La Confédération franco-italienne pendant la guerre/01

La bibliothèque libre.
XXX
La Confédération franco-italienne pendant la guerre
Revue des Deux Mondes6e période, tome 56 (p. 50-74).
02  ►
LA
CONFÉDÉRATION FRANCO-ITALIENNE
PENDANT LA GUERRE

I

Après une guerre aussi terrible que celle qui vient de s’achever, et toute question de sentiment mise à part, l’intérêt qu’un pays attache à l’amitié ou à l’alliance d’un autre est en étroit rapport avec les services qu’il a reçus de lui. Il ne sera pas inutile de récapituler les services que la France a reçus de l’Italie, au cours de cette guerre, et de s’efforcer de les estimer à leur juste prix, en se gardant également de l’apologie et du dénigrement. En regard de ces services, doivent être placés, bien entendu, ceux que l’Italie a reçus de la France ; car, pour donner son exacte valeur relative à ce que notre pays a obtenu, il est évidemment nécessaire de faire entrer en ligne de compte ce qu’il a accordé. De cet examen se dégagera l’intérêt pratique que présentent, pour la France, des liens d’amitié ou d’alliance avec l’Italie.


I. — LA NEUTRALITÉ ITALIENNE

Le premier, incontestable et très grand service que l’Italie a rendu à la France, pendant la guerre, est sa neutralité.

Les Italiens, qui se plaisent k établir leur compte créditeur à notre égard, y font entrer leur neutralité pour une part considérable. Ils n’ont pas tort. Elle a consacré, par le jugement d’une des puissances de la Triple Alliance, le caractèreÉÉÉ d’agression de la guerre déchaînée par ses propres alliés[1]. Elle a ainsi contribué à sanctionner, aux yeux de l’univers, la justice de notre cause. fille a complété la série des garanties que notre diplomatie avait cherché et réussi à nous assurer, en cas de conflit avec l’Allemagne, alliance russe, concours militaire anglais, neutralité italienne, et dont le jeu régulier a caractérisé la situation diplomatique favorable, dans laquelle les hostilités se sont ouvertes, fille a enfin et surtout exercé sur les opérations militaires une influence indiscutable, en nous permettant de diriger vers notre frontière du Nord-Est ceux de.nos corps d’armée, qui, si l’Italie avait pris parti contre nous, auraient dû être concentrés sur les Alpes. Ce dernier effort a encore été accru par la promptitude et la netteté avec lesquelles la neutralité italienne nous a été notifiée, de telle sorte que nous avons pu, d’emblée, dégarnir entièrement les Alpes et n’y laisser que des douaniers.

A vouloir déterminer la mesure dans laquelle notre situation stratégique en a été améliorée, on entre fatalement dans le domaine de l’hypothèse. Ce n’est pas pour faire reculer certains Italiens, qui, abordant résolument ce problème insoluble, n’y vont pas par quatre chemins. La neutralité de leur pays a, affirment-ils, sauvé le nôtre. La conclusion absolue à laquelle aboutissent ces hardis apologistes résulte de.l’argumentation que voici : « La France n’a eu à distraire aucun de ses corps d’armée, ni du front de Lorraine et des Vosges, pivot dont la résistance a rendu possible le repli et la contre-offensive des armées françaises faisant face au Nord, ni du front de l’Ourcq et de la Marne, où s’est déroulée l’action principale ; la neutralité italienne a donc mis la France en mesure de livrer cette bataille décisive, des Vosges à la région parisienne, avec l’ensemble de ses forces, qui n’ont pas été de trop pour la gagner ; donc elle a « sauvé » la France. C. Q. F. D. »

On aperçoit de prime abord par où pèche ce raisonnement et que c’est par la base. Il repose sur un postulat, qui n’est rien moins que plausible : à savoir, que l’intervention italienne contre nous, en août 1914, n’eût rien changé au plan d’opérations dont procède la bataille de la Marne. Celle victoire succède, en effet, à un repli, ou, si l’on préfère, à une retraite, déterminée elle-même par une offensive manquée. Modifiez quelque chose à cet enchaînement de faits et toute la suite vient à changer, ou plutôt tout devient hypothétique.

Or nul ne sait, et moins que quiconque ceux qui en raisonnent imperturbablement, si, en présence d’une agression ou d’une menace italienne, le plan d’opérations de notre Haut-Commandement contre l’Allemagne eût été identique à ce qu’il fut, l’Italie s’étant déclarée neutre. L’offensive initiale eût-elle été déclenchée quand même, ou abandonnée, ou réduite à de moindres proportions ? Une bataille d’arrêt eût-elle été livrée, sur quelles positions, dans quelles conditions ? Autant d’inconnues, qui prennent la place de cette solution simpliste, contredite par le bon sens : la bataille de la Marne livrée avec moins de forces de notre côté, donc perdue. Il est impossible ou trop facile, ce qui revient au même, de refaire l’histoire après coup et à coup d’hypothèses, et c’est déjà nous être attardés trop longtemps à démontrer l’inanité de ce passe-temps.


* * *

La neutralité de l’Italie a été assez utile pour n’avoir pas besoin que les conséquences militaires en soient arbitrairement amplifiées. Elle a été et reste assez méritoire à nos yeux pour n’avoir rien à perdre non plus à être rattachée aux antécédents diplomatiques dont elle a procédé et dont elle ne saurait être isolée, sans que le caractère véritable en fût altéré.

Ces antécédents diplomatiques, les Italiens omettent généralement d’en faire mention, probablement parce que la plupart d’entre eux les ignorent. La plupart croient, en effet, que la neutralité de leur pays, en août 1914, a été le résultat d’un choix entièrement libre de la part de leur gouvernement, qui, sans être tenu envers ses alliés allemands et austro-hongrois à les suivre dans une guerre d’agression, aurait néanmoins conservé par rapport à nous toute faculté de se joindre aux Empires centraux pour nous attaquer, si bon lui avait semblé. Telle eût bien été la situation, en l’absence de tout engagement préalable entre la France et l’Italie. Mais il existait entre les deux gouvernements des accords diplomatiques, dont la teneur définissait par avance l’attitude de l’Italie, dans le cas d’une agression de l’Allemagne contre la France.

Dès l’année 1900, les vieilles querelles ayant été liquidées et les anciens malentendus dissipés, effacés en France les souvenirs déplaisants de la politique de- Crispi, apaisée en Italie la mauvaise humeur née de notre installation en Tunisie, des rapports amicaux établis, une convention commerciale conclue dont M. Luigi Luzzatti fut l’éminent négociateur, les deux gouvernements avaient senti le moment venu de passer à des arrangements positifs portant sur leurs intérêts politiques. Les 14 et 16 décembre 1900, le premier de ces arrangements était intervenu, sous la forme d’un échange de lettres officielles entre le marquis Visconti-Venosta, ministre des Affaires étrangères d’Italie, et notre ambassadeur à Rome, M. Barrère. Terminant et concluant des conversations engagées sur la situation présente et à venir dans la Méditerranée, les lettres échangées entre ces doux illustres diplomates concernaient d’une part la Tripolitaine et la Cyrénaïque, d’autre part le Maroc. Le gouvernement français, qui venait de signer, l’année précédente, une convention africaine avec l’Angleterre et s’en était expliqué verbalement avec le gouvernement italien, lui réitérait ces explications par écrit et lui renouvelait l’assurance formelle de son désintéressement politique par rapport à la Tripolitaine et à la Cyrénaïque. Il déclarait n’avoir pas l’intention de dépasser la limite fixée à son influence par la convention franco-anglaise de 1899, qui avait laissé en dehors de sa zone le territoire formant alors le vilayet ottoman de Tripoli. Réciproquement, le gouvernement italien reconnaissait que l’action de la France au Maroc, telle qu’elle lui avait été définie dans les entretiens préalables à l’échange de lettres, ne portait aucune atteinte aux intérêts de l’Italie comme puissance méditerranéenne ; il.posait ce principe, admis par le gouvernement français, que, si quelque modification à l’état politique ou territorial du Maroc venait à résulter de l’action marocaine de la France, le droit s’ensuivrait pour lui-même de développer son influence en Tripolitaine et en Cyrénaïque.

