La Circulation du sang/Introduction historique

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Traduction par Charles Richet.
Georges Masson (p. 1-36).

INTRODUCTION HISTORIQUE


§ 1.

DES THÉORIES DE LA CIRCULATION CHEZ LES ANCIENS.
HIPPOCRATE, ARISTOTE, GALIEN.

Il ne nous reste guère des ouvrages physiologiques de l’antiquité que les écrits de trois grands hommes, Hippocrate, Aristote et Galien. Mais, quoique ces trois écrivains soient à peu près égaux par le génie, leur œuvre n’a pas dans l’histoire de la circulation une importance égale. Hippocrate était avant tout médecin ; Aristote, naturaliste ; Galien, anatomiste et physiologiste. Hippocrate traite surtout de l’art de guérir, des épidémies, des symptômes, des causes, des terminaisons des maladies. Il ne fait ni expériences, ni dissections ; mais se contente d’observer des malades et de consigner dans ses écrits les précieux résultats de son observation et des vieilles traditions médicales. Aristote, dont le vaste génie avait embrassé tout ce que la nature ou la société présentent à l’intelligence humaine, étudie les animaux, leurs mœurs, leurs moyens de vivre et la structure de leurs organes. Quant à Galien, il est probablement le premier qui ait institué de véritables expériences. Le premier, il affirme et prouve que l’art de guérir doit être appuyé sur la connaissance de la structure et des fonctions des organes ; aussi fait-il de l’anatomie, disséquant des singes, des porcs, des chiens, et appliquant à la structure du corps de l’homme ce que ses dissections lui ont appris sur la structure du corps des animaux. Non seulement il fait de l’anatomie, mais encore il fait de la physiologie expérimentale. D’après lui tous les organes ont une fonction, un rôle, une utilité, et cette utilité peut se connaître de deux manières, d’une part, par la disposition des parties ; d’autre part, par l’expérimentation. Aussi Galien a-t-il fait de nombreuses expériences (sur la moelle — sur les nerfs laryngés — sur les artères), devançant son époque, et donnant un exemple qui n’a été suivi que bien plus tard. Il a réellement créé la physiologie, comme Hippocrate, la médecine, et Aristote, l’histoire naturelle.

Nous résumerons brièvement les opinions d’Hippocrate, d’Aristote et de Galien, sur la circulation du sang.

Pour Hippocrate, les quatre principes élémentaires du corps humain sont le sang (αἷμα), la pituite (φλέγμα), la bile jaune et la bile noire (χολή μέλαινα τέ καὶ ξανθή)[1]. Toutes ces humeurs viennent du ventre où passent les boissons et les aliments. Le ventre est donc la source de tout. Quand le ventre est plein, le cœur attire à lui le sang, et alors le sang passe dans les veines jugulaires et les autres veines[2]. La chaleur est le principe immortel qui anime tout ce qui est et tout ce qui sera : elle se répand dans le cœur, et c’est dans le cœur qu’il y a le plus de chaleur. C’est pourquoi le cœur et les veines sont dans un mouvement continuel ; elles attirent l’air qui vient par les poumons et le distribuent dans tout le corps[3] en refroidissant le sang[4]. Enfin du cœur partent des vaisseaux allant au foie, et une veine appelée grande qui nourrit tout le corps[5]. Du cœur part encore une veine, la veine cave ; mais toutes les veines du corps prennent naissance de la grande veine[6]. Entre autres veines, il y a les jugulaires qui viennent du cœur, et par où passe le sang : dès qu’on a bu quelque boisson, le sang les gonfle et fait rougir le visage[7].

Ces idées sont remplies d’erreurs et n’ont aucun fondement. Il est inutile de nous y arrêter[8].

Aristote a adopté l’opinion d’Hippocrate relative au mélange de l’air et du sang.

En insufflant la trachée, dit-il, on voit l’air passer jusque dans le cœur[9]. Le cœur a trois cavités, une grande, à droite, une plus petite, à gauche, une moyenne, au milieu. Toutes communiquent avec le poumon[10]. Du cœur partent des vaisseaux qui vont au poumon, sans s’anastomoser pourtant avec les terminaisons de la trachée ; mais, par suite du voisinage de ces deux ordres de ramifications, l’air passe à travers les parois pour se rendre au cœur[11].

Le cœur est le seul organe qui ait du sang par lui-même. Il en contient dans ses propres cavités, tandis que le sang du poumon est contenu dans les veines[12]. Le cœur fait donc, pour ainsi dire, partie des veines, dont on peut le regarder comme une dilatation[13]. Il n’y a de sang que dans les veines et dans le cœur. Du cœur partent deux vaisseaux : d’abord la grande veine, qui, sortant de la grande cavité du cœur, se bifurque pour se rendre aux poumons d’une part, et d’autre part dans tout le corps. Le second vaisseau est l’aorte qui naît dans la cavité moyenne du cœur. Mais l’aorte est une veine nerveuse et ne contient pas de sang : ses extrémités sont des nerfs. Le cœur a deux sortes de mouvements, la contraction et la dilatation (πήδησις καὶ σφυγμός). Quand le froid arrive dans le cœur, celui-ci se contracte. Quand, au contraire, les aliments arrivent dans le cœur qui doit les transformer par sa chaleur en fluide sanguin, le cœur se dilate[14].

Le cœur est la source de la chaleur, et il est épais pour conserver ce principe[15]. Le cœur est comme un autre animal vivant dans celui qui le contient[16]. C’est l’acropole du corps[17].

Le sang contenu dans les veines se répand dans toutes les parties, et le sang est l’origine de tous les tissus du corps. Les veines, parties du cœur, diminuent de plus en plus. Arrivées à leurs subdivisions les plus délicates, elles ne peuvent plus laisser passer le sang. Cependant elles laissent encore passer la sueur, surtout quand la chaleur a échauffé le corps et dilaté les derniers ramuscules veineux. Quelque fois même, chez les individus dont la nature a été viciée, c’est le sang qui peut passer par ces petites branches[18].

Le corps humain se renouvelle dans les intestins par les veines du mésentère, comme l’arbre se renouvelle dans la sève de sa racine. De l’intestin, par les veines mésentériques, les aliments vont au cœur où le cœur les anime[19], grâce à la chaleur qui y réside[20]. En effet, c’est dans le cœur que réside l’âme animale qui y brûle[21]. Deux choses sont nécessaires pour vivre. C’est d’abord la chaleur du cœur, et la transformation des aliments que cette chaleur rend animés et semblables au sang, et ensuite la réfrigération par l’air qu’on respire, ce qui empêche la chaleur de brûler le cœur[22]. Il y a donc deux sortes de consomption, deux sortes de mort, la mort par la chaleur excessive du cœur, la mort par le froid et l’absence d’aliments.

