La Chanson des quatre fils Aymon/Appendice à l’introduction

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Texte établi par Ferdinand CastetsCoulet (p. 266-271).

APPENDICE À L’INTRODUCTION.

LE MANUSCRIT VIII

L’on a vu que dans la description des manuscrits, j’ai dû me borner à mentionner celui de Metz (viii), sans même pouvoir tirer parti de l’article de l’Anzeiger de Mone. Ayant aujourd’hui une copie de cet article à ma disposition, je me hâte de l’utiliser.

Le manuscrit de Metz s’arrête à l’endroit où Maugis, après avoir apporté Charlemagne endormi à Montauban et averti Renaud, part secrètement et se retire dans un ermitage[1]. Mone a reproduit les 185 premiers vers du texte et analysé le reste, un peu trop brièvement à partir de la mort de Bertolais.

Le Beuves d’Aigremont donne un bon texte de la version conservée de façon si défectueuse dans le manuscrit de Montpellier : elle rejoint la version La Vallière à la page 53, v. 21, de l’édition Michelant :

A Monloon fu Kall. l’emperere au vis fier.

Cette version que nous dénommerons M-Metz, est identique d’abord à la version Arsenal-Peter-House, puis s’en sépare au point où après que Renaud et ses frères ont été adoubés chevaliers, l’on apprend la mort de Lohier. Aymes emmène ses fils à Dordonne où ils sont reçus par la duchesse Marguerie (et non Aye). Dès lors l’ordre des faits est conforme à la version La Vallière, car le récit de la guerre suit la mort de Lohier au lieu d’être placé après la mort de Beuves. La rédaction diffère d’ailleurs notablement et Maugis a une place dans cette seconde partie du Beuves, de même que comme dans A P il a été présenté à côté de son père dans la première : il va demander le secours de ses oncles pour la guerre, d’ailleurs à peine mentionnée, qui suit la mort de Beuves. Comme dans toutes les versions, à l’exception de L, Maugis est avec ses cousins à la cour de Charles lors de la mort de Bertolais. Un trait particulier à M-Metz : avant la querelle de Bertolais et de Renaud, Charlemagne a déjà fort maltraité Renaud qui lui avait reproché la mort de Beuves. J’ai mentionné ce passage plus haut dans la description du manuscrit de Montpellier.

Pour le début du poème qui est commun à l’Arsenal, Peter-House, Montpellier, Metz, j’ai donné déjà les 53 premiers vers du manuscrit de Montpellier (Revue des Langues romanes, xvi, p. 167 ; — Recherches, p. 187) et les 71 premiers vers du manuscrit de Peter-House (ibid. 1887, xxxi, p. 49). Le texte de Montpellier ne coïncide pas exactement avec celui de Peter-House parce qu’il est abrégé arbitrairement par le copiste.

Le Beuves d’Aigremont, tel qu’il est soit dans la famille Arsenal-Peter-House, soit dans la famille Montpellier-Metz, offre ce caractère que les assembleurs ou remanieurs n’ont point songé à modifier le texte des Fils Aymon proprement dits, de manière à le faire concorder en tous points avec la première partie du cycle. Ainsi l’introduction commune à ces quatre manuscrits présente comme raison de la colère de l’empereur le refus que ses barons avaient fait de le servir dans la guerre de Saxe contre Guiteclin où périt Baudoin. Malgré ce début, quand ces manuscrits reprennent le texte La Vallière et qu’ils y rencontrent (Michelant p. 136-5) :

A une Pentecoste fu Charles à Paris,
Venus fu de Sessoigne, s’ot Guiteckin ocis ;
Sebile la roïne qui tant ot cler le vis,
Donna a son neveu Bauduin le marchis,


nous voyons que le passage est conservé sans changements importants, bien qu’il soit en contradiction avec l’introduction.

En ce qui concerne la partie du Beuves d’Aigremont qui est propre à Montpellier-Metz, l’on note encore une contradiction pareille.

La duchesse, mère des Fils Aymon, est dite Marguerie, tandis que dans la suite des Fils Aymon donnée dans ces deux manuscrits elle reprend son nom traditionnel, Aye.