Deux ans après avoir ainsi mis d’accord leurs intérêts méditerranéens les plus essentiels, les deux Gouvernements dont les rapports s’étaient resserrés avaient été à même de porter leur entente et leurs arrangements, du domaine de la politique coloniale à celui de la politique européenne proprement dite. Après avoir élargi leur accord de décembre 1900, en convenant que l’influence de l’un au Maroc, de l’autre en Tripolitaine et en Cyrénaïque, pourrait être développée librement sans subordination réciproque, ils avaient constaté d’un commun aveu que cette dernière concession ne laissait plus subsister entre eux aucune divergence sur leurs intérêts respectifs en Méditerranée, donc aucun motif d’entrer en conflit armé l’un avec l’autre. Cette constatation les avait alors conduits à préciser leurs rapports généraux et, notamment, à définir leur attitude respective en cas d’agression d’une tierce puissance contre l’un d’eux.

Ils y avaient procédé le 1er novembre 1902, par un nouvel échange de lettres officielles entre M. Barrère et le Ministre des Affaires étrangères d’Italie, M. Prinetti. Le Gouvernement italien prenait L’initiative de déclarer spontanément qu’au cas où la France serait l’objet d’une agression directe ou indirecte de la part d’une ou plusieurs Puissances, il garderait une stricte neutralité. Il s’engageait également à rester neutre dans le cas où la France, par suite d’une provocation directe, se trouverait réduite à prendre, pour la défense de son honneur ou de sa sécurité, l’initiative d’une déclaration de guerre. Il nous donnait encore l’assurance qu’il n’était lié à aucune Puissance par aucun traité ni convention militaire, qui fussent en contradiction avec les promesses enregistrées dans la lettre de M. Prinetti à M. Barrère, et qu’il n’avait pas l’intention d’en conclure de tels. Enfin il spécifiait que ses promesses garderaient leur pleine valeur, tant qu’il n’aurait pas fait savoir au Gouvernement français qu’il avait modifié ses engagements avec de tierces Puissances, autrement dit tant qu’il n’aurait pas expressément dénoncé ses obligations envers nous. De son côté, le Gouvernement français prenait acte des déclarations qui lui étaient faites par le Gouvernement italien, et lui en adressait d’identiques en retour.

Tels sont les accords diplomatiques auxquels méritent de rester attachés du côté français, les noms de M. Barrère et de M. Delcassé, du côté italien ceux du marquis Visconti-Venosta, de M. Prinetti et du marquis di Rudini. Ils ne pouvaient déterminer d’avance avec plus de précision l’attitude à prendre par l’Italie, dans l’éventualité qui s’est réalisée douze ans après la date à laquelle ils ont été conclus

La neutralité italienne d’août 1914 est donc la résultante d’une politique antérieurement définie et pratiquée de part et d’autre. Elle est l’exécution scrupuleuse d’engagements dans lesquels une œuvre diplomatique féconde avait trouvé son expression matérielle et sa consécration.

Le constater n’enlève rien de sa spontanéité ni de sa valeur à l’élan populaire qui a approuvé la neutralité de l’Italie. Le sentiment d’un peuple qui n’eût pas toléré de s’associer à une agression contre la France, de prendre les armes en faveur de l’Autriche, ne perd rien de sa noblesse à ne pas avoir été le seul, ni même le principal facteur de la décision gouvernementale. En revanche, il est intéressant que l’opinion publique italienne se soit, sans le savoir, trouvée pleinement d’accord avec des engagements pris par son Gouvernement et ignorés d’elle, qu’elle ait approuvé, en même temps qu’un acte, toute la politique dont il procédait. Car il apparaît ainsi combien cette politique, combien les engagements auxquels elle avait abouti correspondaient exactement aux vœux du peuple italien, à ses tendances, à la conception que, spontanément, il se faisait de son rôle.


II. — LA CRISE DE LA NEUTRALITÉ

Le bénéfice de la politique synthétisée par les accords franco-italiens ne s’est pas limité, pour la France, à la neutralité de l’Italie. Il s’est étendu, à l’intervention de celle-ci en notre faveur ; car, dans cette intervention, il convient de voir d’abord la conséquence indirecte de sa position diplomatique par rapport aux deux groupes de belligérants.

En droit, l’Italie pouvait incontestablement rester neutre ; ses engagements envers nous n’excédaient pas le maintien d’une stricte neutralité. Pas un mot des accords passés entre son Gouvernement et le nôtre, et contenus dans les limites d’une absolue compatibilité avec le traité défensif de la Triple Alliance, ne visait le cas d’une collaboration militaire entre les deux pays.

Ceci posé, l’Italie pouvait-elle, en fait, demeurer neutre, jusqu’à la fin du conflit européen ? Non.

En fait, elle ne le pouvait qu’on compromettant gravement ses intérêts les plus sacrés, en souscrivant, pour ainsi dire, à sa propre déchéance. Une grande Puissance, dont les intérêts multiples, chez elle-même et au dehors, dans son existence économique, sur ses frontières, dans bien des régions du monde, se trouvaient mis en cause et comme impliqués dans le conflit, n’en pouvait rester définitivement spectatrice passive. Un pays de 40 millions d’habitants, géographiquement compris entre les territoires de deux des principaux belligérants, la France et l’Autriche-Hongrie, ne pouvait pas ne pas intervenir, tôt ou tard, activement, d’un côté ou de l’autre. La neutralité ne pouvait être pour lui qu’un état provisoire.

C’est là que l’on retrouve pour la seconde fois l’utilité et l’influence des accords en vertu desquels l’Italie était restée neutre. Dès l’instant qu’elle avait reconnu le caractère d’agression de la guerre déchaînée par ses propres alliés ; que, en raison même de cette agression, elle s’était conformée à l’obligation contractée envers nous de proclamer sa neutralité, elle se trouvait conduite à ne sortir de la neutralité, si elle en sortait, que pour faire la guerre à nos agresseurs.

