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La Correspondance de Bossuet/06

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La Correspondance de Bossuet
Revue des Deux Mondes6e période, tome 58 (p. 374-406).
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AUTOUR
DE LA
CORRESPONDANCE DE BOSSUET

VI [1]
LES DERNIERS ACTES DE BOSSUET A METZ
(1663-1668)


I. — UN INTERMÈDE AUX GRANDES PENSÉES

Restaurer dans le Jansénisme le sens de l’Obéissance contre la Raison, par raison même et par amour ; — réconcilier le Protestantisme avec un Catholicisme mieux connu et une Eglise comprise, — c’étaient là sans doute de ces pensées par où s’affirme un grand esprit, qui domine apparences et contingences pour voir au fond des âmes les tendances secrètes, et suivre en l’avenir prévu la logique des conséquences. Et l’homme qui portait en lui-même ces méditations profondes et lointaines et qui on formulait les résultats avec tant de sûreté, nous sommes tentés de nous le figurer comme une sorte de philosophe serein, ratiocinant dans la paix introublée des cimes.

Il n’en est rien pourtant. Et, précisément, il nous faut ici profiter d’un document annexe de la Correspondance[2]pour nous rendre compte des réalités, basses ou désagréables, avec lesquelles avait à compter ce penseur chrétien en ascension, et des exigences prosaïques de cette lutte pour la vie où il devait, tout comme le premier venu, se débattre.

Ce document, c’est une requête, adressée, probablement en août 1664, par l’intermédiaire du comte d’Albon et de l’abbé Montaigu, au chancelier Pierre Séguier : « Depuis quatre ans, on conteste à l’abbé Bossuet le prieuré de Gassicourt, — qu’il a de feu M. le Cardinal (Mazarin), — par toute sorte de chicanes. Ce procès, depuis ledit temps, est lié au Grand Conseil entre toutes les parties. La récréance, » — c’est-à-dire la possession provisoire du prieuré en litige, — a été « adjugée audit Bossuet qui est en possession. Le procès présentement est sur le bureau depuis près de quinze jours… Monsieur le Chancelier est supplié de vouloir arrêter le cours des chicanes qu’on prépare, et maintenir le dernier arrêt [du Grand Conseil], afin que ledit Bossuet puisse reprendre, et continuer avec plus de liberté, ses occupations ordinaires. [Signé] — BOSSUET. »

De quoi il retournait[3], nous le savons désormais très exactement. Le prieuré-doyenné de Saint-Sulpice de Gassicourt-lès-Mantes appartenait, au commencement de 1660, à Pierre Bédacier, ce bénédictin de Cluny suffragant de Mgr Henri de Verneuil et administrateur du diocèse de Metz. Bossuet avait eu, — on s’en souvient, — avec Bédacier, depuis son arrivée à Metz, d’excellentes relations. Il le secourait, — nous aurons encore lieu de le signaler, — dans les luttes que le pauvre évêque contesté avait à subir de l’acharnement des chanoines. Rien d’étonnant à ce que Bédacier eût l’intention de récompenser son jeune allié, en lui transmettant un de ses bénéfices. C’est ce qu’il fila l’automne de 1661, vers le 13 octobre, où, revenant de Paris à Metz, il tomba gravement malade en chemin, à Château-Thierry. On le transporta au château du Charmel, chez un ami. Il manda Bossuet, et se voyant mourir, il exprima, — sous quelle forme nous l’ignorons, — son désir « que le prieuré de Gassicourt revint après sa mort à Bossuet. » Grâce à des combinaisons sur quoi je reviendrai tout à l’heure, — mais auxquelles, dès le 15 octobre, le cardinal Mazarin, abbé et supérieur général de Cluny, se prêta sans objection, — les bulles sollicitées à Rome pour Bossuet furent « accordées le 3 des calendes de mars 1661, » « fulminées en l’Officialité de Paris le 20 juillet, » et Bossuet prit possession par délégué le 24 juillet de la même année.

Entre la mort de Bédacier et l’octroi des bulles, nulle protestation ne s’éleva contre cette nomination. Mais il n’en fut pas de même aussitôt Mazarin décédé.

Presque immédiatement, cinq concurrents fondent sur l’héritier de Bédacier, — brandissent des « droits » et des « titres divers, » — battent en brèche de concert ceux de Bossuet. Successivement à chacun d’eux, Rome, indifférente, accorde des bulles comme à Bossuet lui-même, laissant à ces Français, qui la volent en somme, le soin de se débrouiller devant la justice de leur pays. Les rivaux de l’archidiacre de Metz font appel au Grand Conseil… Et c’était le troisième procès que Bossuet avait, à l’âge de trente-trois ans, à soutenir pro domo sua.

Avait-il la raison et le droit pour lui ? On se rappelle ce que nous avons dû constater déjà à propos de son canonicat, sur ces transmissions de bénéfices ecclésiastiques. Toutes prêtaient plus ou moins à conteste, et il n’était guère de prétention qui ne trouvât des textes ou des traditions où s’appuyer, « les droits des diverses autorités étant fort mal définis alors, » comme l’observe avec raison M. Jovy, le dernier enquêteur et narrateur de cette affaire. « A Cluny, l’abbé séculier de l’Ordre et le grand prieur, moine régulier, prétendaient, l’un et l’autre, » pouvoir nommer aux bénéfices vacants… Et aussi, l’Evêque du diocèse où était sis le bénéfice… Et le Pape, également, si l’on s’adressait directement à lui. Les cinq concurrents de Bossuet se réclamaient de ces distributeurs divers : heureusement encore qu’en l’espèce il n’y avait point de seigneur laïque qui se crût en droit de disposer de Gassicourt !

Quant à Bossuet, il s’autorisait, légalement, et du désir formel de l’ancien possesseur, et de l’adhésion de l’Abbé de Cluny. Le faible de sa cause, c’était, d’abord, la façon dont la dévolution s’était faite.

Si Pierre Bédacier s’était avisé plus tôt de lui résigner son bénéfice, — comme autrefois, à Metz, si le chanoine Royer n’avait pas été si lent à favoriser son jeune ami, — les choses eussent marché, sinon toutes seules, au moins plus aisément. Mais Bédacier ne s’était décidé qu’à la veille de son dernier souffle, et la résignation in extremis n’était pas légale : cela se comprend. Trop tardivement généreux, Bédacier avait donc dû, sur son lit de mort, donner sa démission pure et simple. Seulement, de cette démission d’un bénéfice régulier, congréganiste, un régulier seul pouvait profiter. C’est pour cela qu’il avait fallu que les conseillers de Bossuet, — ou lui-même, — recourussent à un tiers, — à cette « personne interposée, » qui a de tout temps sauvé tant de situations, justes ou injustes. — Bossuet se découvrit, non loin de Château-Thierry, à Chalon-sur-Saône, un cousin germain du côté maternel, religieux bénédictin. Dom Jacques Droüas de la Plante accepte d’être le moine « homme de paille » qu’il fallait : ce fut en sa faveur que Bédacier démissionna. Immédiatement, partant en poste, Jacques Droüas vient présenter cette démission à Mazarin qui lui accorde sur-le-champ des « provisions » en forme. Bédacier était mort le 19 octobre : « dès le 20, dom Droüas sollicitait des bulles à Rome, mais alors non plus pour lui-même, mais pour Bossuet, » déclarant n’avoir accepté du défunt prélat ce bénéfice que pour le « résigner » à l’archidiacre de Metz. Tout ce manège n’avait nullement scandalisé le Saint-Siège : il en voyait bien d’autres.

Seulement cette procédure ingénieuse n’était pas faite pour décourager la chicane. C’est ce que nous montrent avec surabondance les factums que l’on a publiés ces derniers temps. Et ils nous montrent aussi que Bossuet, malgré son talent, malgré sa vertu, malgré sa situation officielle grandissante, n’imposait pas du tout à ses adversaires autant de respect que ses dévots le pourraient présentement souhaiter. Un seul d’entre eux, dom Paul de Hancher, fait l’aumône de quelques compliments à l’orateur du Carême de 1662 : « L’abbé Bossuet est notre ennemi le plus redoutable… Il porte sa recommandation avec lui ; il est prédicateur ; ses mœurs sont exemplaires ; la vertu est peinte sur son visage. » Mais c’est un simple salut en passant, et le reste du factum de dom Paul de Hancher n’est pas moins vif contre le doyen de Metz qu’il ne l’est contre ses autres concurrents : dom André de Cugnac-Imonville, dom Gouin, dom Charles Fourdrinière, ou dom du Laurens. Quant à Dom Pierre du Laurens, prieur du prieuré-collège de Cluny, docteur en théologie de la maison de Sorbonne, futur évêque de Belley, il écrit, lui, deux mémoires. Dans le premier, il dresse contre Bossuet un réquisitoire acharné. Dans le second, qu’il dirige contre dom André de Cugnac, dom Gouin et dom François de Valgrave, il consacre une addition fort longue à vilipender Bossuet derechef. — Et nul doute que si nous avions les pièces d’éloquence composées pour le compte de dom de Cugnac, de dom Gouin et dom Fourdrinière ou de dom de Valgrave, nous n’y trouverions les mêmes virulences ou d’autres.

De ces imputations contre Bossuet, y a-t-il quelque chose à retenir ? — Du quoi ne l’accuse-t-on pas, cet adversaire « le plus redoutable, » et surtout déjà pourvu et beatus possidens ? — J’omets bien entendu la menue monnaie : les griefs pour vice de forme, qualifiés naturellement de manœuvres dolosives et de falsifications coupables[4]. On ne l’accuse pas seulement d’avoir poursuivi ce bénéfice « par course ambitieuse ; » — ce qui, au fond, était assez exact ; — mais encore par des procédés qui auraient été moins excusables que des ruses de procédure ; on l’accuse de « s’être intrus audit prieuré par confidence, » c’est-à-dire par une intrigue « clandestine, avaricieuse et simoniaque ; » on l’accuse, surtout, d’avoir, pour prendre le temps nécessaire à la connivence de son complice et cousin Droüas, dissimulé la mort le Bédacier. A l’effet de quoi, « Bossuet n’aurait pas craint d’empêcher le lieutenant-général de Château-Thierry de venir apposer le scellé, visiter le corps mort et reconnaître le jour du décès, faisant dire que si ledit sieur lieutenant-général venait, il lui ferait fermer la porte. » Bien plus, chose horrible, il a, dans le même dessein, embaumé, — ou, comme il est dit moins élégamment et avec une intention visible d’outrage — il a « salé » le cadavre de l’évêque suffragant de Metz. Or était-il nécessaire de « saler » un homme « mort sur la fin d’octobre, mois qui avance dans l’hiver, et par conséquent susceptible d’être gardé plusieurs jours sans artifice ni infection ? » Le sieur Bossuet a pourtant, en grande hâte, « fait écrire par Fournier, médecin, à Taillefer, apothicaire à Château-Thierry, de lui envoyer au Charmel des drogues aromatiques. » « Et il a brûlé la lettre ! » Pourquoi l’a-t-il brûlée, cette lettre, sinon pour supprimer la preuve de l’embaumement ? Cet embaumement scélérat fut pratiqué sur le cadavre « encore tout chaud. » Et, si l’on ajoute que « pendant quatre jours au moins à partir de l’Extrême Onction, » l’entrée de la chambre du défunt a été interdite, et que postérieurement à la mort, « on a porté » ostensiblement, dans l’appartement du défunt, » pendant plusieurs jours « des bouillons et des gelées » pour faire croire qu’il était encore vivant, dans l’un ou l’autre cas, le crime est patent.

