La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre III

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 27-29).
III. Du dain et de toute sa nature

Chapitre troisième.
Du dain et de toute sa nature.


Dain est une beste diverse et combien que moult de gens en ayent veus, les tous n’en ont pas veus ; et pour ce en veuillje deviser. Il n’a point le poill tel comme a le cerf, quar il y a plus de blanc ; ne aussi la teste. Il est plus petite beste que le cerf et plus grant que le chevreul. Sa teste est paumée de longue paumeure et porte plus de cors que ne fet un cerf. Sa teste ne pourroit on bien deviser sans la paindre. Ilz ont longue cueue trop plus que un cerf. Ils portent aussi plus grant venoison que ne fet le cerf selon leur corsaige. Ilz naissent en la fin de may ; et brief toutes leurs natures ont après la guyse du cerf, fors tant que le cerf vet plus tost au ruyt et est plus tost en sa sayson que le dain. Et en toutes autres choses de leurs natures aussi va devant le cerf ; quar quant les cerfz ont esté xv jours au ruyt, à paines le dain se commence à eschauffer. On ne fet point suyte de limier au dain, ne vet en queste comme au cerf, ne ses fumées ne sont point en jugement comme celles du cerf ; mes l’en le juge par le pié et par la teste, einsi comme je diray plus à plain, ci avant. Ilz giètent leurs fumées en diverses manières selon les temps et selon les viandis comme font les cerfz ; mes plus voulentiers en torches que autrement. Quant chiens les chassent ils tournient en leurs pays et ne font point einsi longue fuyte comme fet le cerf ; car ilz ressaillent aux chiens moult de fois ; mais ilz fuyent bien longuement, et fuyent touzjours s’ils pevent les voyes[1] et touzjours avec le change. Ilz se fon tprendre ès yaues et batent les ruyssiaus comme les cerfz : mes non pas si malicieusement, ne si subtilment, ne aussi ne vont ilz pas à si grans rivières. Ilz font bien longue fuyte presque autant qu’un cerf. Ilz vont trop plus tost de primsault plus que ne fet un cerf.

Ils réent quant ilz sont au ruyt non pas de la guise d’un cerf, mes trop plus bas en gargatant[2] dedans leur gueule.

Leur nature et celle du cerf ne s’entre-ayment pas l’une à l’autre ; car ilz ne demuerent pas voulentiers là où il y ait grant foyson de cerfs, ne les cerfs là où il ait grand foyson de dains. La chair du dain est plus savoureuse à tous chiens que n’est celle du cerf ne celle du chevreul ; et pour ce est-ce mauvais change quant on chasse le cerf à chiens qui ont autrefois mengié de dains. Leur venoyson est trop bonne et la garde l’en ; et se sale comme celle du cerf.

Ilz demuerent voulentiers en sec pays, et touzjours voulentiers en compaignie d’autres dains se ce n’est dès le moys de may jusques à la fin d’aoust que, pour paour des mousches, ilz prennent leurs buyssons, aucune fois avec un autre dain, aucune fois tous seuls. Et demeurent voulentiers en haut pays où il ha vallées et petites montainhetes. On l’escorche et le deffet comme un cerf.

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  1. Voyez la note 1re de la page 19.
  2. En gargatant, en faisant rouler leur voix dans la gorge. Buffon dit : « Ils raient assez fréquemment, mais d’une voix basse et comme entrecoupée. » En espagnol, garganta signifie la gorge, gargantear, faire des roulades. On lit, dans le Vocabulaire des mots de vénerie, imprimé à la suite de du Fouilloux : gargure, la gueule du dain.