La Chronique de France, 1902/Chapitre VI

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Imprimerie A. Lanier (p. 123-155).

vi

VICTOR HUGO, AUGUSTE COMTE,
ALEXANDRE DUMAS, BALZAC

Le 26 février 1902, la République Française a célébré, avec toute la solennité désirable, le centième anniversaire de la naissance de Victor Hugo. Le 17 août, Besançon, la ville natale du grand poète, a inauguré un monument en son honneur. Dans l’intervalle, Paris avait rendu des hommages tardifs à la mémoire d’Auguste Comte et Villers-Cotterêts avait acclamé le plus populaire de nos conteurs, Alexandre Dumas. Ces trois hommes, de talent si inégal et qui ne peuvent être comparés l’un à l’autre sous aucun rapport, forment, pourtant, par la juxtaposition de leurs trois noms, comme un raccourcis de l’esprit Français. Non pas, bien entendu de tout l’esprit français, mais de celui du xixe siècle si épris successivement — et parfois simultanément, de romantisme, de science et d’amusement.

Les Fêtes de Victor Hugo.

Le programme comportait une cérémonie matinale au Panthéon, une seconde l’après-midi à la place des Vosges, l’ancienne place Royale, où la maison habitée par Victor Hugo de 1833 à 1848 s’est transformée, grâce aux soins pieux de M. Paul Meurice en un musée — enfin une troisième à la place Victor-Hugo, proche de la maison où mourut le grand homme en 1885 ; c’est là que se dresse sa statue, œuvre du sculpteur Barrias, au sommet d’un rocher autour duquel tournent des figures allégoriques. Il y en eut ainsi pour tout le monde ; le corps diplomatique prit part à la fête raffinée du matin ; l’administration procéda à l’inauguration du monument de Barrias par des discours de circonstance ; le peuple se donna rendez-vous place des Vosges où d’ingénieuses illuminations prolongèrent jusque dans la nuit son joyeux enthousiasme. Les villes de province imitèrent la capitale ; partout, les vers immortels furent déclamés et applaudis : on en lut aux écoliers des campagnes, on fit des conférences à ceux des bourgs. Hormis quelques esprits grincheux, personne ne pensa que de tels honneurs ne fussent disproportionnés. La nation qui, comptant parmi ses fils un génie de pareille envergure, négligerait de se réunir toute entière pour l’acclamer au jour de son centenaire, ne serait point digne de participer à la direction intellectuelle de l’univers. Au contraire, le spectacle donné en cette circonstance par la France ne pouvait que lui attirer les sympathies des autres peuples. Mais sous quelle forme et de quelle manière se sont manifestées ces sympathies ? Là est le point intéressant pour tous ceux qui ont à cœur de voir se perpétuer le rayonnement des lettres Françaises au dehors.

Nombreuses furent les cités étrangères qui rendirent hommage à Victor Hugo. Bruxelles, Lisbonne, Porto, Londres, Budapest, Prague, Athènes, Milan, Madrid célébrèrent sa gloire. À Rome, le buste du poète fut placé au Capitole en présence des membres du gouvernement et de la municipalité, au milieu d’ovations chaleureuses. Enfin des délégations Tchèques, Roumaines, Bulgares, Polonaises, Grecques, s’associèrent aux fêtes de Paris. La France fut infiniment touchée de ces marques non équivoques d’admiration et d’amitié ; elle eût d’autant plus de raison d’en éprouver de la gratitude que de telles démonstrations s’adressaient à elle, passant en quelque sorte par dessus la mémoire de Victor Hugo ; le grand homme se trouvait en être l’occasion plutôt que l’objet. Cette distinction s’accuse nettement dans les discours prononcés au cours de ces cérémonies ; il y est peu question de littérature ; il y est largement question de politique. Les journaux quotidiens, à l’étranger, ont encore accentué la note à cet égard, tandis que, par la pauvreté et le peu d’ampleur de ses comptes rendus, la presse littéraire a témoigné qu’elle ne participait au centenaire que du bout de la plume et pour ainsi dire, par politesse. Bien plus, à Paris même, une des pièces les plus célèbres du maître, les Burgraves, reprise à la Comédie-Française, y a retrouvé la complète impopularité qui l’avait accueillie à ses débuts. En un mot, la personnalité de l’homme et quelques-unes de ses idées ont été puissamment mises en relief ; son œuvre est restée relativement dans l’ombre. Telle est la caractéristique de la participation des autres peuples aux fêtes de Victor Hugo. Cherchons-en la cause et donnons, d’abord, un rapide coup d’œil au colossal amas de productions diverses qu’évoque le nom du fécond écrivain.

Une Œuvre immense.