On pense bien que cet amas d’inductions et d’interprétations hypothétiques, jetées les unes par-dessus les autres — alors même qu’elles se contredisaient, — par la sophistique inventive des L’Intimé et des Petit-Jean du barreau, n’émut pas la justice. Le Grand Conseil n’eut pas de peine à se rendre compte que Bossuet, « résignataire par démission, » avait « le droit le plus apparent, » et, par « arrêt du 31 mars 1662, lu le 19 mai suivant, » il lui accorda la possession provisoire du bénéfice[5]. Quant à l’exhumation du corps, réclamée par le demandeur, le juge la refusa sagement, Bossuet n’ayant jamais nié que le corps avait dû être embaumé. Très légitimement donc, en mai 1662, le doyen de Metz devenait doyen de Gassicourt.

Mais un procès pour « résignation irrégulière » qui ne durât qu’un an, cela ne se voyait point au XVIIe siècle. De plus, Bossuet avait des adversaires acharnés. « Un certain conseiller Hervé, de la troisième chambre des Enquêtes du Parlement de Paris, n’épargnait rien pour faire triompher Cluny, auquel il était tout dévoué, » — dévoué par intérêt personnel, comme le fait observer Bossuet dans une requête de 1664. — Enfin, ainsi qu’on l’a remarqué avec raison, « à ce moment le nom de Bossuet était loin d’être en faveur » dans le public. Il n’y avait pas très longtemps qu’un des cousins de l’archidiacre de Metz, — Jacques Bossuet, — avait été condamné successivement au Châtelet, à l’Officialité de Paris et au Parlement de Grenoble, sur requête d’une certaine demoiselle Roussel qui prétendait avoir été épousée par lui. Un autre de ses cousins issus de germain, François Bossuet, — ce parvenu dont nous avons vu plus haut que Jacques-Bénigne étudiant et son frère avaient eu l’utile protection, — venait de tomber en disgrâce. Longtemps homme de confiance du Surintendant, il se trouvait compromis dans son procès et soulevait la réprobation publique par une fortune immense due vraisemblablement à des concussions. La Chambre de Justice lui réclamait « des millions extorqués. » Sans doute, Bossuet n’était pas entaché par ces vilaines affaires qui ne l’empêchaient point d’être appelé par l’archevêque de Paris et par le Roi à prêcher à la Cour ; — mais les avocats de ses adversaires ne négligeaient pas l’occasion d’insinuer que le nom de Bossuet signifiait « homme habile dans l’art des exactions »[6].

Et donc l’affaire suivit son cours, un an, deux ans encore. De guerre lasse, quelques-uns des prétendants se retirèrent. « Il ne resta plus que Charles Fourdrinière, » le candidat soutenu par le Prieur de Cluny. Mais à ce petit et obscur personnage, « la congrégation de Cluny substitua comme plus autorisé et autrement redoutable » celui dont nous avons déjà cité le factum, dom Pierre du Laurens, Parisien d’une vieille famille bourgeoise, médicale, parlementaire, ecclésiastique. Alors le débat change de face. Avec du Laurens, seul champion, c’était Cluny qui défendait ses privilèges, ses bénéfices, et même un principe : principe de droit canon : « Regularia regularibus : les biens monastiques doivent être réservés aux moines. » Le nouvel Abbé de l’Ordre, le cardinal d’Este, ne s’intéressait point, ce semble, à Bossuet. Mais peut-être pas beaucoup plus à son Ordre. S’il avait fait bloc contre Bossuet avec le Prieur, le procès eût pu tourner tout autrement.

Car en somme, elle était fort juste, cette vieille maxime, pour laquelle Cluny parlait en guerre. C’était sagement que les Conciles avaient voulu « faire cesser, » dans ces attributions de biens, « le mélange des clercs et des moines, garder l’ordre de la hiérarchie et maintenir distinctes et autonomes, la vie et les ressources des congrégations monastiques. » Stipulée par le concordat de 1516, réclamée par le Concile de Trente et par les conciles provinciaux du XVIe siècle, cette règle, — ainsi que le remarque justement M. Jovy, — « avait été aussi reconnue juste et utile par Charles IX, par Henri III, par Louis XIII. » A coup sûr, l’intrusion de prêtres séculiers dans les bénéfices d’un Ordre était un abus. Et un casuiste de Port-Royal n’eut pas donné raison à Bossuet sur ce point.

En tout cas, Du Laurens essayait de dessaisir le Grand Conseil, « à qui, régulièrement, les causes de Cluny étaient commises, » mais qui avait fait gagner Bossuet. La manœuvre faillit réussir. Sous prétexte que le doyen de Metz « comptait un certain nombre de parents parmi les magistrats du Grand Conseil, » le Conseil privé, par arrêt du 18 juillet 1664, défendit au tribunal suspect de passer outre. Bossuet dut, par une nouvelle requête, prouver que les parentés à lui objectées étaient inexistantes, et obtenir du Conseil privé un deuxième arrêt (2 août 1664) qui laissait au Grand Conseil la connaissance et la décision.

Ce combat acharné, ses vicissitudes, l’incertitude de l’issue nous expliquent la requête au Chancelier Séguier dans laquelle on voit Bossuet user à son tour des influences dont il pouvait disposer. Il est membre de la Compagnie secrète du Saint-Sacrement, — dont le Chancelier Séguier fait d’ailleurs partie. — Le comte d’Albon, chevalier d’honneur de la duchesse d’Orléans, l’abbé de Montaigu, alors grand aumônier de la Reine d’Angleterre, en sont membres aussi. Bossuet connaît, sans doute, particulièrement le comte d’Albon, par Rancé, son beau-frère. C’est à lui qu’il envoie, pour être remis à Montaigu, qui lui-même le transmettra à Séguier, le placet significatif que MM. Urbain et Levesque ont retrouvé. Et l’on voit que, contrairement à ce qu’a pu croire jadis Floquet, le doyen de Metz ne se désintéressa point de l’affaire. Ses ressources diverses, disons-le tout de suite (nous aurons lieu d’y revenir), étaient au total, malgré leur chiffre en apparence élevé[7], assez modiques, et surtout, assez précaires, pour qu’il ne pût dédaigner un revenu de six mille livres. Mais ce qu’on aperçoit surtout, dans cette supplique courte, nette, et vive, — c’est je ne sais quelle nervosité, si je ne m’abuse[8]. Ne peut-on l’excuser ? Il le dit lui-même : par de telles chicanes et interminables procédures, ses grands travaux sont étrangement gonds, ou même (puisqu’il parle de les « reprendre ») sont suspendus… Il a hâte d’y revenir. Quand on a dans l’esprit et dans le cœur de réconcilier le Jansénisme avec le Pape et le Roi, l’église protestante avec l’Eglise catholique, il est désobligeant de plaider, trois ans durant, qu’on n’a pis « dérobé M un bénéfice en « celant » et « salant » le cadavre de son ancien évêque[9] .


II. — LA RÉVOLTE DE SAINTE-CLOSSINDE. — LES MISÈRES DU MONACHISME

L’intervention auprès des religieuses de Port-Royal et la négociation avec Paul Ferry sont, entre 1659 et 1670, les deux seuls épisodes de la vie de Bossuet, où sa correspondance nous l’ail montré prenant part, quoique toujours archidiacre, et, ensuite, grand doyen de Metz, aux affaires générales de l’Eglise française. Ce n’est pas à dire qu’en cette période où le gouvernement nouveau se préparait un personnel à son gré, Bossuet n’ait pas eu d’autres occasions de faire ses preuves.

C’est ainsi qu’en 1663, il est mêlé, non seulement par des prédications, mais par une sorte de patronage, à cette grande entreprise de la fondation du séminaire des Missions étrangères, liée aux grandes vues coloniales de Colbert et à ses desseins pour l’expansion de la France dans le monde. — C’est ainsi qu’en 1664-1665, à la Faculté de Théologie, il participe aux censures publiées par la Sorbonne contre des ouvrages ultra-montains ou aux réserves formulées par elle contre une bulle d’Alexandre VII qui condamnait des écrits gallicans[10]. — Dans le même temps, il joue un rôle, et même principal, dans cette réformation du monastère de Sainte-Glossinde de Metz, laquelle, tout en ayant un monastère lorrain pour objet, se rattachait à un ensemble de faits et d’idées. D’aucune de ces trois affaires, sa correspondance ne dit rien[11].

Il y a là de quoi s’étonner. Encore, pour les deux premières qui furent courtes et dont le théâtre était à Paris, on peut admettre, à la rigueur, que Bossuet n’eut guère ni à écrire ni à recevoir de lettres, tout se passant de vive voix. Mais comme cela est invraisemblable pour la troisième !

Les entreprises singulières, l’insubordination de Mme Louise de Foix occupèrent Bossuet au moins un an, probablement davantage. Si cette affaire exigea de lui, en 1663-1664, plusieurs voyages à Metz, elle l’occupa à Paris même, où le tableau, — l’horaire presque, — de sa prédication, si soigneusement établi autrefois par Eugène Gandar, et l’abbé Lebarq puis par les abbés Urbain et Lévesque, nous montre qu’il ne cessa pas de prêcher à Paris en juin, en août, en novembre et décembre 1663, en janvier, en mars, en mai 1664. Ajoutons qu’il n’y avait pas seulement à traiter avec l’abbesse et les religieuses rebelles, mais avec l’évêque de Metz, avec le Chapitre, avec les magistrats, avec la Cour de Rome ou le Nonce à Paris. Comment se fait-il que de toutes ces tractations, forcément écrites, nul papier ne subsiste plus ?

