La Chasse (Gaston Phœbus)/Chapitre XLVIII

La bibliothèque libre.
, Joseph Lavallée
La Chasse (1854)
Texte établi par Léon Bertrand, Maison Lefaucheux (p. 197-198).

Chapitre quarante-huitième.
Ci devise comment le veneur doit chassier et prendre le bouc sauvaige.


Et quant le veneur voudra chassier le bouc sauvaige ou le bouc ysarn, il le doit chassier en la sayson que j’ay dit devant ; et s’en doit aller gesir la nuyt devant ès hautes montainhes, ès cabanes où les pastours gisent qui gardent le bestaill. Et doit avoir pourveu pour viij jours devant ou plus tost tous les païs des montainhes et les acours et fuytes et avoir fait des hayes et tendre rois au devant des roches ou ilz se veullent garentir, tout einsi comme feroit au devant d’une riviere pour un cerf ; quar c’est grant perill pour les chiens de saillir aval les roches. Et tantost qu’ilz sont un peu malmenez, ils se vont rendre ès roches. Et se partout ilz ne puet fere hayes, toutes les gens qu’il pourra avoir il les doit metre sur le plus haut des roches, qui leur giotent de pierres d’arbalestes affin qu’ilz ne viegnent là, ou qu’ils les tuent des arbalestes ou des pierres les fassent saillir aval les roches. Et le doit quester et leissier courre de son limier einsi comme un cerf. Et souffist bien de leissier corre dix ou douze chiens de muete et fere au moins iiijtre relais chescun de iiijtre chiens ès beez[1] et au plus hault des montainhes à une lieue l’un de l’autre environ de là où il leissera courre. Quar quant les chiens ont monté une montainhe, pour la grant chaleur, ilz ne puevent guères en avant chassier. Aucunefoys se vont-ils rendre à aucunes rivières, s’il en ha ès pié des montaignes, et là doit il metre releiz. Et ne doit point atendre, celuy qui releissera, les chiens qui le chassent, quar par avanture ilz vendroyent chassant de fort longe ; mes les y doyt releissier tout de veue, einsi comme levriers. Quar les chiens qui sont fres et reposez ne li leisseront jà monter les montaignes, que touzjours ne li soient au cul ; ne aussi ne le leisseront ilz pas batre les yaues et einsi le prendront ils. Et pource que sa chasse n’est pas de trop grant mestrise, quar on ne puet acompaigner ses chiens ne aler avecques eulz, ne à pié, ne à cheval, m’en tayrai-je, quar il me semble que j’en ay assez parlé.

Séparateur

  1. Ès beez. Dans les ouvertures. On dit : Gueule bée, bouche ouverte.

    « Mors rist dehors en lieu de bière,
    » En ces fossés à gueulle bée. »

    Roman de la Rose, vers 13,218.