La Chasse au roi/15

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Société générale de librairie catholique (p. 324-345).


XV

OÙ MONSEIGNEUR LE RÉGENT SE REFUSE À PARLER POLITIQUE.


Le régent Philippe d’Orléans était seul en son cabinet de travail, dans la partie occidentale du Palais-Royal, au premier étage de l’aile qui confine maintenant à la Comédie-Française. Midi venait de sonner aux Tuileries comme à Saint-Eustache. Le régent avait à la main une lettre ouverte du comte Stair, ambassadeur d’Angleterre, et sommeillait à demi sans la lire.

Auprès de lui, sur une table d’ébène, reposaient plusieurs écrits philosophiques, un exemplaire, (marqué au sceau de la police), de la satire contre Louis XIV, attribué à Voltaire adolescent, et un cahier manuscrit contenant les premières Philippiques de Lagrange-Chancel, ce Juvénal de la régence.

Le duc d’Orléans avait alors quarante-quatre ans. Ses traits étaient beaux mais pendants, et il portait sur son visage les traces d’une fatigue qui n’avait pas sa source dans le travail. Ses yeux enflammés avaient de ces larmes que la croyance commune attribue à l’intempérance ; sa lèvre inférieure fléchissait, bouffie et pâlie, tandis que ses narines bien coupées, et même ses joues, encadrées encore de cheveux qui avait dû être remarquablement doux, se marbraient de sillons sanguinolents.

C’était l’heure de son lever ; à cette heure redoutable pour les coquettes surannées, le régent était vieux. En public, quand l’après-midi le trouvait guéri de sa somnolence et qu’il avait subi les soins habiles de maître Gaudon de Pierrefite, son second valet de chambre, le régent pouvait passer encore pour un des beaux cavaliers de sa cour.

Il avait besoin, cependant, d’une chose autre que les soins de Gaudon de Pierrefite pour arriver à ce rajeunissement, et la princesse Palatine, sa mère, qui avait le parler excessivement gras, disait de lui : « Il lui faut le poil de la bête ». Les ivrognes savent ce que cette locution signifie.

« La vie privée doit être murée », chante un de ces adages que tous ceux qui ont besoin de mur pour mettre au-devant de leur vie vont emphatiquement répétant. Nous avons peu de chose à faire avec la vie privée de ce prince égoïste et doux, qui fit tant de mal aux mœurs françaises, et se suicida dans le vice, avec un incroyable parti pris. Si notre envie était autre, l’adage ne nous gênerait point, d’autant que Philippe d’Orléans aidait lui-même et de bon cœur la curiosité publique à ébrécher son mur.

Le dernier coup de midi vibrait encore, sonné par la magnifique pendule dont le globe de verre abritait toute une nichée d’amours mythologiques. Le prince venait de lâcher la lettre du lord Stair, qui eût laissé lire au premier entrant son contenu hautement confidentiel. M. Gaudon de Pierrefite, homme grave et réellement stoïque d’apparence, poussa doucement la porte. Il traversa la chambre sur la pointe du pied et mit incontinent le peigne dans la chevelure un peu raréfiée de Son Altesse royale.

— Quelle heure avons-nous ? demanda le prince sans ouvrir les yeux.

— Midi une minute et quelques secondes, monseigneur, répondit d’un ton précis et posé M. de Pierrefite.

En même temps il prit la lettre tombée et la posa non point sur le guéridon, mais dans la poche de la robe de chambre du régent.

— Qui avons-nous ? demanda encore celui-ci.

M. Dubois, monseigneur, et M. Voyer d’Argenson.

Le régent bâilla.

— Et puis, poursuivit M. de Pierrefite, cette dame anglaise, lady Mary Stuart de Rothsay… écossaise plutôt, je pense.

Le régent ouvrit les yeux si brusquement qu’il se blessa, parce que les larmes dont nous avons parlé ont la fâcheuse propriété de joindre ensemble les paupières comme une dissolution de colle forte.

— Je vous donne trois minutes pour m’accommoder, Gaudon, dit Philippe d’Orléans, qui se redressa sur son siège. Juste trois minutes !