C’est grand dommage. L’affaire était intéressante. Dans sa gravité, elle avait même des côtés comiques auxquels Bossuet, ironique Bourguignon, ne fut pas plus insensible, j’imagine, qu’il ne le fut plus tard aux extravagances de Mme Guyon. Surtout, elle est un exemple, typique autant que possible, des relations de l’Etat et de l’Église séculière avec l’Eglise régulière en plein XVIIe siècle. Cette leçon, que le hasard lui offrait au moment où il s’approchait de plus en plus des grandes affaires, Bossuet ne l’oublia ni comme prédicateur, ni comme directeur spirituel, ni comme évêque. Aussi nous faut-il ici préciser cette « expérience » pour bien entendre son attitude ultérieure dans des actes dont la suite de la Correspondance fait mention.

Ce n’était point un petit couvent obscur et insignifiant que celui de Sainte-Glossinde de Metz, qui couvrait alors une belle portion de terrain entre la ville et la Citadelle, près de l’Esplanade, non loin de la Porte Serpenoise[12]. C’était un des monastères de femmes les plus vieux de France et l’un de ceux dont l’origine, plus ou moins légendaire, était tellement vénérable et symbolique qu’elle aurait dû les préserver des décadences fâcheuses. Si jamais s’étaient manifestées naïvement, héroïquement, les grandes idées et passions génératrices du monachisme chrétien, — le défi à la nature et au monde, l’arrachement au siècle des âmes pures et, si l’on peut dire, leur rapt par l’Eglise jalouse, — c’était dans l’aventure de la vierge Glossinde.

Glossinde, ou Glossine, ou Glodesinde (Augustin Thierry eut écrit Chlodesinde) était — (je résume l’essentiel des légendes et j’en combine les variantes), — la fille de l’un des principaux seigneurs de la cour d’Austrasie, que les chroniques appellent le duc Wintron, au temps d’un Carloman, d’un Childebert ou d’un Childéric quelconque, au VIe ou au VIIe siècle. On veut la marier à un jeune gentilhomme de grande naissance, nommé Obolen. Elle a résolu de consacrera Dieu sa virginité ; elle résiste, temporise, se dérobe, et Dieu permit, dit un vieux biographe, « que le dessein de ce mariage se rompit par une « disgrâce » survenue à Obolen : « sur quelques soupçons, arrêté par l’ordre de la cour, il perdit la tête sur l’échafaud. » Il semble bien, d’après les textes, que les plaintes de la récalcitrante fiancée furent pour quelque chose dans cette « disgrâce » et que « la cour » punit Obolen d’avoir voulu garder sa femme.

A une nouvelle tentative des parents de Glossinde pour la marier, même résistance. Glossinde ne veut point de ces maris humains, qui ne sont « que pourriture, vermine et poussière. » Cette fois, elle se réfugie dans la cathédrale de Metz, dans la basilique du protomartyr Etienne, lieu d’asile. Son père le duc, homme redoutable même aux puissants du pays, l’y vient assiéger, minax et terribilis, avec une troupe armée, nuit et jour. Six jours elle soutient le siège, sans aliments : Dieu lui en envoyait d’invisibles. Le septième, tandis qu’elle embrassait l’autel en suppliante, on vit une forme de visage angélique, escortée de deux beaux enfants, descendre des cieux, et envelopper la tête de Glossinde d’un nuage, comme d’un voile virginal intangible. Elle avait vaincu. Son exemple prouvait, comme dit le vieil hagiographe, que « les filles qui ne sont pas séduites par l’éclat des fêtes, par les vastes domaines et les parures, sont grandement louables de ne pas se laisser enchaîner aux liens conjugaux. »

Des imitatrices du pur amour de Glossinde pour le divin Epoux accoururent autour d’elle. Elle fonda un couvent qui, affilié, avec plus ou moins de précision, à l’Ordre de Saint-Benoît, participa du moins à la gloire dont la conquête bénédictine rayonna pendant plus de deux siècles dans l’Occident à nouveau christianisé. Trois translations du corps de la Sainte, accompagnées de nombreux miracles, entretinrent son culte. De nombreuses donations accrurent la richesse du monastère. Sanctae Glodesindis memoria celebris semper apud Mettenses, écrit encore à la fin du XVIIIe siècle la Gallia Christiana.

Toutefois, il n’avait pas duré longtemps, pas plus à Metz qu’ailleurs, le bel élan mystique d’où ce monastère était né. Dans quelle mesure et avec quelles réserves les compagnes de Glossinde et sa famille religieuse avaient-elles la volonté de s’unir à l’Ordre de Saint-Benoit et d’en adopter l’austère discipline ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que le couvent fut un de ceux auxquels, dès le Xe siècle, il fallait que le saint évêque Adalbéron mit sa forte main. Mais c’est depuis le XVIe siècle que la décadence s’accentue, — comme du reste en un certain nombre d’autres maisons féminines. — C’est alors que l’abbesse Guillemette de Chauvirey concédait à ses nonnes fort peu cénobites la permission de vivre chacune chez elle et les dispensait même de prendre en commun des repas, dont il semble, par une convention signée d’elle et de ses pensionnaires, que le menu copieux, délicat et varié importait un peu trop[13]à des filles de l’austère saint Benoit. Sans aucun doute, les nobles personnes qui lui succédèrent, Françoise II de Foix de Caudale, Louise II de la Valette, Françoise II de Lenoncourt, laissèrent la règle se relâcher plus encore, jusqu’au jour où Louise II de Foix de Caudale, — celle à qui Bossuet eut affaire, — essaya de consommer la révolution commencée.

Elle entrait à Sainte-Glossinde, en 1654, en détrônant, après un procès, par autorité du Conseil d’Etat, une abbesse choisie et élue par les religieuses[14]. Le Roi était intervenu en sa faveur. Sainte-Glossinde était une trop riche abbaye pour que la Cour renonçât à une nomination, qui lui permettait de récompenser des serviteurs de son seul choix. Pour la troisième fois, le couvent messin se trouva aux mains de cette famille de Foix dont, depuis deux siècles, — dans le Sud-Ouest, toujours agité, du Royaume, — les membres besogneux et vaillants travaillaient pour le Roi de France avec un loyalisme profitable.

Toutefois l’intruse par le « fait du prince » avait eu d’excellents débuts. On se la représente telle à peu près que plus tard Bossuet peindra Anne de Gonzague : bonne petite fille, élevée depuis 1636 dans le couvent de Sainte-Marie de Saintes, sous l’aile d’une tante dévote, qui en est l’abbesse. La Contre-réformation catholique s’efforçait de réagir contre la décadence des Réguliers. Tandis que les Filles du sainte Thérèse viennent émerveiller la France, les docteurs augustiniens crient à l’épuration nécessaire. Louis XIII et Richelieu promettent d’y porter le bras séculier. A Verdun, le Père Didier de la Cour, à Gif, l’évêque Henry de Gondi parvenaient à réformer des Bénédictines relâchées. A Montmartre, Marie de Beauvilliers ; à Port-Royal, Angélique Arnauld ; à Saint-Paul-de-Beauvais, Madeleine d’Escoubleau de Sourdis ; au Val-de-Grâce, Marguerite d’Arbouze, d’autres encore, s’engageaient à qui mieux mieux dans ces voies de réforme. C’est dans ces bons sentiments que Louise arrive à Metz, flanquée de deux religieuses exemplaires que sa tante de Saintes lui avait données pour conseillères et chaperons.

Au commencement, dit l’auteur de la Gallia Christiana[15], elle fut pour la discipline tout feu, tout flamme, mena une vie des plus réglées et voulut l’imposer à ses nonnes. « Mais bientôt le joug lui parait dur. » Dévergondage personnel ? Rien ne l’indique. Et le chroniqueur protestant de Metz. Ancillon, tout en signalant les « étranges désordres » que Louise de Foix autorise, ne la flétrit point. C’est qu’en effet c’était moins vice que système. Nous n’avons pas plus les mémoires de l’abbesse, que ceux de Bossuet, dans le procès qui s’ensuivit. Mais les analyses que Floquet en donne, complétées par ce que nous savons d’elle, de ses entours et de ses contemporaines, nous renseignent, je pense, sur ses vues.

Ses vues, elles sont bien celles dont s’inspire l’évolution, en train depuis deux siècles, du cénobilisme féminin. D’abord un relâchement décidé, un rejet cavalier de la Règle importune. Dans la lassitude du moyen âge finissant, dans l’élégance de la Renaissance qui amollit tout, la faiblesse féminine recule devant le christianisme total, devant la mortification de la chair. Pour rendre le courage au « sexe dévot, » il faudra le coup de barre des Carmélites et de la Visitation.

Puis, c’est l’exclusivisme aristocratique. Ces couvents, que les piétés ou les paniques populaires ou bourgeoises du moyen âge ont si richement pourvus, — que surtout les seigneurs ont comblés, dans leurs expiations, avec magnificence, — n’appartiennent-ils pas virtuellement à ces familles nobles qui les fondèrent ? Ne sont-ils pas des domaines tout trouvés pour les filles en surplus, pour les cadettes déshéritées ?

D’où les projets de Louise de Foix. Elle est, mieux que personne, préparée à approuver la main-mise de l’aristocratie sur les couvents de femmes. Elle est de cette famille de Foix, grande famille de petite noblesse, caractéristique de la féodalité languedocienne et gasconne, indigente, arriviste. Fidèle invariablement au roi de France, cette noble tribu s’entend à en tirer parti. Et elle en tire parli depuis ce Gaston Phœbus à qui la reconnaissance du roi Philippe VI avait conféré presque tous les pouvoirs princiers, mais surtout depuis que, par la grâce du roi Charles VII, le comté de Foix, est passé pairie. Mais que de rameaux dans cette maison et de branches gourmandes ! Les Castelbon, les Rabat, les Conserans, les Mardogne, les Lautrec, les Meilles, les Curbon de Fleix, les Rendan, les Donazit, les Gerderest, — sans compter ces comtes de Candalle et d’Astarac, captaux de Buch, qui sont la branche d’où Louise est sortie par son père, et ces Grossolles, barons de Mondastruc et de Flamarens, d’où elle est issue par sa mère. Parmi tous ces castels, manoirs, gentilhommières, que de cadettes à pourvoir ! Et l’on sent le plan très simple de Louise et son bon cœur : elle veut que son couvent soit un débouché pour ces filles nobles, à qui le Roi, que servent bien leurs pères et leurs fières, dont le vivre et le couvert.

