La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XV

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, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 81-86).

Chapitre quinzième.
Des manières et condicions des chiens.


Après ce que j’ay dit de la nature des bestes tant de doulces comme de mordans que len chasse, si vourray ore dire de la nature des chiens qui les chassent, et de leurs noblesses et condicions, lesquelles sont si grandes et si merveilleuses en aucuns chiens, qu’il n’est nul homme qui le peust croyre s’il n’estoit trop bon veneur, et bien cognoissant, et qui les ait hanté trop longuement ; quar c’est la plus noble beste et plus raysonable, et mieuls congnoissant que Dieus fust onques, et si n’en oste en moulte de cas ne homme ne nulle autre chose. Quar nous trouvons en les ancienes hystoires tant de noblesses de chiens et véons toujours en euls, qui bien les veult connoistre, que nul, comme j’ay dit, ne le pourroit croire ne penser ; combien que toutes natures et d’hommes et de toutes autres bestes vont en descendant et en apetissant et de vie et de bonté et de force et de toutes autres choses, si très merveilleusement que quant je voy les chiens qui au jour d’hui chassent, et je pense aux chiens que j’ay veus au temps passé, et aussi je voy la bonté et la loyaulté qui souloit estres ès seigneurs dou monde et autres gens et voy ce que maintenant y est, je di bien qu’il n’y a nulle comparayson et ce scet bien tout homme qui a bonne raison. Ore laissons donc ordenner à nostre seigneur ce que bon li en semblera. Mes pour traire avant les noblesses des chiens qui ont esté, j’en feray ne say quants contes que je trueve ès vrayes escriptures.

Premièrement du roy Clodoveus de France qui manda une fois sa grant court, et y avoit des roys qui tenoient terre de luy. Entre les quieuls estoit le roy Apollo de Léonois[1] qui amena à la dite court sa femme avecque lui et un lévrier qu’il avoit très biau et très bon. Le roy Clodoveus de France si avoit un fil juene bachelier de xx ans ; et tantost quil vit la royne de Léonois, si la ama et la pria d’amours. La dame qui bonne estoit et amoit son seigneur li refusa et li dist que sil en parloit plus, que elle le diroit au roy de France et à son seigneur. Après ce que la feste fut passée le roy Apollo de Léonois s’en retourna luy et sa femme en son pays. Et ainsi quil s’en retournait le fils du roy Clodoveus de France li fu au devant avec une compainhie de gens d’armes pour li tollir sa femme. Le roy Apollo de Léonois qui bon chevalier estoit merveilleusement de sa main, combien quil fust tout désarmé, si deffendi-il sa femme au mieulz quil peut, tant qu’il fu blessié à morf. Et lors, quant il se sentit blessié à mort il se retreit en une tour luy et sa femme. Et le fil au roy Clodoveus de France qui ne vouloit mie laisser la femme, entra après et prist la femme et vouloit gésir avec elle à force, mes elle li dist : vous m’avez tué mon mari et maintenant me voulez déshonorer. Certes j’ayme mieuls mourir. Lors s’adressa à une fenestre et sailli en la riviere de Loyre qui estoit au pié de la tour, et fu tantost noyée. Après ce ne demoura gueres le meisme jour que le roy Apollo de Léonois morut des playes quil avoit receues et fu gieté dedens la rivière. Le lévrier de quoy j’ay parlé, qui touzjours estoit avec le roy Apollo, quant il vit que on getoit son seigneur en la rivière, se saillit après et fist tant aux denz, qu’il tira hors son seigneur à seiche terre et fist une grande fosse aux ongles, et après y mist son seigneur et le couvrit aux ongles et au musel le mieulz quil peut. Einsi demoura touzjours le lévrier bien demi an sus la fosse de son seinheur en gardant lui de toutes bestes et oysiaulz ; et se len me demandoit de quoy il vivoit je diroye qu’il vivoit de charoinhes et autres rapines qu’il povait avoir. Si avint que le roy Clodoveus de France chevauchoit par son royaulme, se passa par là où le lévrier gardoit son seigneur. Et le lévrier se leva encontre et commença à abayer pour defendre son seigneur contre tous. Le roy Clodoveus de France qui preudhomme et apercevant estoit, tantost qu’il vit le lévrier, si connut que ce estoit celuy que le roy Apollo de Léonois avoit amené à sa court ; si en fut moult merveillé : et ala lui meisme là où le lévrier estoit. Si vit la fosse et fist descendre de ses gens pour veoir qu’il y avoit dedanz. Si trouva le corps du roy Apollo de Léonois tout entier. Et tantôt que le roy Clodoveus de France le vit, il connut que ce estoit le roi Apollo de Léonois ; si en fu trop durement courroucié, et fist crier par tout son royaulme que qui li sauroit dire la vérité de ce fet, qu’il li doneroit tel don comme on li demanderoit. Donc vint une damoiselle qui estoit en la tour quant le roy Apollo de Léonois fut mort ; si dist au roy Clodoveus de France. Sire, fet elle, si vous me voulez jurer devant votre barnage[2] que le don que je vous demanderay vous me le donrés ainsi que avez fet crier, je vous monstreray celuy qui ce a fet. Et le roy Clodoveus de France li vet jurer devant tous. Le fils au roy Clodoveus estoit delez son père. Et la damoyselle dist : Sire vecy vostre fil qui a fait ceste fet. Ore vous recquiere que ainsi que vous l’avez juré que vous me le donnez : quar c’est le don que je vous demande. Le roy Clodoveus de France se tourna lors devers son filz et li dist : Ribaud, fit-il, vous m’avez honny et je vous honniray. Que jà ne demourra pour ce que n’ay plus enfans que vous. Lors fist alumer un grant feu et fist son fil giéter dedens ; puis se tourna devers la damoiselle quant il fu bien alumé et li dist. Damoiselle, or le prenez, quant il vous plaira ; quar je le vous donne einsi que je le vous ay promis. La Damoyselle ni osa aprocher, quar jà estoit tout ars. Cest exemple ay je mise avant, pour la noblesse des chiens et des seinheurs qui ont esté ; mes maintenant je croy que on en trouveroit pou qui feissent si parfetes justices.

