le saint suaire et surtout la pointe de la lance dont fut percé le côté de Jésus-Christ. Il est certain que la Saga reproduit ici un vieux poëme. ═ Mais dans une autre branche (la septième), elle reproduit en outre le poëme que nous avons précédemment analysé. ═ Philippe Mouskes ajoute (vers 10022 et suiv.) quelques nouvelles reliques à celles qu’ont énumérées les précédents auteurs. ═ Girart d’Amiens, dans un passage malheureusement mutilé de son Charlemagne, raconte une véritable Croisade du grand empereur. ═ Le Ms. 226 de l’Arsenal reproduit, à peu de chose près, notre Voyage du xiie siècle. Seulement, — alors que Charles quitte Jérusalem pour aller à Constantinople avec de nombreuses reliques, — les pèlerins sont attaqués par deux mille Sarrazins que commande Braimant. Naimes est d’avis de ne pas tenter une résistance impossible ; mais les jeunes Pairs se précipitent sur les païens. Charles, lui, se contente de s’agenouiller : sa prière est tout aussitôt exaucée, et tous les Sarrazins sont changés en statues de pierre. ═ David Aubert, dans ses Conquestes de Charlemagne, reproduit à peu près, et en la délayant, la version de la Légende anonyme de 1080... ═ « Charlemagne, qui était allé en personne visiter l’Orient, y envoya une autre fois ses grands barons (douze comtes). Le chef de cette ambassade est Simon de Pouille. (Simon de Pouille, poëme de la fin du xiiie s. Ms. 368 de la B. N., f° 144, v°, col. 3.) Les Douze arrivent à Jérusalem, adorent le Saint Sépulcre ; mais, au sortir de la Ville sainte, ils sont faits prisonniers par l’émir Jonas et les Sarrazins. Par bonheur, le sénéchal de Jonas, Sinados, se convertit fort à propos pour les douze Compagnons, qui peuvent s’enfermer et se défendre dans le château d’Abilent. (Ibid., f° 144-149.) Les Français, grâce à une ruse de Simon de Pouille, parviennent à rejoindre leur allié Sinados. (Ibid., f° 149-154.) Cependant, et malgré, toutes leurs victoires, les chrétiens vont mourir de faim (Ibid., f° 155) et demandent en vain du secours au roi de Jérusalem. (Ibid., f° 156-159.) Mais ils peuvent enfin faire parvenir un message à Charles. (Ibid., f° 159.) Une dernière bataille rend les Français maîtres de la situation. Ils sont aidés par deux mille chevaliers que Charles leur envoie de France : Sinados est baptisé et devient, après la mort de Simon, le suzerain de la Calabre et de la Pouille. » (Ibid, f° 159-160, et Ms. de Londres, analysé par Fr. Michel, en son Charlemagne, pp. civ-cviii.) ═ 2° Charlemagne en Bretagne. « Acquin, empereur des Sarrazins, » s’est rendu maître de la Petite-Bretagne. Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix, s’apprête à marcher contre les envahisseurs norois. (Acquin, poëme de la fin du xiie siècle, conservé dans un Ms. détestable du xve, B. I. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s’installe à Dol. « Commençons la guerre, » dit l’Archevêque. (Ibid., f° 1, v° — 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est, par le conseil de l’archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Charlemagne. Les messagers de l’Empereur, insolents comme toujours, sont sur le point d’être tués par les Sarrazins ; mais la femme du roi païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est d’avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siége devant Guidalet. Dans me première bataille, les chrétiens sont vainqueurs. (Ibid., f° 7, v° — 16, r°.) Leurs pertes sont d’ailleurs considérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat. Malgré tout, les Français s’emparent de Dinart et investissent Guidalet. Le siége est long et rude. Même un jour, l’armée de Charles est surprise et vaincue. (Ibid., f° 16, 7° — 30, r°.) Naimes n’échappe à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet tombe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid., f° 33 — 50, v°.) Un duel de Naimes et d’Acquin paraît terminer la Chanson : Acquin meurt, et sa femme est baptisée. » (Ibid., f° 50-55.) Dans ce poëme, dont nous ne possédons pas de version complète, l’élément littéraire est plus considérable que l’élément traditionnel. On y rencontre cependant des légendes visiblement antiques ; mais tout a été écrit en dehors de la Chanson de Roland. ═ 3° Fierabras et Otinel. « Charles est, une fois de plus, en guerre avec les païens : même il vient de leur livrer une bataille longuement disputée. (Fierabras, poëme du xiiie siècle, éd. Krœber et Servois, v. 24-45.) Un géant sarrazin, haut de quinze pieds, défie tous les chevaliers de Charlemagne : c’est lui qui a massacré les habitants de Rome et qui, maître du Saint Sépulcre et de Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l’enseigne de la croix, la couronne et les clous. (Ibid., v. 50 — 66.) Au défi du païen, c’est Olivier qui répond. Le duel terrible va commencer : il s’engage. (Ibid., 93-368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu’il peut recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire, cherche à le convertir, s’empare des barils miraculeux qu’il jette dans la mer, et porte au Sarrazin un coup vainqueur. Fierabras s’avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (Ibid., 369-449 et ss.) Mais, pendant qu’Olivier emporte le géant blessé, il est cerné par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 1631-1862.) Fierabras, baptisé, devient soudain un tout autre homme : il se fait l’allié des Français et s’apprête à combattre son propre père, l’émir Balant. (Ibid., 1803-1994.) Quant à Floripas, sa sœur, elle ne rêve que de se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements ne tournent pas à l’avantage des chrétiens, et Balant se rend maître de Gui, de Roland, de Naimes et des premiers barons français. (Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit. (Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C’est Floripas elle-même qui, fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour son père : Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.) Floripas épouse enfin Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion, qui sont la cause de toute cette lutte. Dieu atteste leur authenticité par de beaux miracles. C’est trois ans après que Ganelon trahit la France et vend Roland. » (Ibid., 5992-6219.) ═ Le Fierabras que nous venons de résumer n’est pas la version la plus ancienne. Suivant l’opinion de M. G. Paris, à laquelle nous rattachons la nôtre, il a existé un roman antérieur, qui pouvait bien avoir pour titre : Balant. Ce poëme, disparu, commençait par le récit d’une prise de Rome que les Sarrazins enlevaient aux chrétiens. Charles arrivait au secours des vaincus, et là se plaçait le combat d’Olivier et de Fierabras. C’était tout. ═ Il est à peine utile d’ajouter que les versions en prose de notre Fierabras n’ont fait que délayer la version en vers. Nous avons ailleurs discuté la question de la priorité du poëme français sur le Fierabras provençal. ═ « Au commencement d’Otinel (xiiie siècle), l’Empereur tient cour plénière à Paris. (Vers 23 et ss.) Survient un messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi, dit-il à Charles, et mon maître daignera te laisser l’Angleterre et la Normandie. » (Ibid., 137 et ss.) Or ce Garsile avait pris Rome, et son messager lui-même, Otinel, l’y avait singulièrement aidé. (Ibid., 91 et ss.) Roland s’irrite d’un message aussi insolent, et défie Otinel. (Ibid., 211-216.) Entre de tels champions, c’est un duel terrible. Le Ciel y intervient, et, au milieu du combat, Otinel s’écrie : « Je crois en Dieu. » On le baptise, et Charles va jusqu’à lui donner sa fille Bélissende en mariage (Ibid., 262-659) ; Otinel devient alors l’appui de la Chrétienté et l’ennemi de Garsile. (Ibid., 660-1915.) Au milieu de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s’échapper. (Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée : Otinel tue Garsile, et l’on célèbre joyeusement ses noces avec Bélissende. » (Ibid., 1948-2132.) On voit assez, par cette rapide analyse, qu’Otinel ne contient rien de légendaire, et que c’est une œuvre d’imagination pure. ═ Dans le Karl Meinet, compilation allemande du commencement du xive siècle, « Ospinel », roi de Babylone, défie les douze Pairs et lutte, non pas avec Roland, mais avec Olivier. Il se convertit au milieu du combat, et meurt après s’être fait baptiser. Sa fiancée, Magdalie, fille du trop célèbre Marsile, veut le venger, mais devient la captive de Roland, pour lequel elle se prend trop vite d’un amour ardent. Olivier est forcé d’intervenir et d’arracher Roland à cette affection indigne de celui qui devait épouser la belle Aude. (V. l’édit. Keller et G. Paris, Hist. poét. de Charlemagne, 489-491.) ═ Jacques d’Acqui (fin du xiiie siècle) raconte qu’un géant païen nommé Ottonnel, de la ville d’Attilie, fut, en effet, battu par les chrétiens et converti par Roland. Le Chroniqueur ajoute que Roland lui donna sa sœur Bélissent en mariage, et que cet Ottonnel devint l’un des douze Pairs. Par malheur, Roland frappa d’un coup mortel, au milieu de je ne sais quelle bataille, son beau-frère qu’il ne reconnaissait pas. La sœur de Roland, femme d’Ottonnel, en mourut de douleur. (Hist. poét. de Charlemagne, 505, 506.) On peut, sans témérité, considérer toutes ces fables comme postérieures à la rédaction de notre Roland.