En 1822, âgé de vingt ans, Victor Hugo publia ses premières Odes et Ballades, et l’année suivante son premier roman, Han d’Islande. En 1824, il livra au public de nouvelles Odes, dont l’édition définitive parut en 1826 en même temps qu’un second roman, Bug Jargal. En 1827, il publia son premier drame en vers, Cromwell, et le fit précéder d’une préface qui, toute erronée qu’elle nous paraisse aujourd’hui, n’en causa pas moins une énorme sensation parmi les intellectuels d’alors. En 1828, il fit représenter à l’Odéon un drame en prose, Amy Robsart. En 1829, parurent un recueil de vers, les Orientales, et une sorte de roman tragique, le Dernier Jour d’un Condamné. 1830 vit jouer Hernani et 1832 un drame en vers, le Roi s’amuse. Dans l’intervalle, en 1831, Victor Hugo avait publié les Feuilles d’Automne, son célèbre roman de Notre-Dame de Paris, et un quatrième drame en vers, Marion Delorme. Il a trente ans, et son bagage comprend déjà trois recueils de poésies, quatre romans et cinq drames. Chose étrange, cette fécondité sans pareille va se continuer à travers tout le siècle. Chose plus étrange encore, dans cette première période de sa vie, Victor Hugo a atteint d’emblée au plus haut et au plus bas. En prose, il n’écrira rien de plus magnifique que certaines pages de Notre-Dame de Paris ; sur le théâtre, la somptuosité de son inspiration lyrique n’ira pas au-delà de certaines scènes d’Hernani ; des vers, surtout, ont coulé de sa plume, dont il ne dépassera jamais la délicieuse harmonie et la parfaite beauté. Ces morceaux constituent pour la langue Française des acquisitions d’une valeur inestimable, mais ce sont des morceaux ; le chef-d’œuvre intégral n’est point venu et il ne viendra pas. Nous n’aurons ni un Hamlet, ni une Iliade, ni une Divine Comédie.

Du Roi s’amuse (1832) aux Burgraves (1843), Victor Hugo publie trois recueils de poésies : les Chants du Crépuscule, les Voix intérieures, les Rayons et les Ombres ; trois drames en prose : Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Angelo ; un drame en vers : Ruy Blas ; un roman : Claude Gueux ; un volume composé d’articles littéraires et philosophiques et, enfin, le Rhin, récit de voyage accompagné de réflexions sur l’équilibre Européen. De 1843 à 1852, il continue d’écrire, mais il n’a plus le temps d’imprimer ; il participe aux grandes querelles du moment ; il est membre de l’assemblée nationale ; il se répand en discours et en protestations. Ses manuscrits verront le jour plus tard ; il les entasse dans ses tiroirs. L’exil lui rend des loisirs qu’il maudit. En vers indignés dans les Châtiments, en une prose acerbe dans Napoléon le Petit, il exhale sa colère et sa haine contre l’auteur du coup d’État de 1851. Puis viennent les Contemplations qui rappellent, heureusement, les Feuilles d’Automne, les Chants du Crépuscule, les Rayons et les Ombres. En 1859, paraissent les premiers volumes de la Légende des Siècles, série splendide de tableaux mythiques et symboliques retraçant la marche de l’humanité à travers les âges. Les Misérables (1862) sont un puissant roman, dont certainement Zola s’est inspiré en plusieurs de ses ouvrages. Les Travailleurs de la Mer, autre roman, paraissent en 1866 ; encadrées entre ces deux sombres récits, les Chansons des Rues et des Bois apportent une note de gaieté populaire tout à fait imprévue et peu habituelle aux grands poètes. Avec l’Homme qui rit, Victor Hugo retourne aux romans d’aventure qui l’avaient séduit à ses débuts. La guerre de 1870 lui inspire une série de poèmes, l’Année Terrible, où sa vieille animosité contre Napoléon iii se mêle aux amertumes suscitées par la défaite. Quatre-vingt-treize sera son dernier roman et non pas, certes, l’un des meilleurs. En 1875, il réunit en trois volumes, sous le titre. Actes et paroles, les principales manifestations de sa vie publique, ses discours à la chambre des Pairs ou à l’Académie, ses appels électoraux, les oraisons funèbres qu’il a prononcées et ses interventions célèbres en faveur de toutes les victimes de la guerre et de la politique, depuis John Brown et Maximilien jusqu’aux nihilistes et aux anarchistes. Le poète n’a plus, maintenant, que dix ans à vivre, et plus de dix volumes vont encore paraître ; le médiocre continue d’y côtoyer l’admirable. La Légende des Siècles s’achève. L’Art d’être Grand-Père ramène, plus émue et plus attendrie, la note familière ; dans l’Histoire d’un Crime repassent des souvenirs mauvais et d’inoubliables rancunes. L’Âne est une sorte de poème satirique contre le pédantisme ; la Pitié suprême, le Pape, Religions et Religion lui servent à développer ce double sentiment qui trouvera sa formule définitive dans son testament : la foi indéracinable en Dieu et la méfiance invincible à l’égard des Églises. Il publie encore un drame étrange, Torquemada, et les Quatre Vents de l’Esprit, son dernier recueil de poésies. Il meurt en 1885, laissant derrière lui une telle moisson inédite que, pendant vingt-cinq ans, ses héritiers seront occupés à l’engranger. Sa Correspondance et ses mémoires (Choses vues) renferment des croquis et des portraits, des notes littéraires ou critiques, mille choses vivantes et curieuses. Alpes et Pyrénées, France et Belgique sont des impressions de voyage sans grand intérêt. Le Théâtre en liberté comprend une série de pièces et saynètes qui supportent la lecture, mais aborderaient difficilement la scène. Les Jumeaux sont un drame inachevé ; le Post-Scriptum, un assemblage de matériaux inutilisés, réflexions et pensées demeurées à l’état de germes. Dieu et la Fin de Satan sont des poèmes propres à servir d’épilogue à la Légende des Siècles. On doit citer encore Toute la Lyre, recueil de poésies éparses, Paris, les Lettres à la France, Années funestes et, enfin, la Dernière Gerbe, parue le jour du centenaire.