Chien est loyal à son seinheur et de bonne amour et de vraye. Chien est de bon entendement et a grant connoissance et grant judgement ; chien a force et bonté ; chien a sagesse et est beste véritable ; chien a grant mémoire ; chien a grant sentement ; chien a grant diligence et grant puissance ; chien a grant vaillance et grant subtillité ; chien a grant légéreté et grant apercevance ; chien est bien à commandement, quar il apprendra comme un homme tout quant que on li enseinhera. Tous esbatemens sont en chiens. Tant sont bons chiens que a paines est homs qui n’en vueille avoir ou pour un mestier ou pour autre. Chiens sont hardis ; quar un chien osera bien deffendre l’hostel de son seinheur et gardera son bestiaill et tout ce qui sera du sien et s’en exposera à mort.

Encore pour mieulx affermer les noblesses des chiens feray un conte d’un lévrier qui fut d’Auberi de Mondidier lequel vous trouverez en France paint en moult de lieux. Auberi estoit serviteur du roy de France si en alloit de la court vers son hostel. Einsi qu’il s’en alloit et passoit par les bois de Bondis qui sont près de Paris, et menoit un très biau et bon lévrier qu’il avoit. Un homme qui le heoit[3] par envie, sans autre raison, qui estoit appellé Machaire si li corrut sus dedens le boys, et le tua sans deffier, qu’il ne s’en gardoit. Et quant le lévrier vit son maistre mort, si le couvrit de terre et de feuilles au mieulx qu’il peut, aux ongles et au musel. Jusques au tiers jour et lors pour la grant fain quil avoit sen revint à l’ostel du roy et là trouua Machaire qui estoit grant gentilz homs et tantôt que le lévrier l’apersut si courut sus et l’eust afolé, se hon ne l’eust deffendu. Le roy de France qui sages et apercevant estoit demanda que ce estoit : et len li dist toute la vérité. Le levrier prenoit de ce qu’il povoit avoir des tables, si le portoit à son meistre et li metoit en sa bouche. Einsi fist le lévrier par trois ou par quatre jours. Donc le fist suyvir le roy pour veoir où il portoit ce qu’il povoit avoir de l’hostel. Si trouvèrent Aubery mort, là où le levrier portoit sa viande. Donc le roy, comme j’ai dit, qui sages estoit, fist venir plusieurs de ses gens de son hostel et fist a planier et grater et tirer par le colier le levrier à val l’ostel ; mes onques il ne se boudja. Et puis fist prendre à Machaire une piece de char et li fist donner au levrier. Et tantost que le levrier vit Machaire il laissa la char et courrut sus à Machaire. Et quant le roy vit cela, il eut grant supesson sus luy. Si li dist qu’il li convenoit combatre avec le levrier. Et Machaire commença à rire ; mes le roy le fist de fet. Un des parens de Aubery vint à la journée, et pour ce qu’il vit la grant merveille du lévrier, il dist quil vouloit jurer le serment qui est acoustumé pour le lévrier et Machaire jura de l’autre part. Si furent menez en l’isle Nostre Dame à Paris et là se combatirent le levrier et Machaire qui avoit un grant baston à deux mains. Tant que Machaire fut desconfiz. Dont commanda le roy que le levrier fust retret arrière qui le tenoit dessoubz soy si fist demander la vérité à Machaire, lequel reconnut comment il avoit mort Auberi en trayson. Et fut pendu et traîné.

