La Corée ou Tchösen/Chapitre VI

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Ernest Leroux (Tome 26ep. 42-51).


VI. — LA CAPITALE DE QUELPAËRT


Tchou-Song est la capitale de Quelpaërt. Elle est située à environ un mille de la mer, à une distance qui ne dépasse pas 4 milles du port de Pelto. Elle est entourée, comme nous l’avons déjà dit, d’une muraille de 6 mètres de haut, sur près de 1 mètre de large, et construite avec des roches noires volcaniques. Les maisons sont bâties avec les mêmes matériaux et couvertes en chaume. Tchou-Song a trois portes appelées respectivement tonh-moun, la porte de l’Est, ss’o-moun, la porte de l’Ouest, et nam-moun, la porte du Sud. C’est une des trois principales villes de Quelpaërt, qui sont : Tchou-Song, dans le nord ; Tchengha, dans l’est, et Taitcheng, dans le sud. Elle a une population qu’on peut évaluer à 25,000 âmes, en se basant sur ses cinq mille maisons. Les deux autres villes ont chacune 5,000 âmes, de sorte que la population entière de l’île se monte approximativement à 50,000 personnes.

Les bâtiments officiels se composent d’une salle d’audience d’une structure imposante et construite dans le style des Yamen chinois, de la résidence du gouverneur et d’un certain nombre de résidences du même genre qui ont dû être jadis élégantes, mais qui tombent aujourd’hui en ruines. Tout près de la salle d’audience, on voit une cloche placée dans un kiosque qui rappelle, en miniature, celui de Tchong-no, à Séoul. Cette cloche semble n’avoir aucun usage particulier. Les portes de la ville ne sont pas fermées à la nuit tombante et les habitants ne sont pas forcés de rester chez eux comme à Séoul, les personnes des deux sexes étant libres de circuler selon leur bon plaisir.

La campagne qui environne Tchou-Song et Pelto est bien cultivée et des murs solides entourent les champs en exploitation. Les haricots, les pois, l’orge, le millet, le sarrasin et le froment sont les principaux produits. Le froment est la base de l’alimentation à Quelpaërt, quoique le riz soit aussi cultivé, mais en petite quantité.

Les fruits consistent en oranges, limons et différentes sortes de prunes. De grandes quantités de miel sont recueillies dans les montagnes. La faune est représentée par le sanglier, l’ours et le daim qui s’y trouvent en grand nombre.

La famille des oiseaux y est très bien représentée : l’oie sauvage, le cygne, le faisan doré et la caille y abondent, me dirent les indigènes. Je n’en vis point cependant et fus incapable de vérifier leur assertion. Les insulaires aiment beaucoup la pêche ; pour se livrer à cet exercice, ils se servent d’une sorte de radeau à double pont sur lequel on peut voir en tout temps un grand nombre de personnes occupées à pêcher dans le port de Pelto et les environs. On trouve là, en grande quantité, une monstrueuse bivalve (huître perlière), connue sous le nom de tchon-pok, dont la chair est très estimée quand elle est sèche et dont la coquille fournit une superbe nacre que les Coréens recueillent et vendent aux Japonais ; ceux-ci l’envoient alors dans leur pays où elle est employée pour la fabrication des objets incrustés et l’ornementation des boîtes. Les algues marines sont un important élément de nourriture pour les gens de la côte et des îles.

À propos de religion, Hamel dit : « Les Coréens en ont à peine une. Ils ne connaissent rien des mystères et des prédications, et par conséquent n’ont pas de discussion touchant les matières religieuses. » La religion bouddhique a pénétré en Corée au ive siècle et a atteint son apogée de splendeur de 960 à 1392 de notre ère. À cette époque, on bâtit de splendides monastères et des temples dont quelques-uns existent encore, quoique tombant en ruines. Il est certain que le bouddhisme s’établit à Quelpaërt, car le long des rues à travers lesquelles nous passâmes, je remarquai quatre grandes statues de Bouddha usées et défigurées par l’empreinte du temps.

