La Corée et les Missionnaires français/Les Missionnaires français/04

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IV

COLOMBE KANG, MARTYRE (1801)

Colombe Kang naquit dans la province de Naï-po, d’une famille de demi-nobles. C’est ainsi que l’on appelle en Corée ceux dont la noblesse a été ternie par une mésalliance. Toutefois ses parents avaient conservé tous les privilèges des grandes familles : son père portait le bonnet de crin, signe distinctif d’une haute noblesse, et pouvait aspirer aux charges et aux emplois secondaires du royaume.

Colombe était douée d’une nature supérieure ; son esprit pénétrant et avide de connaître la portait à l’étude des livres chinois qui traitaient de philosophie et de religion, et l’éducation qu’elle reçut de son père, jointe aux belles qualités de son cœur, la distinguait de toutes ses compagnes. Elle avait un grand désir de devenir vertueuse, embrassait dans ce but toutes les pratiques religieuses des bonzes, et elle eut même la pensée de tout abandonner pour vivre dans la solitude d’une pagode.

À peine sortie de l’enfance, elle fut donnée, selon les usages du pays, en mariage à un homme d’égale noblesse, déjà veuf, d’un caractère bien différent et d’une éducation très négligée. Son esprit borné, sa volonté faible et ses manières dures et grossières étaient une source de peines pour cette jeune fille si distinguée,

Si ses parents l’eussent consultée, le choix de Colombe ne se serait sans doute pas porté sur un tel homme, qui ne pouvait la rendre heureuse. Mais en Corée, comme dans tous les pays où la religion n’a pas encore retiré la femme de son état d’abjection, elle compte pour si peu dans la société ou dans la famille, qu’elle n’est pas même libre de laisser parler ses goûts dans une question aussi importante pour son bonheur. On marie donc les jeunes filles sans les consulter, et souvent c’est pendant la cérémonie même du mariage qu’elles aperçoivent pour la première fois leur mari ou plutôt leur futur maître.

Le but du Coréen, comme celui de tout païen en se mariant, n’est pas de choisir une épouse sur laquelle il puisse reposer son affection, mais plutôt acquérir une esclave dévouée et soumise par état à se plier à tous ses caprices. Jamais donc de cordialité entre époux, jamais de cette intime confiance fondée sur l’estime et la tendresse réciproques.

Colombe apprit donc un jour qu’elle était accordée à un veuf qu’elle n’avait jamais vu. Au jour de son mariage, on lui releva sa longue chevelure sur le haut de la tête, selon l’usage des femmes mariées : elle salua solennellement, devant la famille assemblée, son nouveau mari assis sur une petite estrade, et, le mariage ainsi terminé, elle partit avec lui pour la demeure conjugale. La rudesse de cet homme fut pour elle une source de chagrins continuels. Sa belle-mère, femme d’un caractère brusque et violent, ne contribuait guère à maintenir la paix entre les deux époux. Cependant Colombe se résolut à la gagner par sa douceur et à lui être agréable en toute occasion. Ce fut alors qu’elle entendit parler, pour la première fois, de la religion « du Maître du ciel ».

Ce nom piqua sa curiosité, et elle voulut savoir ce que c’était que cette religion inconnue. Elle lut plusieurs livres et vit que là seulement se trouvait la vérité. Elle se mit à la pratiquer aussitôt selon les lumières et la connaissance qu’elle en avait, avec une ferveur admirable. Ses désirs se portèrent plus loin, et bientôt elle n’eut d’autre pensée que la conversion de son mari et de toute sa famille. Souvent elle leur parlait des beautés de la religion chrétienne et les exhortait avec tant d’éloquence à se faire baptiser, que son mari lui disait naïvement :

« C’est vrai ; oui, tout ce que tu nous dis là est très vrai ! »

Seulement lorsque les ennemis de la nouvelle doctrine en parlaient mal devant lui, vilipendaient ses saintes pratiques, cette âme faible applaudissait avec la même conviction à leurs haineuses paroles. Colombe le reprenait alors avec énergie, lui reprochait son peu de courage et sa versatilité d’esprit. Le pauvre homme avouait ses torts, quitte à recommencer de plus belle à la prochaine occasion.

