Aller au contenu

La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/Notes Annexe 2

La bibliothèque libre.
◄  Traductions Notes et Variantes : Histoire poétique de Charlemagne   ►


Nous avons résumé plus haut (V. la note du vers 96) toute la « Légende de Charles antérieure à la mort de Roland ». Il nous reste à poursuivre ici ce résumé jusqu’à la mort de Charles lui-même. Notre lecteur aura de la sorte un abrégé de toutes nos Chansons de geste, et toute une Histoire poétique du grand empereur avant, pendant et après le désastre de Roncevaux... ═ Celui qui avait vengé la mort de Roland, le vainqueur de Pinabel, Thierry, au moment de son combat contre le champion de Ganelon, avait vu un geai se poser miraculeusement sur son heaume. De là le nom de « Gaydon », qui resta désormais à Thierry. C’est ce Gaydon qui va continuer Roland ; c’est aussi contre lui que toute la famille de Ganelon va se liguer. Les traîtres essayent d’assassiner l’empereur Charlemagne, et accusent Gaydon de ce crime. Par bonheur, le complot est déjoué. Un nouveau duel est décidé entre Gaydon et le chef des traîtres, Thibaut d’Aspremont. Dieu prononce une seconde fois en faveur de Gaydon : Thibaut meurt. (Gaydon, poëme du commencement du xiiie siècle, v. 1-1790.) — Charles cependant se laisse encore séduire par la race de Ganelon, et Gaydon est disgracié. Une terrible guerre éclate alors entre l’Empereur et Gaydon. Celui-ci a pour auxiliaire un petit noble campagnard, un vavasseur du nom de Gautier, qui s’illustre par cent exploits admirables. (V. 1791-2468.) Gaydon, d’ailleurs, a dans son armée tous les jeunes chevaliers dont les pères combattent à côté de Charlemagne. Après des péripéties nombreuses et compliquées (v. 2469-9677), Charles essaye, mais en vain, de pénétrer dans Angers, qui est le boulevard de son jeune adversaire. L’Empereur s’était caché sous les habits d’un pèlerin ; mais il est reconnu par Gaydon, et forcé d’accepter toutes les conditions que son vassal veut lui imposer. Le champion de Roland est alors nommé grand sénéchal de France ; mais, un an après, il se fait ermite. (V. 9678-10878.) ═ Un autre continuateur de Roland, c’est Anseïs de Carthage, qui a également donné son nom à un de nos Romans... Avant de quitter l’Espagne pacifiée, Charlemagne veut lui donner un roi : il choisit Anseïs, le fils de Rispeu de Bretagne. (Anseïs de Carthage, poëme composé vers le milieu du xiiie s., B. N., 793, f° 1) Anseïs étant trop jeune, on lui donne le vieil Isoré pour tuteur. (Ibid., f° 1, 2.) Par malheur, cet Isoré a une fille qui s’éprend du jeune roi d’Espagne, et se fait déshonorer par lui. De là une implacable colère d’Isoré contre Anseïs. Le père indigné va jusqu’à s’allier aux païens pour mieux lutter contre le jeune roi chrétien. (Ibid., f° 2-14.) La guerre s’engage, et elle est véritablement interminable. (Ibid., f° 14-52.) Anseïs, en détresse, demande à grands cris le secours de Charlemagne. Malgré ses deux cents ans, Charlemagne accourt et le délivre. (Ibid., f° 52-71.) Le traître Isoré est pendu, et Marsile, dont l’auteur d’Anseïs n’a pas craint de prolonger la vie, est enfin mis à mort sur l’ordre du roi de France pour avoir obstinément refusé le baptême. Quant à Anseïs, il règne désormais sans conteste dans l’Espagne soumise et apaisée. (F° 68-72.) ═ Ici s’achève, dans notre légende, ce que les Italiens ont appelé la Spagna, et des Pyrénées nous sommes transportés sur les bords du Rhin. ═ Dans la Chanson des Saisnes, Charlemagne ne joue qu’un rôle assez effacé, et surtout assez vil... Guiteclin (Witikind) vient d’entrer vainqueur dans Cologne ; les Saisnes menacent l’empire chrétien. L’Empereur apprend ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, des dernières années du xiie s., Couplets v-xii.) Donc la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles : la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois (c’est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux) jouissent de certains priviléges que les autres sujets de l’Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu’il ne sera pas aisé de calmer. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs priviléges aux Hérupois ; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l’Empereur pousse la bassesse jusqu’à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s’arrange. (Couplets xiii-xlvii.) C’est alors, mais alors seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c’est ici qu’apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend d’un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et pour elle s’expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne, et remportent tout d’abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l’amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s’enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes. C’est pour Sibille qu’il livre un combat terrible au païen Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l’Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets cxx-clvii.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n’y en eut d’aussi terrible. Mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets clviii-cxlvii.