Tous les animaux ayant du sang ont un cœur : chez ceux qui n’ont pas de cœur, la vie est entretenue par l’âme sentante qui est le principe de la vie.

Le cœur se développe de très bonne heure : chez l’embryon, on voit un point animé de mouvements contractiles (punctum saliens). Le sang vient donc du cœur, car on voit du sang dans le cœur avant que les veines soient formées[23].

Nous arrivons maintenant aux idées de Galien sur la circulation. Elles sont disséminées dans plusieurs des traités de ce grand homme ; et, quoique étant souvent en désaccord entre elles, forment néanmoins un ensemble assez complet.

Une des parties fondamentales de la théorie galénique est que les artères ne sont pas remplies d’air, comme le supposait Érasistrate, mais pleines de sang. Galien ne cesse de revenir sur ce point, et il a écrit un traité intitulé ainsi. — Le sang est-il naturellement contenu dans les artères ? Εἰ κατὰ φύσιν ἐν ἀρτηρίαις αἷμα περιέχεται.

Si, dit-il, on ouvre le ventre et le péritoine, on verra très distinctement les artères du mésentère remplies de lait chez les jeunes chevreaux, mais sur les animaux adultes elles ont un tout autre aspect. Cependant jamais nous n’y verrons de pneuma, et sur une artère quelconque il en sera de même[24]. Mettons à découvert une artère, par exemple l’artère du bras ou celle de la cuisse, et demandons aux partisans d’Érasistrate si cette artère contient le pneuma. Il est clair qu’ils ne peuvent répondre ; car, si nous lions cette artère en haut et en bas et si nous l’incisons entre ces deux ligatures, nous la trouverons toujours pleine de sang[25]. Érasistrate est un impudent d’oser affirmer des choses que jamais personne n’a pu voir[26]. Si avec une aiguille, ou un stylet, ou un scalpel, on fait une blessure à une artère, le sang s’en échappe immédiatement, et par suite des anastomoses entre les veines et toutes les artères du corps, tout le sang du corps s’en échappe[27].

Il n’est pas exact de dire que les artères inférieures battent après les artères supérieures, au contraire elles battent toutes au même moment, par suite d’une certaine puissance qui vient du cœur[28].

À ces expériences exactes, Galien ajoute une expérience fausse, que d’ailleurs Harvey a réfutée. Si on met à nu une artère, et si on place dans sa cavité une tige creuse, en serrant les parois de l’artère de manière à les comprimer sur la tige et à empêcher le sang de s’écouler au dehors, immédiatement l’artère cessera de battre, car on interrompra sa communication avec le cœur[29].

Ainsi le mouvement des artères vient du cœur, et, si on lie une artère, aussitôt on verra cesser sa pulsation[30].

Le cœur est un muscle qui, à certains points de vue ressemblant aux autres muscles, en diffère cependant par des caractères très évidents ; les fibres du cœur se distinguent, d’une part, parce qu’elles sont entrelacées, et qu’il y a des fibres droites, transverses et obliques ; d’autre part, parce que le tissu est dur et rigide, plus que celui des autres muscles[31].

Les oreillettes sont les parties accessoires du cœur, tandis que les ventricules en constituent la partie fondamentale. Entre les deux cavités ventriculaires est une sorte de cloison où se terminent les ligaments. Ces ligaments fixés intérieurement dans les cavités du cœur sont doués d’une telle force qu’ils peuvent en se contractant ramener en dedans les parois du cœur, et contribuent à opérer la systole.

Si on enlève l’os antérieur de la poitrine nommé sternum et qu’on mette le cœur à nu, on lui reconnaîtra trois états divers. Il se dilate lorsqu’il veut attirer quelque substance utile (diastole), se replie sur lui-même pour jouir des substances attirées, se contracte pour expulser le résidu de ces substances. On peut mettre le cœur à nu, enlever le péricarde, sans que pour cela le cœur cesse de battre. Cette expérience, dit Galien, je l’ai faite souvent chez les animaux : mais j’ai pu aussi voir les contractions du cœur chez l’homme. Il raconte à ce propos l’histoire du fils de Maryllas, qui, frappé au sternum en jouant à la palestre, eut un abcès, puis une nécrose de l’os sternal. Personne n’osait lui enlever l’os nécrosé : Galien, très habile en anatomie, comme il l’avoue sans détour, fit cette opération, et l’enfant guérit[32]. À chacun des orifices du cœur sont adaptées des membranes (valvules). À l’orifice de la veine artérieuse se trouvent trois membranes inclinées de dedans en dehors, et appelées sigmoïdes. À l’orifice de la grande artère (aorte) se trouvent trois membranes analogues. De même, de chaque côté du cœur, entre le ventricule et l’oreillette il y a aussi des membranes.

Ces membranes sont grandes et fortes : à leurs extrémités sont attachés des ligaments solides (colonnes charnues du cœur). Quand le cœur se dilate, chacun de ces ligaments tendu par l’écartement du viscère attire à lui et renverse pour ainsi dire la valvule sur la paroi cardiaque[33]. Les membranes étant ainsi repliées, les orifices des vaisseaux s’ouvrent, et le cœur attire facilement, par une large voie, les matières contenues dans les vaisseaux (veines caves et veines pulmonaires)[34]. Cette faculté d’attraction du cœur sert aussi à fermer l’orifice de la veine artérieuse et de l’artère aorte[35].

Il y a une artère qui amène du poumon l’air dans le cœur (veine pulmonaire) et le rôle de cette artère est de rafraîchir le sang en lui envoyant sans cesse de l’air. Par suite de la communication qui existe entre les deux ventricules, par la cloison perforée, tout le sang est ainsi rafraîchi par l’air. C’est donc une erreur de penser avec Érasistrate que le cœur attire l’air par l’aorte : en effet, d’une part, les valvules sigmoïdes s’y opposent, et, d’autre part, la pénétration de l’air dans le corps se fait par le poumon[36]. Nous voyons en effet que, lorsque la température s’accroît, comme dans les fièvres chaudes, la respiration est plus accélérée, ce qui tient évidemment à ce qu’il est nécessaire de rafraîchir le sang[37]. Les animaux sont comme les flammes, et, ayant besoin d’air frais et non corrompu, meurent dans un air chaud et corrompu : comme les flammes, ils meurent lorsqu’il y a absence d’air[38].

Cependant les mouvements du cœur ne dépendent pas des mouvements respiratoires. On peut le démontrer en faisant une expérience sur soi-même. Il suffit de respirer rapidement plusieurs fois de suite, de manière à pouvoir rester quelque temps sans respirer. Cependant les mouvements du cœur subsisteront ; et on les verra persister même alors qu’on sera déjà suffoqué par le défaut de respiration[39].