V. L’Espagne. « Charles se repose de tant de guerres et, au milieu de sa gloire, oublie le vœu qu’il a fait jadis d’aller délivrer l’Espagne et le « chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui annonce que le temps est venu d’accomplir son vœu. (L’Entrée en Espagne, poëme du comm. du xive siècle, renfermant des morceaux du xiiie. Mss. fr. de Venise, xxi, f° 1, 2.) L’Empereur n’hésite pas à obéir à cette voix du ciel ; mais il n’en est pas de même de ses barons, qui prennent trop de plaisir à la paix et s’y endorment : Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.) Marsile est saisi d’épouvante en apprenant l’arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d’entre eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (Ibid., 7-31.) Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours, finit par trancher la tête du géant qu’il eût voulu épargner et convertir. (Ibid., 31-79.) L’action se transporte alors sous les murs de Pampelune, et elle y demeurera longtemps. Une première bataille se livre sur ce théâtre de tant de combats. Isoré, fils de Malceris, roi de Pampelune, s’illustre par d’admirables mais inutiles exploits. Il est fait prisonnier, et, sans l’intervention de Roland, Charles eût ordonné sa mort. (Ibid., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une des plus grandes batailles d’Espagne va commencer : Roland est relégué à l’arrière-garde, et s’en indigne. (Ibid., 122-162.) Voici la mêlée : on y admire à la fois le courage de l’Empereur et celui de Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très-grave de déserter le champ de bataille avec tout son corps d’armée. Il est vrai qu’il s’empare de la ville de Nobles ; mais il n’en a pas moins compromis la victoire des Français. L’Empereur le lui reproche cruellement et va jusqu’à le frapper. Roland s’éloigne, et quand Charlemagne, apaisé, envoie à sa poursuite, il n’est plus possible de le trouver. (Ibid., 162-220.) Roland est en Orient, où il se met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise l’Orient à la française et fait le pèlerinage des Saints Lieux. (Ibid., 220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne et tombe, tout en larmes, aux pieds de l’Empereur. (Ibid., 275-303.) La réconciliation est faite, mais la grande guerre est loin d’être finie : Pampelune, en effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur courage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise de Pampelune, prem. quart du xive siècle, éd. Mussafia, vers 1-170.) Par malheur, les Français ne restent pas unis dans leur victoire, et une épouvantable lutte éclate entre les Allemands et les Lombards. C’est Roland qui a la gloire de les séparer et de faire la paix. (Ibid., 170-425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel tout à l’heure contre les Sarrazins, devient tout à coup d’une générosité ridicule. Il veut faire de Malceris un des douze Pairs ; mais aucun d’entre eux ne veut céder sa place au nouveau venu : tous préfèrent la mort. (465-561.) Malceris, furieux de ce refus, parvient à s’échapper de Pampelune. (Ibid., 561-759.) Mais le fils du fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en vient, pour ses nouveaux amis, à méconnaître jusqu’à la voix du sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles cependant ne perd pas l’espoir de conquérir l’Espagne, et c’est ici que commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véritablement le premier rôle. À la tête de ses ennemis est encore Malceris, type du païen farouche et intraitable ; près de Malceris est Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. Dans la mêlée, le roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et serait mort sans l’aide providentielle de Didier et de ses Lombards. (1199-1953.) Enfin, les païens sont vaincus. Altumajor, forcé de devenir chrétien, remet à l’Empereur Logroño et Estella. (Ibid., 1830-2474.) Devant les Français victorieux, il ne reste plus guère que Marsile, et ce sera désormais le grand adversaire de Charles et de Roland. On agit d’abord avec lui par la diplomatie, et, sur la proposition de Ganelon, on lui envoie deux ambassadeurs, Basin de Langres et son compagnon Basile. Ils sont pendus sur l’ordre de Marsile, et cette violation du droit des gens sera plus tard rappelée avec horreur dans la Chanson de Roland. (Ibid., 2597-2704.) Un tel crime ne déconcerte d’ailleurs ni Ganelon ni Charlemagne, et l’on décide d’envoyer une seconde ambassade à Marsile. Guron est choisi : il est surpris par les païens, et n’a que le temps, après une résistance sublime, de venir expirer aux pieds de Charles, qui le vengera. (Ibid., 3140-5830.) La rage s’allume au cœur de l’Empereur, et la guerre recommence. Les Français, après une éclatante victoire sur Malceris, entrent tour à tour dans Tolède, Cordoue, Charion, Saint-Fagon, Masele et Lion. (Ibid., 3851-5773.) Le poëme se termine en nous montrant l’armée chrétienne maîtresse d’Astorga. Charles possède l’Espagne, toute l’Espagne..., à l’exception de Saragosse. » ═ « Suivant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais vingt-sept ans en Espagne. Cette version n’est consacrée que par le poëme de Gui de Bourgogne (seconde moitié du xiie siècle). L’auteur suppose que l’Empereur et ses barons ont vieilli de l’autre côté des Pyrénées, et tellement vieilli, que leurs fils, laissés par eux au berceau, sont devenus, en France, de beaux jeunes hommes pleins d’ardeur. Or ce sont ces jeunes gens qui s’avisent un jour d’aller rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune Garde venant à l’aide de la vieille. Ils avaient voulu tout d’abord se donner un roi, et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d’une voix unanime. C’est Gui qui a eu l’idée de l’expédition d’Espagne, et qui exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne, vers 1-391.) Gui s’empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1621-3091), de la tour d’Augorie (Ibid., 3184-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c’est Huidelon ; encore il se convertit fort rapidement et devient le meilleur allié des Français. Il ne reste plus maintenant à la jeune armée qu’à rejoindre celle des vieillards, celle de Charles. C’est ce que Gui parvient à faire, après avoir donné les preuves d’une sagesse au-dessus de son âge. Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux bras de leurs pères (Ibid., 3925-4024), et c’est une joie inexprimable. Puis les deux armées combinées s’emparent de Luiserne, que Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 4137-4299.) Le signal du départ est alors donné à tous les Français. Et où vont-ils ainsi ? À Roncevaux. » (Ibid., 1300-4301.) ═ Ici commence la Chanson de Roland, dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiatement après la Prise de Pampelune. Mais nous n’avons pas besoin de résumer ici le poëme dont nous venons de publier le texte et la traduction. Le rôle de Charlemagne n’y est pas, comme on le sait, effacé par celui de Roland, et l’Empereur garde réellement le premier rang. C’est lui qui, dans la première partie de la Chanson, réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par Marsile ; c’est lui qui fait choix de Ganelon comme ambassadeur ; c’est lui qui, sur l’avis de ce traître, confie l’arrière-garde à Roland. Puis, dans la seconde partie de la Chanson, il cède ou paraît céder toute la place à son neveu, afin de nous faire assister uniquement aux derniers exploits, à l’agonie et à la mort de Roland. Mais encore voyons-nous Charles prendre de loin sa part à ce martyre et accourir, terrible, pour le venger. Il est d’ailleurs, et il est tout seul, le héros de la troisième partie. Il s’y fait le vengeur de Roland sur les Sarrazins d’abord, et ensuite sur Ganelon. À la défaite de Marsile et de Baligant succède le châtiment du Traître, et le grand empereur, promenant autour de lui ses regards apaisés par tant de représailles, s’apprête enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d’un Ange se fait entendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les païens... » ═ Telle est la légende de l’expédition d’Espagne d’après nos chansons de geste. Mais cette très-populaire légende, qui est vraiment le centre de l’histoire poétique de Charlemagne, a été l’objet de variantes et de modifications très-considérables. Nous allons les faire connaître dans l’ordre de leur antiquité : 1° La « Chronique de Turpin » doit tout d’abord fixer notre attention. M. G. Paris a établi que les chapitres i-v sont l’œuvre d’un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du xie siècle, et que les chapitres vi et suivants, dus sans doute à un moine de Saint-André de Vienne, n’ont été écrits