Le second valet de chambre jeta un regard à la pendule et eut un orgueilleux sourire.

— Montre à la main, monseigneur, répondit-il.

Trois minutes après, en effet, le régent, debout devant la glace, souriait à sa propre image avec une certaine complaisance. Quoique hâtive et provisoire, l’œuvre de M. Gaudon de Pierrefite était complète. Le collyre bienfaisant avait touché les yeux malades, les caresses du rasoir et la poudre de riz donnaient à la peau je ne sais quel velouté heureux ; les cheveux, disposés savamment, cachaient leurs vides, comme une armée rangée selon l’art pour dissimuler ses pertes. Je crois même que « le poil de la bête » avait fait son office, car ce fut un verre d’une main et un flacon de l’autre que le second valet de chambre sortit, en disant :

— Monseigneur, montre à la main !

Philippe d’Orléans le remercia d’un geste de sa main, qui disparaissait à demi maintenant sous un flot de dentelles, et lui ordonna d’introduire lady Stuart de Rothsay. Il ajouta :

— Je n’y suis pour personne autre.

Le régent de France reprit sa place auprès de sa table de travail, et lady Stuart entra presque aussitôt après. Le régent se leva, la prit par la main et la conduisit à un siège.

Dépouillée de cet attirail un peu romanesque qui lui avait valu son surnom de la Cavalière, Mary Stuart de Rothsay, seconde fille d’Alexandre Stuart, duc de Rothsay, et de Maria da Silva-Macedo, veuve du dernier duc de Cadaval, (le seul duc portugais qu’il y eût alors), était une jeune fille de vingt-quatre ans, à la beauté brillante que voilait aujourd’hui une apparence de tristesse. Elle portait le costume usité à la cour d’Espagne, et les plis nombreux de la dentelle noire qui encadrait l’exquise beauté de ses traits allaient merveilleusement à ses cheveux d’un brun fauve, riches de ton entre tous, et que produit si souvent le croisement de la race du Nord avec le sang plus chaud des pays du soleil.

Elle était grande, nous l’avons dit, et sous la mélancolie de sa démarche, on devinait la force, de même que l’habitude des beaux sourires perçait derrière la fermeté froide de sa physionomie. Le régent murmura :

— C’est une gageure ! chaque jour vous fait plus belle !

Un peu de rougeur vint à son front charmant. Elle sourit pourtant, rejetant en arrière les noires broderies de son voile avec les boucles lourdes de ses cheveux.

— Monseigneur, dit-elle, je vous demande pardon de me présenter si matin. Me serait-il permis de supplier Votre Altesse royale d’entendre avec le sérieux qui convient à un si grand prince ce que j’ai à lui dire ?

— Lady Mary, répondit le duc d’Orléans, je comptais, moi aussi, ce matin, vous parler d’affaires sérieuses.

— Je remercie Votre Altesse royale.

— Votre Grâce, répliqua le régent, qui s’inclina en cérémonie, il y a peut-être de quoi me remercier. Avant d’entamer la question d’État, cependant, j’ai besoin de vous dire une fois encore que j’ai pour vous la plus vive affection.

— Celle d’un ami, monseigneur ?…

— Certes, madame, une Stuart a bien le droit de réclamer camaraderie avec un simple cadet de Bourbon.

— Monseigneur ! dit la belle visiteuse qui fronça le sourcil.

— Cavalière ! s’écria le duc d’Orléans, riant tout de bon et comme un bon bourgeois. Allez-vous m’offrir un cartel ? Voyons ! déplissez ce beau front, et n’essayez jamais soit de prendre la lune avec vos dents perlées, soit d’empêcher un Français de sourire… Je vous aime donc de tout mon cœur, en ami, en sincère ami, et si vous n’étiez pas venue ce matin, j’aurais été vous rendre visite.

— À moi, monseigneur !

— Sans façon… pour vous dire : Chère lady, vous conspirez, et j’en suis désolé pour vous. Que répondez-vous à cela ?

— Je réponds que je ne conspire pas, répliqua lady Stuart froidement.

— Cavalière ! répéta le régent. Quelle vogue vous auriez eue au bon temps de la Fronde ! Ah ! Cavalière ! Cavalière !