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s’empresse trop rapidement d’épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s’installe à Tremoigne. (Couplets cxcviii-ccx.) Ce règne ne doit pas être de longue durée : toujours les Saisnes se révoltent, toujours ils menacent Baudouin. C’est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi : Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l’armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge : les Saxons sont une dernière fois vaincus et soumis : ils ne se révolteront plus. (ccxi-ccxcvii.) ═ Ainsi se termine le poëme de Jean Bodel ; mais il a existé un poëme français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n’en avons pas l’original ; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s’ouvre sous les murs de Noble, assiégée par Charles. Tout à coup l’Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes ; mais il est enfermé dans Cologne et va succomber, lorsqu’il est secouru par Roland. Guitalin remporte un premier avantage sur les Français, mais ceux-ci reprennent l’offensive et s’emparent de Germaise (Worms). C’est alors qu’Amidan vient au secours de son père Guitalin. Mais Charles fait construire un pont sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés. Ici apparaît Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poëme. Ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s’engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et tout se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga. (5e branche. Cf. le résumé qu’on en trouve dans la 1re branche.) Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu’elles se rapportent à ce Guitalin, que nous venons de résumer, ou à la Chanson de Jean Bodel. ═ Ne perdons pas de vue Charlemagne, dont nous écrivons l’histoire légendaire. Il joue également un rôle dans ce poëme curieux que M. Guessard a publié sous le titre de Macaire, et M. Mussafia, sous celui de la Reine Sibille... Charles était parvenu à l’extrême vieillesse. Il était faible et partagé entre deux influences. D’un côté l’on voyait dans l’ombre cette indestructible race de Ganelon, ces traîtres de Mayence qui ne songeaient qu’à venger la mort et le déshonneur de leur parent ; de l’autre brillait la belle impératrice Blanchefleur, femme de Charlemagne, fille de l’empereur de Constantinople. Parmi les traîtres, le plus redoutable était Macaire : c’est Macaire qui veut perdre la reine. Il l’accuse d’adultère avec un nain qui est le complice des Mayençais ; Charles a l’étrange faiblesse d’en croire cet infâme, et condamne à mort la pauvre Blanchefleur. On la jette dans un bûcher ; elle va mourir, lorsque l’abbé de Saint-Denis obtient sa grâce. Mais on l’exile, et la voilà forcée de quitter la France. Un bon chevalier l’accompagne : c’est Aubri. Macaire, qui ne veut point lâcher sa proie, attaque à main armée la reine proscrite et son compagnon. Blanchefleur lui échappe, mais Aubri est tué. C’est alors qu’apparaît dans le drame un nouveau personnage destiné à un grand rôle, et qui n’est autre que le lévrier d’Aubri. Voyant son maître assassiné, le chien s’éloigne de ce corps sans vie, court à Paris, attire par ses cris désespérés l’attention de Charlemagne et de ses barons. Grâce à lui, le crime se découvre. Quel est le coupable ? On le cherche, et c’est encore le lévrier qui le découvre et le dénonce. Un duel en champ clos est décidé entre le traître et le chien. Celui-ci est vainqueur : l’innocence triomphe. (Macaire, chanson du xiie s., vers 1-1259.) Quant à la pauvre reine, elle veut chercher près de son père un asile à Constantinople, et arrive en Hongrie. Pendant tout ce long voyage, elle est conduite et protégée par un pauvre bûcheron du nom de Varocher. Enfin elle met au monde celui qui sera un jour l’héritier de Charlemagne, Louis. (Ibid., vers 1260-1414.) Il reste néanmoins, il reste toujours à proclamer son innocence. Tout l’empire d’Orient prend en main la cause de Blanchefleur contre l’empire d’Occident ; Constantinople se jette sur Paris. Une guerre terrible éclate dans la France envahie. (Ibid., vers 1415-3220.) Enfin la paix est faite, et Blanchefleur pardonne à Charlemagne. (Ibid., vers 3221-3548.) ═ Il existe de cette légende deux versions très-distinctes. La première, celle que nous venons de résumer, c’est Macaire ; la seconde (dont il ne nous reste que quelques fragments en vers et une version en prose) est connue sous le nom de la Reine Sibille. Entre ces deux textes, les différences ne sont cependant que peu considérables. La Reine Sibille a été tant bien que mal rattachée au cycle de Guillaume d’Orange, et c’est Aimeri de Narbonne qui lutte contre l’empereur de Constantinople. Malgré la postériorité évidente de cette rédaction, c’est elle qui a le plus longtemps conservé sa popularité en France et à l’étranger. Elle est très-longuement développée dans le manuscrit de l’Arsenal, B. L. F., 226. (Voy. nos Épopées françaises, II, 527 et ss.) Elle est adoptée par les auteurs du Tristan de Nanteuil (xive s.) et de la Chronique du manuscrit 5003 (achevé vers 1380). L’Hystoria de la reyna Sibilla a été imprimée plusieurs fois en Espagne. (À Séville, en 1532 ; à Burgos, en 1551, etc.) Des livres populaires ont répandu cette même version dans les Pays-Bas. (1500-1644, à Anvers, chez Worsterman, etc.) — M. Guessard, dans sa belle préface de Macaire, a