Aujourd’hui, la religion des habitants de Quelpaërt se réduit simplement à une croyance aux esprits de la terre et de l’air (une sorte de chamanisme, un mélange d’adoration des ancêtres avec les idées de Pythagore) ; mais, dans ces convictions, la foi dans le dragon est l’idée suprême et prédominante. Les dieux de Quelpaërt sont réunis dans le Halla-San et, sauf les statues précitées, il ne reste dans l’île aucun vestige du bouddhisme.

Un vieillard, qui est venu me faire visite pendant mon séjour dans l’île, a fait la réponse suivante à ma question concernant l’histoire ancienne de l’île, sa religion, etc. :

« Lors de la création de la terre, l’homme n’existait pas. Mais, un jour, de ces cimes (désignant les hauteurs de la montagne Halla-San) il sortit trois hommes qui s’appelaient Ko, Yang et Pou.

« C’est ainsi que l’homme est venu sur la terre.

« Les trois hommes descendirent la montagne en causant de choses graves et ils se rendirent aux bords de la mer ; à peine s’y trouvèrent-ils qu’ils apercevaient une boîte, qui, apportée par les vagues, fut déposée à leurs pieds. Sans attendre ils enlevèrent le couvercle et, à leur grande joie, y trouvèrent dedans trois jolies femmes, qu’ils s’empressèrent d’épouser : de là, l’origine de la race humaine. Quant à l’origine des bêtes et autres choses nécessaires à la vie de l’homme, elles ont été déposées sur les cimes d’Halla-San par des nuages. »

Puis le vieux ajouta :

« Les descendants de Ko du 15e grade ont construit un bateau avec lequel ils s’embarquèrent faire un voyage. Ils sont descendu en Corée où ils ont rendu visite au roi, guidés par un astre. Il paraît que leur arrivée avait été prédite par l’astrologue de la cour du roi de la Corée et pour cette raison Tchae-Tchiou rend tribut à Tchosen. »

Tchösen a bien son premier roi qui descend des nuages et se trouva sous un arbre de santal. Tchae-Tchiou pourra bien, de son côté, placer le berceau de ses trois Adam dans le sein de la montagne d’Halla-San.

Dans le San-Kokf-Tsou-Ran-to-sets ou « Aperçu général des trois royaumes », traduit de l’original japonais-chinois par Klaproth, on trouve sur Quelpaërt la note suivante : « Tsi-tcheou-tching est au sud de Nan-ynan-fou et sur l’île Nan-haï-to de la mer Méridionale, qu’on appelle aussi île de Tsi-tcheou. Ce furent les rois de Tchao-sian, qui établirent ici une ville de deuxième ordre… C’est l’ancien Tan-lo. Sous les Yuan (1301), on établit à Tan-lo un commandement militaire ainsi qu’une station de la marine » (p. 55-56).

Dans l’histoire de la Corée, intitulée Toung-Kouè-tong-Kian, citée dans la grande Encyclopédie japonaise, on lit : « Tan-lo est une île située dans la mer, au sud de la Corée. Du temps de Tcheou-wen-wang, roi de Pé-tsi, ses habitants envoyèrent pour la première fois le tribut au Pé-tsi. Il y a une montagne qui est sortie de la mer ; voici ce que les habitants de Tan-lo racontent sur son origine : Des nuages et des brouillards couvraient la mer, et la terre trembla avec un bruit de tonnerre pendant sept jours et sept nuits ; enfin les ondes s’ouvrirent et il en sortit une montagne haute de plus de 100 tchang (1 tchang = 3m,381) et ayant 40 li, ou plus de 22 kilomètres de circonférence. Il n’y avait ni plantes, ni arbres, et une épaisse fumée couvrait sa cime qui, de loin, paraissait être composée de soufre. Thian-Kong-tchi, docteur de l’Université de Corée, y alla pour examiner la montagne en détail et en fit un dessin qu’il rapporta. Cet événement eut lieu sous la dynastie chinoise des Song, dans la quatrième des années King-té (1007 de J.-C). Sous les Song, dans la sixième des années Tchao-ting (1233 de notre ère), l’empereur mongol Ogadaï envoya son général Sa-li-tha pour conquérir la Corée.

