La Chanson du vieux marin/8
↑ Par ta longue barbe grise et ton œil brillant,
Pourquoi m’arrêtes-tu ?
↑ Le garçon de noce s’assit sur une pierre.
Il ne peut s’empêcher d’écouter.
↑ La mariée est entrée dans la salle du banquet,
Vermeille comme une rose.
↑ Le navire fuyait sous le mugissement de la tempête
Et nous courions toujours vers le sud.
↑ Alors arrivèrent ensemble brouillard et neige
Et il fit un froid extrême.
↑ La glace était ici, la glace était là,
La glace était tout autour de nous.
↑ L’oiseau eut de nos mains une nourriture
Comme il n’en eut jamais.
↑ Avec mon arbalète
Je tuai l’Albatros.
↑ J’avais fait une chose infernale :
Cela devait nous porter malheur.
↑ L’eau, l’eau, était partout,
Et nous n’avions pas une goutte d’eau à boire.
↑ Autour de nous, en troupe et en cercle,
Des feux de mort dansaient à la nuit.
↑ À neuf brasses, au-dessous de la mer,
L’Esprit nous avait suivis depuis la région de brouillard et de neige.
↑ Une tache, un brouillard, une forme, que sais-je ?
Et cela toujours approchait, approchait
↑ Le jeu est fini, j’ai gagné, j’ai gagné,
Dit-elle, et elle siffla trois fois.
↑ Chacun tourna son visage vers moi
Et dans une angoisse affreuse me maudit, du regard.
↑ Et pas un saint ne prit pitié
De mon âme à l’agonie.
↑ Je regardai la mer en putréfaction
Et détournai mes yeux de ce spectacle.
↑ Sept, jours et sept nuits je vis cette malédiction
Et je ne pouvais mourir.
↑ La lune mobile monta dans le ciel
↑ Au delà de l’ombre du navire
J’aperçus des serpents d’eau.
↑ Et la pluie tomba d’un noir nuage.
↑ Ils gémirent, s’agitèrent, puis ils se levèrent,
Mais sans parler et sans remuer les yeux.
↑ La musique cessa ; cependant les voiles
Résonnèrent agréablement jusqu’au milieu du jour.
↑ Cela fit refluer le sang à ma tête si fort
Que je tombai évanoui sur le pont.
↑ Au fond de mon âme, j’entendis
Le bruit distinct de deux voix dans les airs.
↑ Mais pourquoi ce vaisseau marche-t-il si vite
Sans impulsion de vagues et de vent ?
↑ Sur la baie se répandaient les clartés de la lune.
↑ Beaucoup de ces figures qui n’étaient que des fantômes,
Se colorèrent de teintes rouges.
↑ Cette troupe de séraphins agitaient les mains ;
C’était un divin spectacle.
↑ Il y eut d’abord un grondement sous l’onde
Qui devint de plus en plus profond et terrible.
↑ Sur le tourbillon où plongea le navire
Le canot fit plusieurs tours.
↑ Je remuai les lèvres : le pilote poussa un cri
Et tomba en défaillance.
↑ Oh ! confesse-moi, confesse-moi, saint homme !
↑ Je passe comme la nuit, de terre en terre :
J’ai une étrange puissance de parole.
↑ Du moment que j’ai vu sa figure,
Je sais l’homme qui doit m’écouter.
↑ Quel vacarme sort de cette porte ?
Tous les gens de la noce sont là.
↑ Cette mer était si solitaire que c’est à peine
Si Dieu lui-même semblait y être.
↑ Le marin à l’œil brillant et à la barbe
Blanchie par l’âge, s’éloigna.