De là sa prétention de n’y admettre que des filles nobles. De là son dessein de réduire son monastère à n’être plus qu’une collégiale féminine, une sorte de chapitre noble. Au surplus, les exemples ne lui manquaient pas. De ces couvents transformés et ouverts, on sait qu’il y en avait en Allemagne, à Ratisbonne par exemple et à Cologne, — en Flandre, à Mons, à Maubeuge, à Nivelle, à Denain ; — en Lorraine, à Remiremont, à Poussay, à Bouxières, à Epinal ; — à Andlau et à Massevaux en Alsace ; — et aussi, en d’autres parties de la France, à Salles, en Beaujolais, à Notre-Dame-du-Ronceray, près d’Angers. Inutile de dire que l’émancipation féminine s’y était traduite par le rejet des gênes disgracieuses du vêtement médiéval. Et dans les maisons qui s’étaient autrefois réclamées de la modeste sœur de saint Benoit, — sainte Scholastique, — au costume antique s’étaient substituées, notamment à Remiremont, à Epinal, à Denain, des toilettes composites, parfois bizarres, souvent élégantes, plus jamais sombres. Tantôt, mignardes en leurs atours, elles agrémentaient la guimpe de fraises, la coiffe de rubans, la grande manche de dentelles ; — tantôt, somptueuses, elles capitonnaient les mantes d’hermine, bordaient les jupes de velours, drapaient harmonieusement les « coules » et les prolongeaient en longues queues, — permettaient même aux cheveux de sortir, frisés, d’une coiffe allégée, aux gorges de se libérer d’une « toile » qui n’était plus que de la gaze.

Seulement, à la fin du XVIe siècle et au commencement du XVIIe, on ne se contentait pas de ces satisfactions frivoles. Le Protestantisme avait passé, et la licence d’idées humaniste, et les souffles chauds de la Renaissance artistique, — puis, pour comble, la Guerre de Trente ans et la Fronde. — Ce qu’eût été au XVIIe siècle la transformation des couvents si le pouvoir, dès la régence de Marie de Médicis, avec le cardinal de La Rochefoucauld, puis sous Richelieu, n’était venu au secours de saint François de Sales et de Bérulle, — ce qu’elle eût été sous Louis XIV encore, au temps de la « bonne régence, » — vous l’apercevez à Sainte-Glossinde de Metz par cette Louise de Foix. Théoriquement convaincue, comme ses devancières, qu’il faut que, dans ces aristocratiques béguinages, la vie soit douce, riante, attirante, afin, — écrivait-elle, — de ne point « déserter, » — entendez : dépeupler, — le monastère, Louise de Foix ne s’embarrasse pas de vains scrupules ; les procès-verbaux de l’enquête menée pendant un an par Bossuet et son collègue en témoignent. De clôture il ne s’agit plus, bien entendu, dans cette maison de famille pour filles de condition. En 1660, l’abbesse demande à Mgr Bédacier d’en affranchir complètement l’abbaye ; sur son refus, elle s’en affranchit elle-même. Chaque jour son carrosse à quatre chevaux la mène soit en ville, soit dans les maisons de plaisance que l’abbaye possède aux environs de Metz. Si ses religieuses ne l’imitent pas toutes, un intérieur égayé les console ; le monastère s’ouvre à tout venant. Les gentilshommes, les officiers, les musiciens, les peintres y entrent et parfois n’en sortent pas aussitôt. Un peintre y resta quatre mois à faire le portrait de Louise et à décorer l’abbaye de peintures profanes. Tous les « ébattements » du siècle sont admis : musique, danses, jeux, soupers, travestissements. A un carnaval on put rencontrer dans les rues de Metz une « abbesse en grand costume, » masquée : c’était le portier du couvent, — tandis que l’abbesse réelle, Louise de Foix s’y promenait en « femme du monde, » et plusieurs religieuses en « militaires. » Pour payer les frais, non seulement on abattait les bois du couvent, mais on vendait les cloches, les ornements, les châsses, — « ouvertes, sur son ordre, par un menuisier huguenot ; » — on faisait même argent des reliques, voire d’une « Sainte Épine. » Ce n’était plus Thélème, c’était le sac d’un monastère au temps de Charles IX[16].

Devant ces bacchanales et ce pillage, les supérieurs de la Congrégation bénédictine de Saint-Vannes, de qui dépendait spirituellement le monastère, — l’évêque suffragant de Metz, Bédacier, dont nous avons déjà vu le pouvoir discuté même par les chanoines séculiers, — gémissaient ou menaçaient en vain. Contre le procureur général bénédictin, l’abbesse s’adressait à l’évêque, contre l’évêque au Pape, de qui seul elle prétendait, en ce cas-là, relever. En 1662, l’évêque et le procureur bénédictin se décidèrent l’un et l’autre, — et sans doute ils n’en obtinrent pas sans peine de la Cour la permission, — à en appeler au Saint-Siège. Par le bref d’août 1662, Alexandre VII permit la nomination de deux commissaires apostoliques pris dans le Chapitre de Metz : le doyen Jean Royer, l’ami serviable de Bossuet, et Bossuet l’archidiacre. Les lenteurs du pouvoir royal, toujours méfiant des interventions d’outre-monts, — la précaution prise par le Roi d’attribuer au « Conseil de Conscience » la procédure et le choix des enquêteurs, — les chicanes du Parlement, vétillant sur chaque virgule des brefs du Souverain Pontife, prirent onze mois. Bossuet et le doyen Jean Royer, nous dit Floquet, « durent plusieurs fois, à Paris, conférer avec Louis XIV lui-même. Cependant le Roi, lorsqu’ils prirent congé de lui à leur départ pour Metz, » — en juin 1664 probablement, — « leur recommanda fort l’énergie, et d’exiger une complète réforme. »

Leur enquête, où l’on nous dit que Bossuet tint le rôle principal, dura un mois et demi. Leur sentence (2 août 1664) fut formelle. Tout au plus faisaient-ils la part du feu, et des incorrigibles. Celles des religieuses qui, depuis trop longtemps, vivaient en chanoinesses séculières, continueraient à vivre à leur guise, à part toutefois, de peur de gâter les jeunes, et sous le contrôle de l’une d’elles. Mais le reste du couvent devait se réformer, l’Abbesse y comprise. A cet effet, son pouvoir serait limité par celui d’officières nouvelles, tirées d’autres couvents déjà réformés : prieure, cellerière et maîtresse des novices. En somme, on imposait à l’Abbaye et à l’Abbesse « une forme de communauté nouvelle soumise de tous points à l’observance réformée de la règle de Saint Benoît. »

Quant au recrutement purement aristocratique, Louise de Foix n’avait rien négligé pour le conquérir ou le maintenir. Le 21 juillet encore, elle conjurait Bossuet de lui accorder au moins cela. « Je vous supplierai, monsieur, — lui écrivait-elle, — de ne point toucher au privilège de la maison pour la réception des filles qui y entreront à l’avenir. Elles doivent, toutes, être de naissance et faire preuves de noblesse. Pour ce point, je ne saurais consentir de voir faire une loi si contraire au privilège que j’ai juré si solennellement de maintenir, » (elle ne dit pas qu’il était moderne), — privilège « qui est si honorable à ma maison » (ici, n’est-ce pas de sa famille qu’elle entend parler plus que de son couvent ? ) — « et si utile aux personnes de qualité qui servent le Roi et l’Etat » (on voit là le fond de sa doctrine monastique). « Privilège qui depuis plus de onze cents ans n’a pas été violé. » (C’est le point même qui était en question.) « Ce me serait une grande honte d’avoir donné les mains pour anéantir un si beau privilège, que je vous supplie de vouloir bien conserver, et de ne me donner point l’affliction d’avoir, dans ce sujet, un sentiment contraire au vôtre. » (Ce n’était pas, hélas ! leur seul dissentiment.) « Le P. Milet — continue-t-elle, — qui veut que toutes filles indifféremment soient reçues en profession à Sainte-Glossinde, ne considère pas que c’est la seule vertu qui a établi la différence des nobles aux roturiers, et par ainsi, les personnes qui ont cette qualité sont plus propres à la religion, et on voit, par expérience, qu’elles réussissent beaucoup mieux en toutes choses. Nous en avons des exemples en notre Ordre, où les plus illustres saints et les plus grands hommes ont été de la plus haute qualité. Et si, dans la congrégation de ce bon Père, on n’y voit pas maintenant de grands saints, c’est peut-être parce qu’ils n’observent pis ce qui a été pratiqué, au commencement de l’Ordre, dans les maisons duquel n’entraient que des personnes de très grande condition. » Ce plaidoyer, fort intelligent, pour la noblesse se terminait avec astuce :


Je vous demande pardon, monsieur, si je vous ennuie d’une si longue lettre ; mais j’ai ce point tellement à cœur que je n’en saurais assez dire. J’espère que vous ne le trouverez pas mauvais, et qu’ayant la naissance et l’âme si noble comme vous l’avez, vous aurez la bonté de n’avoir point d’égard à ce qu’on vous demande contre ce droit, acquis à ma maison dès son commencement ; vous assurant que, pour tout le reste qu’il vous plaira d’ordonner, vous me trouverez fort soumise ; c’est une protestation qui part du cœur.