Tout indique que le Gouvernement italien n’a pas tardé à discerner la nécessité pour lui d’intervenir par les armes, dans un délai plus ou moins éloigné ; et ce qui suffit à le prouver est le fait qu’il s’y est préparé. Inversement, rien ne permet de supposer qu’il ait admis un seul instant l’idée de prendre parti pour nos ennemis. Leurs efforts mêmes n’ont bientôt tendu qu’à le retenir dans la neutralité. À cette fin, toutefois, les sollicitations ne lui ont pas manqué. Combien elles ont été pressantes, réitérées, la campagne diplomatique dont Rome a été le théâtre, d’août 1914 à mai 1915, en fait suffisamment foi. Rarement gouvernement a été plus obsédé, opinion publique plus travaillée que ne l’ont été, par les représentants des Empires Centraux, le Gouvernement Italien et l’opinion publique de la péninsule. Il y eut un réel mérite, de la part de ceux qui ont alors eu entre les mains les destinées de l’Italie, de la part du Roi Victor-Emmanuel, de M. Salandra, du baron Sonnino, de M. Ferdinando Martini, ce fidèle ami de la France, de leurs collègues du Cabinet, à ne pas dévier de la voie qu’ils avaient choisie et par laquelle ils s’acheminaient de la neutralité vers l’intervention aux côtés de l’Entente. Il y eut non moins de mérite, de la part de l’opinion publique, à réagir comme elle l’a fait contre l’audacieux travail des diplomates de Berlin et de Vienne, à y répondre par la révolte des consciences.

L’insuccès des efforts de nos ennemis ne doit pas toutefois nous donner le change sur la gravité du péril que ces efforts nous ont alors fait courir. Si l’on réfléchit que l’Italie ne pouvait conserver indéfiniment la neutralité, on s’aperçoit que c’était son intervention pour ou contre nous qui, en réalité, était en jeu dans la crise de sa neutralité. Et nos ennemis ne l’ignoraient certes pas. Sans doute, au cours de cette crise, trouvions-nous une garantie des plus efficaces dans nos accords avec le Gouvernement italien. Mais la plus efficace des garanties écrites n’est jamais sans appel. Aucun accord ne tient plus quand, dans la perplexité d’une alternative redoutable, dans la supputation du pour et du contre, dans l’évaluation des chances de deux groupes aux prises, entre lesquels la victoire est des plus indécises, la volonté vient à fléchir, le jugement à s’obscurcir, la conscience à se troubler, et que l’oreille s’ouvre aux suggestions de la mauvaise foi Rien de tel n’est arrivé en Italie, ni chez les dirigeants, ni chez bon nombre de dirigés. Mais s’il en avait été autrement, le triomphe du neutralisme germanophile n’eût été que le prélude d’un interventisme à rebours. Il suit de là que le premier avantage pour nous de l’intervention italienne, dans le sens où elle s’est produite, consiste en ce qu’elle a écarté le risque d’une intervention de l’Italie dans le sens opposé. A avoir l’Italie avec nous, nous avons d’abord gagné de ne pas l’avoir contre nous.


III. — LA CONVENTION DE LONDRES

En venant à nous, l’Italie a escompté un bénéfice. Elle l’a stipulé dans la Convention de Londres du 26 avril 1915.

Le Gouvernement italien a négocié son intervention militaire. Il en a discuté avec les Puissances de l’Entente les conditions politiques, la récompense, le prix. C’était son devoir envers sa patrie d’assurer, à l’égard des trois grandes Puissances avec lesquelles il s’alliait, la reconnaissance des intérêts nationaux dont il demandait la satisfaction à la fortune de ses armes et des leurs. Pas plus que la légitimité de cette précaution, on n’a l’intention d’en contester la patriotique prévoyance. On se borne à constater que les autres mobiles d’ordre politique ou moral qui ont concouru à déterminer l’intervention italienne ont trouvé un puissant adjuvant dans l’intérêt national le plus haut, mais le plus pratique.

Cet intérêt, les Puissances de l’Entente étaient seules à pouvoir le satisfaire. Nos adversaires pouvaient bien offrir à l’Italie, en échange du maintien de sa neutralité, ce qu’on a appelé le « parecchio, » un lambeau du Trentin et de la Vénétie julienne, l’institution d’une université italienne à Trieste demeurant autrichienne. Dans l’infatuation « le leur force, dans la confiance injustifiée où les entretenaient la « carte de guerre » et leurs gages territoriaux, ils ne pouvaient aller plus loin dans les concessions.

Pour prix d’une intervention à leur profit, ils pouvaient bien encore faire miroiter aux yeux des Italiens quelques dépouilles de la France, quelques fragments de la peau d’un ours qui n’était pas par terre. Mais l’ouverture aléatoire de ces perspectives de pillage n’en eût pas moins laissé sous le joug les habitants des terres « irredente, » sacrifié à jamais les intérêts politiques et stratégiques auxquels l’Italie tenait le plus. C’était donc seulement de notre côté que celle-ci pouvait trouver la garantie de réaliser, en cas de victoire commune, ses aspirations traditionnelles.

Elle a amplement trouvé dans la Convention de Londres la garantie qu’elle a cherchée. Cet acte lui a assuré l’assentiment des contractants à l’annexion par elle du Trentin, du Tyrol cisalpin avec la frontière du Brenner, de Trieste, des comtés de Gorizia et de Gradisca, de toute l’Istrie jusqu’au Quarnero, de l’Archipel istrien, de la Dalmatje avec Zara et Sebenico jusqu’au cap Planka, de l’archipel dalmate, de Val loua en Albanie avec un territoire autour, de l’île de Sasseno en face de la côte albanaise, du Dodécanèse dans la mer Egée. Il lui a conféré le privilège de représenter l’Etat d’Albanie dans ses relations avec l’étranger. Il lui a ouvert le droit à l’attribution d’une part ou d’une zone d’influence on Asie Mineure, dans la région avoisinant la province d’Adalia, en cas de partage de la Turquie ou de la division de cet empire en zones d’intérêt ; le droit aussi à des compensations coloniales équitables, sous forme de rectification de frontières, en cas d’agrandissement des domaines coloniaux anglais et français en Afrique.

Tel a été, pour l’Italie, le bénéfice escompté de son entrée en guerre. Tel est celui qu’à quelques réductions près, elle retirera de la victoire. Si elle doit, sans que ses contractants y soient pour rien, renoncer à certains points de son programme initial, ce ne sera pas sans compensation sur d’autres qui n’en faisaient pas partie, ni sans que tel article, par exemple le tracé de la frontière du Brenner, ait reçu une interprétation large. On peut donc, sans faire le moindre tort à l’Italie, tenir aujourd’hui pour réalisé le profit qu’elle a attendu de son intervention à nos côtés, et qu’on peut définir sans exagération l’accomplissement de ses destinées nationales.

Personne ne lui dispute la gloire de les avoir accomplies avant tout par ses propres moyens. Elle ne saurait davantage nous contester le mérite de l’y avoir aidée de tous les nôtres. Nous avons donc le droit de revendiquer notre part dans l’achèvement de son développement historique, comme elle la sienne dans la restauration de notre unité nationale et dans la conquête chèrement payée d’une sécurité, hélas ! encore bien imparfaite. Ce n’est point par un vain orgueil que nous devons le constater et le lui rappeler, mais dans l’intérêt même de nos rapports amicaux avec elle, qui, à ses yeux comme aux nôtres, sont principalement fonction du bénéfice pratique qu’elle en a retiré. Acquis aujourd’hui dans son ensemble, ce bénéfice stipulé d’avance lui prouve qu’en venant à nous elle n’a pas, comme on dit vulgairement, fait une mauvaise affaire.

