La Corée et les Missionnaires français/La Corée/15

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XV

SCIENCES. — INDUSTRIE. — COMMERCE

Malgré la protection officielle dont jouissent, en Corée, certaines études scientifiques, malgré les écoles spéciales entretenues par le gouvernement pour en favoriser les progrès, ces études sont à peu près nulles. Les astronomes en titre ont à peine les notions suffisantes pour faire usage du calendrier chinois, qui chaque année leur est apporté de Pékin ; en dehors de cela, ils ne connaissent que des formules astrologiques ridicules. La science des principaux calculateurs du ministère des finances ne dépasse pas les opérations ordinaires d’arithmétique nécessaires pour la tenue des livres. Celle des élèves du Nioul-hak, ou école de droit, se borne à une connaissance à peu près machinale des textes officiels de la loi et des décrets royaux. La médecine seule semble faire exception.

Tout en adoptant la médecine chinoise, les Coréens y ont introduit, semble-t-il, des améliorations sérieuses, à ce point qu’on n’a pas dédaigné de composer à Péking même les planches pour l’impression du plus célèbre livre coréen de médecine, le Tieng-oi-po-kan. Nul autre livre coréen n’a jamais eu cet honneur.

Les médecins réellement instruits ne se trouvent guère qu’à la capitale. Ce sont quelques nobles qui ont étudié par curiosité, ou des individus de la classe moyenne qui ont travaillé à se faire une position comme médecins de la cour. Ailleurs, on peut rencontrer de loin en loin quelques praticiens capables, à qui une longue expérience a enseigné le véritable usage des remèdes locaux ; mais ces hommes sont de rares exceptions, et l’immense majorité des médecins de province ne sont que des charlatans sans études et sans conscience, qui pour toutes les maladies possibles emploient chacun une drogue spéciale et toujours la même, et ne prennent jamais la peine de voir les malades qu’ils traitent.

On prétend que l’on a, en Corée comme en Chine, certains remèdes très efficaces contre diverses maladies, entre autres une potion qui dissout les pierres et calculs de la vessie et guérit cette terrible maladie sans aucune opération chirurgicale.

Mgr Ferréol, troisième vicaire apostolique de Corée, après de longues souffrances qui l’avaient réduit à l’extrémité, fut guéri de la pierre par un médecin chinois. Mais la formule de ce remède est un secret soigneusement gardé par ceux qui le possèdent. La règle générale est de donner les remèdes en potion ; les exceptions sont rares.

On fait bouillir ensemble jusqu’à vingt ou trente espèces de plantes, et on mêle à la décoction diverses matières plus ou moins sales et rebutantes, dont on ne cherche, d’ailleurs, aucunement à déguiser le nom sous un travestissement scientifique. Les confortants sont d’un usage continuel. Le plus ordinaire est le consommé de viande, que les Coréens excellent à préparer. Il y en a deux autres qui méritent une mention particulière : le gen-seng, dont nous avons parlé plus haut, et la corne de cerf.

La corne de cerf a, dit-on, des effets restauratifs plus durables que le gen-seng ; sa force varie selon la région où vit l’animal. Les Coréens estiment peu celle qui vient de Chine ou des provinces septentrionales (Ham-kieng et Pieng-an) ; la meilleure est, disent-ils, celle qui provient du Kang-ouen ; encore fait-on une distinction entre les différents districts de cette province. Le cerf doit être abattu au moment où les bois croissent, et avant qu’ils soient durcis, autrement les effets du remède seraient nuls. On coupe la tête de l’animal, et on la maintient renversée pendant dix ou douze heures, afin que toute la vertu du sang passe dans les cornes, puis on les fait sécher sur un feu doux avec toutes les précautions possibles. Pour s’en servir, on racle un peu cette corne, on la mélange avec le jus de quelques plantes, et on l’administre au malade. Mgr Daveluy atteste qu’il a usé fréquemment de ce remède pendant de longues années d’épuisement, et qu’il en a ressenti d’excellents effets. Le sang de cerf, pris chaud, passe aussi pour donner à tous les membres une vie et une force extraordinaires.