Lady Stuart, qui le regardait en face, demanda :

— Est-ce conspirer que de servir son roi ?

Philippe d’Orléans ne trouva pas tout de suite le mot qu’il fallait pour répondre.

— Il y a roi et roi, dit-il enfin comme un homme qui se sent entraîné sur un terrain glissant.

— Je parle à l’oncle et au tuteur de Sa Majesté Louis quinzième, murmura la Cavalière d’une voix lente et presque timide. Je pensais que pour lui, il n’y avait qu’une sorte de rois.

— Vertubleu ! s’écria Philippe, qui essaya de rire, nous en avons dans l’aile ! J’avais pourtant juré que je ne causerais jamais politique avec les dames ! Milady, je suis bien forcé de vous avouer qu’à tort ou à raison, le roi d’Angleterre, le seul roi est pour nous George de Hanovre, premier du nom.

— Je le sais, Monseigneur, repartit lady Stuart, et je n’en félicite pas Votre Altesse royale.

— George Ier, poursuivit le régent, dont l’œil se détourna tandis que ses sourcils se fronçaient légèrement, étant pour nous le seul roi d’Angleterre, et de plus notre ami très fidèle et très honoré, j’ai dû vous prévenir que vos menées dirigées contre son gouvernement présentent, vu l’état des choses, un danger pour votre sûreté personnelle.

— Vu l’état des choses…, répéta lady Stuart d’un air pensif. Demain les choses peuvent changer.

— Je ne l’espère pas pour vous, milady, répliqua le régent sèchement.

— Mais Votre Altesse royale le craint peut-être pour elle, prononça très bas Mary.

Elle ajouta, en relevant ses beaux yeux sur Philippe d’Orléans :

— Serait-ce aller trop loin que de demander les crimes dont on m’accuse ?

Le régent prit un pli décacheté sous le petit volume délicatement relié qui contenait la satire de Voltaire.

— Ils sont nombreux, madame, dit-il, et quoique je n’en garde point de colère, ils ont une très positive gravité.

En parlant, il avait retiré le pli de l’enveloppe.

— Notez, continua-t-il en parcourant du regard le papier qu’il tenait à la main, que j’ai d’autres renseignements encore par mylord comte Stair, mais je rougirais d’en faire usage contre vous… Ceci appartient à l’administration française.

— Voici seulement trois ans, dit lady Stuart d’un ton paisible, l’administration française eût fait pendre mylord comte de Stair, pour ne pas perdre avec un pareil malfaiteur, le loyer d’un cachot à la Bastille !

— Madame !… dit à son tour Philippe d’Orléans, qui se redressa de son haut.

— Monseigneur, mylord comte de Stair a tenté de faire assassiner Jacques Stuart !

— Je ne crois pas cela, madame… et je ne pourrais pas en écouter plus long à ce sujet. Voici les avis reçus par moi hier au soir ; ils émanent de M. le lieutenant de police.

Lady Stuart s’inclina et garda le silence.

— Depuis huit jours que Votre Grâce est à Paris, poursuivit le régent, de retour de ce voyage de Bar-le-Duc où elle a mérité son surnom de Cavalière, nous comptons huit visites de vous à M. l’ambassadeur d’Espagne.

— Les Giudice sont parents des Silva de Naples, répondit Mary. M. le prince de Cellamare est mon cousin.

M. le prince de Cellamare intrigue contre la France, madame.

— Il ne me l’a pas dit, monseigneur.

— Cinq visites à M. Law de Lauriston…

— Celui-là n’est-il pas l’ami de Votre Altesse ?

— Oui, mais il est écossais et dispose de sommes immenses.

— Peut-être ai-je eu fantaisie de jouer sur vos actions de la Louisiane, monseigneur.

— On se ruine à ce jeu, madame ! À celui dont je vous soupçonne, on se perd… Six visites à la cour de Sceaux…

— Chez le fils et la bru de Louis XIV, fille du grand Condé.

— Ce sont mes ennemis, madame !