Tel est le relevé des principaux écrits de Victor Hugo. Que cette dernière gerbe ait pu contenir de si beaux épis, il y a là de quoi surprendre. Mais n’est-ce pas une chose unique que d’y retrouver exactement les qualités et les défauts qui se révélaient, à l’autre bout du siècle, dans les premiers ouvrages du poète ? N’est-ce pas plus unique encore de devoir reconnaître dans ces qualités et ces défauts, ceux-là même qui distinguent notre race et dans les passions dont s’anime le génie de l’écrivain, dans les sentiments qu’il reflète, les passions et les sentiments de la France du xixe siècle ?

La revanche de l’actualité.

Ce fut là, comme homme, l’extrême beauté de sa silhouette ; ce sera là, sans doute, le principal obstacle à sa renommée d’écrivain. Sa grandeur a été d’incarner, d’un bout à l’autre de sa longue existence, l’âme de la France et de l’incarner d’une manière absolue et prodigieuse. Le génie national a illuminé d’autres esprits ; avec celui-là il s’est entièrement confondu. Ni l’un ni l’autre n’ont évolué, pas plus que n’évolue le rayon d’un phare qui scrute successivement tous les points de l’horizon. Pitoyable envers les faibles, prompte à bafouer les puissants, hostile au prêtre et fidèle à Dieu, attendrie devant l’enfance, émue devant la mort, ardente au patriotisme et indulgente à l’amour, éprise de perfection et se contentant d’à peu près, aimant à la fois le calembourg et l’effroi, suppléant à de fâcheuses ignorances par une imagination enchanteresse, telle fut la France issue de la révolution et telle fut la lyre du grand Français qui chanta son labeur, ses infortunes et son espérance.

On oserait presque dire que chacune de ses œuvres contient tout cela. Ouvrez au hasard. Voici dans l’Homme qui rit un étalage inouï de puérile érudition et dans Le Rhin, un plan de politique extérieure d’une étonnante naïveté. Vous voyez surgir ici et là une Espagne, une Égypte, des Tropiques merveilleusement fantaisistes et circuler une Marie Tudor, un Charles-Quint, un Louis XIII, un Cromwell ingénieusement travestis. L’idylle mièvre voisine avec le décor babelique. De philosophiques légendes aboutissent à de vulgaires mélodrames. Et surtout, selon la sagace observation de M. Doumic, l’idée, constamment, naît du mot. Le célèbre chapitre de Notre-Dame de Paris, « ceci tuera cela » est sorti du titre lequel a jailli spontanément du cerveau créateur. Et c’est pour leur montrer « l’intestin du Leviathan » que l’on promène les lecteurs des Misérables à travers les égoûts de Paris. La symétrie tient souvent lieu de profondeur ; ainsi Hugo rattache l’installation du mal dans le monde à la mort d’Abel. Les trois instruments de son supplice ont été préservés : le clou qui sera le glaive, le bois qui sera le gibet, la pierre qui sera la prison. Ce symbolisme simpliste contente son aspiration. De même, dans la fameuse préface de Cromwell, distingue-t-il arbitrairement les temps primitifs, les temps antiques et les temps modernes auxquels correspondent selon lui le lyrisme, l’épopée et le drame. D’énormes fautes de goût, les signes d’une hâte regrettable, des successions dévergondées de qualificatifs arrêtent le lecteur et empêchent que sa satisfaction ne soit complète. Mais, par ailleurs, quels élans sans pareils, quelles stupéfiantes ascensions, quelles délicates rencontres, quels spirituels contrastes, dans le style et dans la pensée. Il n’est pas jusqu’à ce pamphlet hargneux. Napoléon le Petit, qui ne renferme des pages superbes : telles l’oraison funèbre de la tribune Française et la célèbre assimilation des institutions impériales à la glace de la Newa solide comme le roc la veille de la débâcle et submergée en une nuit !