« Celui-ci arriva en effet jusqu’au sud de la ville royale et s’empara de Tchou-tchou-tching… Les Mongols établirent dans la capitale et dans les autres villes un système d’inspecteurs (au nombre de 72) qu’ils appelèrent « Darouk-hatchi ». Tous ont été, ce me semble, mis à mort par le peuple de Kaoli. Les Mongols envoyèrent alors une armée contre le Kaoli, et, prenant chaque cité l’une après l’autre, rétablirent l’ordre et la paix. Depuis 1264 jusqu’à 1294, les habitants du pays tout entier furent incorporés sous les bannières mongoles. »

Il ne semble pas douteux que les habitants de Tchae-Tchiou soient les descendants des Mongols qui, comme le prouvent les relations chinoises, s’installèrent dans l’île, il y a six cents ans, et y établirent, outre des garnisons, les jetées qui ont gardé l’empreinte du temps comme du génie de ceux qui les ont construites et qui attestent aussi des sentiments guerriers. J’ai su que des livres et des manuscrits existaient dans l’île, mais malgré toutes les ruses que j’ai employées pour m’en procurer, je n’ai pu réussir à en obtenir même un seul. Cela ne semblera pas, du reste, étrange au voyageur qui a vécu en Corée, car, à Séoul, aussi bien qu’à Tchou-Song, c’est un vrai travail d’Hercule que d’arriver à jeter un coup d’œil sur un volume relatif au passé de la Corée : on regarde presque comme un crime de parler des actions des morts, vénération qui va même jusqu’à éviter, autant que possible, de mentionner le nom des rois.

Durant mon séjour à Tchae-Tchiou, je demandai fréquemment des renseignements sur Hamel. Mais tout souvenir de sa visite s’est évanoui avec la génération qui l’a vu. Un vieillard de quatre-vingts ans me dit que, quand il était encore enfant, un bateau s’était échoué sur la côte, mais que les passagers n’avaient pas été autorisés à rester dans l’île et avaient été renvoyés immédiatement sur le continent.

Je m’étais laissé dire que les Portugais s’étaient jadis établis à Quelpaërt. Cette assertion semble n’avoir pas le moindre fondement, si l’on en juge par le teint et le type des habitants qui ont l’air absolument mongol et tartare.

Le 2 octobre, me trouvant toujours dans l’impossibilité de débarquer mes hommes, même après la visite que j’avais faite à la capitale, et tenu sous une stricte surveillance, je résolus de me retirer. Un changement de vent nécessaire, et nous n’attendions pas autre chose.

Je passai la journée sur le quai à faire des photographies, recevant des visites, entre autres celles de beaucoup de personnages de la classe officielle, affligés de maladies de foie, de fièvres gastriques, d’ophtalmies et de syphilis. À Tchae-Tchiou, comme dans l’Afrique centrale, une boîte bien garnie de médicaments est la meilleure arme pour détruire les préjugés d’un peuple sauvage. Malheureusement, mon stock de remèdes fut bientôt épuisé et je fus dès lors forcé de mystifier ceux qui venaient me consulter, en leur donnant des préparations inoffensives que je pus faire (avec de l’eau de mer comme base). L’ordre transmis au capitaine de partir aussitôt que le vent aurait changé, donna une nouvelle vie à mon équipage ainsi qu’à Kim et à Tchong qui étaient plus ou moins inquiets. Il ne fallait pas non plus oublier notre vieux pilote Yang Man Touk, qui avait pris place parmi nous de force et qui avait été, s’il faut en croire ses dires, chassé du pays et menacé violemment parce qu’il nous avait amenés à Quelpaërt. Je le fis venir et lui proposai de le conduire à l’extrémité orientale de l’île d’où il pourrait, sans obstacle, gagner sa maison qu’il disait être située dans l’intérieur. Je lui donnai une certaine somme d’argent en sapèques (petites monnaies de cuivre enfilées dans une corde) qu’il enroula autour de son corps, en me faisant le k’ot’éou (salutations) à plusieurs reprises, et en m’avouant qu’il n’avait jamais été possesseur d’une aussi forte somme. Il insinua ensuite qu’il irait silencieusement à terre la nuit venue et se dirigerait vers la demeure d’un ami ; il n’était pas effrayé, disait-il, il ne lui arriverait pas malheur. Et il s’en alla comme il l’avait dit.

