La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XIV

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 79-80).
XIV. De la loutre et de toute sa nature

Chapitre quatorzième
De la loutre et de toute sa nature.


Loutre est assés commune beste ; si ne me convient jà dire de sa faisson ; quar pou de gens sont qui bien n’en ayent veuz. Elle vit des poissons et demeure environ les rivières, viviers et estancs ; aussi mange elle des herbes de prés aucunefois quant sont tendres. Elle demuere dessoubz les rassines des arbres, près des rivières. Elle vet à ses menjures einsi que une autre beste fet, aux herbes seulement en printemps ; et aux poissons comme dit est. Elle noue[1] par dessus les rivières et par dessoubz quant li plest, et pour ce ne li puet eschaper null poissons que elle ne le preinhe si donc n’est trop grant. Elle fet grand dommaige ès viviers et estancs. Quar une père de loutres sans plus destruyra bien de poisson un grant vivier et un grant estanc, et pource les chasse len.

Ilz vont en leur amour au temps que font les furons que chascun qui en tient en son hostel scet. Et portent autant comme ils font aucunefois leurs cheauls plus ou moins, comme font les furons. Et font leurs cheaulx ès fosses dessoubz les racines des arbres près les rivières.

On les chasse aux chiens par grant maistrise ainsi que je diray cy avant. Aussi les prent on aux viviers à cordelettes comme on fait les lièvres, aux filès, aux haussepiés et autres enginhs. Elle a male morsure et venimeuse aussi et se défend bien de sa force aux chiens. Et quant elle est prise ès cordes ou filès, se on n’y est tost, elle ront les cordes aux dens et se délivre. Je ne vueill plus faire mencion de lui ne de sa nature, quar la chasse de luy est ce qui plus vault : fors tant que elle ha les piedz comme une ove, quar elle a pel de l’un doyt à l’autre et n’a nul talon fors que elle a une bossette dessoubz le pié ; et appelle l’en les marches de la loutre einsi comme on apelle le pié d’un cerf et ses fumées fientes ou espraintes.

Loutre ne demuere guères en un lieu, quar quant elle a espovanté ou mengié le poisson qui y est, lors va elle aucunefois une lieue en amont ou aval querant les poissons se donc elle n’est en estanx.

  1. Noue, nage.