La Découverte de l’Amérique par les Normands vers l’an 1000/Chapitre 7

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Société d'Édition Maritimes, Géographies et Coloniales (p. 36-39).


CHAPITRE VII


LES ISLANDAIS


Après cet aperçu de la civilisation nordique, il est peut-être de quelque intérêt de revenir plus précisément sur le pays même des héros du grand exploit, l’Islande.

L’Islande fut colonisée vers 872, par les Norvégiens, dans des conditions qui rappellent quelque peu l’exode des « Pilgrims » du « May Flower », près de huit siècles plus tard.

Harold aux beaux cheveux réussit, à partir de 870, à réunir sous son autorité toute la Norvège, en réduisant les unes après les autres les communautés indépendantes et les petites principautés.

Un millier de « républicains », à qui l’idée d’un joug royal était insupportable, abandonnèrent leur pays natal et vinrent coloniser l’Islande. Ils apportèrent avec eux et conservèrent l’esprit d’indépendance et l’organisation sociale primitive, mais libérale, qu’ils tenaient de leurs lointains ancêtres.

L’Islande jouit d’une constitution plus libre, on pourrait presque dire plus parlementaire qu’il n’était coutume à l’époque. On n’y reconnut que beaucoup plus tard l’autorité d’ailleurs nominale d’un roi. À l’époque qui nous occupe, on ne connaissait pas même de chef suprême. Chacun vivait à sa guise, mais dans un cadre légal défini, avec tribunaux et code de justice. Chaque communauté avait une assemblée, pour ainsi dire cantonale, politico-judiciaire, le « thing ». (Nous verrons le « Thorness Thing » l’assemblée du district de Thorness, condamner Eirik le Rouge pour meurtre). L’assemblée générale réunissait l’ensemble du peuple islandais, c’était l’ « althing » qui se tenait à l’origine en plein air, au « Thingvellir ».

On y élisait pour trois ans des hommes de loi qui formaient une sorte de comité législatif, le « lögrette ». Les lois étaient réunies en un code appelé « Gragas ». L’évolution légale était déjà assez avancée, puisque les Gragas distinguaient le fait intentionnel « Viljaverk » du fait involontaire « Vadaverk ».

À côté des tribunaux organiques, il existait des assemblées de justice dont les juges étaient simplement les notables, les voisins, le « Buakvidr ».

Malgré son caractère très libéral, l’organisation avait un fond aristocratique atavique de peuples conquérants. Ce fond se retrouvait dans les divisions de classe, les esclaves « thrall », les affranchis, les propriétaires et les grandes familles.

Ce sens aristocratique se traduit dans les Sagas par l’étalage de copieuses généalogies remontant souvent fort loin et qu’on retrouve presque à chaque nouveau personnage. Il est fils d’un tel, fils lui-même de tel autre, etc…, aussi loin qu’on peut remonter.

L’Islande demeura longtemps sans histoire, en marge du monde européen au milieu des tempêtes et des glaces, au pied de ses volcans. Elle n’avait guère d’autres relations extérieures que quelques tractations commerciales.

La nécessité d’importer les produits manufacturés poussait les Islandais à aller chercher à l’étranger les matières nécessaires à leur existence. C’était pour eux beaucoup plus urgent que pour les habitants de la Scandinavie continentale.

En retour, ils exportaient leurs produits. Les pêcheurs de morse exportaient l’ivoire, les pêcheurs de baleine l’huile et les fanons. Mais les principaux produits venaient de l’élevage. Les fermiers élevaient des moutons et en exportaient la laine. L’intérieur du pays étant inhabitable, la zone exploitable était mince, aussi, les industries maritimes étaient-elles plus développées que les autres.

L’Islande, intellectuellement isolée, conserva presque intactes jusqu’à nos jours sa civilisation, ses qualités particulières et sa littérature. On y retrouve plus longtemps les goûts littéraires nationaux, l’amour de la poésie et du récit rythmé, qualités communes aux membres de la famille scandinave d’origine germanique. On y célébra, par les âges, l’esprit de franchise, les vertus parfois quelque peu rudes et les histoires des hommes célèbres des grands clans.

Les Islandais gardèrent longtemps ce besoin de mouvement, ce désir du risque et de la célébrité. La nature sauvage et rude, de leur pays les poussait à rechercher les contrées meilleures, au climat plus doux.

Toutefois, par ignorance ou par goût, ils ne semblaient pas apprécier les terres dont les ressources différaient sensiblement de celles de leur pays natal, l’élevage et la pêche.

Leurs mœurs et leur civilisation subirent à peine les atteintes de l’évolution générale de l’Europe continentale. Ils n’en eurent, sans doute, qu’un faible écho dans leur île lointaine.

Par contre, quelles énergies admirables, quelle audace et quel courage montraient ces cultivateurs pour travailler cette ingrate terre, ou ces marins pour braver une mer sauvage qui les enserrait de ses tempêtes, ses glaces, ses brouillards et ses orages boréaux.

On comprend aussi, malgré leur vigueur morale, l’influence que purent avoir la colère incessante des éléments sur la mentalité de ces hommes, leurs craintes et leurs terreurs.

Les Sagas islandaises en conservent le reflet. Il ne faut point s’étonner d’y retrouver, peut-être plus vigoureuse, cette touche de mysticisme, d’amour du merveilleux si coutumiers chez les Scandinaves, qui ne dépare, d’ailleurs, nullement leurs mœurs, ni leur littérature. C’est un trait de l’esprit local, dont on ne saurait faire un argument contre la véracité des Sagas.

Mais hormis ce penchant parfois vivement marqué, la littérature islandaise est simple et exacte comme il convient à des gens peu compliqués et habitués aux aventures. Ils eussent, sans doute, trouvé superflu et ennuyeux les fleurs oratoires et odieux le mensonge dans une relation.

Ils devaient, si nous pouvons faire une comparaison, ressembler en ceci aux beaux sportmen actuels, boxeur, coureur. Si un tel athlète avait à entendre ou à lire le récit d’un de ses exploits, de ses matchs, lui plairait-il que l’auteur y eût mêlé des inexactitudes, sous prétexte d’enjoliver l’affaire, ou eût employé le style fleuri d’un rhéteur ? Il préférerait, à n’en point douter, le récit tout simple, tout vrai. Peut-être subirait-il patiemment quelques phrases de louanges, encore que pas excessives, mais certainement pas les coups de grosse caisse qui feraient sourire les camarades, ou une déformation qui modifierait le fond.

Je pense que les Islandais, qui étaient en somme de rudes sportmen, devaient penser de même, et c’est une preuve de plus que ces Sagas, où nous trouvons le ton cru d’un récit sportif, sont foncièrement véridiques et nous représentent exactement la vie et les exploits des Islandais du xe siècle. Nous ne pouvons regretter qu’une chose, c’est le manque habituel de détails.