Elle n’alla point au cœur de Bossuet, ni ces flatteries à son amour-propre. On décida que seraient reçues à Sainte-Glossinde « toutes personnes ayant bonne vocation et les autres qualités requises. »

Cette décision d’avril 1664 fut, un an plus tard, par arrêt du Conseil du 14 juillet 1664, rendue exécutoire. Elle ne fut pas exécutée. Dès la fin d’août 1664, les religieuses en appelèrent. En septembre, Louise de Foix adressait une supplique au Roi. Puis, à la fin de décembre, la noblesse du pays messin, « se tenant pour offensée de la sentence, au chef (c’est-à-dire sur le point) qui intéressait la naissance, » intervint au procès. Forte de cet appui, Louise multipliait les factums. Bossuet, malgré « son âme si noble, » n’y fut point épargné : « Il ne sait pas le droit, — déclarait l’abbesse mutine. — Il est un juge passionné. Il n’a ni la dignité, ni la suffisance et capacité requises,[17] » Elle n’oublie pas non plus, perfidement, la vieille insinuation qui souvent sur les gens de la Cour portait coup : « Il a voulu se rendre maître lui-même de l’Abbaye… »

Quatre ans plus tard, rien encore n’était fait. L’entêtée procédurière traînait en longueur. En janvier 1668, le Parlement était obligé de la menacer de la saisie de son temporel, si elle ne se décidait à faire juger dans les six mois son appel contre la sentence de Bossuet. La même année, profitant de l’arrivée à Metz d’un nouvel évêque, elle trouvait, pour esquiver la Réforme, une nouvelle finesse : elle renonçait à toute subordination bénédictine, elle se soumettait à la juridiction, contre laquelle elle protestait naguère, de l’ « Ordinaire, » c’est-à-dire de l’évêque, sauf, bien entendu, à la récuser de nouveau, s’il ne payait pas d’indulgence la sujétion qu’elle lui offrait. Et, en effet, le nouveau prélat, Mgr de La Feuillade, ne s’étant pas désisté des exigences de son prédécesseur, dut en venir à l’interdit ordonnance du 17 juin 1679). L’ordonnance restant lettre morte, il fallut l’emploi du bras séculier. En mai 1680, on enferma l’indomptée à Ligny, dans un des couvents d’Ursulines voisins de celui de Jouarre où Bossuet, devenu évêque, devait plus tard retrouver une autre Sainte-Glossinde. Moins inexpugnable pourtant et moins vivace : Jouarre était vaincue (1700) que l’insurrection des nonnes lorraines rebondissait toujours. La coadjutrice remplaçante que le Roi avait donnée en 16S0 à Louise de Foix incarcérée, — Catherine II Texier de Hautefeuille, — ayant quelque peu réussi à « régulariser » sa turbulente maison, avait voulu pousser son succès, et établir des statuts nouveaux. Alors tout se délit. Ce fut la guerre civile, à telles enseignes, dit Claude de Sainte-Marthe, que « les religieuses osèrent fouetter leur Mère à coups de verges. » Peu après, l’une d’elles s’enfuit avec un valet du couvent. L’affaire de Sainte-Glossinde, jugée par Bossuet en 1664, durait encore lorsque, quarante ans après, il mourut.


III. — INFLUENCE DE L’AFFAIRE DE SAINTE-GLOSSINDE SUR LA PENSÉE DE BOSSUET

Mais dès 1664-1670, on peut apercevoir, — et c’est pourquoi nous y insistons, — quelles réflexions, quelles conclusions lui suggéraient ces spectacles d’anarchie et de corruption. Il me parait sûr qu’ils ont influé sur l’ensemble de ses idées et sur la direction générale de son activité ultérieure, et que les impressions alors reçues par lui expliquent à la fois ce qu’il y eut de solide et ce qu’il put y avoir de flottant et dans ses doctrines et dans ses actes ecclésiastiques.

Je gagerais bien, d’abord, que cette mission d’enquête à Sainte-Glossinde n’est point sans lien avec les gestes de sympathie, qui commencent à cette époque de Bossuet, à l’égard des Jansénistes. Que la règle monastique, c’est-à-dire la mortification, le duel contre la nature, ne soit dans l’esprit du christianisme, il n’est pas douteux. Et du moment que les congrégations émancipées trouvent des espèces de complicité et d’appuis dans les théoriciens du « laxisme, » que les « Augustiniens » combattent, il n’y a point à hésiter ; il faut, sur la discipline et la morale, prendre parti pour ces derniers. C’est ici peut-être le premier des terrains de lutte chrétienne où Bossuet s’est trouvé, par le hasard des choses, militer avec le Jansénisme, aborder le même combat que déjà les gens de Port-Royal menaient. C’est au temps même où il faisait l’instructive exploration du couvent lorrain, qu’Antoine Arnauld publiait, sur la question des dots de religieuses, un traité qui pouvait singulièrement éclairer ces scandales[18].

Mais en même temps, ces mêmes désordres produisent, sur son esprit, un effet en quelque façon contraire. Une conviction qu’elles font pénétrer et qu’elles fixent en lui, c’est celle de la supériorité de l’Eglise séculière, de l’Eglise ordinaire, avec sa hiérarchie, ses prêtres, sa vie publique exposée aux regards de tous et touchant perpétuellement au siècle. La vie monastique est belle, sans doute, mais à quelles chutes exposée ! La « Règle » est admirable, et nul n’a rendu plus de justice que lui à celle de saint Benoît : voyez le Panégyrique qu’il en fit. Mais quand on voit à quoi pouvait aboutir, avec le temps, au moins chez les femmes, ce splendide mysticisme initial, ne parait-il pas plus sage de s’en tenir à cette générale « loi de Dieu » dont il est toujours soucieux, quand il proche, de montrer la « suffisance » et l’efficace, et la clarté ? Et c’est précisément dans les allocutions que Bossuet adressa à des religieuses à cette époque, que je ne peux m’empêcher de trouver l’indice de ces sentiments. Comme il est loin de croire qu’il s’adresse, quand il leur parle, à des chrétiennes « parfaites ! » Comme il doute que, « dès le jour » où elles se sont « ensevelies dans le sépulcre, » elles y soient mortes véritablement ! Comme il soupçonne rudement « leurs inclinations et leurs pensées ! » Avec quelle crudité, quasi désobligeante, il se demande, et leur demande, si « le monde » ne « remplit » pas encore le fond, trouble toujours de leur esprit mal converti, et « ne possède pas, » malgré tout, « leur affection » intime ! Comme il leur dénonce que la perfection n’est point dans les « entretiens, » les « belles paroles, » ni même dans les « sublimes contemplations, » mais tout bonnement dans la « profonde humilité » et l’entière « obéissance ! » Avec quelle ingénuité, ou plutôt avec quelle insistance de défiance, il leur prêche les vérités les plus élémentaires de la vie chrétienne, les maximes les plus terre à terre de la pénitence, du changement et du renouvellement de vie ! Il ne leur parle guère autrement qu’à des femmes toutes plongées dans le monde. Et parfois, même, c’est avec une voix de tonnerre qu’il croit devoir les semoncer, revendiquant l’empire que Dieu lui donne sur toutes et sur chacune de leurs âmes, et leur dénonçant « le jugement » particulièrement « terrible » qui se fera d’elles.

Ainsi donc on est amené à se demander si, pour avoir vu de près ces finales perversions des grandes institutions monastiques, la conclusion de Bossuet ne fut pas celle de Montalembert qui, malgré toute son admiration pour les précieux services rendus au catholicisme par la vie claustrale, se défendit toujours d’établir une parité entre elle et l’Église, entre des institutions sujettes à toutes les infirmités humaines et la « seule institution fondée par Dieu pour l’éternité. »

Faut-il voir une preuve de cette considération médiocre pour l’état monastique dans l’absence de scrupule avec laquelle il recherche et accepte, à Gassicourt, une dépouille de Cluny ? Cette induction semblerait peut-être ironique.

Ce qui est une indication plus sérieuse de ses opinions sur le catholicisme monacal, c’est la position qu’il prend dès lors, sur la question du gouvernement ecclésiastique… Ces abus, ces évasions, ces corruptions, comment les réprimer, les empêcher ? Il faut essayer sans doute. Et Bossuet évêque n’y manquera point.

Mais sur qui s’appuyer ? Sur le Sacerdoce ou sur l’Empire ? Qui, du Saint-Siège ou du Roi, est le plus puissant pour prêter à la Règle main-forte ? Le Saint-Siège ? Il est trop loin, il ignore bien des choses ; — ces milices monastiques affectant de déclarer qu’elles ne veulent dépendre que de lui ; il sait de son côté qu’il peut les faire marcher pour lui au besoin, — il peut se laisser aller, pour s’en concilier les bonnes grâces, à fermer les yeux sur des émancipations répréhensibles. Aussi bien, s’il voulait les ouvrir, comment pourrait-il agir avec les entraves dont les « libertés gallicanes » le ligotent ? — Le Roi ? Est-il juste, est-il bon, qu’il mette, fût-ce pour cette besogne salutaire, la main à l’encensoir, et qu’il assume la mission de réformer les moines comme jadis ont prétendu faire les princes protestants ? Au surplus, de ces abus, le pouvoir civil n’est-il pas pour une bonne part responsable, par la façon indigne dont il pourvoit aux bénéfices monastiques sous le couvert du marché concordataire de 1516 ?

Assurément, sur la question de savoir comment peut s’exercer efficacement dans l’Eglise l’autorité coactive, une incertitude pouvait autrefois s’imposer logiquement. Incertitude honnête, raisonnable, dont Bossuet peut-être ne sortit jamais. Le mieux qu’il trouvera sera de fortifier de plus en plus le pouvoir des Evêques, ce pouvoir dont, nous l’avons vu, dès ses premières armes théologiques, se faire instinctivement le champion.

Dans les lettres que Bossuet a dû certainement écrire au temps de son enquête à Sainte-Glossinde, et que des mains trop discrètes ont probablement fait disparaître, on eût trouvé, je crois, bien des lumières sur la formation définitive de ce piètre séculier convaincu, — sur la façon dont ce gallican sincère, spontané, mais modéré, et qui se montra par intermittences un judicieux ultramontain, fut en somme, habituellement, et par raison, ce que j’appellerais un « épiscopal. »


IV. — DERNIERS ACTES A METZ DE BOSSUET DEVENU GRAND VICAIRE CAPITULAIRE DE CE DIOCÈSE

Cette position que Bossuet prend pendant la période de Metz, et qu’il gardera ensuite à Paris, et à Versailles, dans les questions de discipline ecclésiastique ; — cette détermination que, dès ce moment, ses actes expriment, île faire confiance avant tout et par-dessus tout, aux Evêques, d’étendre leurs attributions, de renforcer leur autorité, — ne lui font pas toutefois méconnaître et oublier les autres pouvoirs de l’Eglise. Nous le pouvons constater au moins en ce qui concerne cette vieille institution des Chapitres, qui, dans l’Église catholique moderne, ne survit plus guère que comme un organe décoratif et flétri, dont il avait pu, depuis 1642, apprécier sévèrement les lacunes ou les excès.- S’il combattit à Metz, si plus tard il devait continuer de combattre[19]les chanoines en lutte avec l’évêque, plusieurs épisodes de cette fin de son séjour à Metz prouvent qu’il ne voulait pas la mort du pécheur. Un seul de ces épisodes a laissé une trace écrite : son adieu au chapitre de l’Église cathédrale de Metz[20].