Les mouvements du cœur sont aussi indépendants du cerveau. Les rapports du cœur au cerveau s’établissent par les veines jugulaires, les artères carotides et les nerfs accolés à ces artères. On peut (pour éviter l’effusion du sang) lier les vaisseaux et couper les nerfs, sans modifier les battements du cœur : toutes les artères continueront à avoir des pulsations, sauf les artères de la tête qui sont placées au-dessus de la ligature et séparées du cœur. L’animal perdra la voix, mais continuera à sentir et à penser. Par conséquent le cerveau est indépendant du cœur, comme le cœur du cerveau[40]. Ainsi le cœur est le principe du mouvement des artères ; le cerveau est le principe du mouvement volontaire. Sur les animaux qu’on sacrifie dans les fêtes religieuses, on voit que, même lorsque le cœur est arraché de la poitrine et placé sur l’autel, l’animal continue à respirer, à crier, à se débattre, jusqu’à ce qu’ayant perdu tout son sang il tombe inanimé. Au contraire, les taureaux à qui on a coupé l’origine de la moelle épinière, à la première vertèbre cervicale, non seulement ne peuvent pas courir, mais tombent, ayant perdu la respiration : cependant le cœur et les artères, mues par le cœur, continuent à battre[41]. C’est donc à tort qu’Aristote dit que le cœur est l’origine des nerfs. L’origine des nerfs est le cerveau, tandis que le cœur est l’origine des artères[42].

Pour que le cœur puisse se mouvoir, il faut de la chaleur. Si on enlève le sternum à un animal, puis le péricarde, on peut voir que le cœur continue à se mouvoir, si on lui conserve sa chaleur naturelle ; mais si on le refroidit par de l’eau froide, ou par tout autre procédé, immédiatement le cœur s’arrête. D’ailleurs, sur un animal qui vient de mourir, on sent que la chaleur du cœur est plus considérable que celle de toute autre partie du corps, et principalement la cavité du ventricule gauche est très chaude[43].

Cette chaleur produite par le cœur est envoyée par lui dans les artères ; mais il en passe une certaine partie dans les veines, ainsi que le savent les médecins qui dans les plaies des membres ont dû lier des veines pour éviter des hémorrhagies : on constate alors le refroidissement du membre[44].

Les aliments introduits dans le tube digestif sont modifiés d’abord dans l’estomac, puis dans les intestins ; de là, par les veines, ils vont au foie qui les élabore en second lieu. Du foie, les aliments sont attirés dans le cœur par la veine cave. Il y a donc trois modifications subies par les aliments avant d’être transformés en sang parfait, d’abord dans les intestins, ensuite dans le foie, en dernier lieu par le cœur qui leur donne sa chaleur propre, en même temps qu’il les rafraîchit à l’aide de l’air qui vient du poumon[45]. Les veines n’ont donc pas leur principe dans le cœur, mais dans le foie[46] ; car elles battraient comme les artères, si elles partaient du cœur. Cependant sur un animal dont on a enlevé l’appendice xiphoïde, on voit battre non seulement l’oreillette droite, mais encore la veine cave qui s’y rend (c’est une exception entre toutes les veines)[47].

Dans les diverses parties du corps, il y a des anastomoses entre les veines et les artères ; en effet, si on ouvre une grosse artère chez un animal, comme un bœuf, un porc, un singe, un âne, etc., non seulement les artères se vident, mais encore les veines[48].

Érasistrate a prétendu que le cœur ne contient pas de sang : mais c’est un menteur et un impudent, car si on plonge un stylet, même très fin, dans le cœur, quelque rapidité qu’on mette à faire cette opération, on fera toujours couler du sang ; par conséquent le ventricule gauche est plein de sang[49]. δῆλον ὡς πλήρης ἐστίν αἵματος ἡ ἀριστερὰ κοιλία. De là à conclure que le cœur ne contient pas d’air, mais seulement du sang, il n’y a qu’un pas à faire. Pourquoi Galien, après avoir si bien prouvé à Érasistrate que les artères ne contiennent pas d’air, faisant la même expérience sur le ventricule, ne tire-t-il pas la même conclusion ?

Si nous essayons maintenant de nous faire une idée générale de la théorie galénique de la circulation du sang, nous arrivons à la formuler ainsi[50] :

1o  Le ventricule gauche en se contractant chasse le sang pneumatisé dans les diverses artères du corps : par suite de la disposition des valvules sigmoïdes, ce sang ne peut revenir en arrière. — Il est assez difficile de comprendre ce que dit Galien sur cette émission du sang du cœur ; en effet il dit tantôt le sang, tantôt le pneuma, tantôt le mouvement[51]. Il y a dans le cœur, dit-il, quatre orifices : chaque ventricule en possède deux. Dans le ventricule gauche, il y a un orifice par où le pneuma vient du poumon, et un autre orifice par où il sort du cœur dans l’aorte[52], c’est ainsi que la chaleur et le sang sont distribués aux parties.

2o  Les aliments introduits dans l’estomac, modifiés par cet organe, vont par la veine porte dans le foie, et par la veine cave dans l’oreillette droite du cœur.

3o  Le foie est le centre des veines du corps et distribue le sang aux parties. Il y a donc deux sangs d’espèce bien différente. Le sang qui est dans la cavité droite du cœur est le même que celui qui est dans toutes les veines et dans le foie. Le sang qui est dans la cavité gauche est le même que celui qui est dans toutes les artères[53]. Ce dernier sang est ténu et subtil, tandis que l’autre est plus épais et plus lourd[54].

4o  Le sang alimentaire, apporté au cœur droit par la veine cave, se mélange au sang pneumatisé, grâce à la perforation de la cloison ventriculaire. Une partie de ce sang va au poumon pour nourrir ce viscère, une autre partie va dans le ventricule gauche pour se mélanger à l’air, se pneumatiser, pour être ensuite, de là, lancé dans tout le corps.

Dans le ventricule droit il y a deux orifices : par l’un, le cœur reçoit le sang du foie ; par l’autre, il envoie le sang dans le poumon[55].

5o  Il y a des anastomoses entre les veines et les artères.

6o  Le cœur tire son mouvement de lui-même, et il est indépendant du cerveau et de la respiration.

Ainsi, guidé par l’observation anatomique des valvules sigmoïdes et des valvules auriculo-ventriculaires du cœur, Galien a compris, non la circulation en général, mais la circulation du cœur. Le schéma suivant rendra peut-être plus claire sa doctrine, qui, même pour lui, était encore souvent bien confuse.

Schéma destiné à faire comprendre les théories de Galien sur la circulation du sang[56].

Quelles sont donc les erreurs qui, obscurcissant la vérité aux yeux de l’illustre physiologiste de Pergame, l’ont empêché de découvrir la circulation du sang ? et ici nous ne voulons pas parler des erreurs doctrinales, mais simplement des erreurs expérimentales, des erreurs de fait, car nous tenons à nous placer toujours au point de vue de la physiologie expérimentale.