Des observateurs superficiels, rapprochant l’ode à Louis XVII de l’ode à Napoléon II, ou le souvenir ému donné au vieux roi Charles X de l’apostrophe héroïque à la colonne Vendôme, ont souligné malicieusement l’apparente inconséquence qui dictait ces hommages contradictoires. Et pourquoi contradictoires ? Ils s’entremêlèrent et ne se démentirent point. Victor Hugo partagea et exprima les enthousiasmes successifs de la France : le renouveau de sa foi monarchique, l’éblouissement prestigieux de l’impérialisme, sa soif de justice, son attachement progressif à la démocratie. Il fut en littérature, le législateur du romantisme et le précurseur du réalisme. Il fut pair de France, député, sénateur. Quel autre Français incarna à ce point tout un siècle de l’existence de sa patrie ?

Ces quelques réflexions suffisent à mettre en relief une qualité dont le temps ne peut manquer de faire un défaut. Toute l’œuvre de Victor Hugo est imprégnée d’actualité. Elle l’est à ce point que les historiens futurs y verront un guide obligatoire à travers le dédale des illusions et des revirements de la France du xixe siècle. Ils consulteront ce miroir unique qui leur renverra l’image exacte d’un pays et d’une époque. Mais, hormis les historiens, qui viendra ? La foule cherchera-t-elle autour de cette grande mémoire le rappel des bases immuables, des assises primordiales de la société ? Lui demandera-t-elle un écho de ces passions permanentes qui n’ont ni date ni nationalité ? Non, sans doute. Les génies universels s’asseoient solitaires et silencieux, au revers des hautes montagnes, sans souci de la clameur présente ni des événements immédiats ; on les écoute peu de leur vivant mais ils dominent après leur mort. Ceux qui, descendus dans les vallées, réclament avec vigueur leur part de la vie collective et se mêlent à toutes les luttes contemporaines condamnent par là même leur œuvre à se contenter plus tard des rares visites que reçoivent les tombeaux. Il est donc infiniment probable que Victor Hugo ne rayonnera pas « avec Dante, Gœthe et Shakespeare sous la divine clarté d’Homère », comme on l’a dit au banquet des poètes, le soir de son centenaire. Son génie certes le rendait digne d’un pareil honneur et la postérité le lui eût conféré si, homme d’action en même temps que poète, il n’avait marqué lui-même ses écrits du sceau des choses qui passent.

Victor Hugo, conscience de l’humanité ?

De son vivant, du moins, son rôle a-t-il été mondial ? En inaugurant, le 17 août 1902, le monument de Besançon, l’un des orateurs officiels, M. Colsenet, doyen de la Faculté des Lettres, prononça ces paroles : « Victor Hugo a été la grande voix qui a jeté au monde le cri de justice ; toutes les tyrannies, il les a flétries ; toutes les iniquités, il les a dénoncées ; il a été pendant un siècle, la conscience de l’humanité ! » Cela est vrai dès que l’on identifie la révolution Française avec l’humanité ; et c’est là un point de vue auquel les Français et pas mal d’étrangers continuent de se placer. Victor Hugo a été, cela est certain, la conscience de la société issue de la révolution. Reste à savoir si les formes de la justice et de la liberté que les révolutionnaires ont conçues et proclamées sont vraiment des formes éternelles et immuables, si les anathèmes qu’ils ont lancés demeureront, si les principes qu’ils ont établis vivront. On commence à percevoir, à travers l’énorme fracas de la révolution, la mise en pratique trop hâtive par un peuple ardent mais souvent inconsidéré, des vérités politiques et morales sorties, d’une part, de la Réforme et, de l’autre, de l’émancipation Américaine. En exagérant ces vérités, en les poussant logiquement vers l’absurde, en les revêtant d’un dogmatisme rigide, la révolution les a outrées au point de compromettre leur action et d’arrêter le développement normal de leurs conséquences ; par elle, deux grands mouvements qu’elle prétendait aider, ont plus ou moins dévié. Ce que Auguste Comte et Brunetière ont dénoncé comme étant « l’erreur du xviiie siècle » a été mis en pratique par la révolution ; la déclaration célèbre d’Helvétius : « C’est uniquement par de bonnes lois qu’on peut former des hommes vertueux » est devenue l’article fondamental du catéchisme jacobin. C’est de là que sont issus le droit à l’insurrection, la révolte contre les inégalités du sort et les hasards de l’hérédité, la croyance au progrès illimité et enfin cette tendance irrésistible vers le despotisme et cette facilité à l’accepter, pour peu qu’il se colore d’humanitarisme et de transformisme social, qui sont les caractéristiques de l’évolution jacobine.