Nommé à l’évêché de Condom le 8 septembre 1669, désiré et désigné par Louis XIV (dès 1665) pour être précepteur du Dauphin, Bossuet, comme il l’écrit le 12 octobre 1669 à « messieurs les vénérables primicier, chanoines et Chapitre de l’Eglise cathédrale de Metz, » est obligé, « par plusieurs considérations, de presser l’expédition de ses bulles » de prélat. Il ne veut pas cependant attendre, — comme un homme habile l’aurait pu faire, -— de tenir son épiscopat pour lâcher son canonicat. Il donne immédiatement sa démission de la « dignité et office » qu’il occupe depuis le 22 août 1665. C’est qu’il « prévoit que, s’il est pourvu » du bénéfice épiscopal de Condom ou « préconisé » pasteur de ce diocèse, » étant encore revêtu du doyenné » de la Cathédrale messine, « les prétentions de la Cour de Rome pourraient causer quelque embarras » dans l’élection de son successeur. Il s’empresse de « prévenir cet inconvénient par une démission pure et simple entre les mains de ses collègues. » « J’ai dessein, avant toutes choses, de vous conserver tout entière la liberté de cette élection. » Il a beau jadis avoir pris parti pour l’évêque suffragant Bédacier dans les combats épiques dont nous avons eu à rappeler les gros ou petits scandales. Il tient néanmoins à conserver les privilèges de la vieille compagnie dont il a souffert, et dont il a condamné la routine et les manies chicaneuses. » Ce sera maintenant à vous, Messieurs, de faire d’abord quelque acte qui empêche les mesures préventives, que pourrait prendre le Pape, » puis « de célébrer une élection canonique dans toutes les formes ordinaires, en laquelle je ne doute pas que, laissant à part toutes les pensées et tous les intérêts particuliers pour une affaire d’où dépend tout le bien de votre compagnie, vous ne regardiez uniquement l’honneur et l’utilité du Chapitre qui n’a jamais eu plus besoin d’un digne chef que dans les conjonctures délicates où il se trouve. »

J’entends bien que de ces graves conseils, quelque politique subtil suspecterait la sincérité. Il n’y en a point de raison. Peu de temps auparavant, il avait donné, d’un attachement réel au Chapitre, des preuves que Floquet a consciencieusement relevées une à une.

En 1666-1667, il met la paix entre ses confrères de la Cathédrale et le Chapitre de l’Eglise collégiale de Saint-Sauveur, divisés par une de ces enfantines querelles de vanité qui tinrent tant de place dans l’Eglise française au temps où elle croyait pouvoir s’y amuser. Les chanoines de Saint-Sauveur ornaient leur chape d’hiver d’une fourrure. Ils n’en avaient nul droit… Il fallut bien huit ou neuf mois à Bossuet pour terminer cette affaire d’hermine. — En 1667, cette fois dans le Chapitre de la Cathédrale, il travaille à rétablir l’ordre et la courtoisie des discussions. Il fallut édicter une amende contre les querelleurs. — La même année, Bossuet négocie un accord entre le Chapitre et son « primicier » Bruillart de Coursan, dont la mort de l’évêque Bédacier n’avait fait qu’exaspérer l’humeur belliqueuse et envahissante. — Enfin ce doyen pacificateur ne se contente pas d’écheniller le vieil arbre ; il essaie de lui redonner vigueur. C’est lui, — si du moins il faut en croire Floquet[21], — qui provoque en 1665, poursuit jusqu’en 1668 la révision des statuts capitulaires au spirituel et au temporel. Ce disciple de Vincent de Paul, qui peut-être a connu aussi « Monsieur Bourdoise, » qui a sûrement entendu les doléances des Compagnies du Saint-Sacrement au sujet des gens d’Église, parla, nous dit-on, — écrivit peut-être, — sur la « décence ecclésiastique, » le costume clérical, le port de la « soutane » négligé parfois, au XVIIe siècle, par les meilleurs prêtres. Il serait intéressant de savoir si vraiment aussi, il préluda, dès lors, à cette purification du culte, des rites, qui plus tard occupèrent tant à Meaux sa piété alors teintée de quelques jansénisme ; — s’il tâcha, par exemple, de rétablir dans le chœur de Saint-Étienne de Metz la psalmodie correcte, la prononciation articulée, d’en chasser le marmonnage endormi ou hâtif.

Ecouté en tout ceci ? Floquet l’affirme, mais nous n’en savons rien. Il l’était mieux sans doute quand il consentait à défendre les « prérogatives » canoniales. En 1666, un chanoine de Metz, inculpé de crime, ayant été traité comme un laïc ordinaire et mis avec les accusés de droit commun en la prison civile, Bossuet revendiqua, fit triompher le privilège de juridiction du Chapitre, à qui seul il appartenait de faire arrêter ses membres délinquants et de les faire incarcérer dans la prison de l’Officialité.

Enfin, voici qu’en 1668 une nouvelle vacance du siège épiscopal se produisit qui risquait de réveiller et déchaîner les antiques ambitions des chanoines, et leurs colères contre la suprématie des Evêques, conséquence de la victoire monarchique. Et là, nous allons voir Bossuet organiser une de ces combinaisons conciliatrices qui lui plairont toujours de préférence, — on peut l’avouer sans dommage pour sa gloire : on aura le droit de le blâmer le jour où se découvrira, pour glisser un peu de paix : dans le conflit des passions humaines, un meilleur moyen que la transaction.

On sait qu’aux termes du Concordat de 1516, dans toute l’étendue du royaume de France tel qu’il se comportait alors, le Roi avait le droit de nommer les évêques. Il était naturel, et, ajoutons-le, il était raisonnable et nécessaire dans la théorie de l’Unité monarchique comme au regard de l’édification religieuse, que ce régime fut appliqué partout. Mais dans les Trois Évêchés, régnait depuis un certain temps le régime du Concordat germanique en vertu duquel les nominations épiscopales appartenaient à Rome et aux chanoines : le Chapitre élisait, le Pape confirmait. Depuis cent ans, le Saint-Siège s’opposait à l’extension « du Concordat français, à Metz, Toul et Verdun : depuis cent ans, nul évêque de Metz n’avait eu ses bulles, pas même Mazarin !

Après la Fronde, Louis XIV reprit les négociations avec une insistance où un séjour à Metz (en août-septembre 1663) et le spectacle du désordre du diocèse ne purent que le confirmer. Mais ce ne fut qu’en 1668 qu’il obtint de Clément IX, pour lui et ses successeurs, la nomination aux sièges épiscopaux et à tous les bénéfices des Trois Evêchés. Sans tarder, Louis XIV exerce son droit nouveau et accorde le siège de Metz à Georges d’Aubusson de la Feuillade, un de ses bons serviteurs, et, d’ailleurs, prélat excellent. De cet évêque de choix, Metz catholique ne pouvait qu’être fière. Mais quand la monarchie gallicane faisait sur « Rome » des conquêtes de ce genre, la joie royale et parlementaire s’étalait dans le style administratif avec une brutalité altière, assez maladroite. Qu’on en juge par le brevet dénomination de La Feuillade :


« Le Roy… mettant en considération la doctrine et piété [de M. l’archevêque d’Embrun]… et les importants et agréables services qu’il lui a rendus en qualité de son ambassadeur extraordinaire tant auprès de la République de Venise que du Roy catholique, et autres emplois dont il s’est dignement acquitté pour le bien et avantage de l’État, et voulant les reconnaître et le gratifier de plus en plus, Sa Majesté lui a accordé et fait don de l’évêché de Metz, vacant tant par la démission pure et simple de messire Henry de Bourbon, duc de Verneuil, que par tout autre genre de vacance, et ce, en conséquence de la cession et renonciation faite entre les mains de Sa Majesté par Monsieur Guillaume Egon, landgrave de Furstemberg, prince du Saint Empire, nommé et postulé au dit évêché… Et afin que ledit sieur d’Aubusson de la Feuillade conserve la dénomination, le rang et les honneurs d’archevêque, nonobstant la résignation qu’il fait de l’archevêché d’Embrun, Sa Majesté entend qu’il en soit fait instance en son nom envers Sa Sainteté, pour obtenir la rétention de la dénomination, du rang et des honneurs d’archevêque, dans les bulles de translation dudit sieur d’Aubusson de la Feuillade de l’église d’Embrun en celle de Metz. M’ayant Sa Majesté commandé d’expédier, sur ce, toutes lettres et dépêches nécessaires en cour de Rome, et cependant, pour témoignage de sa volonté, le présent brevet, qu’elle a signé fin sa main et fait contresigner par moi son conseiller et secrétaire d’Etat et de ses commandements et finances [Signé] : LE TELLIER[22].


Mettons-nous, je vous prie, à la place des chanoines de Metz, lisant cette décision césarienne qui nomme un évêque comme un fonctionnaire, — de cette « volonté », qui règle, à la fois et sans hésitation, ce transfert d’un archevêque a un évêché et le maintien du caractère archiépiscopal à un évêque, — qui consomme sans phrases, outre l’abolition, consentie par le Pape, de la nomination papale, la déchéance, nullement consentie, du Chapitre, dont le nom n’était même pas prononcé… Rendons-nous compte de ce que pouvaient être, en présence de ces procédés impérieux, dans ces âmes du passé, des sentiments appuyés par la tradition comme par l’orgueil. L’ « émotion » était inévitable.

Pour y parer, un expédient ingénieux fut trouvé. En hâte, au commencement du mois d’août 1668, le 11, — quoique à cette date la nomination du nouvel évêque fût faite depuis quarante-sept jours, — le Chapitre, feignant de considérer que le siège était encore vacant, usa du droit qu’il avait, — et que les Chapitres ont conservé jusqu’à ces temps derniers, — d’élire, via scrutini, les vicaires généraux chargés, sede vacante, de l’administration spirituelle du diocèse. Et il élut en premier lieu Mgr l’Archevêque d’Embrun, Georges d’Aubusson de la Feuillade[23]… Ainsi, quand il serait monté sur le siège de Metz, le nouvel évêque s’y trouverait, bon gré malgré, assis par le Chapitre, les « vénérables chanoines » ayant agi en l’espèce « suivant les droits et possession en laquelle ils sont de temps immémorial, et en leur qualité certaine d’ « administrateurs-nés du diocèse. » Par cette élégante solution, l’honneur canonial, en apparence au moins, était sauf. Fut-ce le doyen Bossuet qui suggéra cette voie d’accommodement ? Ou d’Aubusson, diplomate, qui avait été ambassadeur à Venise et en Espagne ? En tout cas, et c’est ce qu’il est intéressant de constater, Bossuet négocia[24]ce compromis et entra dans la combinaison. Il accepta d’être le premier des deux autres ecclésiastiques « nommés pour, conjointement avec mondit Seigneur et séparément en l’absence l’un de l’autre, faire et exercer les charges et fonctions de grands vicaires généraux. »