1o  La cloison interventriculaire fait communiquer les deux ventricules. — Erreur fondamentale, incompréhensible, que l’examen le plus superficiel aurait fait éviter. Cette perforation n’existe pas : pourtant, au moyen âge, tous les anatomistes l’ont vue et décrite. C’est Servet, c’est Vésale, qui ont renversé ce dogme baroque.

2o  La veine pulmonaire envoie de l’air au cœur.Comme, sur le cadavre, la veine pulmonaire contient du sang, Galien a eu recours à une série d’hypothèses ingénieuses, mais absurdes (reflux par la valvule tricuspide, exhalation de sang vicié par la veine pulmonaire). — C’est la malheureuse expérience d’Aristote qui est cause de tout ce dégât. En insufflant l’air dans la trachée, il a vu l’air pénétrer dans le cœur : Galien admet le fait sans chercher à le contester. Il est possible, à la rigueur, que, sur un poumon à demi putréfié, en soufflant avec beau coup de force de l’air dans la trachée, on fasse passer de l’air dans les rameaux de la veine pulmonaire et dans le cœur : mais en tout cas c’est un fait anormal et qui ne saurait excuser ni Aristote ni Galien. L’idée du passage de l’air (πνεῦμα) dans la veine pulmonaire est la pierre d’achoppement des anciens. Le sang arrive au poumon par l’artère pulmonaire. L’air arrive au cœur par la veine pulmonaire. Voilà ce que Galien répète sans cesse. Que faut-il pour que la petite circulation soit découverte ? Il suffit de remplacer le mot air (πνεῦμα) par le mot sang aérifié. Et pour arriver à cette vérité si simple, il aurait suffi de prouver que la veine pulmonaire, comme les artères du corps, ne contient pas de l’air, mais du sang.

3o  Le mouvement des artères est dû, non à l’impulsion du sang, mais à l’ébranlement de leurs tuniques. — C’est encore une expérience mal faite qui conduit à cette erreur, l’expérience du tube creux placé dans l’artère. Les artères ont un mouvement de dilatation et un mouvement de locomotion. C’est ce dernier fait seulement que Galien a vu : mais il l’a mal interprété, et, en ne tenant pas compte de la dilatation des artères sous l’influence de l’impulsion du sang, il a passé à côté de la circulation artérielle sans la voir.

4o  Dans les veines, le sang va du foie aux membres. — Césalpin et Harvey ont montré que le cours du sang dans les veines était précisément en sens inverse, et que le sang dans les veines va des membres au cœur.

Ainsi Galien n’a réellement connu ni la grande, ni la petite circulation. Que de faits cependant il a su démontrer !

Il a vu la circulation du sang alimentaire de l’intestin dans la veine porte, de la veine porte dans le foie, de là dans la veine cave, de là dans les cavités droites du cœur, de là dans l’artère pulmonaire et le poumon.

Il a vu que les artères sont pleines de sang, qu’elles partent du ventricule gauche, que ce sang est propre à la vie, pneumatisé, différent du sang des veines, et qu’il est envoyé par le ventricule gauche dans les membres.

Il a connu et décrit la structure et l’usage des valvules du cœur : il a décrit la diastole et la systole du cœur.

Il a montré que le cœur était indépendant du cerveau et de la respiration ; et ses expériences sur ce point sont d’une rigoureuse exactitude.

Tout le moyen âge vivra sur les idées de Galien, en les comprenant mal, en ne les comprenant pas. On ne prendra de lui que ses erreurs, ses théories ; on oubliera ses expériences. Plus tard, après Harvey, on négligera l’œuvre de Galien : mais n’est-ce pas une injustice ? Est-ce que le physiologiste grec, malgré toutes ses erreurs, n’a pas contribué à la connaissance de la physiologie du cœur, tout autant que Servet ou Harvey ?

§ 2.

DES PRÉDÉCESSEURS DE HARVEY.
MICHEL SERVET, VÉSALE, COLOMBO, CÉSALPIN, FABRICE D’ACQUAPENDENTE.

Le moyen âge après l’antiquité grecque, c’est la nuit après la lumière. Pendant treize siècles on ne connut ni l’anatomie, ni la physiologie. Les précieuses expériences de Galien étaient incomprises : ses théories seules étaient professées et commentées compendieusement.

C’est au xvie siècle, en ce grand siècle de la Renaissance, que fut découverte la circulation du sang. En 1553 paraît le fameux ouvrage de Servet. Il faut cent ans pour que la découverte soit complètement divulguée ou acceptée. (Harvey meurt en 1649 sans avoir pu convaincre tous ses adversaires[57].)

L’homme qui a fait connaître au monde la circulation du sang a reçu de l’humanité une singulière récompense. Il a été brûlé en place publique. C’est ainsi que la religion réformée répondait à l’inquisition : œil pour œil, dent pour dent, le tout aux dépens des bienfaiteurs de l’humanité.

Ce Servet s’appelait peut-être Michel de Villeneuve, peut-être Michel Reves[58]. Toute son histoire est obscure : on a fait l’ombre sur lui. Il naquit en Aragon, mais étudia en France, à Toulouse, à Lyon, à Paris. Son livre date de 1553. Il n’en reste plus, dit on, que deux exemplaires, l’un à la Bibliothèque nationale, l’autre à Vienne. Dans ce livre de théologie, il y a un passage que Flourens a reproduit[59], et où la circulation du sang est nettement indiquée : A dextro ventriculo, longo per pulmones ductu, agita tur sanguis, a pulmonibus præparatur, flavus efficitur, et a venâ arteriosâ in arteriam venosam transfunditur. Ille itaque spiritus vitalis (sang artériel) a sinistro cordis ventriculo in arterias totius corporis deinde transfunditur.

On conçoit l’importance historique de ce passage. Soixante-dix ans avant Harvey, la circulation est formellement indiquée, et cependant en général on dénie la gloire de cette découverte à Michel Servet. Il faut savoir jusqu’à quel point cette défaveur est justifiée.

La question peut se résumer ainsi : la découverte de Servet a-t-elle eu de l’influence sur l’œuvre de Harvey ?

La réponse à cette question n’est pas douteuse. Oui, c’est le livre de Servet qui a inspiré Vésale, Colombo, Césalpin et Harvey.

D’abord tous les exemplaires du livre de Servet n’ont pu rester absolument inconnus à l’époque de Servet. La Christianismi Restitutio, imprimée en 1553, existait déjà manuscrite en 1546 : et sans doute Servet, dans ses voyages à Bâle, à Paris, à Lyon, surtout à Padoue, dut montrer le manuscrit à ses amis et à ses maîtres en anatomie.