Elle ne l’a pas faite à nos dépens. Rien ou presque rien des acquisitions prévues par la Convention de Londres ne devait, si l’on peut dire, sortir de notre poche, exception faite de simples arrondissements coloniaux résultant des rectifications de frontières mentionnées par l’article 13, aucun des territoires sur lesquels l’Italie nous a fait reconnaître ses droits ou ses visées ne nous appartenait ; tous étaient, au moment où la Convention a été conclue, territoires ennemis ou d’allégeance ennemie. Hâtons-nous d’ajouter qu’il ne pouvait on être autrement. L’Italie n’avait aucune reprise à exercer sur nous.

Notre apport matériel aux dispositions territoriales de la Convention s’est donc borné à notre signature. Mais notre signature au bas de l’acte a été, par elle seule, un apport des plus appréciables. L’expérience nous a montré à nous-mêmes, au cours des négociations de paix, dans les questions rhénanes et dans celles d’Orient, ce qu’il peut en coûter de ne pas s’être fait garantir par ses alliés, au moment où ils n’auraient su vous le refuser, l’exécution des conditions qu’on entend faire prévaloir. Plus heureuse ou plus avisée que nous, l’Italie a obtenu des autres et de nous cette garantie que nous n’avons demandée ni aux autres ni à elle. Car nos engagements de Londres, en ce qui concerne ses acquisitions territoriales, ont été sans aucune contrepartie du même ordre de sa part. Plus le règlement final des comptes lui a prouvé que la réalisation pratique de son programme rencontrait d’obstacles, du fait des États-Unis, des Yougo-Slaves, de la Grèce, sans parler des ennemis, plus l’engagement souscrit par nous s’est, en définitive, avéré lourd, plus l’Italie aurait mauvaise grâce aujourd’hui à en contester la valeur et à chicaner sur la fidélité avec laquelle il a été tenu.


IV. — LA DÉCLARATION DE LONDRES

Le même jour que la Convention du 26 avril 1915, fut signé à Londres un acte qu’il ne faut pas confondre avec elle, malgré la similitude de date et de lieu C’est la déclaration de Londres, simple extension à l’Italie du pacte antérieurement conclu à Londres aussi, le 5 septembre 1914, par la France, l’Angleterre et la Russie. Les contractants, portés à quatre par l’adhésion de l’Italie, se sont engagés mutuellement à ne pas conclure de paix séparée et ont convenu qu’aucun d’eux ne pourrait poser des conditions à l’ennemi sans accord préalable avec les trois autres.

Cette déclaration n’a fait, en somme, que codifier deux principes de loyauté et d’honneur, auxquels ont seuls pu manquer, au cours de la guerre, les Bolchévistes, Lénine, Trotsky et consorts. Il n’en importe pas moins de rechercher l’avantage pour nous et pour l’Italie, de ces deux principes fondamentaux.

On est tenté d’abord de n’apercevoir que le nôtre. Un allié nouveau venait à nous, qui aurait pu, en définitive, n’y pas venir ; dont l’opinion publique et surtout parlementaire avait été à tout le moins fortement divisée sur le principe même de la guerre ; chez lequel un parti puissant, remuant, ouvertement opposé à l’intervention, continuait a la désapprouver, d’accord en cela avec les tenants des groupes d’extrême gauche et de droite cléricale. Cet allié se liait lui-même envers nous par l’engagement formel de ne pas conclure de paix séparée. Il s’interdisait d’abandonner la partie. L’avantage en était, évidemment, primordial pour nous, qui trouvions, dans la déclaration de Londres, une garantie des plus efficaces contre l’éventualité d’un retour offensif de neutralisme sous l’influence de quelque lassitude ou de quelque mécompte : garantie, à laquelle, empressons-nous de le constater à l’honneur des Italiens, nous n’avons jamais eu besoin de recourir.

Toutefois, l’avantage était réciproque. La déclaration de Londres garantissait l’Italie contre le danger résultant de deux hypothèses, dont la première ne s’est heureusement pas produite, et dont la seconde s’est présentée.

L’exécution du programme territorial de la convention de Londres était subordonnée, en fait, à la victoire, qu’elle supposait implicitement, et même à une victoire assez complète pour rendre cette exécution matériellement possible. Il en a été ainsi ; mais il pouvait en être autrement. La Convention de Londres ne pouvait pas nous obliger, ni obliger les autres contractants, à combattre au-delà de l’extrême limite des possibilités matérielles de chacun. Il pouvait arriver que la continuation de la guerre devint absolument impossible. Dans ce cas, l’Italie se fût trouvée garantie contre la reprise par ses alliés de leur liberté de manœuvre ; elle aurait eu le bénéfice, du reste mutuel, de l’accord avec elle sur le principe et sur les conditions de la paix.

Il pouvait, encore arriver et il est arrivé que l’Autriche-Hongrie fit à l’un ou l’autre des Alliés des ouvertures de paix séparée ; autrement dit, qu’elle manifestât la velléité, sincère ou non, d’abandonner la cause de l’Allemagne. Dans cette hypothèse, qui s’est présentée, le gouvernement italien a eu la garantie qu’il ne serait pas répondu sans son approbation à des ouvertures de paix autrichiennes, bref, qu’il aurait le dernier mot, quitte à s’en tenir au programme de la Convention de Londres ou à en rabattre. Le bénéfice de cette garantie a été acquis à l’Italie, quand l’Autriche a pratiqué sur la France et sur l’Angleterre ses sondages pacifiques, d’ailleurs illusoires. La chronique a enregistré, en leur temps, les lettres fameuses de l’empereur Chai les à son beau-frère, le prince Sixte de Bourbon, communiquées par ce dernier à M. Poincaré et à M. Ribot ; les entretiens du général Smuts en Suisse avec le comte Mensdorff ; les conversations du comte Armand avec le comte Revertera. Si quelque chose de concret avait pu sortir de ces pourparlers, ce quelque chose eût été immédiatement soumis à l’appréciation de l’Italie. Son gouvernement a d’ailleurs pu s’en convaincre au cours de l’entrevue de Saint-Jean de Maurienne, le 19 avril 1917. Alors a été porté à sa connaissance le fait des dernières approches autrichiennes, discerné le caractère scabreux de telles invites, reconnue l’opportunité d’une tactique prudente, respectée enfin, par cet échange même de vues, l’obligation d’en référer à l’Italie.

Les principes de la déclaration de Londres ont donc été, dans la pratique, à l’avantage réciproque des contractants. Cette constatation ne doit pas induire à admettre une opinion parfois exprimée en guise de reproche contre l’alliance italienne. L’Italie aurait, par ses buts de guerre, mis obstacle à la paix séparée de l’Autriche-Hongrie. Elle serait, par cela même, devenue une sorte de poids mort pour ses alliés, qui se voyaient interdit de recevoir à résipiscence la monarchie des Habsbourg, fatiguée et désireuse de tirer son épingle du jeu.

Pour pouvoir raisonner de la sorte, il faudrait d’abord être sûr que le gouvernement de Vienne eût agi contre le gré et à l’insu de Berlin ; qu’il eût été résolu à séparer franchement sa cause de celle de l’Allemagne. Or, rien n’est moins certain. Tout fait présumer au contraire qu’il a été, en l’occurrence, l’instrument des Allemands dont il a fait le jeu, en cherchant à attirer la France et l’Angleterre dans un traquenard où elles se seraient trouvées, si elles y étaient tombées, face à face, non pas seulement avec lui, mais aussi avec eux. Si la candeur de l’empereur Charles permet de le croire inconscient de ce rôle et dupe de plus rusés que lui, le parti déloyal que le comte Czernin a cherché à tirer des colloques confidentiels entre le comte Armand et le comte Revertera autorise les soupçons contre la bonne foi de ce ministre. Les sondages pacifiques de l’Autriche-Hongrie n’ont été, vraisemblablement, qu’une des multiples formes que le pacifisme allemand a prises, pour nous entraîner dans l’engrenage de la paix blanche ou de la paix de vaincus.