Retenons ceci que, dans ce diocèse de Metz, où vingt-six ans auparavant il avait été nommé chanoine de la Cathédrale et où successivement il était devenu syndic du Chapitre, archidiacre de Sarrebourg, grand archidiacre de la Cathédrale de Metz, doyen du Chapitre, en même temps qu’il était membre de l’Assemblée municipale des Trois Ordres, Bossuet a fini par être grand vicaire. Et lorsqu’en juin 1668, le nouvel évêque de Metz, retenu à Paris par la poursuite de ses « provisions et bulles apostoliques, » demande courtoisement aux « Sieurs Chanoines » de lui « députer quelques-uns de leur compagnie pour conférer des moyens de rétablir la discipline de cet évêché, » c’est à Jacques-Bénigne Bossuet, chanoine et grand doyen, que ses confrères s’en remettent, et c’est lui qu’ils désignent pour être le conseiller intime de leur futur maître et réformateur[25] »


V. — PLACE QUE TIENT L’ÉPOQUE DE METZ DANS L’HISTOIRE DES ACTES ET DES IDÉES DE BOSSUET

Voilà, je pense, un stage provincial sérieux. On l’a trop oublié. On fut trop pressé jadis, parmi les historiens littéraires ou religieux de Bossuet, — amis et ennemis, — d’étudier Bossuet jouant le premier rôle sur la grande scène parisienne, soit afin de s’extasier en contemplant son apogée, soit afin de dénoncer chez lui des défauts plus en vue sur ces sommets. Mais, que l’on fût admirateur ou critique, une égale inexactitude résultait de l’appréciation négligente de commencements pourtant instructifs. Devant les épanouissements d’idées vastes et éclatantes, les dérisions graves, les jugements impérieux, les systèmes d’ensemble qui remplissent les années de la grande fortune de Bossuet, de son règne, — les uns ont crié au miracle, les autres à l’improvisation téméraire. Nisard s’agenouillait, tandis que souriait Sainte-Beuve. A tort, oserons-nous dire, l’un et l’autre. De ces manifestations de la période triomphale, rien presque chez Bossuet n’a été subit. Floraisons superbes, fruits succulents, rien de tout cela n’a surgi soudainement du cerveau, si fécond que nous l’imaginions, du prélat ou du conseiller d’Etat. Bons ou mauvais, vains ou solides, ils étaient nés, ils s’étaient formés, ils avaient mûri dans une germination normale, voire plus lente que chez d’autres hommes. Ils avaient poussé et grossi non seulement dans le silence de la réflexion théorique, mais à travers les épreuves et sous les heurts de l’action. Bossuet, avant de prendre, comme il le fit de 1670 à 1680 environ, sur les grandes et éternelles questions de la théologie, du gouvernement ecclésiastique, de la vie sociale et politique, — sur les grands problèmes français ou humains, — des résolutions fixes et magistrales, Bossuet se donna une patiente expérience des gens et des choses humaines, des gens et des choses françaises.

Car à Metz, — il ne faut pas se lasser de le répéter, — c’était bien de la France vraie, de la France moyenne qu’il s’instruisit, tout comme il l’eût apprise à Bourges, à Toulouse ou à Rennes. Il trouvait à Metz les mêmes problèmes, les mêmes difficultés. Il y trouvait, à l’encontre de l’unité monarchique, les mêmes oppositions et les mêmes résistances, mais aussi, en sa faveur, les mêmes besoins et les mêmes vœux qu’ailleurs.

Quand il est venu se fixer à Metz, il y avait cent ans à peu près que les Trois Evêchés avaient été réintégrés dans la patrie française. De quelle façon cette réintégration s’était produite, Bossuet ne l’a pas ignoré et il le dira plus tard dans son Histoire de France du Dauphin avec une remarquable précision, un juste et modéré sentiment des nuances, une connaissance honorable des sources. Il sait qu’au moment de la paix de Cateau-Cambrésis, le retour des Trois Evêchés à la France s’est fait, en somme, aisément, — par prétention, comme une chose facile, parce que juste, naturelle, et prévue ; — que cette récupération française n’a irrité sérieusement que deux personnages politiques : l’Empereur Charles-Quint et ce margrave Albert de Brandebourg, notre client intermittent et ami fort douteux, qui, comme Bossuet l’observe, voyait avec regret « que les affaires tendaient à la paix, » c’est-à-dire qu’un rapprochement des Princes allemands et de la France ne lui permettrait pas de pêcher en eau trouble. Et Bossuet, — qui semble avoir consulté pour cette époque les négociations de l’évêque Jean de Fresne avec Maurice de Saxo, — sait aussi que, dès 1551, les princes d’Allemagne, décidés à résister « aux pratiques employées par Charles d’Autriche pour faire tomber la Germanie en une bestiale servitude, » ont trouvé bon que « le Seigneur Roi de France s’impatronisât des villes impériales qui n’étaient pas de langue germanique, comme Cambrai, Metz, Toul et Verdun, pourvu que ledit Seigneur se joignit à eux pour défendre la liberté de l’Empire. »

Sur ce rattachement, un siècle presque avait passé, en 1658, quand Bossuet vint à Metz occuper sa stalle de chanoine. Alors la réacclimatation des Trois Evêchés était, dès longtemps, achevée. Déjà sous Henri IV, le bon imprimeur Abraham Fabert, racontant la visite du Roi, nous peint une ville toute française, et toute unie, — catholiques, protestants, juifs, — dans la volonté de l’être. Sans doute à la fin du règne de Louis XIII, — et nul n’accusera nos historiens français de l’avoir lu, — il y avait encore à Metz un parti d’opposants, remuant, et que Bossuet put connaître… Mais d’opposants non pas à la domination française : — à la Royauté absolue ; — de partisans, non pas du retour de Metz au Saint Empire dont elle n’avait jamais été qu’un membre fort peu intime, mais du maintien, sous le Roi de France, comme jadis sous l’Empereur, des libertés municipales et des franchises des Messins.

Cette opposition, où survivait-elle principalement ? C’est la noblesse locale, qui là, comme presque partout en France, boude avec le plus de mauvaise humeur, regrettant ses paraiges d’autrefois, et ce syndicalisme féodal lequel faisait du pays messin (comme l’écrit un publiciste du temps de Richelieu, Hersent « un monde de petits souverains » divisés en « bandes » avec autant de rois que de villages. » C’est la noblesse qui ne voulait pas d’un « souverain effectif, » mais d’un suzerain nominal, « protecteur » indolent et paralytique, incapable et s’abstenant de toucher aux pouvoirs locaux oppresseurs.

La bourgeoisie, elle, venait de recevoir, dans ses prétentions à l’indépendance municipale, un coup rude, au moment précisément où le père de Bossuet conquérait de haute lutte pour son fils ce canonicat de la cathédrale : l’établissement du Parlement de Metz lui enlevait sa juridiction spéciale. Mais il lui en demeurait d’assez beaux restes pour la contenter : les bourgeois gardaient le gouvernement et l’administration de la ville, et cela, dans une réelle ampleur. Car non seulement le Maître-Echevin et les dix Echevins, choisis à la pluralité des voix entre les plus notables, jouissaient, « à l’instar » des magistrats municipaux parisiens, des honneurs, « autorités, prérogatives et prééminences dont jouissaient les Prévôts des Marchands. Echevins et Conseillers » dans la capitale du royaume ; — non seulement le Maître-Echevin de la Ville de Metz avait l’honneur de parler au Roi debout et non pas, comme ceux des autres villes françaises, à genoux ; — mais, de plus, l’Assemblée des Trois Ordres messins possédait le droit d’envoyer, de sa propre initiative et sans permission préalable, des députés et des « Cahiers » au Roi. Encore en 1657 et 1658 ces privilèges étaient garantis aux Messins par actes royaux[26].

Dans le peuple, Bossuet ne rencontrait pas à Metz plus d’insubordination à l’obéissance monarchique, qu’il n’en avait vu de ses yeux en Bourgogne chez les vignerons de Seurre, qu’il n’en aurait rencontré chez les paysans parlant patois de Bretagne ou de Provence. Dijon vers 1650, Marseille en 1661, Rennes vers 1670, lui eussent offert bien plus souvent des séditions populaires que cette ville de Metz, où, pendant tout le temps qu’il y resta, il n’y en eut qu’une, sauf erreur : en 1661, une de ces séditions fiscales comme les impôts indirects en soulevaient partout — sédition dont le Conseil du Roi ne paraît pas s’être fort ému et qui du reste était peu justifiée. Car dans ce moment même le jeune souverain prenait pour le soulagement des Lorrains des mesures intelligemment charitables[27].

Le monde religieux au milieu duquel Bossuet se mouvait, était peut-être la partie de la société lorraine où l’unification monarchique s’opérait avec le moins d’aisance. Mais pourquoi ? Etait-ce pour une de ces raisons mystiques qui créent et qui perpétuent, entre des populations imprudemment rassemblées par la diplomatie, des répulsions impondérables, et invincibles ? Nullement. Ni les catholiques des Trois-Evêchés ne se sentaient plutôt en communion d’idées avec ceux du Saint-Empire, qu’avec ceux de France, — ni les protestants. Les protestants, passés du Luthéranisme au Calvinisme, s’étaient par-là, au contraire, rapprochés de nos protestants français ; et tout l’honnête entêtement de Paul Ferry, palabrant indéfiniment avec des professeurs d’Allemagne, sur des « formules de concorde, » n’avait pas avancé d’un pas la « réunion » de l’Eglise calviniste messine française avec les églises luthériennes allemandes du Rhin ou d’outre-Rhin. Les Messins réformés s’en allaient à Sedan, à Saumur et à Nîmes, ou à Genève ; ils tournaient le dos à Wittemberg et à Iéna.

Quant aux catholiques du pays, il n’y avait pas chez eux d’autres mécontentements que ceux qui se produisaient sur d’autres points de la France où les autorités ecclésiastiques se souvenaient d’avoir, au moyen âge, régenté la cité. Si une certaine partie du clergé messin se réclamait de ce Concordat germanique de 1418. — dont du reste Metz n’avait revendiqué le bénéfice qu’assez tard, — c’est que ce Concordat tolérait dans les Eglises séculières et dans les communautés régulières, malgré le Pape lointain et mal informé et malgré les évêques, un particularisme, où les cupidités et les vanités individuelles trouvaient leur compte ; parce qu’il leur permettait, en esquivant tour à tour, tantôt les suggestions tracassières des laïques, tantôt les injonctions impuissantes de Rome, d’éluder indéfiniment, dans les églises comme dans les congrégations, les réformes que le Concile de Trente avait édictées et que la Contre-Réformation catholique exigeait. De là seulement provenaient les difficultés que la domination française avait rencontrées parmi les catholiques.

