La Chanson des gueux/ Le nez violet

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Maurice Dreyfous (p. 194-196).


III

LE NEZ VIOLET


à raoul ponchon


Comparer toujours nos nez
        Bourgeonnés
À des rubis, je condamne
Cette comparaison-là.
        Changeons-la !
Qui n’a qu’un cri n’est qu’un âne.

Aux nez rubis rubiconds
        Nous piquons
La couleur de sang ; c’est triste.
J’aime le mien quand il est
        Violet
Comme une douce améthyste.

Vois ce nez rouge et camard,
        Quel homard !
Compare-le donc avecque

Le tendre et clair demi-ton
        Du piton
Habillé comme un évêque.

Quand je lorgne en tapinois
        Son minois,
Il sourit comme un augure.
Ah ! quel bon évêque j’ai
        Bien logé
Au mitan de ma figure.

Pour qu’il soit bien enchanté
        En santé,
Mes mains de lui sont voisines.
Mes dix doigts sont ses valets.
        Mon palais
Flambe au feu de ses cuisines.

Mais il me rend bien mon dû.
        Rond, dodu,
Il semble un roi de kermesse,
Et jamais mon verre plein
        Ne se plaint
Quand au fond il dit la messe.

Tu me diras que le tien
        Est chrétien
Ni plus ni moins que le nôtre,

Et qu’un rouge cardinal,
      Moins banal,
Comme évêque en vaut un autre.

Moi, je te soutiens que non,
        Non de nom !
Car un cardinal peut être
Un monsieur laïque, au lieu,
        Nom de Dieu !
Qu’un évêque est toujours prêtre.

Te voilà par le clergé
        Submergé,
Ponchon, grand nez-culottière !
Nez de rubis, singe-nous !
        À genoux
Devant le nez d’améthyste !