qu’entre les années 1109-1119... D’après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit un jour dans le ciel une « voie d’étoile » qui s’étend de la mer de Frise jusqu’au tombeau de saint Jacques, en Galice. L’apôtre lui-même se fait voir à l’Empereur, et le somme de délivrer son Pèlerinage, dont la route est profanée par les infidèles. Charles obéit ; il part. (Cap. ii.) Devant les Français victorieux tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l’Empereur fait sa visite au tombeau de l’apôtre, et va jusqu’à Padron. (Cap. iii.) Plein de foi, il détruit toutes les idoles de l’Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image de Mahomet que l’on appelle « Islam ». (Cap. iv.) L’Empereur, triomphant, élève une église magnifique en l’honneur de saint Jacques, et construit d’autres basiliques à Toulouse, Aix et Paris. » (Cap. v.) Ici s’arrête le récit primitif, qui forme un tout bien complet et caractéristique. Le commentateur du xiie siècle prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre Agolant que nous avons déjà résumée plus haut. Le récit d’une nouvelle guerre commence au chap. xiv : Bellum Pampilonense.... « Il arrive qu’Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une croix rouge apparaît sur l’épaule des soldats de Charles qui doivent mourir dans la guerre contre le roi Fouré : c’est l’Empereur qui a fort indiscrètement demandé ce prodige à Dieu. Ces prédestinés meurent, mais Fouré est vaincu. (Cap. xvi.) Nouvelle guerre d’Espagne. Cette fois, c’est la plus célèbre, c’est celle de nos Chansons : Roland lutte à Nadres contre le géant Ferragus et en triomphe. (Cap. xvii. Altumajor et Hébraïm, roi de Séville, continuent la lutte. Cachés sous des masques hideux, les païens attaquent les Français avec des cris épouvantables. Les Français reculent une première fois, mais le lendemain sont vainqueurs : Charles, maître de l’Espagne, la partage entre ses peuples. (Cap. xviii.) Il érige alors Compostelle en métropole, et fait massacrer en Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) C’est alors, mais alors seulement, qu’on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois de Saragosse, et envoyés tous deux par l’émir de Babylone. Ils feignent de se soumettre et envoient à Charles trente sommiers chargés d’or et quarante de vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, par pur avarice et sans nul esprit de vengeance, trahit son pays et s’engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l’armée chrétienne. Les Français, d’ailleurs, semblent attirer sur eux la colère du Ciel, en se livrant à de honteuses débauches avec les captives païennes. Ganelon les trompe, les endort, et l’arrière-garde de Charles est soudain attaquée par les Sarrazins que Marsile et Baligant conduisent à ce carnage. Sauf Roland, Turpin, Baudouin et Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir, Roland a la joie de tuer le roi Marsile ; mais il expire lui-même, après avoir en vain essayé de briser sa Durendal (cap. xxii) et s’être rompu les veines du cou en sonnant de son cor d’ivoire. Charles l’entend du Val-Charlon, pendant que Thierry assiste à l’agonie et à la mort de Roland. (Cap. xxiii et xxiv.) Or c’était le 17 mai. Turpin chantait la messe, lorsqu’il vit soudain passer dans les airs les Démons qui menaient en enfer l’âme de Marsile, et les Anges qui conduisaient au Paradis l’âme de Roland. Presque en même temps, Baudouin apporte à l’Empereur la nouvelle de la mort de son neveu. Désespoir de Charles, pleurs de tous les Français. (Cap. xxv.) C’est alors que les chrétiens vont relever leurs morts sur le champ de bataille de Roncevaux, dans le Val-Sizer. Comme dans notre Chanson, Dieu arrête le soleil pour permettre à Charles de se venger des Sarrazins, et le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel et Thierry, est jugé, condamné, exécuté. (Cap. xxvi. — Voir au t. II des Épopées françaises, pp. 340-342 et 408-411, un résumé complet de la Chronique de Turpin. Ajoutons ici que le texte du Faux Turpin est reproduit dans le IIIe livre de la Chronique anonyme, dédiée en 1165 à Frédéric Barberousse, sous ce titre : De la Sainteté et des miracles du bienheureux Charlemagne.) ═ 2° Le Ruolandes Liet, œuvre allemande du curé Conrad (vers 1150), est calqué sur le texte d’Oxford. L’esprit en est clérical et non plus militaire : c’est l’unique différence, les faits sont les mêmes. ═ 3° Le Stricker, dans son Karl, n’a guère fait que versifier plus élégamment le Ruolandes Liet (vers 1230). ═ 4° La Kaisercronik (xiie siècle) nous fournit un récit de la guerre d’Espagne qui ne ressemble en rien à tous les autres.... « Tous les chrétiens ayant été massacrés par les Sarrazins, Charles rassemble 53,066 jeunes filles dans le Val-Charlon, près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris, l. I, 271.) ═ 5° La « Chronique du manuscrit de Tournai » (commencement du xiiie siècle) suit, en général, le récit du Faux Turpin. Elle est la première à nous donner la légende de Ganelon, qui, au moment de lutter en combat singulier avec le fils de Gondrebuef de Frise, pique des éperons, s’enfuit et est à grand-peine atteint et ramené devant le Roi. (V. le texte de la Chronique de Tournai, dans le Philippe Mouskes de Reiffenberg, I, pp. 469-473.) Ce même récit se retrouve dans les refazimenti de la Chanson de Roland. (V. le texte de Paris, vers 12527 et ss. de l’éd. Fr. Michel ; Venise vii, etc.) ═ 6° « La Chronique Saintongeoise » (commencement du xiiie siècle) interpole le Faux Turpin. Elle y ajoute le récit de Bordeaux délivré par les Français, et d’une lutte de Roland contre le roi de Libye. (Histoire poétique de Charlemagne, p. 271.) ═ 7° Les Remaniements de la Chanson de Roland (seconde partie du mss. iv de Venise ; — ms. vii de Venise ; — textes mss. de Paris, de Versailles, de Lyon, fragment lorrain, etc.) suivent en général l’affabulation du texte d’Oxford pour toute la première partie de notre vieux poëme. Ils se contentent de le délayer extraordinairement. ═ « C’est à son retour de la grande expédition d’Espagne que Charles, dans le ms. iv de Venise (f° 88, r°, 2e colonne), aperçoit Narbonne, et éprouve soudain le très-vif désir de l’avoir en sa possession. Et c’est alors que le fils d’Hernaut de Beaulande, Aimeri, s’en empare. » (V. Épopées françaises, III, 218-220.) ═ Quant aux mss. de Paris, Versailles, Venise vii et Lyon, ils racontent un peu différemment toute la fin de notre roman : nous allons les résumer.... « Lorsque Charles est de retour en France, après le désastre de Roncevaux, il envoie cinq chevaliers en message à sa sœur Gille, mère de Roland, qui est à Mâcon, et à Girart, qui est à Vienne : « Qu’il m’amène la belle Aude. » (Ms. de Paris, éd. Fr. Michel, 10022-11107.) Ganelon s’enfuit alors une première fois, et pense échapper à la colère de l’Empereur. Mais Othes le poursuit et, après vingt aventures, lui livre un combat acharné, parvient à s’en emparer et le rend à Charles. (Ibid., 11108-11560.) Cependant les messagers de Charles sont arrivés à Vienne et ont fait à Girart le message du roi de France. Ils ne lui apprennent pas la mort de Roland ; mais Aude a des pressentiments, des songes terribles. Malgré tout, elle part avec son oncle Girart. Ils arrivent ainsi au camp français, et l’Empereur veut faire croire à la fiancée de Roland que son fiancé a épousé une autre femme. Mais Aude ne peut ajouter foi à de tels récits et soupçonne l’affreuse vérité. Sur ces entrefaites arrive la sœur de Charles, la mère de Roland, Gille. C’est elle, c’est cette mère qui, malgré sa profonde douleur, apprend à Aude la terrible nouvelle. Aude meurt ; mais elle meurt, hélas ! bien longuement, après l’apparition d’un ange, après des réflexions, après des prières sans fin. » (Ibid., 11561-12384.) Le reste de nos refazimenti est semblable à la Chanson de Roland. ═ 8° La Karlamagnus Saga (xiiie siècle), et le résumé danois de cette Saga, Keiser Karl Magnus’s Kronike (xve siècle), nous fournissent de très-précieuses variantes.... « C’est saint Gabriel, et non saint Jacques, qui pousse Charles en Espagne. Un cerf blanc le conduit à travers un gué de la Gironde. (Karlamagnus Saga, 1re branche, 50.) Roland et Olivier prennent Nobles sans le consentement de l’Empereur, et vont jusqu’à tuer le roi Fouré, que Charles leur avait ordonné d’épargner. Les deux coupables cherchent en vain à cacher les traces de ce sang criminellement répandu, et le Roi, plein de colère, frappe son neveu au visage. » (Ibid., I, 51-52.) Dans une autre branche de la Saga, ce célèbre coup de gant est donné par l’Empereur en des circonstances toutes différentes : Charles veut abandonner, de désespoir, le siége de Nobles ; Roland s’y