La Chanson française du XVe au XXe siècle/La Promenade sentimentale

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 202-204).


LA PROMENADE SENTIMENTALE

ou

LE DANGER DE SORTIR SANS ARGENT

Air : Partant pour la Syrie.


Partant pour la Villette,
Le jeune et beau François
Dit un jour à Fanchette :
« Veux-tu t’en v’nir au bois ? »
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour prom’ner sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Ils partent : l’temps s’barbouille,
Si ben qu’ça tombe à seau,
Et qu’l’averse les mouille,
Qu’ tout collait sur leur peau.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour sécher sa belle.
N’a pas un sou vaillant.

Fanchette alors propose,
Passant d’vant z’un bouchon,
D’s’y rafraîchir d’queuqu’chose,
N’fût-ce qu’ d’un pied d’cochon.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour traiter sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

De son cou, blanc comm’ cire,
L’vent fait voler l’mouchoir
Et j’n'ai pas besoin d’dire
Tout c’que ça laisse voir.

Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour voiler sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Bientôt nouvell’ disgrâce :
En sautant un ruisseau,
L’sabot d’Fanchette s’casse
Et v’là son pied dans l’eau.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour chausser sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Plus loin, autre anicroche :
L’parasol d’un benêt
D’la pauvr’ Fanchette accroche
Et déchire l’bonnet.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour coiffer sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Tandis qu’ Fanchette endève,
L’carrosse d’un péquin
D’un coup d’brancard lui crève
Tout l’dos d’son casaquin.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour nipper sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Un gros doguin qui joue,
Sur Fanchett’ s’élançant,
L’y caresse la joue,
Qu’elle en est tout en sang.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et vaillant,
Qui, pour panser sa belle,
N’a pas un sou vaillant.


La voyant z’évanouie
Chacun dit qu’un mat’las
La rendra z’à la vie :
Vlà François dans d’beaux draps.
Plaignez l’amant fidèle,
Délicat et galant,
Qui, pour coucher sa belle,
N’a pas un sou vaillant.

Chez ell’ François la r’mène,
Et l’y d’mand’, par pitié,
Qu’ pour prix de tout’ sa peine,
All’ d’vienne sa moitié.
Va donc, z’amant fidèle,
Dit-elle en s’rhabillant,
Faut, pour avoir un’ belle,
Avoir queuqu’s sous vaillant.


envoi aux amateurs


V’là ma chanson finie ;
Mais comme c’n’est pas l’Pérou,
À tout’ la compagnie
J’la donne pour un sou.
Et faut qu’ l’amant fidèle,
Qui r’fus’rait, z’en passant,
D’en régaler sa belle,
N’ait pas un sou vaillant.

Désaugiers.