— Monseigneur, je suis reconnaissante envers la mémoire du feu roi… et si vous avez achevé, comme je le crois, puisque vous refermez votre lettre, je m’adresse à la justice du régent et je demande le droit de plaider ma cause. Votre police ne sait pas tout, monseigneur, et, Dieu merci, j’ai mieux employé mon temps que M. d’Argenson ne paraît le croire. J’ai fait beaucoup, je suis contente de moi, je prie ardemment la Providence que jamais n’advienne à la maison de Bourbon la centième partie des malheurs qui ont accablé la famille des Stuart ; et si la main de Dieu touche votre royal pupille ou sa descendance, je souhaite que Stuart rende à Bourbon ce que le grand roi Louis XIV fit pour Stuart exilé. Ce sont d’étranges crimes, monseigneur, que les crimes politiques ! En ces matières subtiles, la vertu d’hier est le forfait d’aujourd’hui. Hier la France était glorieuse ; aujourd’hui…

— La France est heureuse, madame, dit Philippe d’Orléans sans emphase, mais avec dignité. Ceux qui avaient faim ont du pain et me bénissent, on me l’a dit, laissez-moi le croire… et brisons là, je vous prie : Nous ne nous comprendrions pas en ces matières que vous déclarez vous-même très subtiles. Faut-il vous l’avouer ? vous ne m’avez point blessé ; peu de choses me blessent : c’est la qualité de mes défauts. J’aurais tort, à mes propres yeux, d’avoir trop raison contre une noble femme que j’aime comme un frère… comme un père, si vous voulez. Le gouvernement du roi vous pardonne, lady Mary Stuart de Rothsay, mais il vous avise de prendre garde. Veuillez me dire maintenant ce que vous demandez de moi.

— Je réclame de Votre Altesse royale, répliqua Mary, un sauf-conduit pour moi et ma suite.

— Vous voulez passer en Angleterre ?

— En Écosse, monseigneur.

— Et votre suite se compose ?

— De deux gentilshommes, outre ma domesticité.

Le régent rouvrit l’enveloppe qui contenait le rapport du lieutenant de police et le consulta de nouveau.

— Yves et René de Coëtlogon, murmura-t-il. Vieux noms ! solide noblesse ! lieutenants du roi en Bretagne depuis cent ans ! Demandez-moi pour eux deux brevets de capitaine dans l’armée de Sa Majesté, et non pas les moyens de quitter la France !

— Monseigneur, je vous ai demandé ce que je voulais.

— Je vous refuse, madame, et je vous en donne les motifs tout de suite. Le sauf-conduit servirait au chevalier de Saint-Georges.

— Alors que le sauf-conduit soit pour moi seule.

Philippe d’Orléans réfléchit un instant, puis répondit :

— Soit.

— Je rends grâce à Votre Altesse royale, dit Mary.

— Est-ce tout ?

— Non… si je ne craignais d’abuser ?

— Ne craignez rien. J’accorderai seulement ce qu’il me plaira d’accorder.

— Dans cette campagne que vous raillez, monseigneur, reprit Mary avec son plus gracieux sourire, pauvre campagne en effet, j’ai contracté des obligations envers une malheureuse femme…

— Bien, cela ! à la bonne heure ! Demandez tout ce que vous voudrez.

— Que de reconnaissance, monseigneur ! La poste de Nonancourt est, dit-on, vacante : je demande, pour ma protégée, la poste de Nonancourt.

— C’est la seule chose que je doive vous refuser, madame, répliqua le régent sans hésiter.

— Pour quel motif ? une si humble requête !

— Par ce motif que Nonancourt est sur la route d’Angleterre.

Il prit dans sa poche la lettre de mylord ambassadeur.

— Madame, dit-il, votre itinéraire est marqué là. Vous jouez une partie impossible ! Parlons à cœur ouvert, je vous prie ; et que le mot amitié n’ait pas été en vain prononcé entre nous. Êtes-vous fiancée au chevalier de Saint-Georges ?

— J’aime le roi jusqu’à la mort ! prononça lady Stuart en appuyant la main contre son cœur.

— Cavalière ! Cavalière ! murmura le régent. Alors, il n’y a pas à s’y tromper, nous avons fait le rêve complet, et je parle à la reine prétendante d’Angleterre ?