Si nous avions commis l’imprudence d’entrer en discussion sur des balbutiements pacifiques, nous aurions mis le doigt dans un engrenage où tout notre corps aurait risqué de passer. Il n’y a eu au cours de la guerre qu’un exemple d’une discussion sur la paix entre deux belligérants de chaque groupe : c’est celle que le président Wilson a acceptée, à l’automne de 1918, avec les Allemands. Mathématiquement, fatalement, elle nous a conduits en quelques semaines à l’armistice du 11 novembre. Heureusement pour nous, et grâce aux armées de l’Entente, la victoire est survenue dans l’intervalle. Mais la victoire était encore loin, à l’époque des lettres de Charles Ier, des propos du comte Mensdorff et du comte Revertera, des démangeaisons de causer éprouvées par d’autres diplomates en villégiature. L’engrenage nous eût saisis avant que la victoire des armes eût pu intervenir, et nous aurions eu grand’peine à nous en dégager, sans y laisser quelque chose de notre résistance morale, et plus encore, de notre honneur. Car, l’événement ayant prouvé que l’Autriche n’était alors nullement disposée à faire à l’Italie les sacrifices nécessaires pour la désarmer, il en résulte qu’elle a eu en vue moins de se détacher de l’Allemagne que de nous détacher de l’Italie ; qu’elle a cherché, non sa paix séparée, mais la nôtre, laquelle eût contraint l’Italie abandonnée à traiter aussi, mais encore contre son propre gré. Intérêts matériels et intérêts moraux, tout eût sombré de notre côté dans une paix générale procurée par un mécanisme aussi perfide.

Eût-il d’ailleurs voulu sincèrement la paix séparée, qu’il n’eût pas suffi au gouvernement de Vienne de la vouloir ni de la chercher ; il lui eût encore été nécessaire de pouvoir la faire. Et il n’en avait pas le pouvoir. Il n’était pas maître de ses destinées ; les Allemands le tenaient matériellement ; il ne pouvait se libérer de leur emprise totale, politique et militaire, qui seule maintenait encore assemblées les pièces disparates de son Empire croulant. Dans ces conditions, nous étions forcés, bon gré mal gré, de passer sur le corps de l’Autriche-Hongrie pour vaincre l’Allemagne, qui ne pouvait être réduite qu’à condition d’abattre simultanément, sinon même auparavant, tous ses contreforts, le contrefort danubien, comme le turc et le bulgare. À agir autrement, nous eussions compromis irrémédiablement d’abord notre propre cause, ensuite celle de beaucoup d’autres alliés que les Italiens ; celle des Serbes, qui attendaient de la défaite de l’Autriche la libération des Yougoslaves ; celle des Roumains, qui en attendaient la récupération de la Transylvanie et d’une partie du Banal ; celle des Tchéco-Slovaques, qui en attendaient la reconstitution de leur patrie ; celle des Polonais, qui en attendaient la Galicie.

Bien que, de tous ces peuples, les Italiens fussent le seul avec lequel nous eussions un pacte formel, il n’en est pas moins contraire à la réalité que l’alliance de l’Italie nous ait coûté le sacrifice d’une paix séparée de l’Autriche-Hongrie.


V. — LA COOPÉRATION MILITAIRE DE L’ITALIE

En retour des engagements d’avenir pris envers elle, l’Italie s’est engagée, par la Convention de Londres, à employer la totalité de ses ressources à poursuivre la guerre en commun avec la France, l’Angleterre et la Russie contre tous leurs ennemis.

Elle a déclaré la guerre à l’Autriche-Hongrie le 24 mai 1915 et la lui a faite avec la totalité de ses forces disponibles, de terre et de mer, sur son propre front et en Albanie, puis, à partir du mois d’août 1916, avec une division sur le front de Macédoine, sur lequel ont été opposées aux Alliés des unités de toutes les armées ennemies. Elle a rompu ses relations diplomatiques avec l’Allemagne le 24 mai 1915, lui a déclaré la guerre le 27 août 1916 et la lui a faite effectivement, d’abord sur son propre front, où les Allemands ont détaché quelques éléments dès le mois de mai 1916, et plusieurs divisions en octobre 1917, ensuite sur le front d’Orient, enfin sur le front de France à partir d’avril 1918, avec deux divisions. Elle a déclaré la guerre à la Turquie le 21 août 1915 et ne la lui a faite effectivement qu’avec sa division de Salonique et avec un contingent symbolique de quelques milliers d’hommes en Palestine. Elle a déclaré la guerre à la Bulgarie le 7 octobre 1915 et la lui a faite effectivement avec la division envoyée par elle en août 1916 sur le front de Macédoine.

Tel est le schéma de la coopération militaire italienne.

L’effort fourni sur les fronts extérieurs apparaît très inférieur aux efforts déployés par la France et l’Angleterre sur les fronts secondaires. Mais la mesure de cet effort a été, pour l’Italie comme pour tous les alliés, subordonnée à sa capacité militaire et aux disponibilités laissées par les exigences de l’effort sur le front principal, qui, pour elle, était le sien. L’infériorité n’en saurait donc être invoquée sans plus contre l’exactitude du gouvernement italien à s’acquitter de l’obligation souscrite.

Il y aurait matière à reproche si, pour soutenir la lutte contre tous nos ennemis, l’Italie n’avait pas fait appel à toutes ses ressources. Or elle a mobilisé, au cours de la guerre, environ 4 250 000 hommes. C’est un chiffre qui compte et qui, étant donné celui de sa population, environ 35 millions d’habitants, apparaît en rapport avec sa capacité militaire. La capacité militaire d’un peuple est d’ailleurs fonction d’une quantité de facteurs, autres que le total de sa population ; de sa faculté d’armement, donc de son outillage industriel et de son approvisionnement en matières premières ; de sa faculté d’encadrement, donc de ses traditions, de son développement militaire préalable ; de sa faculté financière, etc. ; tous rapports sous lesquels l’Italie n’était pas relativement bien partagée.

On ne cherchera pas si un emploi plus judicieux ou plus actif de ses électifs mobilisés lui eût permis d’en tirer un rendement supérieur, sur son propre front et, par suite, sur d’autres. C’est là une matière infiniment délicate. Chaque haut commandement, surtout avant l’établissement tardif du commandement unique, a été juge de ce qu’exigeaient la sécurité de son front et les besoins de ses opérations, de ce qu’il pouvait ou ne pouvait pas demander à ses troupes, et il l’est toujours resté dans une plus ou moins large mesure. Chaque allié est venu à nous avec ses aptitudes, son caractère, ses qualités et ses défauts ; il faut prendre chacun tel qu’il était et pour ce qu’il était et, s’il nous a été d’un appréciable secours, nous estimer heureux.