D’ailleurs dans le texte La Vallière lui-même la sœur du roi de Gascogne est dite d’abord Aélis, puis Clarice.

Je noterai en passant que dans le Beuves d’Aigremont, texte de Peter-House, la duchesse de Dordonne est présentée comme sœur de Charlemagne. L’empereur admirait fort Renaud pour ses succès au Jeu de la Quintaine :

Moult enama Renaut, fil sa seror germaine.

Ce vers manque dans l’Arsenal, mais les oublis et les lacunes y sont de règle. Dans les rédactions néerlandaises et allemandes, Aye est aussi sœur de Charlemagne. Cette remarque vient à l’appui de l’opinion exprimée plus haut que ces compositions s’inspirent de textes français.

L’édition populaire française est conforme pour le Beuves d’Aigremont à la version Montpellier-Metz[2].

L’analyse sommaire de Mone ne permet pas de déterminer si le texte de Metz s’écarte de la version La Vallière des Fils Aymon plus ou moins que le manuscrit de Montpellier : à en juger par le nombre des vers, il présente un développement d’une étendue égale, sans les lacunes et suppressions qui déparent le texte de Montpellier ; et comme il s’arrête avant la fin du siège de Montauban, on ne peut savoir s’il donnait pour le pélerinage de Renaud le récit particulier à M, et malheureusement incomplet dans ce manuscrit.

Comme je l’ai fait ailleurs pour les manuscrits de Montpellier et de Peter-House, je reproduis ici d’après Mone le commencement du texte de Metz. J’arrête la citation à l’endroit où finit l’extrait donné du manuscrit de Montpellier qui est fort abrégé puisqu’il ne contient que 53 vers.

Baron, oez canchon de grant nobilité,
Tote est de voire estoire sans point de fauseté,
Onques mellor n’oïstes depuis que Dex fu nés[3].
A Saint-Denis en France, que Dex a tant amé,
5.Le trouva on el rolle[4] o l’autre autorité,
Si com Karles de France li fors rois coronés
Guerroia le duc Buef d’Aigremont l’oneré
Et Girart .i. sien frere qui tant ot de fierté,
Et Doon de Nantuel le vassal aduré
10.Et Aymon de Dordone o gregnon meslé.
Cil .iiii. furent frere et d’un pere engenré,
Il n’ot si vaillans homes en la crestienté.
Karles les haï mult, envers euls fu irés,
Puis fist li rois ocirre a .i. jor de Noël
15.Le duc Buef d’Aigremont que il avoit mandé,
Et conduit Karllemaine fu li dus deviés ;
Puis en fu grans la guerre et la mortalité,
Et tans bons chevaliers ocis et afolés.
Renaus, li fiex Aymon, qui tant fu redotés,
20.Ocist puis Bertolai d’un escequier ovré,
.i. nevou Karllemaine a Paris la cité ;
La terre en fu destruite et li païs gastés
Et tante bone dame perdi son avoé,
Et tant enfes petis en fu desiretés[5]
25.Et ceüs a poverte et a honte livrés.
Et puis en fu Raignaus li vassax mal menés,
Entre lui et ses freres caciés fors del raigné.
Puis guerroierent Karle lor anemi mortel
Et si li firent mult de grant iniquité
30.Ensi con vos orrois, se jo sui escotés.
Ce fu a Pentecoste apries l’Asension,