Lisses sont chauldes en leur amour communément deux fois l’an ; mes elles n’ont nul terme ; quar touz temps en trouverés de chauldes : toutes voyes quant elles ont leur an elles demeurent volontiers chaudes et demeurent en leur amour depuis quelles atendent le chien sans les faire nulle deffense xi jours au moins et aucune fois quinze, selon ce quelles sont de chaulde ou de froide nature les unes plus que les autres, ou sont grasses et aussi les y peut on bien aydier ; quar se on leur donne trop à mangier, elles demourront plus en leur chaleur que se on leur en donne pou. Et aussi se on les bainhe, en une rivière, deux fois le jour, elles seront plustost froides. Elles portent neuf sepmaines ou pou plus leurs cheaulx ; et naissent avuegles ; mes au bout de neuf jours ils voyent. Ils manjent au bout d’un mois ; mais ils ont bien mestier de leur mère juzques tant qu’ilz en ont deux : et lors les peut on oster hors de leur mère et leur donner du let de chièvre ou de vasche cuit meslé menuement avecques la meolles[4] du pain espicialement le matin. Et à la nuit, pour ce que la nuit est froide plus que nest le jour ; si leur donnez des meolles du pain ou brouet de la grasse, de la char. Et einsi les pourrez nourrir jusques tant qu’ils ayent demi an. Et lors ils aront mué leurs premières dens. Et quant ils aront mué toutes leurs dentz, les aprenez à mengier du pain et de l’yaue, petit à petit ; quar chien qui est nourry de gresse et de soupes dès qu’il a mué ses dentz, s’il ha touzjours soupes ou lescheries, voulentiers est de mauveise garde. Et aussi n’ont mie si bonne alaine comme ont quant ils menjent pain et eaue sans plus. Quant on fait alinher les lisses, elles perdent leur temps, tant comme elles demuerent preinhs ou laitantes et se on ne les fet alinher elles perdent presque autant ; quar leurs poupes leur demuerent grosses et se suentes jusques au terme que elles devroient avoir heu leurs cheauls. Et pour ce que elles ne perdent leur temps les fet on chastrer, fors celles que len vuelt qui portent cheauls. Et aussi une lisse chastrée dure plus chassant en sa bonté que ne font deux lisses qui ne soient chastrées, ou au moins une et demie

Aucuns les font alignier, ou se une lisse est aligniée qui ne soit de garde et hon ne veult nourrir les chiaulx, il ne li fault que faire jeuner la lisse un jour naturel et puis donner li meslée avec gresse le jus d’une herbe qui ha nom titinal, que les apoticaires cognoissent bien ; quar elle getera ses chiaulx. Toutes voies c’est bien périll espiciaument se les chiaulx sont grans et fourmez dedanz son corps.

Le pis que chiens ayent cest que ils durent pou ; quar à grant paine passent douze ans. Et au plus fort ils ne puevent chassier plus de ix ans. Et on ne doit fere chassier nul chien, de quelque condition qu’il soit, qui n’ait passé un an.

Séparateur

  1. Léonois et non Lyonnais comme l’a imprimé Vérard.
  2. Barnage, assemblée de barons.
  3. Heoit, haïssait.
  4. Meolles du pain, moelle du pain, c’est à dire la mie.