La Chanson des gueux/ Avertissement
AVERTISSEMENT
Ce serait une œuvre curieuse à faire et terrible à entreprendre,
qu’un véritable et véridique dictionnaire d’argot. Pour la partie
historique, pour l’étymologie et en quelque sorte la philosophie
des vocables, il ne faudrait pas moins qu’un Littré, consacrant à
cette besogne des trésors de science et de patience. Pour les définitions
précises et les sens actuels des mots en usage, il faudrait
un observateur consumant sa vie dans les milieux étranges et
souvent peu accessibles où l’on parle cette langue infiniment
variée et renouvelée incessamment. L’auteur du dictionnaire
d’argot devrait donc être à la fois le plus consciencieux des rats de
bibliothèque et le plus audacieux des batteurs de pavé. Un pareil
homme ne saurait se rencontrer, j’imagine, et, en tous cas, ce
n’est certes point votre serviteur qui aura jamais la prétention de
se donner pour ce merle blanc.
Tout ce que j’ai voulu faire ici, c’est offrir aux lecteurs de la Chanson des Gueux la traduction fidèle des termes argotiques employés dans ce livre. J’ai même poussé la réserve et le scrupule jusqu’à noter seulement la nuance particulière sous laquelle je prenais chacun de ces termes, cela sans plus, sans me préoccuper des autres acceptions qu’il pouvait avoir. Mais, en revanche, j’affirme hautement que tous les sens présentés par ce glossaire sont rigoureusement exacts, puisés à la bonne source, à la seule bonne, c’est-à-dire recueillis de la bouche même des gens qui s’expriment en argot aussi naturellement que nous nous exprimons en français. Le mérite est plus rare qu’on ne croit, et, si mince qu’il puisse paraître, je n’hésite pas à en tirer quelque orgueil.
À ce mérite, d’ailleurs, il y a une excellente raison, sur laquelle on me permettra d’insister : c’est que les poèmes écrits par moi en argot n’ont pas été composés à coup de lexique. Il en faut excepter toutefois les deux sonnets où j’ai tâché d’enchâsser un échantillon de l’argot classique, qui a flori de Cartouche à Vidocq et dont ce dernier a laissé le vocabulaire. Mais, à part ces vingt-huit vers, élaborés à la façon des vers latins qu’on fait au collége, toutes mes chansons du pays de Largonji ont chanté dans ma tête comme des choses vécues, au cours ou au retour de mes visites à ce pays bizarre, et elles sont venues au monde telles quelles, costumées à la mode de leur pays, avec leur défroque originale, sans que j’eusse besoin de les rhabiller au décrochez-moi-ça des dictionnaires. Il n’y a point-là un caprice d’érudit. C’est bien une nécessité qui s’imposait à l’inspiration de l’artiste. Si j’ai rimé des pièces dans cette langue, c’est que je les pensais dans cette langue et que je la parle couramment.
Cela soit dit en témoignage de ma sincérité et pour l’édification des lexicographes.