Victor Hugo a chanté cela et de tout son cœur ; seulement il avait l’âme trop haute et la fibre poétique trop développée pour ne pas s’inspirer, à l’occasion, de sentiments moins exclusifs et d’un idéal plus large. Cette philosophie révolutionnaire n’en a pas moins imprégné son œuvre et c’est pourquoi il est difficile d’admettre qu’il ait été, autrement qu’à de rares intervalles et dans des circonstances passagères, l’interprète de la conscience universelle. Cet honneur, assurément, est revenu d’une façon bien plus continue à un homme qui n’avait ni son talent ni sa réputation littéraire, à Tolstoï. L’écrivain Russe ne s’est point attaqué à un système politique et n’a point préconisé un ordre social déterminé. C’est au fin fond de l’âme individuelle qu’il est descendu pour chercher à la fois la cause du mal qu’il maudit et le germe du bien auquel il aspire. D’invention lourde et d’allures lentes, la pensée persévérante de Tolstoï a vraiment réussi à interpréter cette conscience humaine que Victor Hugo n’a fait qu’effleurer par instants.

L’édition à faire.

Il faut donc que les Français en prennent leur parti, leur grand poète national, dans son ascension intellectuelle, n’a point touché au sommet suprême ; il ne s’en est fallu que de quelques pieds mais l’intervalle est notable. Si le monde, dans l’avenir, lit Victor Hugo, ce ne sera que par fragments. On ne fragmente ni Homère, ni Dante, ni Shakespeare ; on fragmentera toujours Victor Hugo et, par là, n’entendez point qu’on fera un choix dans ses œuvres ; aucune de ses œuvres ne pourra s’imposer en entier. Si donc nous voulons que ce grand nom demeure vraiment immortel, comme il méritait de le rester, il faut y aider par un pieux sacrilège. Il faut émonder, élaguer, abattre sans pitié. L’entreprise sera cruelle autant qu’utile ; des forêts entières disparaîtront ; des branchages de génie joncheront le sol. Qu’importe si le reste, du moins, s’éclaire d’une gloire définitive ? Cette édition restreinte devra contenir le plus pur de toutes les formes revêtues par l’esprit vivant du poète, du prosateur, du philosophe ; il en résultera un recueil qu’il faudra présenter au public sans le secours d’aucune analyse explicative ni d’aucune critique louangeuse, sans l’addition d’aucun renseignement biographique ou bibliographique. Ainsi le lecteur pourra croire que Victor Hugo n’a jamais rien écrit d’autre ; il ignorera les imprécations vibrantes, les appels éloquents, les protestations formidables, toutes ces beautés d’un jour qui soulèvent les contemporains et rebutent la postérité. Puisque Hugo fut mêlé de son vivant à tant de querelles qui parurent immenses et déjà deviennent anecdotiques, isolons-le après sa mort des soldats inconnus qu’il a conduits à la bataille ou sur lesquels il a foncé. Il y a chez lui de l’essence d’éternité, mais elle est éparse. Recueillons-la. Même en faible quantité, semée parmi la foule, elle assurera mieux sa renommée que les savants discours des rhéteurs ou les harangues enflammées des politiciens.

Auguste Comte insuffisamment louangé.

Si tous les libres esprits ont eu le droit et le devoir de se réjouir des hommages qui furent rendus à Auguste Comte le 19 mai dernier à l’occasion de l’inauguration de son monument sur la place de la Sorbonne à Paris, les amis de la Vérité ne peuvent que regretter, d’autre part, que ces hommages se soient adressés au positivisme plutôt qu’à son fondateur, aux disciples de Comte plutôt qu’à Comte lui-même. Et si le grand philosophe avait assisté à la cérémonie, peut-être n’eût-il plus reconnu ses idées dans les exposés qui en furent faits, ce matin-là, devant sa statue. La présence du général André, qui présidait, était une première anomalie et non des moindres, car, dans l’organisation de la cité future, s’il est une institution que Comte n’a point prévue, à moins — chose plus probable — qu’il ne l’ait volontairement répudiée — c’est, à coup sûr, l’institution militaire. Mais le ministre de la guerre ne s’embarrasse pas pour si peu et son discours en témoigne. Avec la brièveté tranchante d’un ordre du jour, il résume en trois paroles l’évolution de la philosophie, proclame la mort de la théologie, compare la science sociale à la physique et déclare que Comte est l’heureux continuateur de Montesquieu. À son arrivée au pied du monument, le général avait été salué au nom des organisateurs de la souscription comme « membre d’un gouvernement constituant, à l’heure actuelle, dans le monde entier, le seul exemple du gouvernement sans Dieu ni roi, préconisé par Auguste Comte ». Naïf compliment, bien peu fait pour évoquer la notion de l’immense influence exercée depuis un demi-siècle sur le monde entier par le fondateur du positivisme. Cette phrase maladroite donne le ton des éloges consacrés, le 19 mai dernier, à son œuvre magistrale. C’étaient des éloges tendancieux visant à célébrer, à travers le positivisme, le matérialisme — à travers Comte, son disciple infidèle, Littré. L’esprit sec et dur de Littré inspirait tous les orateurs et les versets étroits de l’évangile matérialiste leur servaient de texte.