« Quand on en a bu, disaient des chasseurs chrétiens à un missionnaire, les montagnes les plus escarpées semblent une plaine, et l’on ferait le tour du royaume sans aucune fatigue. »

Un autre moyen curatif dont il convient de dire un mot, c’est l’acupuncture. Elle consiste, pour les médecins coréens, à percer d’un coup de lancette divers points du corps, afin de rétablir la machine dans son équilibre naturel. Il existe des traités spéciaux sur cette partie de l’art chirurgical, la seule connue des Coréens ; ils savent même fabriquer avec du fil de fer des modèles du corps humain, afin d’indiquer exactement aux étudiants les endroits où la lancette doit être enfoncée. Sous la main d’un opérateur habile, l’instrument, excessivement mince, pénètre jusqu’à quatre ou cinq centimètres de profondeur, et c’est à peine s’il sort quelques gouttes de sang. Les missionnaires assurent qu’ils ont souvent vu des effets remarquables et toujours très prompts de ce genre de traitement.

Les Coréens, peu avancés dans les études scientifiques, ne le sont guère plus en connaissances industrielles. Chez eux, les arts utiles n’ont fait, depuis des siècles, absolument aucun progrès. Une des principales causes de cet état d’infériorité, c’est que dans chaque maison, on doit faire à peu près tous les métiers et fabriquer soi-même les objets de première nécessité. La récolte donne au laboureur tout ce qu’il lui faut, et pendant l’hiver il devient tour à tour tisserand, teinturier, charpentier, tailleur, maçon, etc. Il fait chez lui le vin de riz, l’huile, l’eau-de-vie. Sa femme et ses filles filent le chanvre, le coton, la soie même, quand il a pu élever quelques vers ; elles en tissent des étoffes grossières, mais solides, qui suffisent aux besoins habituels. Chaque paysan connaît et recueille les graines requises pour la teinture, et celles qui servent de remèdes dans les maladies les plus ordinaires. Il confectionne lui-même ses habits, ses souliers de paille, ses sabots, les corbeilles, paniers, balais, cordes, ficelles, nattes, instruments de labour, dont il a besoin. Le cas échéant, il répare le mur, le toit, la charpente de sa maison. En un mot, il se suffit ; mais, comme il est facile de le comprendre, il ne travaille à chaque chose que dans la mesure de la nécessité présente, se contente des procédés les plus simples et les plus primitifs et ne peut jamais arriver à une habileté remarquable.

Il n’y a d’ouvriers spéciaux que pour les métiers qui exigent des outils particuliers, et un apprentissage de la manière de s’en servir. Mais, dans ce cas même, les ouvriers établis d’une manière fixe et travaillant dans leur boutique sont excessivement rares. D’habitude chacun d’eux va où on l’emploie, portant ses outils sur le dos, et, quand il a fini quelque part, cherche de l’ouvrage ailleurs. Ceux mêmes qui ont besoin d’une certaine installation ne se fixent définitivement nulle part. Les potiers, par exemple, s’établissent aujourd’hui dans un lieu où le bois et l’argile sont à leur convenance ; ils y bâtissent leur cabane et leur four, fabriquent pour les gens du voisinage quelques porcelaines grossières, des vases de terre assez solides et d’une capacité quelquefois monstrueuse ; puis, quand le bois est épuisé, ils vont chercher fortune ailleurs. Les forgerons agissent de même, et s’éloignent quand l’extraction du minerai devient trop difficile. Aussi jamais de grandes fabriques, jamais d’exploitation sérieuse, jamais d’ateliers qui en méritent le nom. Des baraques de planches mal jointes, facilement emportées par le vent ou effondrées par la pluie ; des fours ou fourneaux sans solidité qui se fendent à chaque instant, voilà tout. Par suite, le profit est presque nul. Les individus qui ont de l’argent ne songent guère à le mettre dans de pareilles entreprises, et parmi ceux qui avec quelques centaines de francs veulent tenter la fortune, la moitié se ruinent en quelques mois.