refuse (5me branche). Quoi qu’il en soit, après la prise de Nobles, le roi de France s’empare tour à tour de Monjardin et de Cordres. Alors a lieu le « miracle des lances » que les soldats de Charlemagne fichent en terre, et qui se couvrent d’une verdure surnaturelle (1re branche, 53). Dans sa « huitième branche », la Saga suit de près notre vieux poëme, mais en omettant le récit de la lutte contre Baligant et de la bataille de Saragosse. (Bibl. de l’École des Chartes, XXV, 102-103 ; Histoire poétique de Charlemagne, 152-277.) ═ 9° Philippe Mouskes (milieu du xiiie s.) s’accommode du Faux Turpin, en y mêlant la légende de notre Chanson et de ses Remaniements. Il remonte aussi à d’autres sources, et raconte notamment le miracle des aubépines qui sortent du corps de tous les Français morts à Roncevaux. (Éd. Reiffenberg, vers 8618-8621.) ═ 10° La Cronica general d’Alfonse X (seconde moitié du xiiie s.), précédée par la Chronica Hispaniæ de Rodrigue de Tolède (✝1247), présentent sous un aspect tout différent la guerre de Roncevaux... « Alfonse le Chaste régnait depuis trente ans. Menacé par les Sarrazins, il appelle Charlemagne à son aide. Mais les Espagnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu’ils vont être secourus par des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles... qu’il se passera de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôt la guerre aux Espagnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l’alliance de Marsile et des païens, et c’est Bernard del Carpio qui conclut cette alliance. Accablés par deux armées, ou plutôt par deux races, les Français sont vaincus, et Roland meurt. Il est vrai que Charles se vengea plus tard sur Marsile. Mais Bernard del Carpio fut le plus heureux. Réconcilié avec le grand Empereur, il fut fait par lui roi d’Italie. » (Chronica Hispaniæ, IV, cap. x et xi ; Cronica general, édition de 1604, f° 30-32. — Cf. Histoire poétique de Charlemagne, 282-285.) ═ 11° Gaydon est une Chanson de la première partie du xiiie siècle, une œuvre littéraire, et dont l’auteur n’a pas puisé dans la légende. Le principal personnage n’est autre que Thierry, ce même Thierry qui a été le champion de Roland contre Pinabel. Il est baptisé dans ce poëme du nom de Gaydon, à cause d’un geai qui vient se poser sur son heaume, au moment même de son combat avec le défenseur de Ganelon. C’est d’ailleurs l’unique variante que nous offre cette œuvre de second ordre et qui n’a rien de traditionnel. ═ 12° Les « Chroniques de Saint-Denis » soudent entre elles (singulier mélange) les Annales d’Eginhard et la Chronique de Turpin. On n’y trouve qu’un épisode réellement original.... « Roland assiége Grenoble, lorsque tout à coup il apprend que Charles est attaqué en Dalmatie par les Saisnes, les Vendres et les Frisons. Comment lui porter secours ? Abandonner le siége de Grenoble ? Roland ne saurait s’y résoudre. Il s’agenouille, demande un miracle à Dieu, et voici soudain que les murs de Grenoble s’écroulent. Roland peut alors partir à la délivrance de son oncle. » ═ 13° Le Roland anglais du xiiie siècle (v. la première édition de la Chanson de Roland, par F. Michel, pp. 279-284) suit tour à tour le Faux Turpin et nos Chansons de geste. ═ 14° Parmi les quatre fragments néerlandais publiés par M. Bormans (xiiie et xive siècles), deux suivent la Chronique de Turpin, deux autres la version d’Oxford. (V. les Épopées françaises, II, p. 415.) ═ 15° Girart d’Amiens (commencement du xive s.) ne fait guère, dans son Charlemagne, que traduire dévotement le prétendu Turpin. ═ 16° L’auteur allemand du Karl Meinet, contemporain de Girart d’Amiens et compilateur de la même famille, n’a également consulté que les sources latines pour les commencements de l’expédition d’Espagne. Mais, pour le Roncevaux, il a simplement rajeuni le Ruolandes Liet, qui lui-même est um rajeunissement du Roland d’Oxford. ═ 17° « L’office de Charlemagne à Girone » (vers 1345) est plus original. Au moment de franchir les Pyrénées, Charles a une belle vision : Notre-Dame, saint Jacques et saint André lui promettent la victoire, mais à la condition qu’il bâtira dans Girone une belle église à la Vierge. Le grand Empereur se met en devoir d’obéir. Il bat les païens à Sent-Madir, et met le siége devant Girone. Une croix rouge reste durant quatre heures au-dessus de la mosquée ; il pleut du sang ; les miracles abondent... » (V. l’Histoire poétique de Charlemagne.) Ce même Office place la prise de Narbonne par saint Charlemagne avant, et non après l’expédition d’Espagne. ═ 19° Les Reali (vers 1350), en leur huitième livre, intitulé la Spagna, suivent d’abord pas à pas notre Entrée en Espagne et la Prise de Pampelune ; il arrive même que les Reali comblent ici certaines lacunes de ces poëmes. (Défaite de Malqidant ; Olivier, revêtu des armes de Roland, met les païens en fuite...) Pour la fin de l’expédition d’Espagne, le compilateur des Reali aurait suivi, d’après M. G. Paris, un Roncevaux en vers français, qui n’est point parvenu jusqu’à nous, et qui était sans doute du même auteur que l’Entrée en Espagne. (Nicolas de Padoue.) Mais la Spagna des Reali n’est pas encore publiée, et tout donne à penser qu’elle doit se rapprocher notablement de la Chronique de Turpin et de l’œuvre de Philippe Mouskes. ═ 20° La Spagna istoriata de Sostegno di Zanobi (xive s.) n’est qu’une imitation poétique, un « délayage » des Reali. ═ 21° Les Romances espagnoles sont les unes françaises, les autres espagnoles d’inspiration. Dans la Romance : C’était le Dimanche des Rameaux, on voit fuir le roi Marcim devant Roland, avec des pleurs et des imprécations lamentables. Dans la romance de Dona Alda, on assiste à un songe de la belle Aude, et cet épisode est à peu près semblable à la donnée de nos refazimenti. (Cf. de Puymaigre, les Vieux Auteurs castillans, II, 325.) Dans une autre romance, Roland meurt de douleur sur le champ de bataille, à la vue de la tristesse et de l’isolement de Charlemagne. (Études religieuses des Pères jésuites, VIII, 41.) D’autres enfin célèbrent à l’envi leur Bernard del Carpio, au préjudice de notre Roland. (Primavera, I, 26-47.) ═ 22° Le Charlemagne et Anséis en prose (ms. 214 de la Bibliothèque de l’Arsenal, xve s.) reproduit servilement la Chronique de Turpin, qu’il agrémente d’une façon insupportable. Le compilateur ne manque pas, d’ailleurs, de donner un rôle très-important à Anséis de Carthage, dès la première partie de son Roman. C’est la seule originalité de cette œuvre extraordinairement plate. ═ 13° Le Galien (ms. 226 de la Bibl. de l’Arsenal, xve s.), et tous les incunables qui depuis le xve siècle sont calqués sur ce texte trop peu connu, nous montrent le fils d’Olivier et de Jacqueline, Galien, arrivant sur le champ de bataille de Roncevaux au moment même où Olivier va rendre le dernier soupir. Or Galien est, depuis de longues années, à la recherche de son père, et il a la joie suprême de pouvoir s’en faire reconnaître. ═ 24° La Conqueste du grant Charlemaine des Espaignes, qui n’est qu’une version en prose de notre Fierabras (la 1re édition est de 1478), se borne à traduire la Chronique du Faux Turpin. ═ 25° Les Guerin de Montglaive incunables contiennent également un résumé de la bataille de Roncevaux, d’après les seuls textes latins. ═ 26° La « Chronique du ms. 5003 », signalée par M. G. Paris (le ms. est du xvie siècle ; l’original peut-être du xive), est un autre calque de la Chronique de Turpin. Elle mêle à ce récit la mort de Renaud à Cologne et la prise de Narbonne. ═ 27° « La Chronique de Weihenstephan » (le ms. est du xve siècle, et l’original du xive) n’apporte aucun fait nouveau et ne renferme aucune tradition qui ne se rencontre dans le Ruolandes Liet et le Stricker. ═ 28° Il en est autrement des Conquestes de Charlemaine de David Aubert (1458). La première partie est empruntée, moitié à des poëmes que nous avons perdus, moitié au Faux Turpin. C’est avant de traverser les ports des Pyrénées que Charlemagne s’empare de Bordeaux. La prise de Nobles par Olivier et Roland et la mort du roi Fouré suivent de près la prise de Bordeaux. Puis viennent le siége et l’assaut de Pampelune et de Montjardin. Ici nous retombons en pleine Chronique de Turpin, avec le trop fameux combat de Roland et de Ferragus. Le reste des Conquestes est servilement copié sur les Remaniements de la Chanson de Roland, sur quelque texte analogue à ceux de Versailles, Paris, Venise VII et Lyon. C’est une vérité que nous n’avons pas vue dans nos Épopées françaises (II, 419). Nous nous empressons de rectifier cette erreur, et terminons ici notre résumé de la « Légende de Charlemagne », que nous avons essayé de rendre complet, mais que nous aurions voulu moins long.