Karles fu a Paris en sa maistre maison,
Mult i fu grans la cors des chevaliers barons,
Onques ne tint gregnor que de fi le savons.
35.Tuit i furent venu si prince de renons,
Salemons de Bretaigne, del Mans li quens Huon,
Et Yves et Yvoires, Berengiers et Haston,
Et Hernaus de Biaulande, Galerans de Buillon,
Et tant prince et tant dus dont jo ne sai le nom.
40.La cors fu mult pleniere de chevaliers barons ;
Asses i ot venu Alemans et Frisons,
Et Engles et Normans, Poitevins et Bretons,
Lombart et Berruier i vindrent de randon.
A la cort est venus dus Aymes de Dordon
45.Et avec lui si fil qui sunt de grant renon,
Tuit .iiii. sont vaslet, n’ont barbé ne grenon,
Li dux les ama mult et si avoit raison.
Karlesmaines se lieve, si parla a haut ton :
« Baron, ce dist li rois, entendes ma raison.
50.Tante terre ai conquise et tante region
Dont li segnor me servent, ou il vellent ou non ;
Et tante rice vile ai fait metre a charbon
Et tant paien aurai mis a destruction,
Et la sainte loi Deu par tot mis i avons ;
55.Je conquis Guiteclin, icel Sesne felon,
En Saisone le grant que nos ore tenom ;
La perdi Bauduin que nos tant amion ;
N’i degnierent venir mi chevalier baron,
Fors li dux des Normans et li rois Salemons.
60.Par icex de Herupe ou jo salvassion[6].
N’i eüssons conquis qui valsist .i. bouton,
Se ne fust Salemons qui vint a esperons ;
O tos .xxx.m homes me secorut par nom.
Li dux Bues d’Aigremont n’i fu pas, ce set on,
65.Lambers li Berruiers ne Lohaus li Frisons
Ne Gaiffiers de Bordele qui tient grant region ;
Jo mandai en aïde Girart de Rosellon

Et Doon de Nantuel et son frere Bovon,
N’i denierent venir, ne me prisent boton.
Se moi fussent venu, vraiement le savon,
70.Graindre fust nostre aïde, mains perdus eüssuns.
Baron, a vos me plaing, nobile compaignon ;
Par els, par lor defaute ai perdu maint baron ;
Bauduin mon nevou encor vif eüssom.
Par ceste moie barbe qui me pent del menton,
75.Jomanderai du Buef, le segnor d’Aigremont,
Qui me viegne servir a coite d’esperon[7]
Et amaint avec lui .iiii.c compaignons,
Et se il le refuse et il die que non,
Jo manderai Franchois de muete et de randon,
Trametrai li .c.m de gent de bon renom
80.Qui destruiront sa terre entor et environ,
Ne ja ne li lairont vaillant .i. esperon ;
Et se jel puis tenir, la justice en feron,
Jo le ferai ardoir en .i. fu de charbon,
Ou jo [le] ferai pendre en haut com .i. larron ;
85.De rachat n’en pendroie trestot l’avoir Oton.
Qui sera li mesaiges ? baron, car l’elison. »


  1. Le dernier vers est : « Damledeu servira en trestot son aage » qui répond à Michelant p. 331, v. 20, et non pas vers 16, comme je l’avais dit inexactement, trompé par l’indication qu’il donne p. 512 dans les trois lignes qu’il consacre à ce manuscrit. Il le connaissait par l’article de Mone qui aurait dû lui suggérer la pensée de comparer ce ms. à celui de Montpellier dont il possédait une collation avec le texte La Vallière.
  2. On retrouve dans les manuscrits l’explication de formes qui surprennent dans l’édition populaire. Ainsi lors de l’adoubement de Renaud, l’on a dans l’édition d’Épinal : Le roi appela son sénéchal et lui dit : Apportez-moi les armes qui furent au roi de Chypre que j’ai tué à la bataille de Pampelune. Je les donnerai à Regnault comme au plus vaillant de tous. Dans d’autres éditions ce roi païen est dit roi de Cèdre. Dans la partie du Beuves commune à A, P, M, Metz, l’on a l’explication :

    L’empereres apelle son chambellan privé :
    Ales, dit-il, bien tot, gardez n’i arestés ;
    Aportes-moi les armes qui furent Codoez,
    Que j’ocis en bataille a mon branc acéré
    Par devant Pampelune la nobile cité.
    (Texte de l’Arsenal.)

  3. Arsenal : « puisque vous fustes nez. »
  4. Arsenal : « on l’estoire. »
  5. Arsenal : « Tant enffens orphenins en sont desheritez. »
  6. L’Arsenal passe ce vers important que donne Montpellier, si abrégé qu’il soit, avec l’orthographe « hu ge salvation. »
  7. Le manuscrit répète : Qui me viegne servir a coite d’Aigremont. — L’Arsenal donne ce développement en 70 vers, avec de nombreuses altérations de détail. Il procède d’un texte plus récent et moins bon que celui de Montpellier qui a par contre le tort d’abréger également de facon tout arbitraire.