Comte méritait mieux. S’il n’y avait, pour asseoir sa gloire, que sa théorie des « trois états » (théologique, métaphysique, positif) cette gloire n’eût été ni durable ni universelle ; moins encore si son rêve de « religion de l’humanité » devait être considéré comme l’aboutissement et le couronnement de son système. Mais tel n’est pas le cas. Les penseurs ne s’attardent point à ses conceptions sociales : ils lui sont reconnaissants de la méthode admirable dont il a posé les bases et développé les préceptes, de cette méthode qui se tient à égale distance d’un éclectisme facile et d’un expérimentalisme tyrannique, de cette méthode qui cherche dans le passé le moyen de déterminer l’évolution présente et les tendances à venir et qui ne permet ni à la raison de primer les faits, ni aux faits de se passer de la raison. Qu’une telle méthode ait guidé dans des vues différentes des hommes comme Claude-Bernard, Renan, Taine… qu’elle ait éclairé les historiens et même transformé le roman, qu’elle ait surtout rayonné au loin et exercé son influence sur les travailleurs intellectuels des pays les plus divers, rien de bien surprenant. Ce qui l’est davantage, c’est qu’une action si puissante et si générale ne soit pas mieux reconnue ni plus souvent proclamée ; mais selon la fine observation de M. Lévy Bruhl, « l’esprit de Comte s’est si intimement mêlé à la pensée de notre temps qu’on ne l’y remarque presque plus, comme on ne fait pas attention à l’air qu’on respire ». Voilà, certes, le plus bel éloge que l’on puisse décerner à un savant. Il est dommage que nul ne s’en soit avisé, quand c’était par excellence, le moment d’y songer. D’autres préoccupations, il est vrai, dominaient les esprits des initiateurs de la cérémonie du 19 mai. Ils prétendaient faire remonter jusqu’à Comte le matérialisme et l’irréligion en l’honneur desquels ils s’étaient réunis. Malgré que le maître les eût conviés par exemple, à « célébrer dignement les mérites et les bienfaits du catholicisme », ils entendaient en proclamer, en son nom, la déchéance totale. Ainsi celui qui dénonça « l’absurde exagération de la supériorité propre à la raison moderne », qui se méfiait de « la vague et stérile philanthropie, trop souvent perturbatrice », et qui, surtout, proclamant la relativité de toutes choses, niait énergiquement l’absolu — devait être, étrange ironie du destin, honoré au nom de la déesse Raison par des socialistes et des jacobins. Il est possible, après tout, que le monument d’Auguste Comte devienne un lieu de pèlerinage pour les cortèges collectivistes, puisque, non loin de là, la statue du pieux Étienne Dolet reçoit, chaque année, le persévérant hommage des sociétés athéistes. À quoi tient la signification d’un monument !

Alexandre Dumas, trop.

Le troisième centenaire célébré cette année a été celui d’Alexandre Dumas père. En voilà un qui n’a pas à craindre que l’on ergote sur sa doctrine. Il n’en avait pas, ou plutôt, sa doctrine était d’écrire le plus de livres possible et les faire les plus amusants possible. Une pareille ambition n’est-elle point pour mettre tout le monde d’accord et comme d’ailleurs l’auteur des Trois Mousquetaires ne prétendait point aux honneurs de l’Arc de Triomphe pour son catafalque ni du Panthéon pour ses cendres, il ne semble pas qu’on dût lui marchander les applaudissements de la foule. Aussi bien n’est-ce pas là ce qu’on lui marchande ; on dispute sur son titre d’écrivain, ou plus justement de littérateur. Certains critiques qui ne songeraient pas à lui refuser un monument s’indignent qu’on l’ait admis dans la Collection des grands écrivains Français. Et là encore, nous nous permettrons de dire que son entrée n’aurait point causé tant de scandale, si elle s’était opérée plus simplement. Mais, pour le louer dignement, M. Parigot, un universitaire distingué, chargé du volume consacré à Alexandre Dumas, a cru devoir emboucher la trompette épique et en tirer de glorieuses fanfares. Il s’est fait agressif et a lancé l’anathème sur tous ceux qui ne rangent pas Dumas parmi les meilleurs serviteurs des lettres Françaises. Ceci est inadmissible et en disant que Dumas « tient une grande place dans l’histoire littéraire du xixe siècle et n’en tient aucune dans la littérature » il nous semble que M. Doumic a formulé un jugement parfaitement équitable et auquel il n’y a rien à répondre.