L’impression du livre commença en 1552 et fut achevée le 3 janvier 1553. Mille exemplaires sont imprimés. Le 27 octobre 1553, à Genève, Servet est brûlé, et avec lui, deux exemplaires de son livre, l’un manuscrit, l’autre imprimé. Est-il possible que les 999 exemplaires restants aient tous disparu ? Un grand nombre ont été brûlés à Vienne[60], d’autres à Francfort-sur-le-Mein : mais combien ont été vendus ? combien ont été envoyés par Servet à ses amis de Lyon, de Venise, de Bâle et de Padoue ? voilà ce qu’on ne saura jamais exactement : en tout cas, il serait bien invraisemblable de supposer que les deux seuls exemplaires qui nous restent de la Restitution du Christianisme aient été les seuls qui, au xvie siècle, aient échappé au fanatisme religieux.

Nous allons voir en effet qu’à Padoue[61], les anatomistes et les physiologistes, pendant un demi-siècle, font une série de découvertes contenues dans le livre de Servet.

D’abord Servet a dit le premier, contrairement à l’opinion d’Aristote et de Galien, que la cloison du cœur n’est pas perforée : Paries ille medius, non est aptus ad communicationem et elaborationem (sanguinis) licet aliquid resudare prossit. Flourens admet que Vésale a le premier découvert la non-perforation de la cloison interventriculaire[62]. Mais M. Tollin a bien montré que dans la première édition de Vésale, le passage où il est question de l’imperforation de la cloison n’existe pas[63] : c’est seulement dans l’édition de 1555, deux ans après la publication de la Restitution du Christianisme, que Vésale ose dire que la cloison n’est pas percée. Ainsi voilà la première erreur de Galien relative à la communication des deux ventricules renversée, et cela, non par Vésale, mais par Servet.

Et si Vésale ne parle pas de Servet, c’est qu’en ces temps d’intolérance universelle, soutenir les doctrines d’un aussi grand hérétique était un péché véritablement mortel. On sait que, malgré toutes ces précautions, Vésale n’échappa pas à l’inquisition. Un si illustre anatomiste devait être un homme dangereux. On l’accusa d’avoir ouvert le corps d’un vivant ; on l’envoya en Terre Sainte pour faire pénitence, et au retour il mourut dans un naufrage.

Quelques années après la mort de Michel Servet, Realdo Colombo décrit avec une très grande exactitude la circulation pulmonaire[64] : mais ses expressions sont celles de Servet. En mettant les deux textes en regard, on voit bien que ce qu’il sait de la petite circulation est textuellement ce qu’a écrit Servet. Comment donc ose-t-il dire en parlant de la petite circulation (du ventricule droit à l’oreillette gauche à travers le poumon) : Quod nemo hactenus (c’est-à-dire avant moi, 1559) aut animadvertit aut scriptum deliquit. Est-ce par crainte de l’inquisition, ou par déloyauté scientifique[65] ? Car, je le répète, il est évident que Colombo a copié Servet, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque nous avons vu les disciples théologiens et les amis de Servet se réfugier en Italie, à Padoue notamment, et à Venise.

Voilà donc la seconde erreur de Galien, ou plutôt l’erreur d’Aristote acceptée par Galien, le passage de l’air dans la veine pulmonaire, définitivement renversée, par Servet d’abord, puis par Colombo qui copie Servet : de sorte que, pour ce qui concerne la petite circulation, Harvey n’a rien inventé. Le livre de Colombo a eu plusieurs éditions (1559, 1572, 1590). Il était classique à Padoue, et d’ailleurs, Harvey en parle[66] ; mais sans reconnaître à la découverte de Colombo (ou plutôt de Servet) toute l’importance qu’elle mérite[67]. Dans les objections, si souvent ridicules, que Primerose fait à Harvey, il lui reproche de ne pas faire autre chose que de reproduire sans preuves nouvelles l’opinion de Colombo. Illam sanguinis traductionem quam Columbus primum excogitavit, tu asserere coneris, sed eam non probas[68].

C’est à ces deux grandes découvertes que se borne la gloire de Servet. Certes elles suffisent pour illustrer un homme : cependant il n’est pas absolument certain que Servet ait compris toute la circulation, et en particulier le retour du sang au cœur par les veines. Comme Galien, il sait que l’aorte envoie du sang aux membres, mais ce qu’il ne dit nulle part, c’est que ce sang envoyé dans les membres par les artères retourne au cœur par les veines. C’est un homme de génie, aussi grand que Michel Servet et Harvey, André Césalpin, qui découvre la circulation générale. C’est même lui qui prononce le premier[69] le mot de circulation (1569).

Césalpin observe ce qui se passe dans les veines lorsqu’on lie le bras : et il voit que les veines se remplissent au-dessous, non au-dessus de la ligature. Il en serait tout autrement, dit-il, si le mouvement du sang dans les veines était dirigé du cœur aux viscères et aux membres.

Aussi, comme d’une part la circulation pulmonaire était connue (depuis Servet et Colombo) ; comme d’autre part le cours du sang dans les artères avait été mis en lumière par Galien (sauf certaines erreurs de détails), Césalpin, en découvrant la direction du sang dans les veines, complète le circuit et démontre la circulation tout entière.

« Le sang, dit-il, conduit au cœur par les veines, y reçoit sa dernière perfection, et, cette perfection acquise, il est porté par les artères dans tout le corps. » — « On ne pouvait mieux concevoir, dit Flourens, la circulation générale, ni la mieux définir dans une phrase aussi courte[70]. »

Pourquoi Césalpin, qui professait à Pise, ne parle-t-il pas de Colombo qui professait tout près de là, à Padoue ? Pourquoi ne cite-t-il pas le livre de Servet qui lui était certainement connu ? Peut-être faut-il voir dans ce silence la crainte des persécutions religieuses ? Malgré ces précautions, Césalpin n’échappa pas à la calomnie. On l’accusa d’athéisme, et, s’il n’avait pas été le médecin, et à ce titre le protégé du pape Clément VIII, peut-être aurait-il expié la hardiesse de ses doctrines.

Quoi qu’il en soit, ce qu’il faut retenir de l’œuvre de Césalpin, c’est cette expérience, ou plutôt cette observation fondamentale relative à la circulation du sang dans les veines. Cette découverte suffirait à sa gloire : car c’est le fondement de la théorie de la circulation, et une grande partie de l’ouvrage de Harvey est consacrée à la démonstration de ce fait, que les veines ramènent le sang au cœur, contrairement à l’idée de Galien et des anciens.

Quelque temps après, Jérôme Fabrice d’Acquapendente fit une découverte anatomique à peu près aussi importante que l’observation physiologique de Césalpin. Il découvrit les valvules des veines (1574) et montra qu’elles étaient dirigées vers le cœur et facilitaient le cours du sang dans ce sens[71].