d’ailleurs suivi jusqu’en ses plus petits détails les destinées de cette légende, depuis les temps les plus anciens jusqu’à nos jours. ═ Dans Huon de Bordeaux, Charlemagne ne paraît guère que comme un accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début de son œuvre, l’auteur nous représente l’Empereur comme un vieillard tout près de la mort. Même il est tellement épuisé par l’âge, qu’il veut se faire élire un successeur. Par malheur, il n’a qu’un fils qu’il engendra à cent ans. C’est Charlot, c’est un étourdi de vingt-cinq ans. Le vieux roi veut du moins lui donner ses derniers conseils, et il les lui donne très-religieux, très-beaux. (Huon de Bordeaux, poëme composé entre les années 1180 et 1200, v. 29-199.) Là-dessus arrive un traître, Amaury, qui soulève la colère du vieil empereur contre Huon et Gérard, fils du duc Seguin de Bordeaux. Dans ce conseil perce la haine personnelle d’Amaury, que Seguin a jadis plus ou moins justement appauvri et dépouillé. Mais Naimes est là, et il défend les Bordelais. On envoie un message à Huon et à Gérard ; on leur mande de venir à la cour de Charlemagne. (Ibid., vers 200-392.) Ils se mettent en route, mais sont forcés de franchir mille obstacles accumulés par les traîtres ; Huon doit en venir aux mains avec le propre fils du Roi, avec Charlot, et il le tue. (Ibid., vers 393-890.) Grande colère de Charles contre le meurtrier de son fils : Huon est condamné à un combat singulier avec le traître Amaury. Il tranche la tête du misérable, et le jugement de Dieu se prononce en sa faveur. (Ibid., v. 891-2129.) Malgré tout, Charles ne veut point pardonner au vainqueur, et il faut que les Pairs menacent de le quitter pour qu’il se décide enfin à accorder à Huon une paix dont il se réserve de dicter les conditions. Il est ordonné au jeune Bordelais d’aller à Babylone porter un message à l’amiral Gaudisse, etc. etc. Huon part sur-le-champ, et court à ses aventures. (Ibid., vers 2130-2386.) Nous n’avons pas à les raconter ici, ni à faire suivre à notre lecteur les péripéties de l’amitié d’Huon avec le nain Oberon. (Ibid., vers 2387-8647.) Huon revient en France, et il y trouve son propre héritage occupé par son frère Gérard. (Ibid., v. 8648-9110.) Charlemagne est encore vivant, et la cause des deux frères ennemis est portée devant sa cour. Huon est très-injustement condamné à mort, et va périr, lorsque Oberon arrive à son secours et le sauve. (Ibid., v. 9111-10369.) ═ Le début du Couronnement Looys est véritablement épique… Charles sent qu’il va mourir, et veut mourir en assurant la vie de son empire. Dans sa chapelle d’Aix, il réunit un jour ses évêques et ses comtes. Sur l’autel il dépose sa couronne d’or, et annonce à ses peuples qu’il va laisser la royauté à son fils. (Couronnement Looys, poëme de la seconde moitié du xiie siècle, v. 1-61.) Alors le grand empereur élève la voix et donne, pour la dernière fois, ses derniers conseils au jeune Louis, qui, faible et timide, tremble devant la majesté terrible de son père. (Ibid., v. 62-77.) Même, il n’ose prendre la couronne, et Charles alors le couvre d’injures, le déshérite, et parle d’en faire « un marguillier ou un moine ». (Ibid., v. 78-96.) L’inévitable traître est là : c’est Hernaut d’Orléans, qui veut enlever le trône à Louis ; mais, par bonheur, il y a là aussi un héros qui met un courage et une force héroïques au service de sa fidélité et de son honneur. Guillaume prend la défense du pauvre jeune roi ; il lui met la couronne en tête (Ibid., v. 97-112), et se constitue son tuteur tout-puissant, son défenseur infatigable. Charles peut désormais mourir tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que Louis pourra régner, parce qu’il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid., v. 113-236.) ═ La mort du grand empereur est racontée en termes très-rapides dans Anseïs de Carthage. ═ Sur la mort de cet homme presque surnaturel, deux autres légendes ont circulé, et elles sont toutes deux peu favorables à la mémoire de Charles : 1o Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339) reproduit un récit de l’abbé Hetto, qui le tirait du moine Wettin. Ce dernier avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l’enfer, où un monstre lui dévorait éternellement les parties viriles. Et pourquoi ce supplice du grand empereur ? C’était à cause de son libertinage honteux. 2o La fable du faux Turpin est plus connue… Un jour Turpin vit l’âme de Charlemagne entre les mains des démons. Or cette pauvre âme était en grand danger devant le Juge suprême, quand un Galicien sans tête (saint Jacques) jeta dans les balances éternelles toutes les pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut sauvé. Le moyen âge n’a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit : N’ert mais tel home desqu’à Deu juise. ═ Telle est l’Histoire poétique de Charlemagne, d’après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien. Mais « nous n’avons pas raconté cent autres épisodes de la légende du grand empereur, qui se trouvent épars dans les Chansons des autres cycles, ou qui n’ont pas donné lieu à des Romans dont le texte soit parvenu jusqu’à nous. » Nous allons en emprunter le résumé à nos Épopées françaises, et c’est la seule citation textuelle que nous voulions y prendre…