D’après les textes qui précèdent, ou peut dresser le Tableau par ancienneté des sources de l’histoire poétique de Charlemagne. I. Le plus ancien groupe est représenté par la Chanson de Roland, qui repose non-seulement sur des légendes remontant au ixe et même au viiie siècle, mais encore sur des Textes historiques d’une importance considérable. (Éginhard, Annales, ann. 778, reproduit par le Poëte saxon. — Vita Karoli, IX. — L’Astronome Limousin, Vita Hludovici, Pertz, II, 608.) ═ II. En même temps que la légende de Roncevaux, mais d’une façon tout à fait indépendante et dans un autre cycle, se formait la légende d’Ogier, qui est également appuyée sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pépin en 760, Hist. de France, V, 122 ; Chronique de Moissac, de 752 à 814, Hist. de France, V, 69, 70 ; un Extrait du Moine de Saint-Gall, II, 26 ; plusieurs passages d’Anastase le Bibliothécaire, ann. 753, 772, 774 ; Annales Lobienses, Pertz, II, 195 ; Chronicon sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214 ; Chronique de Sigebert de Gembloux au xie siècle, Hist. de France, V, 376 ; la Conversio Othgerii militis, œuvre du xe ou du xie siècle, B. N. S. G. L. 1607 ; le tombeau d’Ogier à Saint-Faron, Acta SS. ord. S. Benedicti, sæc. iv, pars I, pp. 664, 665.) À ce groupe se rapportent la Chevalerie Ogier de Danemarche, de Raimbert ; les Enfances Ogier, d’Adenès ; la 3e branche de la Karlamagnus Saga et la 4e du Charlemagne de Venise. ═ III. Vers la fin du xe siècle, une falsification du texte d’Éginhard donne lieu à la légende du Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.) De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constantinople ; de là deux récits de la Karlamagnus Saga. ═ IV. Au milieu du xie siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq premiers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfermant l’histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit n’a aucune influence sur le développement de notre poésie romane. ═ V. Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes nombreuses, et très-probablement des poëmes qui avaient pour objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le texte d’Oxford fait des allusions très-claires à la prise de Nobles, telle qu’elle nous est racontée dans la première branche de la Karlamagnus Saga ; à l’ambassade de Basin et Basile, qui, bien plus tard, sera racontée à nouveau par l’auteur de la Prise de Pampelune ; à la famille d’Olivier telle qu’elle nous est présentée dans Girars de Viane. Ce n’étaient certes pas ces poëmes eux-mêmes, tels que nous les possédons, qui existaient avant notre Chanson de Roland ; mais c’étaient des Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc. ═ VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une certitude. Nous n’avons qu’une probabilité pour les suivantes, auxquelles il n’est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland. Les faits qui sont délayés dans les versions du Renaus de Montauban parvenues jusqu’à nous ; ceux qui nous sont offerts, relativement à la guerre d’Espagne, dans la Kaisercronik du xiie siècle, dans les branches I et V de la Karlamagnus Saga, dans le second tiers de l’Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement du xiie siècle. ═ VII. Notre Chanson de Roland a été remaniée, rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres (comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l’entrevue d’Aude et de Gillain, etc.) sont une œuvre de pure imagination. ═ VIII. Entre les années 1109 et 1119 sont rédigés les chapitres vi et ss. de la Chronique de Turpin, d’après des sources romanes que l’on corrompt, que l’on dénature, que l’on cléricalise. Cette œuvre apocryphe a exercé une influence considérable, et c’est d’après elle que sont écrits les documents dont nous allons donner la liste : La Chronique du manuscrit de Tournai (xiiie siècle) ; la Chronique saintongeaise (commencement du xiiie siècle) ; la première partie de l’Entrée en Espagne (xiiie-xive siècles) ; Philippe Mouskes (vers 1240) en grande partie ; les « Chroniques de Saint-Denis, » et, en partie également, le Roland anglais du xiiie siècle ; le Charlemagne de Girart d’Amiens, en tout ce qui touche la guerre d’Espagne (commencement du xive siècle) ; pour tout ce qui se rapporte aux commencements de cette expédition, le Karl Meinet, qui appartient à la même époque ; les Reali (vers 1350) et la Spagna istoriata ; la Conqueste du grant Charlemaine des Espaignes (édition imprimée du Fierabras, depuis 1478, etc.) ; les Guerin de Montglane incunables ; la Chronique du ms. 5003 de la B. N. (original du xive siècle) ; le Charlemagne et Anseïs, du xve siècle, etc. etc. ═ IX. Sur des traditions vagues ont été écrits, au xiie siècle et postérieurement, toute une série de poëmes qui sont moitié légendaires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les Sarrazins reposent : l’ancien poëme de Balant, que M. G. Paris a reconstitué ; notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se mêlent quelques autres traditions. ═ X. Avec quelques Contes universels, et qui se retrouvent, en effet, dans tous les pays (le Traître, l’Épouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de l’Enfance de Charles, et cela depuis la fin du xiie siècle ou le commencement du xiiie. Cette légende se retrouve dans les Enfances Charlemagne de Venise (fin du xiie siècle) ; dans la Chronique saintongeaise (commencement du xiiie siècle) ; dans Berte aux grans piés (vers 1275) ; dans le Stricker de 1230 ; dans la Chronique de Weihenstephan (original du xive siècle, ms. du xve) ; dans la Chronica Bremensis de Wolter (xve siècle) ; dans le Charlemagne de Girart d’Amiens (commencement du xive siècle) ; dans la Karlamagnus Saga (second tiers du xiiie siècle) ; dans le Karl Meinet (commencement du xive siècle) ; dans les Reali (vers 1350), etc. ═ XI. Cependant, pour combattre les prétentions des légendaires français, on inventait en Espagne certaines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la signification de la Chronica Hispaniæ, de Rodrigue de Tolède (✝1247), de la Cronica general d’Alfonse X (seconde moitié du xiiie siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut. ═ XII. Enfin, il faut considérer les poëmes suivants comme des œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jean de Lanson. — Simon de Pouille. — Otinel. — La dernière partie de l’Entrée en Espagne (Roland en Orient). — Gui de Bourgogne. — Gaydon. — Anseïs de Carthage. — Galien. — La fin du Voyage à Jérusalem et quelques parties de Girars de Viane. ═ C’est ainsi que s’étagent toutes nos Chansons de geste, depuis celles qui sont le plus historiques jusqu’à celles qui ne sont même plus légendaires et qui sont des « romans » dans l’acception la plus moderne de ce mot.