La belle-mère de Colombe fut plus docile que son fils. Elle voulut embrasser une religion dont sa belle-fille pratiquait les vertus d’une manière si aimable. Sa seule difficulté était d’abandonner le culte des ancêtres. En vain, Colombe lui démontrait-elle la vanité et l’absurdité de semblables superstitions, la vieille païenne ne pouvait ni surmonter ses préjugés d’enfance ni renoncer aux tablettes vénérées. Colombe priait Dieu d’éclairer cette âme. Un jour que sa belle-mère balayait avec soin la salle où sont déposées les tablettes, un fracas terrible se fit entendre qui ébranla toute la maison sans qu’on pût en savoir la cause. Elle court tout effrayée se réfugier dans les bras de Colombe et abjure sans retour toutes ses vaines superstitions. Peu après cette conquête, le père et la mère de la jeune femme se convertissaient, aussi, et plus tard tous deux firent une fin très édifiante.

On était en 1791, et plusieurs confesseurs de la foi gémissaient dans les fers, victimes de la persécution qui essayait ses forces contre les chrétiens. Colombe, dont le courage croissait avec le danger, se dévoua à porter elle-même à la prison de la nourriture aux confesseurs. Son audace fut punie bientôt, car on l’arrêta et on la conduisit au gouverneur. Celui-ci, frappé de la fermeté de la courageuse chrétienne, pensa qu’il ne gagnerait rien à la tourmenter, et il la renvoya sans même lui parler d’apostasie,

Son mari, effrayé par le zèle et l’attachement que Colombe montrait pour la religion, craignit de se trouver compromis dans de fâcheuses affaires. Pour se disculper donc aux yeux de ses amis païens, il la renvoya de sa maison.

Se trouvant libre par abandon de son mari, Colombe partit pour la capitale avec sa belle-mère et un fils de son mari, afin d’être plus à même d’observer exactement toutes les pratiques de la religion au milieu des chrétiens.

Ses qualités et spécialement l’énergie de son caractère la mirent bientôt en relief parmi les autres femmes, et peu à peu les chefs mêmes des chrétiens s’habituèrent à la consulter dans les affaires importantes. Ce fut elle qui les encouragea dans leur projet de faire pénétrer le Père Tsiou en Corée. Elle fut bien récompensée de son concours dévoué, lorsque, peu après son arrivée à la capitale, le prêtre lui conféra le baptême.

Le Père Tsiou sut mettre à profit le zèle et la science de Colombe. D’après les usages du pays, il lui était impossible de se mettre en relations directes avec les femmes, même pour les instruire. Il chargea donc la pieuse néophyte de le remplacer dans ce ministère important : elle s’en acquitta avec une activité et une intelligence au-dessus de tout éloge. Toutes les portes s’ouvraient devant elle, et elle s’occupait de ranimer le courage et la foi de beaucoup de femmes nobles que leur rang retenait prisonnières dans leur maison. Ce fut elle qui prépara les voies pour faire pénétrer le Père Tsiou jusqu’auprès des princesses royales exilées à Hang-hoa et les instruisit pour le baptême. Nommée zélatrice de la confrérie de l’Instruction chrétienne, elle se servit de son titre pour encourager les femmes à exercer une influence pratique autour d’elles, et en fit autant d’apôtres dans leurs familles.

Depuis six mois, le Père Tsiou était à la capitale, quand on commença d’actives recherches pour le découvrir. Avertie à temps, Colombe résolut de le sauver. Elle le cacha dans le bûcher de sa maison et l’y nourrit pendant trois mois, à l’insu même des personnes qui vivaient avec elle. Craignant les indiscrétions, elle n’osait s’en ouvrir à sa belle-mère et à son beau-fils Philippe. À la fin, elle résolut de les attendrir et de les gagner à la cause désespérée du prêtre.

Affectant le plus grand chagrin, elle se mit à gémir et à pleurer presque continuellement, puis à refuser la nourriture et le sommeil. Sa belle-mère l’aimait beaucoup, et, redoutant qu’elle ne vînt à tomber malade, elle lui demanda la cause de son chagrin.

« Ah ! lui dit Colombe, qui ne serait affligé en songeant à l’état misérable où doit être réduit notre prêtre ? Il est venu ici au péril de sa vie pour sauver nos âmes, et le voilà aujourd’hui sans asile. Quelle pitié ! Tenez, j’ai une idée. Je vais m’habiller en homme, je parcourrai le pays afin de le découvrir et de lui porter secours.

— Mais si vous partez ainsi, répliqua la belle-mère, que deviendrai-je, moi, toute seule ? Je veux vous suivre et mourir avec vous.

— Vénérable mère, dit alors Colombe, que je suis heureuse de vous voir dans de si ferventes dispositions ! Eh bien, dites-moi, si le prêtre se présentait ici, oseriez-vous le recevoir ? Dites oui, et je resterai avec vous jusqu’à la mort.