Quoi de littéraire dans ce style bourgeoisement facile d’où la grandeur et la délicatesse sont également exclues et qui ne satisfait que parce qu’on le sent de niveau avec l’imagination fertile dont il traduit les fantaisies ? Et c’est là, précisément, son mérite. Si Dumas s’était fait vulgarisateur de science ou fabricant de lyrisme populaire, il ne serait plus question de lui depuis longtemps. Ses qualités d’écrivain ne l’eussent guère maintenu à la surface de cet océan qu’est l’opinion publique ; on peut même se demander s’il fût jamais parvenu à s’y tenir. Mais du moment qu’il ne cherchait qu’à divertir, son style devenait exactement approprié au but qu’il se proposait. On a deux reproches à lui adresser. Le premier, c’est d’avoir comme auteur dramatique, installé sur la scène Française « le crime passionnel avec ses sophismes, sa trouble rhétorique et son louche attrait ». Une pièce comme Antony eût-elle cent fois plus de valeur, qu’elle ne vaudrait pas encore le mal qu’elle a causé. Mais Dumas père n’est qu’accessoirement un auteur dramatique ; la réputation secondaire qu’il a pu acquérir sous ce rapport a été vite éclipsée par celle de son fils, réelle et méritée celle-là, encore que le déclin en ait été rapide et que le théâtre de cet homme de grand talent, consacré à outrer par des moyens artificiels des thèses passagères, ne fut pas de ceux qui durent. Le second reproche mérité par Dumas père est plus grave parce qu’il s’adresse au conteur, c’est-à-dire, en lui, à l’homme « principal » : c’est d’avoir constamment faussé l’histoire. À vrai dire, il ne le fit pas volontairement ; il n’en voulait à personne et n’avait dans l’âme, pas plus de méchanceté à l’égard des morts qu’à l’égard des vivants ; il n’eût pas mieux demandé que d’être entouré de matériaux véridiques et de s’en documenter. Mais le temps lui manquait pour les amasser et les compulser. Il paraît qu’il en fit chercher une fois sur un sujet dont il était fort ignorant et que, ne les ayant pas reçus à l’heure dite, il passa outre et traita le sujet quand même. Dans ces conditions, il y aurait plutôt à s’étonner que l’histoire, sous sa plume, ne se soit pas déformée davantage.

Le mal, avance son plus récent et plus enthousiaste analyste, n’est pas grand, et il vaut mieux apprendre l’histoire à peu près dans Dumas que de ne pas l’apprendre du tout. Voilà une thèse insoutenable. Car il n’y a rien de pire que de s’imaginer connaître l’histoire alors qu’on n’en connaît rien. Un peuple n’est pas perdu pour avoir des notions inexactes sur les sciences physiques et de professer des doctrines absurdes sur l’électricité et la chimie n’aiderait certes pas à leurs progrès, mais pourrait ne pas mettre obstacle à leurs applications pratiques ; de l’histoire, apprise de travers, peuvent découler au contraire les conséquences les plus redoutables surtout chez une race prompte à la généralisation. Peut-être faut-il chercher dans la longue absence d’historiens sévères et impartiaux, l’explication de la plupart des erreurs, des tâtonnements et des maladresses de la nation Française au cours du xixe siècle. Dumas n’a pas plus visé à se montrer historien qu’à se montrer philosophe. Il n’a touché à l’histoire qu’à travers ses romans ; il a cherché à amuser et non à instruire, on ne saurait trop le répéter. Sans lui pardonner la diffusion de regrettables erreurs, on doit lui savoir gré des amusements honnêtes qu’il a procurés à plusieurs générations. Combien cette honnêteté ressort, en effet, dès qu’on la compare aux défaillances morales de ses successeurs et quelle différence entre de tels livres et ceux qui se sont disputés depuis la faveur publique : non pas du public fin et lettré qui veut lire autrement qu’il ne vit, mais de ce gros public qui cherche au contraire dans la lecture le miroir de sa propre vie, de ses passions courtes et de ses aspirations bornées. On trouvera sans doute que faire cette distinction revient à décerner à Alexandre Dumas un mince laurier : le brave homme avait plus d’esprit que d’orgueil ; il s’en serait contenté.

Balzac a enfin sa statue.

Balzac aura attendu bien longtemps la statue que Paris lui devait et, depuis plusieurs années, on était à se demander s’il l’aurait jamais, tant les marbres projetés se voyaient durement traités par le destin. La société des Gens de lettres qui avait les meilleurs motifs de s’intéresser à cette œuvre puisqu’en Balzac elle honorait, en plus d’un grand homme, un de ses anciens présidents, s’était d’abord adressée au sculpteur Chapu, ensuite à Rodin. On sait l’étrange et incompréhensible silhouette qui s’échappa des mains de l’éminent artiste ; les mieux inspirés ont parfois de ces fêlures géniales ; un groupe d’admirateurs habituels ne voulut voir dans la statue de Rodin que le génie ; mais le public n’aperçut que la fêlure. Alors on fit appel à Falguière et Falguière mourut avant d’avoir terminé le marbre que M. Dubois acheva de mettre au point. On put enfin inaugurer le monument devant lequel M. Abel Hermant, président de la société des Gens de lettres, M. Escudier, président du conseil municipal de Paris et M. Chaumié, ministre de l’Instruction publique prononcèrent des discours fort bien tournés. On y rappela la carrière agitée de l’écrivain, sa puissance de travail, ses idées autocratiques, son réalisme intelligent, la belle suite de son œuvre et le grand nombre de ses disciples ! On souligna la netteté de son anti-lyrisme et de son anti-romantisme ; on compara sans vergogne ses personnages à ceux de Shakespeare et lui-même à un Spinoza doublé d’un Geoffroy-Saint-Hilaire ; et pour finir, en des strophes d’une médiocre énormité, on le proclama envié par Homère, Thucydide, Tacite, Juvenal, Horace et Aristophane !… pourquoi s’arrêter en route ? Qu’on le dise tout de suite, Balzac est le premier des premiers.