De là à conclure, avec Césalpin, que le sang dans les veines revient au cœur, il n’y a qu’un pas, assurément, peu difficile à faire ; cependant cette conclusion, Fabrice d’Acquapendente ne l’a point énoncée. C’est son élève, W. Harvey, qui devait la formuler, quarante ans plus tard, avec une précision admirable.

Tels sont, en réalité, les prédécesseurs immédiats de Harvey. Servet montre que la cloison du cœur n’est pas perforée et découvre la petite circulation. Colombo vulgarise la doctrine de Servet (qu’il ne cite pas) et la propage dans un livre qui se répand rapidement, en sorte que tous les savants de l’époque le lisent et l’étudient. Césalpin démontre que le sang des veines va au cœur, et Fabrice d’Acquapendente trouve dans les veines des valvules qui facilitent la direction du sang veineux vers le cœur[72].

Toutes ces découvertes, antérieures à Harvey, ne diminuent pas la gloire de ce grand homme. Il n’y a que bien peu de découvertes jaillissant tout entières du cerveau d’un seul homme, comme Minerve sortit tout armée du front de Jupiter. Elles sont préparées, mûries, pressenties depuis longtemps ; puis un homme arrive, qui réunit les faits épars, reprend, discute, éclaircit les idées confuses de ses prédécesseurs inconscients et enfin établit la vérité. Tel a été le rôle de Harvey. Certes, parmi les élèves de Fabrice à Padoue, plus d’un, qui connaissait les valvules et la circulation pulmonaire, qui avait lu Servet, Colombo, Césalpin, a dû penser à la circulation, imaginer cette chose magnifique, le circuit perpétuel du sang, des artères aux veines, des veines au cœur, du cœur au poumon, du poumon au cœur et aux artères. Nul n’a fait le livre que Harvey a écrit en 1629.

Ce qui constitue surtout la valeur de ce livre, le plus beau de la physiologie, dit Flourens, c’est que c’est un adieu définitif aux théories, aux dissertations théologiques, métaphysiques, scolastiques. Harvey ne croit qu’à l’expérience, au phénomène visible, expérimental : c’est là sa supériorité sur Servet. Entre la Christianismi Restitutio et le traité De circulatione sanguinis et motu cordis, il y a l’abîme qui sépare, au point de vue scientifique, le moyen âge de l’ère moderne[73]. Servet ne fait pas d’expérience : il dit que le sang de l’artère pulmonaire va au poumon, puis retourne au cœur ; mais il n’en donne pas la preuve. La seule expérience précise des prédécesseurs de Harvey est celle de Césalpin : la veine, étant comprimée, se gonfle au-dessous, non au-dessus de la compression. Quant à Harvey, à chaque instant, il fait des observations, des expériences. Les opinions d’Aristote ou de Galien lui importent peu : il regarde le cœur qui se contracte, les veines qui se vident du côté du cœur, il suppute la quantité de sang passant en un moment donné soit dans les artères, soit dans les veines. Servet, Ruini, Colombo, Césalpin ont conçu la circulation. Harvey l’a démontrée.

Non seulement Harvey est le premier qui ait prouvé la circulation du sang, mais c’est encore celui qui l’a vulgarisée. Jusque-là les érudits seuls connaissaient les écrits de Servet, de Césalpin, de Fabrice même. Après Harvey, on ne peut passer la doctrine de la circulation sous silence. Protestants et catholiques seront impuissants à l’étouffer et à la livrer aux flammes, comme ils ont fait pour la Restitution du christianisme. Rapidement l’ouvrage de Harvey se propage : les réfutations, les objections se présentent de toutes parts. L’idée de la circulation du sang, émise, comme nous l’avons dit plus haut, par Servet et Césalpin, n’est plus spéciale à un petit groupe d’anatomistes de Padoue : elle entre dans le domaine général et, à partir de 1629, s’impose à toutes les doctrines médicales, à toutes les recherches physiologiques[74].

Nous ne suivrons pas les objections que Riolan, Parisanus, Primerose, Guy-Patin et autres ont faites à Harvey : elles n’ont plus qu’un intérêt historique, et même un médiocre intérêt : d’ailleurs à la fin de ce livre on en trouvera quelques-unes : en somme elles ne méritent que peu d’attention.

Peut-être me sera-t-il permis d’indiquer quels sont les principaux progrès qui, depuis Harvey, ont été faits relativement à la circulation du sang.

1o  Il y a dans l’organisme des vaisseaux qui sont différents des veines et des artères, ce sont les chylifères et les lymphatiques : le chyle et la lymphe se trouvent amenés par ces conduits des extrémités de l’intestin et du corps dans le système veineux général. — C’est la grande découverte d’Aselli (1622) fécondée par les découvertes de Pecquet (1648), de Rüdbeck (1650) et de Bartholin (1651).

Ces illustres investigateurs étaient les contemporains de Harvey ; mais ce dernier — par malheur pour sa gloire — n’accepta pas leurs découvertes et les traita aussi injustement qu’il avait été traité lui-même.

2o  Si le sang veineux, noir, devient rouge dans le poumon, c’est qu’il a subi l’action de l’air (Lower, Tractatus de corde, 1740). Cette action est une action chimique, et elle est due à un des éléments de l’air, à l’oxygène. C’est l’immortelle découverte de Lavoisier (1779-1789).

3o  Les vaisseaux, artères, veines et capillaires peuvent se contracter sous l’influence des nerfs. Le système nerveux tient donc sous sa dépendance la circulation, à la fois par les nerfs du cœur (Legallois, 1811), et par les nerfs vaso-moteurs (Claude Bernard, 1849).

4o  Enfin, pour ce qui concerne la méthode d’investigation, la méthode graphique due aux physiologistes contemporains permet d’étudier avec la plus grande précision tous les mouvements du cœur et les phénomènes mécaniques de la circulation[75].


