La Chanson française du XVe au XXe siècle/Le Sénateur

La bibliothèque libre.
La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 230-231).


LE SÉNATEUR

1813
Air : J’ons un curé patriote.


   Mon épouse fait ma gloire :
   Rose a de si jolis yeux !
   Je lui dois, l’on peut m’en croire,
   Un ami bien précieux.
   Le jour où j’obtins sa foi,
   Un sénateur vint chez moi.
            Quel honneur !
            Quel honneur !
   Ah ! monsieur le sénateur
Je suis votre humble serviteur.

   De ses faits je tiens registre :
   C’est un homme sans égal.
   L’autre hiver, chez un ministre,
   Il mena ma femme au bal.
   S’il me trouve en son chemin,
   Il me frappe dans la main.
            Quel honneur ! etc.

   Près de Rose il n’est point fade,
   Et n’a rien d’un freluquet.
   Lorsque ma femme est malade,
   Il fait mon cent de piquet.
   Il m’embrasse au jour de l’an ;
   Il me fête à la Saint-Jean.
            Quel honneur ! etc.

   Chez moi qu’un temps effroyable
   Me retienne après dîner,
   Il me dit d’un air aimable :
   « Allez donc vous promener ;

   « Mon cher, ne vous gênez pas,
   « Mon équipage est là-bas. »
            Quel honneur ! etc.

   Certain soir à sa campagne
   Il nous mena par hasard ;
   Il m’enivra de Champagne
   Et Rose fit lit à part :
   Mais de la maison, ma foi,
   Le plus beau lit fut pour moi.
            Quel honneur ! etc.

   A l’enfant que Dieu m’envoie
   Pour parrain je l’ai donné.
   C’est presque en pleurant de joie
   Qu’il baise le nouveau-né ;
   Et mon fils, dès ce moment,
   Est mis sur son testament.
            Quel honneur ! etc.

   A table il aime qu’on rie ;
   Mais parfois j’y suis trop vert.
   J’ai poussé la raillerie
   Jusqu’à lui dire au dessert :
   On croit, j’en suis convaincu,
   Que vous me faites c…
            Quel honneur ! etc.

Béranger.