De tels éloges sont un peu puérils surtout en ce qu’ils détonnent au sein d’une opinion pleine de sympathie pour Balzac mais assez ignorante de ses mérites. La foule ne lit plus que quelques-uns de ses romans et, en tout cas, n’y prend que de l’intérêt et non du plaisir. C’est que la société dont il a dressé le tableau n’est point une société permanente et universelle ; elle est datée ; elle occupe un point précis de l’espace et du temps, et dès lors il est regrettable que le tableau s’en déroule en d’interminables volumes qui, pris isolément, manquent de la valeur que leur donnerait leur place dans l’ensemble. Balzac se sentait, comme il l’a dit lui-même avec une si naïve fatuité, « en train de devenir un homme de génie » ; il s’est cru le fondateur d’une science alors qu’il était tout bonnement le créateur d’un genre, ce qui est déjà fort joli dans l’échelle des gloires. La science qu’il a pensé fonder, c’est la zoologie sociale. « La société, a-t-il écrit quelque part, ne fait-elle pas de l’homme, suivant les milieux où son action se déploie autant d’hommes différents qu’il y a de variétés en zoologie ? Il a donc existé, il existera de tout temps des espèces sociales, comme il y a des espèces zoologiques ». Idée curieuse, juste et féconde à condition qu’elle demeure une idée littéraire et ne devienne pas un dogme scientifique. Mais précisément Balzac (et d’autres, après lui, l’ont imité) a voulu l’ériger en dogme. Il en a fait la vérité centrale autour de laquelle sa plume a couru, et elle courait très vite et très loin. Les « espèces sociales » existent bien mais elles sont en état permanent de métamorphose par contact et mélange entre elles, tandis que les espèces zoologiques évoluent avec une lenteur telle qu’il nous est permis de les considérer pratiquement comme immobiles par rapport à nous. Tout parallèle entre les unes et les autres est donc condamné à finir dans l’inexact ou l’imprécis. Si, dans sa Comédie humaine, Balzac avait visé à constituer une galerie de portraits, cette galerie eut été passablement complète, extrêmement instructive et tout à fait pittoresque ; mais il a prétendu dresser un recueil de théorèmes sociaux si bien que chacun de ses personnages pourrait, en rentrant dans la coulisse, saluer le public du triomphant « ce qu’il fallait démontrer », conclusion habituelle aux professeurs de géométrie ; et dans cette entreprise il a échoué comme échoueront tous ceux qui voudront la tenter après lui. Il a animé les types qu’enfantait son imagination et plus encore ceux que lui suggérait sa très fine observation, d’une vie individuelle intense, mais non pas d’une vie collective ; ils se meuvent en tant qu’unités, non point en tant que produits des fatalités sociales.

La mort d’Émile Zola.

Après Balzac, Émile Zola a recommencé la construction de la même pyramide. « Les Rougon Macquart » forment la suite de la Comédie Humaine et il n’est que juste de faire honneur à Balzac de s’être suscité à lui-même un tel continuateur ou, si l’on veut, un tel rival. Par une étrange coïncidence, l’élève est mort comme on allait inaugurer la statue du maître. Il aura, lui aussi, son monument et l’heure alors sera mieux choisie pour analyser son talent et fixer son rang dans la phalange des grands littérateurs. Malgré que les funérailles imposantes faites à Zola se soient déroulées au milieu de la décente réserve de ses ennemis et du discret enthousiasme de ses partisans, le souvenir de cet homme est trop intimement mêlé à des luttes récentes pour que le jugement porté sur son œuvre puisse être formulé avec toute l’impartialité désirable ; c’est une œuvre puissante et qui veut du recul ; au lendemain de la disparition de Balzac, l’inventaire de ses mérites et de ses défauts n’eut pu se faire en toute justice. Nous parlerons de ce grand disparu une autre fois en même temps que nous reviendrons aux vivants. Cette année-ci était celle des centenaires et n’est-ce pas pour la France l’occasion d’un glorieux orgueil que d’avoir pu, en moins de douze mois, célébrer des mémoires comme celles de Victor Hugo, d’Auguste Comte, de Balzac et de Dumas ? Admirez les dimensions de ces célèbres cerveaux ; admirez surtout leur variété ; c’est de quoi les Français ont le droit de se montrer le plus fiers.