I. — Épisodes de l’histoire poétique de Charlemagne qui ne se trouvent pas dans les chansons des autres gestes. — Dans Garin de Montglane, le héros du poëme est mis, dès la fin de ses enfances, en relation avec le grand empereur. Un ange apparaît au père de Garin et lui enjoint d’envoyer son fils à la cour de Charles. Le jeune homme part, armé de la terrible épée Florence. Il trouve le fils de Pépin en lutte avec les fils de la Serve, de la fausse Berte. L’impératrice, femme de Charles, se prend tout aussitôt d’un violent amour pour Garin, qui repousse noblement les avances de cette adultère et lui laisse, comme Joseph, son manteau entre les mains. L’Empereur, qui le croit coupable, entre dans une grande fureur et semble se radoucir un moment pour jouer gravement aux échecs avec celui que la reine a indignement accusé. Mais l’enjeu est formidable : si Garin perd, il aura la tête coupée ; s’il gagne, il sera roi de France. Notre héros, vainqueur, se contente de demander à Charles les fiefs de Montglane et de Montirant, qui sont encore aux mains des Albigeois. Puis il se met en route et marche d’aventure en aventure. Le Roman se termine par le mariage de Garin avec la belle Mabile. (Garin de Montglane est un roman de la décadence qui ne repose sur aucune tradition légendaire.)