Il est toutefois une circonstance où l’Italie se trouve, comme gouvernement, incontestablement en défaut : c’est la date de la déclaration de guerre à l’Allemagne, quinze mois exactement après la conclusion de la Convention de Londres. Le reproche en a été fait parfois, en Italie même, au gouvernement de 1915 et, la dernière fois qu’il lui a été adressé, en des termes particulièrement violents, il est venu du côté d’où on l’aurait le moins attendu, du côté neutraliste. Voici ce qu’écrivait la Stampa à la date du 25 mai dernier :


Par l’article 2 de la Convention de Londres, l’Italie s’obligeait à conduire la guerre avec tous les moyens dont elle disposait, d’accord avec la France, la Grande-Bretagne et la Russie, contre les États qui étaient en guerre avec ces dernières. L’obliquité politique d’Antoine Salandra ne comprit pas alors que pacte signé est pacte qu’il faut respecter, surtout dans les conditions où se trouvait l’Italie à peine sortie de la Triple-Alliance. Aussi, non seulement ne déclara-t-il pas immédiatement la guerre à l’Allemagne, mais encore dans son discours au Capitule, où il célébra la grandeur de celle-ci et affirma vouloir traiter avec elle d’égal à égale, tandis qu’il laissa les Italiens convaincus qu’il n’y avait pas obligation de lui déclarer la guerre, il offrit aux alliés une preuve immédiate de sa déloyauté politique. Et il prouva en même temps qu’il ne comprenait rien à l’histoire, dont il voulait être un si grand acteur, parce qu’il ne saisit pas que l’ennemi principal des alliés était l’Allemagne. Par son discours au Capitule, il en vint à nier tout bonnement la plus essentielle finalité de la guerre européenne, c’est-à-dire la défaite de l’Allemagne. Ainsi Français et Anglais, au courant de nos obligations, nous rappelèrent presque chaque jour au respect de nos pactes, nous stimulèrent et nous insultèrent même, quand nous semblions répugner davantage à sauter le grand pas. Nous, au contraire, ignorants des obligations souscrites en notre nom, dans notre fierté de citoyens, nous nous révoltions dédaigneusement contre chaque avertissement qui nous venait d’au-delà des Alpes et d’au-delà des mers, nous le considérions comme une ingérence illégitime dans nos libres décisions.


Laissons là les violences de langage qui caractérisent ce réquisitoire inattendu de neutralistes germanophiles, intéressés à se servir de cette arme pour les besoins de leur cause. Le principal obstacle à l’immédiate déclaration de guerre de l’Italie à l’Allemagne est précisément venu de leur inlassable opposition. Ce sont eux, empressés alors comme aujourd’hui à faire implacablement le procès de la politique interventiste, qui ont fait une campagne acharnée contre une mesure dont la nécessité avait été de prime abord entrevue par la population, qui ont accumulé les obstacles sur le chemin du gouvernement, retardé l’évolution de l’opinion publique, obligé à la préparer, entretenu à grand renfort d’arguments, la crainte de la puissance militaire allemande, agité le spectre d’une offensive germanique sur le front du Trentin et même à travers la Suisse, invoqué l’intérêt économique d’après-guerre, démontré l’opportunité de ne pas couper les ponts derrière soi, pactisé avec tous les partisans de la paix à tout prix, de quelque bord qu’ils fussent, mis en jeu tous les moyens et tous les auxiliaires, continué leur opposition au-delà même du fait accompli.

Ce n’est pas à dire que le Cabinet alors au pouvoir ait eu raison de se laisser influencer par leurs intimidations. L’extrême facilité avec laquelle le Ministère qui lui a succédé a fait accepter par l’opinion publique la déclaration de guerre à l’Allemagne, démontre la vanité des hésitations qui l’ont retardée de quinze mois. Mais les Alliés ont été plus équitables dans l’appréciation des motifs de ces hésitations gouvernementales, que ne le sont aujourd’hui ceux qui en ont été responsables. Au lieu de prendre acte des retards mis par le gouvernement italien à satisfaire à l’une de ses obligations, ils ont préféré continuer à travailler, diplomatiquement, à en obtenir l’exécution, dont le principe n’a du reste jamais été contesté, et dont la date seule était ajournée. Ils ont eu raison. Dans cette action diplomatique, où ils ont trouvé chez M. Sonnino, partisan déclaré de la déclaration de guerre, le partenaire le plus résolu à aboutir, ils n’ont jamais eu recours, si peu que ce fût, aux procédés arrogants, vexants et par surcroît maladroits, que la Stampa leur attribue après coup.

La déclaration de guerre de l’Italie à l’Allemagne, à laquelle il aurait dû être procédé en même temps qu’à la déclaration faite à l’Autriche, qui aurait pu ensuite être fondée sur certains actes d’hostilité de la part des Allemands, a fini par sortir, graduellement, par étapes, de mesures économiques dont on aura l’occasion de parler, et d’un conflit sur la situation des Italiens en Allemagne. A la date à laquelle elle s’est produite, rompant les ponts entre deux pays dont l’un avait été fortement pénétré par l’autre, elle nous a encore été d’un considérable bénéfice moral et matériel.


VI. — L’ENTREE EN GUERRE

Pratiquement, la guerre de l’Italie ne pouvait être, au début surtout, dirigée que contre l’Autriche.

Mais l’entrée en jeu des forces italiennes contre cette puissance devait permettre à la Russie de retirer des troupes du front autrichien, pour les reporter sur le front allemand. Par suite, les Allemands devaient être obligés de renforcer leurs effectifs sur le front russe, donc de diminuer leurs disponibilités sur le front français. Tel est l’avantage que comportait pour les Alliés la participation italienne à la guerre.

On en trouve l’indication dans l’article premier de la Convention de Londres. Aux termes de cet article une convention militaire devait être conclue entre les États-majors généraux français, anglais, italien et russe, fixant l’effectif minimum que la Russie maintiendrait contre l’Autriche, afin que celle-ci ne put pas concentrer toutes ses forces contre l’Italie, dans le cas où la Russie déciderait de porter son principal effort contre l’Allemagne.

Cette convention militaire a en effet été signée. L’état-major russe s’est engagé à laisser en ligne contre les Autrichiens un minimum déterminé de forces. Il en avait alors contre eux beaucoup plus que ce minimum. La différence a donc représenté le surplus que, dans l’hypothèse la plus favorable, il pourrait porter contre les Allemands.

Mais les conventions proposent et la fortune des armes dispose. Or les états-majors venaient à peine de conclure cet accord que la fortune des armes est devenue contraire à la Russie. Et l’intervention italienne n’en est arrivée que plus à propos. Elle a, en effet, coïncidé exactement avec le premier de ces profonds reculs, dont l’alternative, avec des avances, hélas ! moins durables, a caractérisé les opérations sur le front russe. Les Russes se sont alors mis en retraite sur l’ensemble de leur ligne, au Sud notamment, évacuant les Carpathes, la Bucovine, la Galicie. Etant donné leur fléchissement, il leur a été précieux que l’armée italienne fût, précisément à ce moment-là, jetée dans la lutte, appelant de son côté une notable partie des forces autrichiennes Et, comme les échecs d’un allié se répercutaient fatalement sur les fronts des autres, il nous a été utile aussi que la diversion italienne vint alléger la pression ennemie sur le front russe. Car nous étions nous-mêmes engagés alors dans les offensives de Champagne et d’Artois et nous avions un intérêt direct à ce que la résistance russe retint le plus possible de troupes allemandes.

