La Cité de Dieu (Augustin)/Livre VIII/Chapitre XIII

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La Cité de Dieu
Texte établi par RaulxL. Guérin & Cie (Œuvres complètes de Saint Augustin, tome XIIIp. 165-166).
CHAPITRE XIII.
DE L’OPINION DE PLATON TOUCHANT LES DIEUX, QU’IL DÉFINIT DES ÊTRES ESSENTIELLEMENT BONS ET AMIS DE LA VERTU.

Bien qu’il y ait entre les Platoniciens et nous plusieurs autres dissentiments de grande conséquence, la discussion que j’ai soulevée n’est pas médiocrement grave, et c’est pourquoi je leur pose cette question : quels dieux faut-il adorer ? les bons ou les méchants ? ou les uns et les autres ? Nous avons sur ce point le sentiment de Platon ; car il dit que tous les dieux sont bons et qu’il n’y a pas de dieux méchants[1] ; d’où il suit que c’est aux bons qu’il faut rendre hommage, puisque, s’ils n’étaient pas bons, ils ne seraient pas dieux. Mais s’il en est ainsi (et comment penser autrement des dieux ?), que devient cette opinion qu’il faut apaiser les dieux méchants par des sacrifices, de peur qu’ils ne nous nuisent, et invoquer les bons afin qu’ils nous aident ? En effet, il n’y a pas de dieux méchants, et c’est aux bons seulement que doit être rendu le culte qu’ils appellent légitime. Je demande alors ce qu’il faut penser de ces dieux qui aiment les jeux scéniques au point de vouloir qu’on les mêle aux choses divines et aux cérémonies célébrées en leur honneur ? La puissance de ces dieux prouve leur existence, et leur goût pour les jeux impurs atteste leur méchanceté. On sait assez ce que pense Platon des représentations théâtrales, puisqu’il chasse les poëtes de l’État[2], pour avoir composé des fictions indignes de la majesté et de la bonté divines. Que faut-il donc penser de ces dieux qui sont ici en lutte avec Platon ? lui ne souffrant pas que les dieux soient déshonorés par des crimes imaginaires, ceux-ci ordonnant de représenter ces crimes en leur honneur. Enfin, quand ils prescrivirent des jeux scéniques, ils firent éclater leur malice en même temps que leur impureté, soit en privant Latinius[3] de son fils, soit en le frappant lui-même pour leur avoir désobéi, et ne lui rendant la santé qu’après qu’il eut exécuté leur commandement. Et cependant, si méchants qu’ils soient, Platon n’estime pas qu’on doive les craindre, et il demeure ferme dans son sentiment, qu’il faut bannir d’un État bien réglé toutes ces folies sacriléges des prêtres, qui n’ont de charme pour les dieux impurs que par leur impureté même. Or, ce même Platon, comme je l’ai remarqué au second livre du présent ouvrage[4], est mis par Labéon au nombre des demi-dieux ; ce qui n’empêche pas Labéon de penser qu’il faut apaiser les dieux méchants par des sacrifices sanglants et des cérémonies analogues à leur caractère, et honorer les bons par des jeux et des solennités riantes. D’où vient donc que le demi-dieu Platon persiste si fortement à priver, non pas des demi-dieux, mais des dieux, des dieux bons par conséquent, de ces divertissements qu’il répute infâmes ? Au surplus, ces dieux ont eux-mêmes pris soin de réfuter Labéon, puisqu’ils ont montré à l’égard de Latinius, non-seulement leur humeur lascive et folâtre, mais leur impitoyable cruauté. Que les Platoniciens nous expliquent cela, eux qui soutiennent avec leur maître que tous les dieux sont bons, chastes, amis de la vertu et des hommes sages, et qu’il y a de l’impiété à en juger autrement ? Nous l’expliquons, disent-ils. Écoutons-les donc avec attention.

  1. Voyez les Lois (page 900 et seq.) et la République (livre II, page 379).
  2. Voyez plus haut, livre II, ch. 14.
  3. Voyez plus haut, livre IV, ch. 26.
  4. Au chap. 14.