Les Coréens prétendent qu’ils fabriquent et exportent en Chine de grands couteaux, des sabres et des poignards de première qualité ; mais les missionnaires n’ont pas eu l’occasion de vérifier suffisamment l’exactitude de cette assertion. Ils font aussi des fusils à mèche qui paraissent assez solides. Bien qu’il y ait de très beau cuivre dans leur pays, ils tirent du Japon tout celui qu’ils emploient. Ils le mélangent avec le zinc pour en confectionner des vases et des marmites. Ainsi combiné, il s’oxyde très difficilement, et malgré l’usage continuel qui se fait de ces vases dans les maisons un peu aisées, on ne connaît aucun exemple d’empoisonnement par le vert-de-gris. Tous les bijoux, tous les articles de parure, tous les objets de luxe viennent de Chine ; en Corée on ne sait point les travailler.

Il est néanmoins une industrie dans laquelle les Coréens l’emportent sur les Chinois : c’est la fabrication du papier. Avec de l’écorce de mûrier, ils font du papier bien plus épais et plus solide que celui de la Chine ; il est comme de la toile, et on a peine à le déchirer. Son emploi se diversifie à l’infini. On en fait des chapeaux, des sacs, des mèches de chandelle, des cordons de souliers, etc. Lorsqu’il est préparé avec de l’huile, il remplace avantageusement, vu son bas prix, nos toiles cirées, et sert à confectionner des parapluies et des manteaux imperméables. Les portes et les fenêtres n’ont pas d’autres vitres que ce papier huilé collé sur le châssis. Il y a une exception cependant :

« Quand un Coréen, dit Mgr Daveluy, a trouvé un petit morceau de verre d’un demi-pouce carré, c’est une bonne fortune. Aussitôt il l’insère dans une fente de sa porte ; dès lors il peut, d’un tout petit coin de l’œil, regarder ce qui se passe au dehors, et il est plus fier qu’un empereur se mirant devant les glaces de son palais. À défaut de ce morceau de verre, il fait avec le doigt un trou dans le papier, et se met ainsi en communication avec le monde extérieur. »

On peut aisément conclure de tout ce qui précède que le commerce intérieur est, en Corée, peu développé. Il y a très peu de marchands qui tiennent magasin ouvert dans leurs maisons, et presque toutes les transactions se font dans les foires ou marchés. Ces foires se tiennent dans différentes villes ou bourgades désignées par le gouvernement, au nombre de cinq par district. Dans chacune de ces localités, la foire a lieu tous les cinq jours, aujourd’hui dans l’une, demain dans une autre, et ainsi de suite, toujours dans le même ordre, de manière que chaque jour il y ait une foire sur un point quelconque du district. Des tentes sont préparées pour les marchandises.


Marché aux grains de Séoul.

Les mesures dont se servent les marchands sont : pour les grains, la poignée. Cent poignées font un boisseau, vingt boisseaux font un sac (en coréen, som). Pour les liquides, on compte par tasses. La mesure de poids est la livre chinoise, et l’on ne se sert que des balances de Chine. La mesure de longueur est le pied, qui varie suivant les provinces, on pourrait dire suivant les marchands. Le pied se subdivise en dix pouces, le pouce en dix lignes.

Un des grands obstacles au développement du commerce est l’imperfection du système monétaire. Les monnaies d’or ou d’argent n’existent pas. La vente de ces métaux, en lingots, est entravée par une foule de règlements minutieux, et l’on se compromettrait gravement si, par exemple, on vendait de l’argent de Chine, même fondu en barres de forme coréenne. Cet argent serait reconnu infailliblement, et le marchand, outre la confiscation de ses barres, risquerait une forte amende, et peut-être la bastonnade.

La seule monnaie qui ait cours légal est la sapèque. C’est une petite pièce de cuivre, avec alliage de zinc ou de plomb, d’une valeur d’environ deux centimes ou deux centimes et demi. Elle est percée, au milieu, d’un trou destiné à laisser passer une ficelle avec laquelle on en lie ensemble un certain nombre, d’où l’expression ligature ou demi-ligature, si fréquemment employée dans les relations de l’Extrême-Orient, pour désigner la monnaie courante.