  1. Περὶ φύσεως ἀνθρώπου. éd. Littré, t. VI, p. 41.
  2. Περὶ νοῦσεων. éd. Littré, t. VII, p. 557.
  3. Περὶ σάρχων. Ibid., t. VIII, p. 592.
  4. Περὶ φύσων. Ibid., p. 101.
  5. Περὶ ἀνατομῆς. Ibid., p. 536.
  6. Περὶ σάρχων. Ibid., p. 593.
  7. Περὶ νοῦσεων. Ibid., p. 557.
  8. On trouve, dans Haller (Elem. Phys., t. I, liv. III, § 25, p. 240), les noms des auteurs qui ont voulu attribuer à Hippocrate la connaissance de la circulation du sang. C’est une opinion qui ne peut pas se défendre et qui s’appuie seulement sur cette expression : Αἵματος περίοδος, qu’on trouve à deux ou trois reprises dans les œuvres du père de la médecine.
  9. De naturâ animal. éd. Didot, l. I, 6.
  10. Ibid., l. I, 17.
  11. Ibid., l. I, 17. Πόρος δ’ οὐδείς ἐστὶ κοινός : ἀλλὰ διὰ τὴν σύναψιν δέχονται τὸ πνεῦμα, καὶ τῇ καρδίᾳ διαπέμπουσιν.
  12. Ibid., l. II, 15.
  13. Ibid., l. III, 3. Comparez cette idée d’Aristote aux opinions modernes.
  14. De respir., liv. XX.
  15. Φυλάσσειν τὴν τῆς θερμότητος ἀρχὴν. De partibus animalium, l. ΙΙΙ.
  16. Οἷον ζῷόν τι πέφυκεν ἐν τοῖς ἔχουσι. Ibid.
  17. Ἀκρόπολις τοῦ σώματος. Ibid.
  18. Ibid., IV. Cicéron a résumé dans une phrase l’opinion des anciens et d’Aristote relativement aux fonctions des artères et des veines. Spiritus ex pulmone in cor recipitur, et per arterias distribuitur, sanguis per venas.De naturâ Deorum, l. II.
  19. De histor. animalium, l. III, p. 19.
  20. De respiratione, l. VIII.
  21. Ibid., l. XVI.
  22. De vitâ et morte, l. IV, p. 5.
  23. De respiratione, l. XX.
  24. Édition de Kühn, t. IV, p. 718.
  25. Ibid., p. 724.
  26. Ibid., p. 736.
  27. Édition de Kühn, l. IV, p. 716.
  28. Ibid., p. 735.
  29. Le passage de Galien est assez obscur, comme son idée même. Δῆλον οὖν ὡς εἰ μὲν δύναμις ἀτρεμοίη, οὐ κινεῖσθαι παρὰ τῆς καρδίας αὐτὰς, διὰ δὲ τῶν χιτώνων αὐτὴν ἐπιπέμπεσθαι. Il est facile de se rendre compte de la cause qui l’a induit en erreur. Si on cherche à répéter cette expérience, on voit qu’elle est assez délicate : car rapidement le sang se coagule dans le tube. Pour peu qu’on ne soit pas prévenu de cette cause d’erreur, on voit cesser les battements de l’artère placée au dessous du tube, obstrué par un caillot. Supposons que Galien eût mieux fait cette expérience, qui sait s’il n’aurait pas découvert la circulation du sang ?
  30. De fœtuum formatione. Ibid., t. IV, p. 679 ; et en beaucoup d’autres endroits encore. De usu pulsuum, t. V, p. 168.
  31. Utilité des parties. Trad. de Daremberg, t. I, p. 401.
  32. De anatomicis administrat., l. VII, § 12 et suiv. Éd. de Kühn, t. II, p. 631 et suiv. Par une coïncidence assez étrange, Harvey a vu un cas tout semblable.
  33. On n’est pas d’accord sur le rôle des piliers charnus du cœur dans la systole, et les opinions sont tout à fait divergentes. (Voyez la note 2.) Leur rôle dans la diastole est bien décrit par Galien.
  34. Loc. cit., p. 432.
  35. Loc. cit., p. 437. Trad. Daremberg.
  36. De utilitate respirationis. Éd. Kühn, t. IV, p. 476.
  37. Ibid., p. 484.
  38. Lavoisier a le premier montré que cette comparaison entre un animal vivant et une flamme était rigoureusement exacte.
  39. De utilitate respirationis. Éd. Kühn, t. IV, p. 479.
  40. Si les artères vertébrales étaient interceptées comme les carotides, on ne pourrait plus observer cette intégrité des fonctions du cerveau.
  41. De doctr. Hippocratis, etc., l. I, p. 192 et suiv.
  42. De doctr. Hippocratis, etc., l. II, t. V. Éd. Kühn, p. 263 et suiv.
  43. De usu pulsuum. Ibid., t. III, p. 157.
  44. Ibid., p. 160.
  45. De doctr. Hippocratis et Platonis, l. VI, t. V, p. 534, et Œuvres de Galien. Trad. Daremberg, p. 281 et suiv. De usu partium, l. IV, §§ 3, 4 et 5.
  46. Ibid., l. VI, t. V, p. 560 et suiv.
  47. Cette observation est très exacte. Ibid., p. 563.
  48. De usu pulsuum, t. V, p. 165.
  49. De doctr. Hippocratis, etc., l. I, t. V, p. 184.
  50. Pour ce qui concerne la circulation chez le fœtus, je renvoie à l’Histoire de la découverte de la circulation du sang, par Flourens. 2e  éd., p. 55 et suiv.
  51. Αἷμα, πνεῦμα, σφυγμός.
  52. De doctrinis Hippocratis, etc., l. VI, t. V, p. 551.
  53. Ibid., t. V, p. 537.
  54. Œuvres. Trad. Daremberg, p. 441 et passim.
  55. Ibid., p. 551. Εἰς τὸν πνεύμονα αἷμα φερόμενον τε καὶ διανεμόμενον. C’est dans le livre VI du traité intitulé ainsi : Περὶ τῶν καθ’ Ἱπποκράτην καὶ Πλάτωνα δογμάτων βιβλίον, et dans le livre VI du célèbre traite : Περὶ χρείας μωρίων, que se trouvent exposées les principales opinions de Galien sur la circulation.
  56. LÉGENDE DU SCHÉMA
    a. Artère aorte se divisant en une multitude de branches et distribuant aux parties le sang pneumatisé et la chaleur.
    b. Anastomoses des artères et des veines.
    c. Foie.
    d. Estomac d’où partent les aliments modifiés pour se rendre au foie par la veine porte e.
    f. Veines partant du foie pour se rendre aux diverses parties du corps et y distribuer le sang.
    g. Veine cave apportant au cœur les aliments, déjà presque complètement transformés en sang par le foie.
    h. Cloison interventriculaire, qui fait communiquer les ventricules droit et gauche et permet au sang alimentaire de passer dans la cavité gauche, au pneuma de passer dans la cavité droite.
    i. Oreillette gauche, dépendant de la veine pulmonaire m. Le cœur attire l’air du poumon, mais en même temps, par suite de l’insuffisance normale de la valvule de ce côté, les humeurs corrompues sont souvent chassées par là dans le poumon en sens inverse (*).
    l. Ventricule gauche plein de sang spiritueux, et de pneuma.
    m. Veine pulmonaire qui apporte l’air du poumon.
    n. Poumon.
    o. Artère pulmonaire, plus petite que la veine cave, qui nourrit le poumon.
    p. Ventricule droit. Une partie du sang qui y pénètre par la veine cave se rend dans l’artère pulmonaire ; l’autre partie se rend par la cloison perforée dans le ventricule gauche.
    (*) De usu partium, VI, § 15, p. 437. Édit. Daremberg, t. I.
  57. Sa réponse à Riolan date de 1646.