Dans Aimeri de Narbonne, Charles revient d’Espagne après Roncevaux. Tout à coup il aperçoit une belle ville dont la situation et la richesse le tentent. C’est Narbonne ; elle est au pouvoir des Sarrasins. « Qui veut prendre Narbonne ? » s’écrie alors le grand empereur. Et il ajoute : « Celui qui s’en rendra maître en sera le gouverneur. » Tous les barons refusent, l’un après l’autre, un honneur si périlleux. « Eh bien ! c’est moi, c’est moi qui le prendrai, » dit Charles. C’est alors qu’Hernault de Beaulande réclame cette gloire pour son jeune fils Aimeri, qui est à peine chevalier. Aimeri prend la ville et en reçoit l’investiture des mains de l’Empereur ravi. Cette Chanson est une de nos meilleures et de nos plus anciennes.

Dans les Enfances Guillaume, on voit le roi de France demander à Aimeri ses quatre fils pour les adouber chevaliers : « Je veux que vous me les ameniez vous-même, » dit Charles. Mais, pendant qu’Aimeri les conduit à l’Empereur, les Sarrasins sont traîtreusement avertis de son absence et en profitent pour assiéger Narbonne. Le duc de Narbonne est lui-même attaqué par sept mille autres païens non loin de Montpellier. C’est dans ce combat que se révèle pour la première fois le courage de Guillaume : il se jette sur les Sarrasins, et délivre son père. Couvert de cette première gloire, il peut se présenter avec quelque fierté devant le grand empereur. Il triomphe, sous les yeux de Charles, d’un champion de Bretagne qui avait déjà abattu quinze chevaliers. Voilà le Roi enchanté de notre jeune héros : il veut sur-le-champ l’adouber. Mais on ne trouve pas d’armes assez fortes pour le nouveau chevalier. Après de longues recherches, on finit par rencontrer une armure qui a été jadis conquise par Alexandre ; la targe n’est rien moins que le présent d’une fée, etc. etc. Guillaume est revêtu de ces merveilleux garnimenz. Mais à peine est-il adoubé qu’un messager arrive : « Narbonne va tomber au pouvoir des Sarrasins. » Guillaume part, traverse la France, arrive à Narbonne, et fait lever le siége.

Dans le Siége de Narbonne, on voit les héros du poëme, Roumans et le fils d’Aimeri, Guibelin, aller en ambassade auprès de Charlemagne. Ils lui demandent du secours contre les Sarrasins qui cernent Narbonne. L’Empereur voudrait y aller ; mais il apprend que les Saisnes se sont de nouveau révoltés, et se contente d’envoyer aux Narbonnais une grande armée de Hérupois.