— Je ne veux point me séparer de vous, dit alors la mère. Faites ce que vous voulez. Soyez heureuse, et cela me suffit. »

Le Père Tsiou fit alors son entrée dans la salle d’honneur de la maison. Il put y demeurer trois ans sans danger, protégé par l’usage coréen qui défend à tout étranger le seuil de la maison des nobles. C’était de là qu’il communiquait avec les quelques chrétiens initiés au secret de sa présence, et c’était Colombe qui lui fournissait tout ce qui était nécessaire à son entretien. Ainsi mêlée par les circonstances à toutes les affaires importantes qui intéressaient les chrétiens, elle exerçait une influence décisive sur les hommes même les plus énergiques, et ses vertus, rehaussées par son éducation et sa persuasive éloquence, lui attiraient tout le monde.

« Elle gagnait tous les cœurs par sa charité ardente, comme le feu embrase la paille. Dans les difficultés, elle tranchait les affaires les plus compliquées avec la même dextérité qu’une main sûre coupe et divise une touffe de racines enlacées. Tous se conformaient à ses vues avec la même précision que le son d’une cloche suit le coup de marteau. »

Ainsi s’exprime une relation coréenne au sujet de cette femme forte que Dieu avait placée auprès du berceau de l’Église coréenne.

Plusieurs jeunes filles résolurent à imiter Colombe dans sa conduite et ses bonnes œuvres. L’une d’elles, Agathe Ioun, avait, de son propre mouvement, voué à Dieu sa virginité. Mais, en Corée, une jeune fille n’étant pas libre de ne pas se marier, comme elle craignait de rencontrer des difficultés à l’exécution de son vœu de la part de ses parents, elle prit des habits d’homme, trempa les siens dans du sang et s’enfuit à la capitale chez un oncle. Sa mère crut qu’un tigre avait dévoré la jeune fille, et elle la pleura amèrement. Agathe longtemps après revint cependant à la maison paternelle. Elle tint bon contre les murmures et les prières de sa famille, et, ne songeant qu’à l’affaire de son salut, elle partit pour la capitale avec sa mère. Elle y fut témoin du supplice de son cousin Paul Ioun et obligée de se tenir cachée pour éviter d’être saisie. Enfin elle se retira auprès de Colombe, qu’elle aidait dans l’éducation des jeunes filles.

La mortification d’Agathe était très grande, et Dieu sembla la récompenser par des faveurs spéciales. Elle raconta au prêtre des visions qu’elle avait eues, craignant d’être le jouet du démon, visions que celui-ci paraissait regarder comme des indices de sa vertu. Elle était très dévote à sa patronne sainte Agathe, et s’écriait quelquefois :

« Que je serais heureuse si, un jour, je pouvais être martyre comme elle ! »

L’autre compagne de Colombe s’appelait Bibiane Moun. Dès l’âge de sept ans, sa beauté et son intelligence précoce avaient frappé l’attention des émissaires du palais, chargés de recruter les jeunes filles pour le service de la cour. Elle fut élevée avec soin dans le palais du roi, et, comme elle écrivait très bien, on lui confia les écritures.

Ces jeunes filles du palais, quoique vouées par état à une perpétuelle continence, sont néanmoins exposées à de grands dangers au milieu d’une cour toute païenne.

La mère de Bibiane, qui était chrétienne, se désolait de la condition de sa fille à cause du péril qu’elle courait de perdre la foi. Bibiane elle-même regrettait son esclavage.

« Que vous êtes heureuses ! disait-elle souvent à ses sœurs restées à la maison ; vous pouvez, du moins, servir Dieu à votre aise. Pour moi, qui suis captive au palais, je ne le puis à cause des superstitions auxquelles je suis obligée de prendre part. Plus tard, quand je serai vieille et que je pourrai sortir d’ici, oh ! alors je me convertirai. »

Un soir, elle se sentit frappée subitement d’une vive douleur au cerveau. Elle perdit connaissance, et son état devenant plus grave, on la renvoya à sa mère pour être soignée. Comme sa vie était en danger, on la baptisa, et le lendemain elle était guérie. Par une sorte de miracle, toutes les fois que les médecins ou les gens du palais s’approchaient d’elle, un de ses bras ou une de ses jambes se raidissait et paraissait comme mort. Dès qu’ils sortaient, elle riait aux éclats des remèdes inutiles qu’ils lui prodiguaient. Ceux-ci, fatigués de donner leurs soins à une malade inguérissable, la firent rayer de la liste des filles du palais, et c’est ainsi que Bibiane recouvra sa liberté. Elle voulut se donner à Dieu plus spécialement et se retira auprès de Colombe.