Les mêmes qui affirment que leur pays a « sauvé » la France par sa neutralité, en 1914, proclament également qu’il a « sauvé » la coalition par son intervention à la fin de mai 1915. M. d’Annunzio, qui fut l’un des hérauts de cette intervention, avant d’être celui d’un nationalisme exacerbé, s’est fait l’interprète grandiloquent de ce « sauvetage, » comme des autres, dans ses récentes harangues enflammées. « Nous avons décidé du sort de la grande guerre, non trois fois, mais cinq fois ! (d’autres disent six fois). La première fois, etc… (suit l’antienne connue sur la bataille de la Marne). La seconde, quand nous sommes entrés dans le grand jeu au moment où les Russes pliaient sous le choc austro-allemand, qui, parce que nous sommes accourus, fut allégé, dévié, interrompu. » Nous ne nous arrêterons pas à ces exagérations, fruits d’une imagination qui transforme en sauvetage chacun des services rendus par l’Italie à ses alliés, mais sans user de réciprocité bien entendu. Ramené à ses justes proportions, l’avantage occasionnel qui est résulté, pour les Russes et pour nous, des circonstances dans lesquelles l’Italie est entrée en guerre, n’en reste pas moins appréciable et apprécié.

Le résultat positif de son intervention aurait pu, immédiatement et par la suite, être encore accru, si son offensive initiale avait été couronnée d’un plein succès. Cette offensive visait à atteindre Trente, Gorizia et Trieste, en s’emparant des positions qui commandent ces trois villes. Réussissant, elle eût mis l’Italie en possession, non seulement de gages importants, mais surtout des régions d’où partent les voies d’invasion par lesquelles il est possible de menacer l’Autriche au cœur.

Malheureusement, elle n’a pas obtenu tout le succès escompte, et son échec partiel a condamné l’armée italienne à l’infériorité des positions à peu près sur toute l’étendue d’un front extrêmement long et sinueux, qui ne pouvait être tenu qu’avec beaucoup de monde, d’autant plus de monde que le ravitaillement en montagne est plus difficile. De là, pour les Italiens, des conditions de combat la plupart du temps ingrates. De là aussi, à leur détriment d’abord, à celui de leurs alliés aussi, une diminution relative de leur coefficient d’action. Mais, même réduit par cette sorte de « handicap, » le bénéfice pour nous de l’intervention italienne est loin d’en avoir été anéanti. Un manque à gagner n’équivaut pas, tant s’en faut, à une perte sèche.


VII. — LE FRONT ITALIEN

Pendant trois ans et demi, le front italien a rempli avec une efficacité variable, mais jamais sans efficacité, sa fonction dans le mécanisme des divers fronts alliés, dont l’entre-aide a fait la commune victoire.

La situation respective des deux adversaires y a changé souvent et sensiblement. Coup sur coup ont succédé : à une première année de campagne, mélangée de déceptions et de succès, mais du moins accomplie tout entière en avant des frontières, les jours très critiques de l’offensive autrichienne du Trentin ; à cette épreuve, dont les conséquences locales, un instant très menaçantes, n’ont été enrayées qu’à grand’peine, l’avance victorieuse sur la ligne de l’Isonzo, le passage de cette rivière, la conquête du Sabotino, de Podgora et de San Michèle, la prise de Gorizia ; aux offensives réitérées qui se sont ensuite développées sur le Carso et le long de l’Isonzo, le désastre de Caporetto et la retraite qui s’en est suivie jusqu’à la Piave ; à Caporetto, les contre-offensives locales couronnées de succès sur le Grappa et le Tomba, puis une victoire défensive sur toute la ligne de la Piave ; à cette victoire d’arrêt, l’offensive finale italienne, à laquelle a été donné le nom de Vittorio-Veneto, qui a conduit l’Italie à l’armistice de Villa Giusti et à la possession de tous ses buis de guerre, de Trente, de Trieste, de l’Istrie, d’autres dépouilles encore de l’Empire austro-hongrois désagrégé.

Au cours des opérations caractérisées, pendant les quarante et un mois sur lesquels elles se sont étendues, par ces fortes oscillations de fortune, nombreuses ont été les occasions où la situation précaire d’autres fronts alliés a rendu la fonction du front italien particulièrement utile. On en a déjà vu un exemple, à peine ce dernier front venait-il d’être créé, dans la diversion s’ensuivant immédiatement au bénéfice des armées russes en retraite, par suite à notre profit indirect. Un autre exemple en est fourni par les événements balkaniques de l’automne de 1915 et de l’hiver 1915-1916, l’intervention de la Bulgarie, l’invasion de la Serbie, le rejet de l’armée serbe vers la mer, à travers les montagnes d’Albanie, l’occupation du Monténégro. Il est certain que, si, à ce moment critique, le front italien n’avait pas retenu une importante partie des forces austro-hongroises, les conditions de l’armée serbe, le sort des divisions franco-anglaises portées à son secours en Macédoine, leur belle retraite du Vardar, la sécurité de la Base et du Camp retranché de Salonique s’en seraient fâcheusement ressentis. Sans doute, dans ces circonstances, l’activité du front italien n’a-t-elle pas été telle que l’Autriche, aux prises avec l’ennemi sur trois de ses frontières, ne put trouver encore des effectifs à lancer, avec les Allemands et les Bulgares, contre la Serbie et l’armée franco-anglaise d’Orient. Mais, telle qu’elle a été, cette activité n’en a pas moins détourné un considérable appoint de troupes austro-hongroises d’un théâtre d’opérations où elles auraient pesé dans la balance d’un poids très lourd. L’existence du front italien a donc très efficacement servi, dans cette crise, la cause de la coalition et, en particulier, la nôtre, en limitant l’effort de l’ennemi sur le front d’Orient où nous étions directement engagés par l’armée de Salonique et par le Corps expéditionnaire des Dardanelles.

L’effet qu’on vient de montrer, dans les événements balkaniques de 1915-16, s’est renouvelé dans ceux de 1916-17 ; comme il a contribué à réduire les conséquences générales du martyre serbe, le front italien a également, et de la même façon, contribue à réduire celles du martyre roumain. Il va de soi que l’écrasement et l’absorption de la Roumanie eussent été précipités, que la pression exercée par l’ennemi sur le front de l’armée d’Orient, avancé dans l’intervalle jusqu’au-delà de Monastir, eût été dangereusement augmentée, si, aux Turcs, aux Bulgares, aux Allemands et aux Autrichiens opérant sous le haut commandement de Mackensen, avaient pu venir se joindre tout ou partie des Austro-Hongrois retenus sur son front par l’armée italienne.

Après le cataclysme roumain, la défection de la Russie. A mesure que le concours militaire russe, depuis la révolution de mars 1917, est allé en décroissant, jusqu’à disparaître complètement dès avant la paix de Brest-Litowsk, le front italien a eu à supporter le poids d’une proportion croissante de forces autrichiennes, jusqu’à en absorber pratiquement presque toute la part antérieurement employée contre les Russes. Il a donc suppléé, en fait, à l’élimination de la Russie, comme adversaire de l’Autriche, et à celle, toutefois jamais aussi complète, de la Roumanie.