Pour effectuer un payement considérable, il faut une troupe de portefaix, car cent nhiangs ou ligatures (environ deux cents francs) forment la charge d’un homme. Dans les provinces du Nord, cette monnaie même n’a pas cours ; tout s’y fait par échanges, d’après certaines bases de convention. Il paraît qu’autrefois les céréales servaient de monnaie ; car, encore dans la langue actuelle, celui qui porte son blé au marché pour le vendre dit qu’il va acheter, et celui qui va en acheter dit qu’il va vendre.

Le taux de l’argent est énorme en Corée. Celui qui le prête à trente pour cent est censé le donner pour rien. Le plus habituellement on réclame cinquante, soixante, quelquefois même cent pour cent. Il est juste de dire que la rente de la terre, qui doit servir de point de départ pour apprécier le taux de l’argent, est en ce pays relativement considérable. Dans les bonnes années, le cultivateur tire de ses champs environ trente pour cent de la valeur du fonds.

Une autre entrave aux transactions commerciales, c’est le triste état des voies de communication. Les rivières navigables sont très rares en Corée ; quelques-unes seulement portent bateau, et cela dans une partie fort restreinte de leur cours. D’un autre côté, l’art de faire des routes, dans ce pays de montagnes et de vallées est à peu près inconnu. Aussi presque tous les transports se font, soit à dos de bœufs ou de chevaux, soit à dos d’hommes.

« Les routes, écrit Mgr Daveluy, se divisent, théoriquement du moins, en trois classes. Celles de première classe, que je traduis par routes royales, ont généralement une largeur suffisante pour quatre hommes de front. Comme il n’y a pas de voitures en province, c’est tout ce qu’il faut pour les piétons et cavaliers. Elles sont bonnes ou mauvaises suivant la saison. Mais il arrive fréquemment qu’elles sont diminuées des trois quarts par quelque grosse pierre ou fragment de rocher, ou parce que la pluie a emporté une partie du chemin. Personne, naturellement, ne songe à remédier à ces petits inconvénients, et souvent il faut grimper sur ces rochers avec sa monture, au risque de se casser le cou ou de rouler dans le fossé. Toutefois, aux environs de la capitale, ces routes sont un peu mieux entretenues. La principale est celle qui va de Séoul à la frontière de Chine. Il y en a une autre, assez belle, dit-on, longue de huit lieues seulement, qui conduit du palais à un tombeau royal.

« Quant à celles de deuxième classe, leur beauté, largeur et commodité varient tous les quarts d’heure. Lorsque je ne vois plus qu’un mauvais sentier, je demande si c’est encore la grande route, on répond affirmativement ; le tout est de s’entendre. Pierres, rochers, boue, ruisseaux, rien n’y manque, excepté le chemin. Mais que dire des routes de troisième classe, larges d’un pied plus ou moins, visibles ou non, selon la sagacité du guide, souvent couvertes d’eau quand elles traversent les rizières, et dans les montagnes effleurant les précipices ?

« Pour les ponts, deux espèces sont à ma connaissance. Les uns consistent en quelques grosses pierres jetées de distance en distance en travers des ruisseaux, ce sont les plus communs. Les autres, composés de pieux fichés dans le fleuve et supportant une espèce de plancher recouvert de terre, forment un viaduc passable, quoique trop souvent à jour. Quand l’eau est abondante, ce qui est fréquent en été, tous les ponts sont emportés ou submergés par la crue et laissent au voyageur le plaisir de prendre un bain au passage. Les grands seigneurs peuvent s’y soustraire en grimpant sur le dos de leur guide. Enfin il y a à la capitale un pont en pierre, magnifique sans doute, et l’une des merveilles du pays. Les rivières un peu considérables se traversent en bateau. »

Tel est dans son ensemble le royaume de Corée, que jusqu’à ce jour peu de voyageurs ont pu étudier. Les missionnaires presque seuls en parlent la langue et le parcourent du sud au nord, ce qui leur permet de mieux connaître les choses intéressantes ou utiles qu’il renferme.