Ces trois chrétiennes passaient leur temps à servir le prêtre et à former les jeunes filles et les femmes à la vertu. Elles se croyaient à l’abri de la persécution, d’après les lois coréennes qui méprisent trop la femme et ne la jugent pas responsable de ses actes devant les tribunaux à cause de la faiblesse naturelle de son sexe. La rage des persécuteurs ne devait s’arrêter devant aucune barrière. Les satellites lancés à la poursuite du Père Tsiou, n’ayant pas pu le rencontrer, vinrent, contre tous les usages, arrêter Colombe et tous ceux de sa maison. Ses deux compagnes avaient eu le temps de se mettre en sûreté, quelques jours auparavant.

Partout et pour tout le monde une prison est un triste séjour ; mais, en Corée, c’est un lieu affreux. Les captifs y sont dans l’ordure, en proie aux horreurs de la faim et de la soif et tourmentés par la vermine la plus dégoûtante. À cause de sa noblesse et de son éducation, le sort de Colombe, sans protection contre les insultes de ces gens grossiers et sans retenue, était plus amer encore.

Cependant elle ne se laissa pas plus abattre par les durs traitements des geôliers que par les supplices des interrogatoires.

Traitée en rebelle, elle fut conduite devant le juge comme un vulgaire criminel et soumise à d’affreux tourments pour la forcer à dévoiler la retraite du prêtre. Jusqu’à six fois on lui fit subir l’écartement des os, supplice atroce qui révolte l’imagination. Après avoir lié ensemble ses jambes à la hauteur des genoux et des chevilles, deux bourreaux y passaient deux bâtons qu’ils forçaient en sens opposé, faisant ainsi ployer les os sous leurs violents efforts. Pendant cette épouvantable torture, Colombe gardait le silence et paraissait insensible, au point que les soldats du prétoire disaient entre eux :

« C’est un génie et non pas une femme ! »

Plusieurs fois elle étonna ses juges par son éloquence et sa hardiesse à prêcher la religion au milieu même du prétoire. Elle donnait des preuves si claires de la vérité et de l’origine divine du christianisme, qu’elle soutenait par des arguments tirés des livres de Confucius et d’autres philosophes païens, que les mandarins étaient stupéfaits de trouver tant de science dans cette faible femme. Ils l’appelaient la savante, la femme sans pareille, et disaient « qu’elle leur coupait la respiration » par ses sages répliques. Mais la haine de la vérité fut plus forte chez ces esprits lâches et inconséquents, et ils prirent tous les moyens pour arracher un acte d’apostasie à Colombe. Dieu soutint sa fidèle servante.

Par une permission de la Providence, on arrêta bientôt les compagnes de Colombe et on les jeta dans la même prison. Ces pieuses filles, oubliant l’horreur de leur sort, changèrent ce lieu détestable en un séjour de paix et de prières. Elles s’encourageaient mutuellement et exhortaient les autres confesseurs à suivre avec générosité la voie du martyre.

Un jour, Colombe aperçut de loin son beau-fils Philippe, comme elle prisonnier et qui semblait avoir faibli dans les tourments de l’interrogatoire.

« Mon fils, lui cria-t-elle, prends courage : Jésus-Christ est au-dessus de ta tête et te regarde. Ne t’aveugle point et ne va pas te perdre. Encore une fois, courage et songe au bonheur du ciel ! »

Fortifié par cette exhortation maternelle, Philippe tint bon et reçut quelques mois plus tard la couronne du martyre.

Le juge fut touché de la jeunesse de Bibiane et de sa virginale beauté :

« Comment, dit-il, toi qui fus élevée dans le palais avec tant de soins, peux-tu suivre aussi une religion si mauvaise et prohibée par le roi ? Veux-tu donc aussi mourir dans les supplices ?

— Je désire, répondit Bibiane, de tout mon cœur donner ma vie pour le Dieu que je sers. »

Le mandarin fut bien surpris de trouver tant de fermeté dans une si jeune fille : il résolut d’en triompher par tous les moyens de séduction qui étaient en son pouvoir. Mais, voyant qu’ll n’avançait en rien par la douceur, il la fit mettre à la torture et ordonna qu’on la frappât sur les jambes à coups de bâton. Le sang qui jaillissait des blessures de la courageuse martyre se convertissait en fleurs et s’élevait dans les airs, d’après une pieuse tradition. Ce prodige frappa de stupeur le mandarin : il défendit aux satellites d’en dire un mot au dehors de la prison, sous les peines les plus sévères.