Dès le début de Doon de Mayence, le héros de la Chanson fait preuve d’une brutalité peu commune. Il se refuse net à saluer l’Empereur. Charles s’irrite ; mais Doon ne se soucie guère d’une telle colère et ne s’en montre que plus insolent encore. « Voulez-vous le comté de Nevers ? » dit le pauvre roi tout tremblant à ce fou furieux. « Non. — Voulez-vous la cité de Laon ? — Non. » Doon demande la cite de Vauclère, qui est au pouvoir des Sarrasins, avec la main de Flandrine, la fille de l’Aubigant. « Si tu me refuses, dit-il à Charlemagne, je vais immédiatement te couper la tête. » Charles s’indigne enfin, et il eût dû s’indigner plus tôt. Un grand duel est décidé entre Doon et l’Empereur ; il commence ; il est terrible. Mais un ange intervient, qui met fin au combat et ordonne à Charles d’aider Doon à conquérir Vauclère. Doon ne tarde pas à épouser Flandrine et engendre Gaufrey, qui fut père d’Ogier. Mais il ne reste pas longtemps en repos. Voilà qu’une grande guerre commence entre Danemon, roi des Danois. Les trois chefs des trois grandes gestes, Doon, Garin et Charles, y prennent part ; tous trois sont faits prisonniers. Par bonheur ils ont un puissant allié ; c’est un géant, une sorte de Varocher énorme, un vilain du nom de Robastre, qui ressemble étrangement à Renoart-au-Tinel, et qui rend d’inappréciables services à Garin, à Doon et à l’Empereur avec sa formidable cognée qui vaut bien des épées. L’impératrice Galienne envoie cent mille hommes au secours de Charles, qui revient à Paris. Quant à Doon, il a successivement douze enfants de Flandrine et les envoie tous à la cour de l’Empereur.

La Chanson de Gaufrey est consacrée à l’histoire des douze fils de Doon de Mayence, et surtout aux aventures de l’aîné. Il faut seulement noter qu’un des frères de Gaufrey, du nom de Grifon, engendre Ganelon, celui qui trahira la France à Roncevaux.

Charlemagne, dans Aye d’Avignon, veut lui-même adouber chevalier Garnier de Nanteuil. Il le nomme son gonfalonier et son sénéchal ; il lui donne Aye, fille d’Antoine, duc d’Avignon. Mais la belle Aye avait déjà été promise par son père à Bérenger, fils de Ganelon. De là les guerres et les aventures qui remplissent le reste de la Chanson.

Dans Gui de Nanteuil, le héros arrive un jour à la cour de Charlemagne et y reçoit le meilleur accueil. L’Empereur va même jusqu’à lui confier le gonfanon royal. Jalousie de la famille de Ganelon ; Hervieu de Lyon ose accuser Gui devant le Roi. Combat singulier entre Gui et Hervieu, qui est vaincu. Mais les traîtres ne se découragent pas et font tomber le « valet de Nanteuil » dans un guet-apens savamment préparé ; Gui se défend en brave ; Hardré, l’un des traîtres, reçoit la mort. Au milieu de tous ces complets odieux, Charlemagne joue le rôle le plus piteux. Il a peur des traîtres, il les caresse, il reçoit leurs présents avec un sourire. À Hervieu il veut donner Églantine ; mais Églantine aime Gui de Nanteuil, et notre héros ne permettra pas qu’elle soit ainsi mariée malgré elle. Dans sa lutte contre Hervieu, il est puissamment secouru par Ganor, second époux d’Aye, sa mère. Les traîtres sont encore une fois battus, et Hervieu est mis à mort. Charlemagne vaincu, lui aussi, dans la personne de ceux qu’il avait la bassesse de protéger, Charlemagne retourne honteusement à Paris ; Gui épouse Églantine et tient la Gascogne de l’Empereur.