On a fait grand état de cette suppléance, du surcroit de charges qu’elle leur a imposée. C’est la troisième des cinq ou six fois que l’Italie aurait sauvé la coalition ou l’un de ses membres, écoutons d’ailleurs M. d’Annunzio continuer l’énumération des sauvetages, dont nous avons déjà cité deux : « La troisième fois, ce fut quand la trahison et la dissolution de la Russie nous laissèrent seuls contre l’Autriche entière, et que nous ne nous sommes pas découragés, et que nous avons avancé encore, et puis que nous fûmes subitement frappés d’un destin qui n’était pas devant nous, mais derrière nous » (allusion à Caporetto).

Le lyrisme mis à part, il est de fait que la défection de la Russie, libérant les troupes austro-hongroises jusqu’alors employées contre elle, en a fait reporter contre l’Italie tout ce qui n’a pas été consacré, soit à occuper la Roumanie, soit à renforcer les fronts de Macédoine et d’Albanie, désormais seuls contre-poids au front italien. Il n’est donc pas exagéré de dire que l’Italie a supporté dorénavant le gros de l’effort militaire dont l’Autriche-Hongrie a été capable, ou qu’elle s’est, par rapport à celle-ci, substituée à la Russie. Par rapport à l’Autriche-Hongrie seulement, bien entendu. Car, par rapport à l’Allemagne, l’Italie ne s’est jamais substituée à la Russie, l’Allemagne n’ayant, après la défection russe, détaché qu’occasionnellement quelques divisions sur le front italien, pour l’offensive d’octobre-novembre 1917. Par rapport à l’Allemagne, c’est le front de France qui a suppléé au front russe. Il ne faut pas oublier non plus que, pour soutenir le surcroît de pression autrichienne dû à la défaillance de la Russie, le front italien a bénéficié, après Caporetto, d’un renfort franco-anglais sur lequel on reviendra tout à l’heure et qui s’est élevé, pendant un temps, jusqu’à 12 divisions.

Toujours est-il qu’il l’a soutenu, et c’est ici ce qu’il nous importe de relever. Il a pris sur lui une lourde part de l’héritage russe. Le seul fait de son existence a donc rendu aux Alliés, à nous entre autres, un service dont la valeur ne saurait être contestée. Il a à peu près complètement empêché l’état-major autrichien d’envoyer des troupes sur le front de France. Il a limité étroitement les disponibilités austro-hongroises pour le front de Macédoine, d’où est parti le signal de la victoire, par l’enfoncement du front bulgaro-germanique.

Enfin, et c’est le dernier service qu’il ait rendu à la cause commune, le front italien a été le théâtre de l’effondrement de l’Autriche-Hongrie. Cet effondrement a eu, si l’on peut dire, un prologue dans l’échec de la suprême offensive autrichienne en juin 1918, sur la Piave, et un dénouement dans le succès de l’offensive finale italienne en fin octobre de la même année, à Vittorio-Veneto. Prologue et dénouement sont considérés par les exaltés qui font cortège à M. d’Annunzio comme la quatrième et la cinquième fois que leur pays a « sauvé » la coalition. « La quatrième fois, dit M. d’Annunzio, ce fut dans le combat et dans la moisson du solstice, dans la victoire solaire de juin, quand la faux donna aux blessés la paille fraîche et que la baïonnette protégea le pain nouveau. Et la cinquième fut l’extrême : ce fut la victoire la plus grande, la victoire classique, la force du coin romain qui brise l’adversaire en deux tronçons convulsés. »

Pour faire honneur à l’Italie d’un « sauvetage » de plus et faire apparaître son rôle sous un aspect providentiel, ces exagérations ne tiennent pas compte des faits qu’elles ramènent, par cela même, instantanément à la mémoire des esprits impartiaux ; la participation, numériquement et qualitativement intéressante, que les renforts franco-anglais ont prise à la bataille d’arrêt de juin 1918 et à la victoire de Vittorîo-Veneto ; l’avantage capital que cette victoire a tiré de l’offensive de l’armée d’Orient, qui l’a précédée de plusieurs semaines, et qui a réduit la Bulgarie à merci, délivré la Serbie, isolé la Turquie, menacé l’Autriche sur le Danube, soulevé ses provinces yougo-slaves et tchécoslovaques ; enfin les facteurs intérieurs qui, minant la monarchie des Habsbourg, ont fait de l’armée austro-hongroise l’armée d’un État qui s’en allait en morceaux.

La part de mérite de l’Italie dans la défaite et l’anéantissement de l’Autriche-Hongrie reste assez vaste pour n’avoir pas besoin d’être gonflée. Telle qu’elle fut en réalité, cette part apparaît comme essentielle, et c’est exagérer en sens contraire que la contester ou la dénigrer. Si les Italiens, plus heureux que nous, n’ont pas vu leur offensive finale arrêtée par un armistice, avant qu’elle eût produit tous ses récitals militaires ; si, mieux servis que nous par les circonstances, ils ont pu n’accorder l’armistice au vaincu qu’après le formidable coup de filet qui leur a procuré plus de 400 000 prisonniers et dont la joie nous a été, à nous, refusée : cette faveur de la fortune, que nous auraient sans doute value quinze jours de campagne de plus, ne doit pas nous rendre injustes pour leur victoire, pour l’honneur qu’elle fait à leur commandement et à leurs soldats, pour le service qu’elle nous a rendu. Ce service a consisté à faire place nette de l’Autriche-Hongrie, à abattre le dernier contrefort de l’Allemagne, à achever l’isolement de celle-ci, militairement vaincue sur le front de France et acculée à un désastre auquel elle ne s’est soustraite que par la reddition en pleine campagne. Il a terminé et élargi, dans un résultat de grande portée politique et militaire, la fonction qui avait été, pendant trois ans et demi, celle du front italien.

Sans doute cette fonction aurait-elle été encore plus efficace, si l’armée italienne n’était pas restée inactive de juillet à fin octobre 1918. Cette longue période d’inactivité, coïncidant avec le développement ininterrompu des plus rudes opérations d’abord défensives, ensuite offensives, sur le front de France, avec le déclenchement, la poursuite et l’issue victorieuse de l’offensive de Salonique, constitue indéniablement une lacune, une baisse temporaire d’efficacité. Justifiée en son temps par des raisons que l’événement a démenties à peu de temps de là, — l’insuffisance de réserves, le besoin absolu d’un puissant renfort américain, — elle a réduit provisoirement à un rôle passif l’un des facteurs des opérations combinées. Pratiquement, elle n’a pas toutefois exercé d’influence sensible sur les opérations de France ; elle a seulement rendu plus ardue la lâche de l’armée d’Orient, l’Autriche ayant pu maintenir sur les Balkans des contingents que, attaquée plus tôt par l’Italie, elle aurait probablement dû en rappeler. Mais, tout compte fait, c’est encore aux Italiens eux-mêmes que l’inactivité de leur front pendant ces quatre mois a fait alors le plus de tort, par le contraste qu’elle a présenté avec l’activité simultanée des autres fronts, de la mer du Nord à la mer Morte. Leur amour-propre y a, sur le moment, été très sensible. La splendide revanche du général Diaz, son abondante récolte de lauriers leur ont fait oublier depuis lors l’impression pénible ressentie de leur retard au départ.


XXX.

  1. La Triple-Alliance était une alliance défensive.