Agathe Ioun imita, elle aussi, le courage de ses compagnes, et avec une égale patience elle supporta les mêmes tourments. Tant de vertus et de fermeté auraient dû attendrir des juges moins cruels, ou du moins les faire réfléchir sur la nature d’une religion capable de produire de pareilles héroïnes. Mais la haine aveugle qui les animait les fit, au contraire, passer par-dessus tous les usages du pays. Ils condamnèrent au dernier supplice, comme des rebelles de la pire espèce, ces pauvres jeunes filles dont tout le crime était leur innocence de vie et leur attachement à la foi de leur baptême.

Quelques jours auparavant, Colombe avait appris la fin glorieuse du P. Tsiou. Fidèle à la mémoire de son cher maître spirituel, elle déchira un pan de sa robe de soie et écrivit dessus tout ce qu’elle savait de la vie et des travaux du serviteur de Dieu.

Enfin se leva pour elle et pour ses compagnes le jour tant désiré du martyre.

Fidèles à leurs prières et exercices de piété, les pieuses femmes s’encourageaient mutuellement à la persévérance. Afin de se rendre dignes de leur céleste Époux, elles lui firent le sacrifice de leur vie avec une si grande générosité, que plus le moment suprême approchait, plus elles se sentaient comme enivrées d’un bonheur surnaturel qui étonnait leurs farouches gardiens.

Le 3 juillet 1801, Colombe et quatre de ses compagnes quittèrent la prison et montèrent dans la charrette des condamnés à mort. Durant tout le trajet, elles récitèrent leurs prières, s’exhortèrent réciproquement, et se mirent même à chanter les louanges de Dieu. La foule se pressait autour de la charrette ; mais les curieux étaient tout surpris de ne pas voir les malfaiteurs insignes tels que les édits dépeignaient les chrétiens. Tous étaient émus en voyant la joie céleste répandue sur le visage de ces pauvres femmes allant à la mort.

Les soldats voulaient écarter ceux qui se pressaient autour des martyres.

« Laissez-les donc approcher, leur dit Bibiane, laissez-les regarder à leur aise : tous les jours on va bien voir tuer des animaux ; pourquoi ne regarderait-on pas mourir des femmes ? »

Arrivée au lieu de l’exécution, Colombe, qui n’avait point perdu son sang-froid, se tourna vers le mandarin, et, par un sentiment délicat de pudeur chrétienne, elle lui dit :

« Les lois prescrivent de dépouiller de leurs vêtements les condamnés au dernier supplice : il serait cependant inconvenant de traiter ainsi des femmes. Allez donc avertir le mandarin et dites-lui que notre désir est de mourir habillées. »

L’officier, subissant lui aussi l’ascendant de cette femme modeste, accéda à son pieux désir.

Colombe s’avança donc la première et plaça sa tête sur le billot. Elle fit alors un signe de croix et le bourreau lui trancha la tête. Ses quatre compagnes suivirent immédiatement et partagèrent, avec celle qu’elles regardaient comme leur maîtresse, la glorieuse couronne du martyre. Bibiane Moun était radieuse ; et quand le glaive s’abattit sur elle et sur Agathe Ioun, un sang blanc comme du lait sortit de leurs blessures. Bien que ce fait soit extraordinaire, il n’est pas impossible que Dieu ait voulu renouveler en faveur des jeunes vierges le prodige qu’il fit autrefois à Rome, lors du martyre de sainte Martine, vierge. Les corps restèrent exposés au soleil et à la pluie pendant plusieurs jours, et furent trouvés intacts et sans corruption par de courageux chrétiens. Le sang était frais et vermeil comme s’il eût été nouvellement répandu.

Ainsi s’envola vers son céleste époux, âgée de quarante et un ans, cette fervente Colombe dont la vie et le glorieux triomphe semblent une page transcrite de l’Histoire des Catacombes. Preuve nouvelle que Jésus-Christ est toujours la force de ses martyrs. Preuve nouvelle qu’aujourd’hui comme hier, en Corée comme à Rome, sa grâce anime les petits et les faibles jusqu’aux sacrifices les plus sublimes et leur donne la victoire sur l’enfer et ses suppôts. Qu’il en soit loué à jamais !