— Vous vous trompez, monseigneur, repartit froidement lady Stuart. J’ai fait serment à la mère du roi de n’être jamais reine, s’il en était autrement, je serais un obstacle : le roi est promis à la princesse Marie-Casimir-Clémentine Sobieska, de Pologne.

— Oui-dà ! fit le régent. Plus Cavalière encore que je ne croyais ! Mais, en ce cas, quelle mouche vous pique ?

— Quelle mouche piquait Jeanne d’Arc ? s’écria la belle Écossaise, dont les regards étincelèrent.

Le duc sourit. Elle reprit d’un ton glacé :

— Mais Votre Altesse Royale n’aime pas les héroïnes et n’y croit pas peut-être.

— Ma foi, madame, murmura le régent, qui se renversa sur son siège, j’avoue que je ne me suis jamais interrogé à fond au sujet de Jeanne d’Arc. Vous me prenez sans vert. Ce devait être une fille bien portante et robuste, à en juger par son armure, que j’ai vue en mon apanage d’Orléans. Parlons de vous, je vous prie, et dépêchons, car le temps passe. Voici d’abord, et quoi qu’il arrive, votre sauf-conduit personnel que je signe et que je scelle.

Il fit comme il disait.

— Maintenant, poursuivit-il, écoutez-moi, Jeanne d’Arc ! sur mon honneur de gentilhomme, je voudrais sauver ce jeune Stuart…

— Le roi, rectifia Mary. Je vous crois, monseigneur.

— Grand merci, madame. L’autre roi d’Angleterre ne me fait pas toujours tant d’honneur. Si M. le chevalier de Saint-Georges veut retourner paisiblement en Lorraine et y rester, je réponds de sa sûreté sur ma parole !

— Mille grâces

— Attendez !… sinon, non. Vous entendez, ce non veut dire que je ne réponds pas de sa vie…

Et ne préjugez rien, milady, se reprit-il avec une sorte de sévérité. Nul ne sait ce que l’avenir nous réserve, mais le passé est malade et le pouls du présent bat la fièvre ! Louis XIV, avant de mourir, avait déserté la cause des Stuarts. Le salut du monde est dans l’alliance de la France et de l’Angleterre. En présence de cette grande chose, la vie d’un homme, fût-il Stuart — ou Bourbon même ! — n’est rien. J’ai parlé en toute vérité.

La Cavalière se leva aussitôt ; et, en dépit de lui-même, Philippe d’Orléans s’avoua tout bas que c’était bien là une reine.

— Prenez le temps de réfléchir, conseilla-t-il d’une voix adoucie.

Elle s’inclina sans répondre.

— Madame, dit-il, debout aussi, quoique je vous aie tout refusé, je sollicite la faveur de baiser votre main.

Marie lui tendit ses doigts en souriant.

— Vous ne m’avez pas tout refusé, murmura-t-elle, et j’emporte d’ici un bon souvenir.

Elle retira sa main soudain et recula d’un pas, le rouge au front. Le régent venait de lui passer au doigt un superbe diamant.

— Prince ! dit-elle, cela n’est pas digne de vous !

— Madame, répliqua-t-il avec cette gracieuse grandeur qui était à lui, mais qu’il laissait souvent tout au fond de sa paresse, Stuart et Bourbon sont cousins, et vous m’avez permis de me dire votre ami. Si vous me refusez, le diamant sera brûlé, car je ne veux pas qu’il soit à une autre qu’à vous. Adieu, chère, charmante lady. Si les nobles s’en vont, comme le dit ce petit Arouet de Voltaire, d’Orléans n’aura qu’un pas à glisser pour devenir un bon bourgeois : c’est tant mieux !

Il sonna. Mary, qui avait ôté le diamant, le remit d’elle-même à son doigt.

— Qui sait, monseigneur, murmura-t-elle avec un étincelant sourire, qui sait si cette bague n’achètera pas la couronne d’un roi !

— Chut ! fit le régent.

Gaudon de Pierrefite annonçait :

M. Voyer d’Argenson, lieutenant de police !