Le 3 octobre, à 3 heures du matin, le capitaine me réveilla. Le vent, disait-il, avait changé et était favorable. « Partons, capitaine », lui répondis-je. Notre barque, éclairée par un brillant clair de lune, sortit alors tranquillement du port ; grâce à une bonne et forte brise, elle pressa son allure dans sa course vers le continent. Au coucher du soleil, nous gagnâmes sans encombre le point sous le vent du groupe Soando et, tournant vers le nord-est, nous continuâmes notre route durant la nuit et le jour suivant.

Le 5, nous entrâmes dans le petit port de Madjamok pour prendre de l’eau fraîche.

Le 6, nous étions à To-yong, un superbe port, magnifiquement situé. De ce point, le rivage offre une succession de jolis petits villages qui sont une preuve de la prospérité du pays.

Le 7, à midi, nous étions de retour à Fousan. Cinq cents milles dans un sampan, les dangers de la mer, la rencontre possible d’un typhon, un heureux voyage à la mystérieuse et terrible île de Quelpaërt, telles furent les causes pour lesquelles notre petit bateau et son équipage, au milieu des simples pêcheurs qui nous souhaitaient la bienvenue avec enthousiasme, furent chaudement félicités de leur heureux retour.

Fousan (35° 6′ latitude et 126° 41′ longitude est de Paris) constitua jusqu’en 1868 un fief de Tshushima. À cette époque, il fut volontairement cédé par le Japon à la Corée. À la suite d’un traité avec le Mikado, en 1876, il fut ouvert au commerce. C’est encore une concession japonaise quant à l’aspect, à la construction et à la population qui comprend 3,000 âmes. La ville indigène coréenne est située à 3,800 mètres de distance, à la pointe de la baie, mais ce n’est qu’une simple réunion de huttes en boue et en chaume.

Le port de Fousan est peut-être le plus important de la Corée : il a un grand commerce d’exportation qui consiste en céréales, haricots, pois, peaux, os, algues marines, poissons, ailerons de requin, tchon-pok secs et coquilles de tchon-pok, chanvre et minerai de cuivre. Son climat est doux et sec, si bien qu’il peut être considéré comme le séjour le plus charmant de la Corée. Le port lui-même est excellent : il est absolument fermé par la côte et l’île du Daim, qui le met à l’abri de la mer et des typhons dont les forces s’épuisent en vain contre cette île majestueuse.

Le consul du Japon à Fousan, M. Murola, est à la tête du conseil municipal de cette ville ; grâce à sa direction intelligente, des rues et des avenues vont être ouvertes, et sous peu Fousan deviendra une station d’été où se donneront rendez-vous les gens de la capitale, dont le climat est insupportable pendant la saison chaude, en raison de l’excessive température et de la malpropreté inénarrable qui distingue Séoul.

Le 19 octobre, je pris passage sur le steamer Takachio Maru pour aller à Guensan ou Wôn-San. et de là à Vladivostok, ville russe située au nord-est de la Sibérie.

Vladivostok va être puissamment fortifié par une série d’ouvrages qui commanderont l’entrée de la baie. Il possède aussi une garnison militaire de soldats cosaques dont le nombre est, dit-on, de quinze mille, et sa population, sans compter les effectifs de l’armée et de la marine, est de dix mille âmes. Il y a là un grand nombre de Russes, de Finnois, de Polonais et d’Allemands. Le commerce est presque entièrement entre les mains de ces derniers. Les basses classes sont composées d’Aléoutiens, d’Aïnos et Kouriles du Sakhalien et du Yesso, de Korouks, de Tchouks et de Kamschadales, de Lamouls, de Goulaks, de Yackouts et de Bouriates, originaires des bords de l’Amour, de Menzes venant de Possiet, de Tartares, de Manjoors et d’Orochons, habitants des territoires qui s’étendent jusqu’à l’Olga. Parmi eux doivent être compris six cents Japonais, trois mille Chinois et mille coolies coréens. Ce mélange d’individus donnera quelque idée de la population mixte de Vladivostok.

Les autorités russes ont tout récemment établi de très lourdes taxes sur presque toutes les marchandises étrangères, dans le but avoué d’éloigner les négociants étrangers et d’encourager leurs propres commerçants.