═ La laisse VIII, comme la troisième, est en ier ; la neuvième est en er. Dans tout notre texte, les couplets en er sont nettement distincts des laisses en ier. Nous avons à tort exposé une autre doctrine dans notre Introduction (p. lii). Nous reconnaissons volontiers une erreur sur laquelle M. Gaston Paris a appelé notre attention, et nous prions notre lecteur de rectifier dans ce sens le passage de notre Introduction, qu’on supprimera en le remplaçant par les lignes précédentes. ═ La thèse de M. G. Paris nous paraît juste. De même cependant qu’il y a dans notre vieux poëme des couplets uniquement en un, et des laisses mixtes en un, ur et u ; de même on pourrait dire qu’il y a dans notre poëme des couplets en er, et des laisses mixtes en er et en ier. Cette doctrine nous paraît soutenable ; mais nous n’hésitons pas à lui préférer celle que nous venons de préciser. ═ Lire, dans le couplet III, à la fin des vers : chevaliers, aidier, amistiez, chiens, cargiez, repairier, Michiel, bien, afiancier, mien, chiefs, deintiet. ═ Lire, dans le couplet VIII, en assonances, les mots : chevalier, chiers, vergier, Oliviers, gunfanuniers, bien, chevalier, viell, legier, eglentier, mier, chief, enseignier, bien.