  58. On trouvera de précieux documents dans l’Histoire de la circulation de Flourens, et dans un remarquable travail de M. Tollin. Die Entdeckung des Blutkreislaufs durch Michael Servet. — Iena, 1876.
  59. Loc. cit., p. 265 et suiv.
  60. Voy. Tollin, loc. cit., p. 34.
  61. D’après M. Tollin, c’est Matteo Gribaldo et Leleo Socini, disciples de Servet au point de vue des dogmes religieux, qui, venant se fixer à Padoue en 1554, ont répandu dans cette ville les idées physiologiques du maître.
  62. Loc. cit., p. 22.
  63. M. Tollin, loc. cit., p. 26. Vésale, De humani corporis fabrica. Bâle, 1543, l. VI, § 15, p. 599.
  64. De re anatomica, 1559.
  65. Colombo fit, en 1556, l’autopsie de saint Ignace, à Rome. Cela semble indiquer qu’il était bien vu du clergé. Il est tout naturel qu’il ait redouté la lutte avec ses protecteurs.
  66. De circulat., § VIII.
  67. Voici le passage où Colombo expose la circulation pulmonaire : « Sanguis per arteriosam venam ad pulmonem fertur, ibique attenuatur ; deinde cum aere unâ per arteriam venalem ad sinistrum cordis ventriculum defertur. » Cité par Flourens, loc. cit., p. 30. — Voy. aussi le mémoire de M. Tollin qui met en regard les expressions de Servet et celles de Colombo. Loc. cit., p. 39.
  68. G. Harveii de motu cordis cum refutationibus. Leyde, 1639, l. II, p. 39.
  69. C’est en 1569 que paraît la première édition des Questionum peripateticarum, l. V.
  70. Loc. cit., p. 34. Il y a un passage de Césalpin qui est plus explicite encore : « Ex venâ cavâ intromissio fit in cordis ventriculum dextrum, unde patet exitus in pulmonem : ex pulmone præterea ingressum esse in cordis ventriculum sinistrum, ex quo patet exitus in arteriam aortam. Sic enim perpetuus quidam motus est ex venâ cavâ per cor et pulmones in arteriam aortam. »
  71. Voy. Flourens, loc. cit., p. 36 et 132. — Il est juste d’ajouter que Charles Estienne, le frère du célèbre imprimeur Robert Estienne, avait décrit, en 1545, les valvules de certaines veines. D’autres auteurs paraissent avoir aussi fait des remarques analogues ; mais ces observations incomplètes ne diminuent pas la gloire de Fabrice d’Acquapendente. Voy. à ce sujet Milne-Edwards. Leçons sur la Physiol., etc., t. III, p. 21.
  72. Outre ces auteurs illustres, on peut citer encore, depuis la publication du livre de Servet jusqu’à celle du livre de Harvey (1553-1629), bien des écrivains obscurs qui ont écrit sur la circulation du sang. Flourens a montré (loc. cit., p. 39) que Le Vasseur n’avait rien dit qui ne fût dans Galien. Relativement au P. Sarpi, il est clair qu’il n’a pas découvert les valvules ; mais il parle d’un grand secret qu’il ne faut révéler à personne : et on peut, avec M. Tollin, supposer qu’il s’agit de la circulation du sang découverte par Servet (loc. cit., p. 45,) et regardée comme un secret diabolique, émanant de Servet l’hérésiarque et le confident du diable. Carlo Ruini (de Bologne), dans un Traité de l’anatomie du cheval, parle de la circulation pulmonaire, comme Servet et Colombo (Flourens, p. 255), en 1598. Il en est de même d’Eustachio Rudio, professeur à Padoue, qui parle aussi de la circulation pulmonaire en 1600 ; de Jean de Valvèdre (Anatome corporis humani, 1556), et de beaucoup d’autres dont je n’ai pas à citer les noms ; car la question historique est jugée. Il est impossible de ne pas remarquer quelle part importante les anatomistes italiens, et spécialement l’école de Padoue, ont à la découverte de la circulation du sang, et il faut ne pas oublier qu’Harvey étudia pendant quatre ans à Padoue.
  73. Le Novum organum apparut en 1620. Ce n’est que neuf ans après que parut le Traité de la circulation du sang. Toutefois, depuis douze ans au moins, Harvey professait la théorie de la circulation. L’œuvre de Bacon n’a donc pas eu, vraisemblablement, d’influence immédiate sur l’esprit de Harvey. Néanmoins il faut remarquer ces deux dates. Le Novum organum est pour ainsi dire l’apothéose de la méthode expérimentale. Le livre de Harvey fait mieux : il en démontre les avantages.
  74. La vie de Harvey peut se résumer en quelques mots. Il naquit à Folkestone dans le comté de Kent, le 1er  avril 1578. Il fit ses premières études à Canterbury, près de Cambridge (mai 1593). En 1598, il alla à Padoue et revint en Angleterre en 1602. Membre du College of Physicians de Londres en 1604, il fut, en 1609, nommé médecin de l’hôpital Saint-Barthélemy. Il enseigna l’anatomie au collège royal, et, dès 1615, il professait déjà la circulation du sang. Médecin du roi Charles Ier, il partagea les vicissitudes politiques de son souverain. La populace de Londres, pendant la guerre civile, pilla son logement et détruisit un manuscrit où il traitait de la génération des insectes. Il n’eut pas d’enfants et mourut, en 1657, à l’âge de quatre-vingts ans. Comme médecin, il avait une clientèle considérable. Il paraît que la publication de son livre sur la circulation diminua brusquement sa clientèle et lui fit perdre beaucoup d’argent. La postérité l’a suffisamment récompensé.
  75. Beaucoup de livres ont été écrits sur l’histoire de la découverte de la circulation du sang. Tout le monde connaît le livre de Flourens. J’ai cité plus haut le mémoire de M. Tollin, et le chapitre excellent que M. Milne-Edwards consacre à Harvey dans ses Leçons sur la physiologie, etc. Je noterai seulement quelques mémoires récents. Ercolani, Curiosita storiche e Carlo Ruini. Bologne, 1873. — Ceradini, Qualche appunto storico-critico intorno alla scoperta della circolazione del sangue. Gênes, 1875. — Geoffroy, Essai sur l’anatomie et la physiologie d’Aristote. Th. inaugur., Paris, 1878. — Da Costa, Harvey and his Discovery. Philadelphie, 1879. — Willis, William Harvey : a history of the discovery of the circulation. Londres, 1878. — Gaskin, Harvey and the Spanish anatomist. Med. Times and Gaz., 1878, II, p. 457 et 595. — Paquelin, Rabelais et la circulation. Revue de littér. médic., 1878, p. 499. — Ceradini, Solla scoperta della circulazione del sangue. Lo sperimentale, XXXVII, p. 251.