La Chanson des gueux/Épitaphe pour n’importe qui

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Maurice Dreyfous (p. 232-233).


VII

ÉPITAPHE POUR N’IMPORTE QUI


Ce jura-t-il sur son coullon
Quand de ce monde voult partir.
(François Villon.)


On ne sait pourquoi cet homme prit naissance.
Et pourquoi mourut-il ? On ne l’a pas connu.
Il vint nu dans ce monde, et, pour comble de chance,
        Partit comme il était venu.

La gaîté, le chagrin, l’espérance, la crainte,
Ensemble ou tour à tour ont fait battre son cœur.
Ses lèvres n’ignoraient le rire ni la plainte.
        Son œil fut sincère et moqueur.

Il mangeait, il buvait, il dormait ; puis, morose,
Recommençait encor dormir, boire et manger ;
Et chaque jour c’était toujours la même chose,
        La même chose pour changer.


Il fit le bien, et vit que c’était des chimères.
Il fit le mal ; le mal le laissa sans remords.
Il avait des amis ; amitiés éphémères !
        Des ennemis ; mais ils sont morts.

Il aima. Son amour d’une autre fut suivie,
Et de plusieurs. Sur tout le dégoût vint s’asseoir.
Et cet homme a passé comme passe la vie :
        Entrez, sortez, et puis bonsoir !