Vers 98.Abatied. O. Cf. respundiet (v. 2411) ; survesquiet (2615). Ces formes de la 3e personne du parfait simple n’ont pas été (comme nous l’avions cru nous-même, Épopées françaises, t. I, p. 214) imaginées pour le besoin de l’assonance. On les trouve dans le corps des vers (2615) et en prose.

Vers 99. — Eschech. O. Cf. la forme eschec aux v. 1167, 2478.

Vers 102. — Pour le cas sujet il faut l’s finale.

Vers 103.Empereres. O. V. la note du v. 1.

Vers 104.Olivert. O. Erreur évidente. Cf. la note du v. 176. — V. la monographie de Roland à la note du v. 194, et celle d’Olivier à la note du v. 255. Pour placer ces notes historiques, nous choisissons toujours le lieu du poëme où chacun de nos héros commence véritablement à jouer un rôle.

Vers 105. — Sansun. Pour le cas sujet il faudrait Sanses, qui ne se trouve pas une fois dans le texte d’Oxford. Il est encore question du duc Samson aux vers 1275, 1531, 1537, 2187 et 2408. ═ Ce personnage est compté au nombre des douze Pairs : 1° par la Chanson de Roland ; 2° par la Karlamagnus Saga ; 3° et 4° par les Remaniements de Paris et de Venise VII ; 5° par Gui de Bourgogne ; 6° par la Chronique de Weihenstephan, et enfin, 7° par l’Entrée en Espagne. ═ Samson est représenté partout comme duc de Bourgogne ; il est le père de « Gui de Bourgogne ». ═ Dans le Roman de ce nom, il tient une certaine place. Son fils, à la fin du poëme, trouve en Espagne ce père qu’il n’a jamais vu et tombe enfin dans ses bras : « L’enfes Guis de Borgoigne est alés à Samson, — Plus de c. fois li baise la bouche et le menton. » (V. 3983, 3984.) ═ L’Entrée en Espagne n’avait pas craint de faire déjà mourir le vieux duc Samson ; ce qui avait donné à l’auteur de ce poëme, Nicolas de Padoue, l’occasion de placer au nombre des douze Pairs le jeune Samson, fils du roi de Persie... Roland, apprenant la mort du duc de Bourgogne, propose son ami Samsonnet pour le remplacer dans la pairie, et s’écrie en plaisantant : « Se Samson est perdu, Samson est reverti. » (Ms. XXI de Venise, f° 303.) ═ Et l’auteur anonyme de la Prise de Pampelune s’empresse d’adopter cette invention. (Vers 4521-4524 et 4974-4977.) ═ Cette prétendue substitution n’avait d’ailleurs aucun fondement dans la légende, et l’auteur de notre Roland nous fait assister à la véritable mort de Samson, que le païen Valbabrun abat sur le champ de bataille de Roncevaux. (V. 1537.)