Vladivostok a l’apparence d’une des villes sauvages situées sur la frontière occidentale de l’Amérique. Le long de bâtiments en pierre et en briques presque semblables à des palais, on peut voir de misérables masures en bois qui servent de demeure aux pauvres, mais qui remplissent aussi l’office de cabarets, la consommation de « vodka » étant véritablement effrayante à Vladivostok.

Vladivostok, le terminus qu’on a en vue pour le chemin de fer transsibérien projeté, est sans doute destiné à devenir, dans un avenir rapproché, un point d’un intérêt politique considérable. Le climat y est réellement exécrable ; les hivers y sont longs et très froids, et les étés, bien que frais, y sont caractérisés par des brouillards continus qui enveloppent la cité comme d’un manteau de brume et de ténèbres. Une poste impériale traverse la Sibérie, longe le fleuve Amour et se dirige vers Tchita. Irkotsk sur le lac Baïkal, Tomsk, Perm et Nijni-Novgorod, pour de là gagner Moscou.

Le 26, je revins par le même steamer à Wônsan, où je me proposais de prendre la route de terre à travers la Corée pour rentrer à mon poste, distant de 200 kilomètres.

Wônsan ou Port-Lazareff est un superbe port bien fermé. C’est de lui qu’on a dit : « Ses rivages sont une suite de magnifiques anses et promontoires, et les flancs de ses collines, tombant à pic dans un drap verdoyant de gazon, de ronces et d’arbustes, plongent ici dans l’eau profonde, tandis que là-bas c’est une plage couverte de blancs galets. Il contient un mouillage de plusieurs milles carrés, avec une profondeur d’eau de 6 à 10 brasses, et une marée qui ne monte et ne descend que de 2 pieds. »

La structure des maisons de Wôn-San est de style japonais, et, en fait, la plus grande partie de sa population est japonaise. On rapporte qu’il y a beaucoup d’or dans le pays environnant et qu’on exporte de là une quantité considérable de poudre de ce métal. On se livre aussi, à Wôn-San, à un grand commerce de fourrures et de peaux, les tigres et les léopards s’y trouvant en grand nombre.

Le 29 octobre, je fus reçu chez deux personnes hospitalières, le commissaire des douanes de Wôn-San et son assistant, qui me procurèrent un guide et deux chevaux de bât, et, avec ce simple moyen de transport pour moi et mes bagages, ou plutôt pour mes bagages seulement, car je fis presque toute la route à pied, je quittai Wôn-San. Je me rappellerai toute ma vie ce renvoi de mes domestiques pour faire, sans compagnie, un voyage dans un pays où un serviteur est presque le seul titre nécessaire pour être rangé parmi les Yang-Ban (nobles). J’ai à peine besoin de dire que je souffris d’abord des puces et de tous les autres insectes hémiptères, que je fus ensuite cuit au point d’en mourir dans les horribles chenils où je fus obligé de dormir pendant la nuit, et que je perdis enfin toute ma dignité en voyant que des coolies employaient, pour s’adresser à moi, l’expression « yo-po » (dis donc !), comme s’ils avaient affaire à un de leurs camarades.

Je traversai en route des placers et des mines d’or et j’atteignis le cours d’eau connu sous le nom de Han, qui passe près les murs de la capitale, que je suivis pendant 32 kilomètres depuis ses sources bouillantes dans les montagnes jusqu’à l’endroit où il s’élargit et se transforme en une fière et murmurante rivière.

Dans la matinée du 4 novembre 1888, j’entrai à Séoul.

Le 10 novembre et de rechef le 18 décembre, le roi m’invita à venir le voir en audience privée. Il s’intéressa beaucoup à mon voyage à Quelpaërt. Chose assez étrange, il ne connaissait rien ou presque rien de ce pays mystérieux et du peuple qui l’habite, et était curieux d’avoir à ce sujet des renseignements, en même temps qu’il désirait savoir quel serait le meilleur système de défense des côtes à appliquer à Quelpaërt et à Wôn-San. J’accédai naturellement à la demande du roi qui saisit cette occasion de renouveler sa gracieuse proposition par laquelle il voulait que j’acceptasse le commandement en chef de son armée, honneur que je croyais de mon devoir de décliner. C’est par cet agréable épisode que se termina mon expédition à Quelpaërt ou à l’île de Tchae-Tchiou.