C’est sous Charlemagne que se passe l’action de Parise la Duchesse ; mais le grand empereur n’y est d’ailleurs nommé qu’une fois (au 5e vers).

Dans Maugis d’Aigremont, ce cousin des quatre fils Aymon, après avoir couru mille aventures en Sicile et en Espagne, après avoir appris la sorcellerie à Tolède, revient en France, où il défend d’abord un de ses oncles contre Charlemagne, où il défend ensuite l’Empereur contre les Sarrazins.

Charles, dans Amis et Amiles, reçoit les offres de service de ces deux amis incomparables. L’un d’eux, Amis, épouse Lubias, sœur d’Hardré ; l’autre, Amiles, est aimé de Bélissent, fille de l’Empereur. Celle-ci, éhontée comme la plupart des jeunes filles de nos Romans, fait au jeune chevalier les avances les plus odieuses, et va même, à minuit, se coucher impudemment auprès de lui. Mais le traître Hardré n’était pas loin ; il a tout vu ; il dénonce Amiles, qui est très-innocent de ces agressions impures de Bélissent. Un duel est décidé entre le traître et l’accusé. Mais celui-ci n’a pas en vain un ami, un frère comme Amis. « Je me battrai pour toi, » dit ce nouveau Pylade. Il combat Hardré, il le tue, et l’Empereur le prenant pour Amiles, lui donne sa fille Bélissent, avec laquelle Amis garde la chasteté la plus complète. Le reste du Roman est étranger à la légende de Charlemagne.

Une partie de Jourdain de Blaives est consacrée au récit de la lutte entre Charlemagne et le héros de la Chanson... Ces deux ennemis se réconcilient, et Jourdain épouse Oriabel, fille de l’Empereur.

II. — Épisodes de l’histoire poétique de Charlemagne qui n’ont pas donné lieu à des Chansons de geste dont le texte soit parvenu jusqu’à nous. — La prise de Narbonne a été l’objet de plusieurs récits, et nous avons résumé avec soin, dans notre premier volume des Épopées françaises, celui du Philomena...Charlemagne vient de conquérir Carcassonne ; c’est en 789. Narbonne est alors assiégée par l’Empereur et défendue par Matran. Les Sarrazins se jettent sur l’abbaye de la Grasse et sont repoussés par les Moines. Borel de Combe-Obscure arrive au secours des païens : grande bataille qui met Narbonne au pouvoir des Français. Aimeri de Beaulande est créé duc de la ville ainsi conquise, et Marsile essaye en vain de reprendre cette conquête aux chrétiens...

La Prise de Carcassonne n’est racontée que dans certains récits qui sont restés à l’état oral. On connaît la fable d’après laquelle une des tours de la ville assiégée par le grand roi s’inclina respectueusement devant lui. On connaît la légende plus curieuse encore de « dame Carcas », qui sut défendre sa ville contre l’effort du puissant empereur et de tout l’Empire. C’est peut-être faire beaucoup d’honneur à ces contes que de les discuter scientifiquement. (V. à la Bibliothèque nationale, fr. 8648, page 157 des « Antiquités de Rullmann », le dessin d’une tête représentant « dame Carcas » qui se trouvait à Béziers, au dehors de la porte de Carcassonne. — V. aussi l’Histoire ecclésiastique et civile de la ville de Carcassonne, par le R. P. Bouges, 1711.)

La Prise d’Arles est l’objet d’un récit curieux dans la Kaisercronik que cite M. G. Paris (l. I., p. 258) ; Charles en fit le siége pendant sept ans, et n’en vint à bout qu’en détournant les eaux du grand canal qui apportait aux assiégés toutes leurs munitions, tous leurs vivres. (Vers 14901 et suiv.) » ═ Ici se terminent la citation de nos Épopées françaises (pp. 590, 591), et tout notre résumé de la Légende de Charlemagne.
◄  Traductions Histoire poétique de Charlemagne   ►