═ Anseïs est encore nommé aux v. 105, 796, 1281, 1556, 2188, 2408. Il est connu sous le nom « d’Anseïs le Vieux » (796). La Chanson de Roland, les Remaniements de Paris et de Venise VII, la Chronique de Weihenstephan, l’Entrée en Espagne, Otinel, le mettent au nombre des douze Pairs. Mais son nom ne se trouve point sur la liste de la Karlamagnus Saga, de Gui de Bourgogne, du Voyage à Jérusalem et de Fierabras. Il meurt à Roncevaux de la main de Malquiant (1556). Il ne le faut pas confondre avec Anseïs le Jeune ou Anseïs de Carthage, héros purement imaginaire et qui n’a rien de traditionnel. Ce dernier est nommé roi d’Espagne par Charlemagne lui-même au moment où l’Empereur retourne en France, etc.

Gefreid d’Anjou. O. Lire Gefreiz li reis gunfanuniers à cause du cas sujet. ═ Geoffroi l’Angevin joue un grand rôle dans tous nos vieux poëmes. Il fait partie de l’expédition d’Aspremont. (Aspremont, éd. Guessard, p. 19, v. 64.) Dans la guerre des Saisnes, il tue le roi Caloré. (C. 107 et ss.) Il est compté au nombre des Pairs par Renaus de Montauban, la Chronique de Weihenstephan et Fierabras. ═ Dans Aye d’Avignon, c’est Garnier de Nanteuil qui est fait gonfalonier du roi. Or l’enseigne de l’Empereur n’était autre que la bannière de Saint-Pierre ou des Papes : de là son beau nom de Romaine : « Seint Piere fut, si aveit nom Romaine. » Mais depuis le grand combat de Saragosse, elle s’appela « Montjoie. » (V. 3094.) ═ Thierry, qui doit vaincre Pinabel à la fin de notre Chanson, est ici représenté comme le frère du duc Geoffroi (3819). Dans Gaydon, au contraire, Thierry est son fils et, sous le nom de Gaydon, devient lui-même duc d’Angers. ═ Avons-nous besoin d’ajouter que Geoffroi d’Anjou, dans la Chanson de Saisnes (couplets xix-xliv), est un des chefs des barons Hurepois soulevés contre l’Empereur. (V. notre note sur Richard de Normandie au v. 3050.) ═ Quant au rôle qu’il joue dans les Remaniements de la Chanson de Roland, v. la note du v. 3080.

Vers 107. Gerin. O. Pour le cas sujet il faut Gerins. ═ Gerin et Gerer sont comptés au nombre des douze Pairs par la Chanson de Roland, les remaniements de Paris et la Karlamagnus Saga. Gerin seul est conservé par Otinel et le Voyage à Jérusalem. Son gab n’y est pas l’un des moins divertissants : « Placez deux deniers sur cette tour de marbre. D’une lieue, je les atteindrai avec mon épieu, et je ferai tomber le premier sans toucher au second. » (V. 604 et ss.) Les deux noms de Gerer et de Gerin ne paraissent pas dans Gui de Bourgogne, l’Entrée en Espagne, la Chronique de Weihenstephan et Fierabras. (V. plus loin, au v. 262, notre note sur les douze Pairs.)

Vers 108. — Lire Bien. O. V. la note du v. 31 et celle du v. 96, p. 51.

Vers 109.Milliers. O. V. la note du v. 1685.

Vers 110. — Cevalers. O. V. la note du v. 1379. Pour le cas sujet il faut chevaler.

Palies. V. la note du v. 1651. ═ Le ciclatun est une forte étoffe de soie qui « parait avoir eu au xiie et au xiiie siècle autant de faveur que le samit et le cendal ». V. sur cette étoffe, F. Michel, Recherches sur le commerce, la fabrication et l’usage des étoffes de soie, I, pp. 220-225.

Vers 116.Qui. O. V. la note du v. 18.

═ « La siet li Reis que dulce France tient. Plusieurs érudits ont prétendu que, dans nos premières Chansons de geste, et notamment dans le Roland, le mot France n’a pas le sens actuel et représente seulement une province du grand pays français, l’Île-de-France. Il est certain que le mot Francia, antérieurement à nos premiers poëmes, a signifié tour à tour tous les pays successivement occupés par les Francs. Dans la Table de Peutinger, il est appliqué aux différents peuples de la Confédération Franke, établis alors sur la rive droite du Rhin. Sous la première race, on appelle Francia tantôt les terres occupées par les Saliens, tantôt le pays habité par les Ripuaires : il y a néanmoins tendance à donner plutôt le nom de France à la Neustrie. ═ Sous la seconde race, il est arrivé que ce même nom fut surtout attribué au duché de France. ═ Nous avons longuement étudié la même question dans la Chanson de Roland, et nous croyons pouvoir scientifiquement établir les propositions suivantes : 1° Les mots France et Franceis, dans la plus ancienne de nos épopées, sont employés cent soixante-dix fois pour désigner tout l’empire de Charlemagne, lequel, en dehors de la France proprement dite, renferme la Bavière, l’Allemagne, la Normandie, la Bretagne, le Poitou, l’Auvergne, la Flandre, la Frise, la Lorraine et la Bourgogne ; 2° dans le même poëme, le mot France est également employé en un sens beaucoup plus restreint pour désigner les pays qui correspondent à l’ancienne Neustrie (moins la Normandie) et à presque toute l’Austrasie. ═ Dans l’énumération des différents corps de l’armée chrétienne, les Français proprement dits forment les 1re, 2e et 10e échelles ; la 3e est composée de Bavarois, la 4e d’Allemands, la 5e de Normands, la 6e de Bretons, la 7e de Poitevins et d’Auvergnats, la 8e de Flamands et de Frisons, la 9e de Lorrains et de Bourguignons. La même division se retrouve dans la liste des barons qui sont appelés à juger Ganelon. D’où je conclurais volontiers que la Bavière, la Normandie, l’Allemagne, la Bretagne, le Poitou, l’Auvergne, la Flandre, la Frise, la Lorraine et la Bourgogne peuvent être ici considérés comme des pays feudataires ou conquis. Roland se vante, en effet, d’en avoir soumis un grand nombre : il y joint l’Aquitaine. — En résumé, le pays tant aimé par le neveu de Charlemagne, c’est notre France du Nord avec ses frontières naturelles du côté de l’Est et ayant pour tributaire toute la France du Midi. C’est donc à peu près pour le même pays qu’a battu le cœur de Roland et que battent les nôtres. » (L’Idée politique dans les Chansons de geste, par L. G., p. 84.)

Vers 118.La cuntenance fier. O. Erreur évidente.

Vers 121.Bien. O. V. la note du v. 34.

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