La Chanson française du XVe au XXe siècle/Jacques

La bibliothèque libre.
La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 221-222).


JACQUES

Air de Jeannot et Colin.


Jacques, il me faut troubler ton somme.
Dans le village, un gros huissier
Rôde et court, suivi du messier.
C’est pour l’impôt, las ! mon pauvre homme.

Lève-toi, Jacques, lève-toi ;
Voici venir l’huissier du roi.

Regarde : le jour vient d’éclore ;
Jamais si tard tu n’as dormi.
Pour vendre, chez le vieux Rémi,
On saisissait avant l’aurore.

Lève-toi, Jacques, etc.

Pas un sou ! Dieu ! je crois l’entendre.
Ecoute les chiens aboyer.
Demande un mois pour tout payer.
Ah ! si le roi pouvait attendre !

Lève-toi, Jacques, etc.

Pauvres gens ! l’impôt nous dépouille !
Nous n’avons, accablés de maux,
Pour nous, ton père et six marmots,
Rien que ta bêche et ma quenouille.

Lève-toi, Jacques, etc.

On compte, avec cette masure,
Un quart d’arpent, cher affermé.
Par la misère il est fumé :
Il est moissonné par l’usure.

Lève-toi, Jacques, etc.


Beaucoup de peine et peu de lucre.
Quand d’un porc aurons-nous la chair ?
Tout ce qui nourrit est si cher !
Et le sel aussi, notre sucre !

Lève-toi, Jacques, etc.

Du vin soutiendrait ton courage ;
Mais les droits l’ont bien renchéri.
Pour en boire un peu, mon chéri,
Vends mon anneau de mariage.

Lève-toi, Jacques, etc.

Rêverais-tu que ton bon ange
Te donne richesse et repos ?
Que sont aux riches les impôts ?
Quelques rats de plus dans leur grange.

Lève-toi, Jacques, etc.

Il entre, ô ciel ! que dois-je craindre ?
Tu ne dis mot ! quelle pâleur !
Hier tu t’es plaint de ta douleur,
Toi qui souffres tant sans te plaindre !

Lève-toi, Jacques, etc.

Elle appelle en vain ; il rend l’âme.
Pour qui s’épuise à travailler
La mort est un doux oreiller.
Bonnes gens, priez pour sa femme.

Lève-toi, Jacques, etc.

Béranger.