Ne laissons donc, pas dire, — non parce que nous le désirons, mais parce qu’il n’est pas vrai, — qu’à Metz, au XVIIe siècle, un Français, venant d’une autre région du royaume, se sentit dépaysé. L’apprentissage que fit Bossuet à Metz devait forcément y être et il fut aussi fécond, pour un futur associé du gouvernement nouveau, qu’il eût pu l’être dans n’importe quel diocèse du royaume.

N’oublions pas enfin que cet apprentissage se prolongea, ainsi qu’on vient de le voir, après son départ de Metz, bien plus tard que 1659, — jusqu’en 1669, jusqu’à, l’année qui précéda sa nomination à l’épiscopat de Condom et son entrée dans la charge de précepteur du fils du Roi. Tout en acceptant des besognes parviennes, il continue de suivre ce qui se fait à Metz, et non pas seulement en spectateur, mais en acteur ; — ménageant avec souplesse et fermeté, l’évolution qui, là comme ailleurs, s’imposait et s’accomplissait dans l’ordre spirituel et dans l’ordre temporel tout ensemble. — Durant ces dix années à partir de 1659, où son expérience et son autorité parisienne s’établissaient, son expérience et son autorité provinciale s’entretenaient toujours.

A tel point que l’on peut raisonnablement supposer que, si Georges d’Aubusson de la Feuillade, évêque nommé, eût, pour une raison quelconque, fait défaut, Jacques-Bénigne Bossuet, Vicaire-général postulé par le Chapitre, délégué du Chapitre auprès du prélat, eût pu facilement devenir évêque de Metz.


ALFRED REBELLIAU.

  1. Voyez la Revue des 15 juin, 1er août, 1er octobre, 15 décembre 1919 et 15 mars 1920.
  2. Ce document est pour la première fois publié par les abbés Ch. Urbain et Levesque dans le tome I de cette nouvelle édition de la Correspondance de Bossuet, Paris, Hachette,. 1909 et années suivantes), dont je recueille dans ces articles les précieuses données.
  3. Comparez, avec les notes des éditeurs de la Correspondance, Ernest Jovy. Bossuet prieur de Gassicourt les Mantes et Pierre du Laurens. Un factum inédit contre Bossuet. Vitry-le-François, 1891, et Bossuet prieur de Gassicourt les Mantes et Pierre du Laurens. Quelques factums oubliés contre Bossuet, 1898, — que je résume pour les faits.
  4. Jovy, p. 14. « Les adversaires de Bossuet l’accusèrent encore d’avoir falsifié, altéré, surchargé toutes les pièces dont il s’aidait : — registre mortuaire de l’église Saint Martin-du-Charmel, acte de démission, « provisions » du cardinal Mazarin, registres du banquier expéditionnaire de Paris qui avait envoyé les provisions en Cour de Rome, réponses de son correspondant. » Des dates mensongères auraient été substituées aux véritables, au moyen de pâtés et poches d’encre. Inutile de dire que le fait même d’avoir fait faire des actes en forme, constatant les dates de décès ou de démission de Bédacier, est présenté comme une précaution perfide en vue des poursuites qu’il prévoit…
  5. Jovy, p. 9, 10.
  6. Jovy.p. 2, 25.
  7. Jovy, opuscule cité, p. 4, 12, 43, 65, 67, 70.
  8. Je dois dire que d’autres critiques, qui. Prennent étrangement au sérieux ces grosses puérilités de la chicane d’alors, subodorent en ce document en fronçant le sourcil « un certain embarras » de Bossuet, une sorte de prudence et de « gêne à s’expliquer ! »
  9. Le procès ne se termina du reste, en 1668, — et ceci prouve que la cause de Bossuet se gâtait, — que par l’intervention amicale de l’abbé Le Tellier, lequel obtint le désistement de Du Laurens en lui cédant un de ses propres bénéfices.
  10. Gérin, Recherches sur l’Assemblée du Clergé de 1682 ; — Documents sur la Société des Missions étrangères, p. 425-426 ; — Eugène Griselle, Quelques documents sur Bossuet, 1899.
  11. En ce qui concerne la dernière, — l’affaire de Sainte-Glossinde dont nous allons parler, — la nouvelle édition qui donne non seulement les lettres écrites par Bossuet, mais celles qui lui sont adressées, aurait peut-être pu accueillir, au moins comme document annexe, la lettre de Louise de Foix publiée par Hoquet, que l’on trouvera plus loin, s’il est absolument sûr qu’elle soit adressée à Bossuet.
  12. Voir l’Histoire de Metz par les Bénédictins, t. III, p. 268-281.
  13. Le baron Emmanuel d’Huart a publié cette curieuse charte culinaire où sont énumérées avec une exigence méticuleuse et des précisions amusantes, par des négociatrices évidemment expertes, toutes les viandes, boissons, friandises, que l’Abbesse doit leur fournir, — quantités en poids, qualités, — depuis l’aloyau de bœuf, « honnête et suffisant, » du lundi, jusqu’aux dragées, beignets, tourtes des jours de fêtes, avec le pot de vin rouge ou la chopine de clairet s’ajoutant aux deux chopines de vin ordinaire, « mesure de Bar. »
  14. Françoise de Lenoncourt.
  15. Gallia, XIII, col. 934.
  16. Les détails recueillis à Metz sur cette affaire avant 1855, par Floquet dans les Archives départementales de la Moselle, et consignés par lui dans le tome II de ses Études sur Bossuet, sont complétés ici par les notes prises aux mêmes sources par le pasteur Othon Cuvier, notes que M. N. Weiss a bien voulu me communiquer à la Bibliothèque de la Société historique du Protestantisme français. Il semblerait d’après ces notes que ces déprédations durèrent jusqu’en 1668.
  17. Floquet, Études, II, 330-332.
  18. Cet ouvrage d’Arnauld, qui a pour titre : De la conduite canonique de l’Eglise pour la réception des filles dans les monastères, fut composé sous le patronage de plusieurs prélats amis de Port-Royal, Godeau, Percin de Montgaillard, Vialart et Pavillon.
  19. Corr. t. I de l’édit. Urbain et Levesque, p. 194, une note signalant l’attitude prise par Bossuet en 1691, dans une querelle de Mgr d’Aubusson et du Chapitre. Cf. Jovy, Etudes et Recherches, p. 108-156.
  20. Corr. t. I, p. 192 (12 octobre 1669).
  21. L’Histoire de Metz, par les Bénédictins (t. III, p. 260), attribue précisément cette réforme à Bruillart de Coursan, l’agitateur dont nous parlons.
  22. Bibliothèque de l’Institut, manuscrits Godefroy, t. 331, f° 340 (25 juin 1668).
  23. Nous permettra-t-on de citer ce texte, réplique au précédent ? (C’est une variante (d’après les manuscrits Godefroy, t. 331, f° 313, 11 août 1668) du texte imprimé par le comte Emmery, dans son Recueil des arrêts du Parlement de Metz, t. V, p. 337.) « Nous chanoines et chapitre de l’église cathédrale de Metz, A tous abbés et abbesses, chanoines et chapitres des Collégiales, prieurs et couvents des abbayes et autres monastères réguliers de l’un et l’autre sexe, archiprêtres curés, chapelains, prêtres et autres fidèles du diocèse de Metz Salut en Nôtre-Seigneur. — Le siège de cet évêché étant présentement vacant, et étant de notre devoir en ce cas de pourvoir au spirituel dudit évêché, suivant le droit et la possession en laquelle nous sommes de temps immémorial en qualité d’administrateurs nés, Nous avons, pour bonnes considérations prié instamment Mgr l’archevêque d’Embrun de vouloir accepter cette administration du spirituel, et, avec lui, Mr Jacques-Bénigne Bossuet, docteur en la faculté de Paris, chanoine et grand doyen de l’église-cathédrale de cette ville et M. Louis Foës, licencié ès droits, aussi chanoine et trésorier en cette même église, lesquels nous avons nommés, comme par ces présentes nous nommons, grands vicaires, pour, conjointement avec mondit Seigneur et séparément en l’absence l’un de l’autre, faire et exercer les fonctions de grands vicaires de cet évêché… En foi de quoi nous avons, à ces présentes, que nous ordonnons être publiées, affichées et signifiées à qui il appartiendra, fait mettre et apposer notre scel et icelles contresigner de notre secrétaire ordinaire. Fait en notre chapitre à Metz le 11e jour du mois d’août 1466. Par ordonnance de Mrs les vénérables chanoines et chapitre de l’église cathédrale de Metz, administrateurs de l’Evêché, signé J. GODEFROY, secrétaire. » — A l’appui de ce que j’ai eu à faire observer, à différentes reprises, sur les conflits des pouvoirs et des prétentions dans la France d’autrefois, ajoutons que le « sieur abbé de Coursan » protesta à la fois contre le brevet royal et contre l’ordonnance du chapitre de Metz ; et le 13 août, fit connaître à son tour, par un « mandement, » aux clergé et fidèles du diocèse, que lui seul était administrateur de ce diocèse, lui seul vicaire général perpétuel et irrévocable au spirituel et au temporel, et interdit à ses ouailles d’obéir aux prétendus grands vicaires. (Mss Godefroy, t. 331, f. 342).
  24. C’est ce qui paraît résulter d’un document fort curieux (délibération de l’assemblée capitulaire du 4 juillet 1668) publié par Ernest Jovy, Etudes et recherches sur J. –B. Bossuet, p. 73-75). Bossuet et le confrère qui lui était adjoint étaient chargés. « en raison des mérites et hautes qualités de Mgr l’archevêque d’Embrun, qui témoigne par sa dite lettre avoir beaucoup de déférence pour ledit chapitre, » d’aller lui faire les compliments et civilités du chapitre et aussi « lui faire remontrance très humble touchant le droit que le Chapitre a d’élire ou postuler en cas de vacance dudit évêché. »
  25. Document cité dans la note précédente. — Bossuet qui était à ce moment à Metz, reçu immédiatement du chapitre une somme d’argent pour frais approximatifs du voyage qu’il allait faire.
  26. Voir par exemple l’Histoire de Metz par les Bénédictins, t. III, p. 235-246.
  27. Jean de Boislisle, Mémoriaux du Conseil du Roi de 1661, t. I, p. 163, 202. Cf. t I, p. 94-95 ; p. 186, p. 190, p. 282 ; II, 262 ; III, 19, 28, 74.