La Défense de mon oncle/Édition Garnier/Chapitre 11

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CHAPITRE XI.
du temple de tyr.

Je passe sous silence une infinité de menues méprises du schoen enragé contre mon oncle ; mais je vous demande, mon cher lecteur, la permission de vous faire remarquer comme il est malin. M. l’abbé Bazin avait dit que le temple d’Hercule, à Tyr, n’était pas des plus anciens. Les jeunes dames qui sortent de l’opéra-comique pour aller chanter à table les jolies chansons de M. Collé ; les jeunes officiers, les conseillers même de grand’chambre, messieurs les fermiers généraux, enfin tout ce qu’on appelle à Paris la bonne compagnie, se soucieront peut-être fort peu de savoir en quelle année le temple d’Hercule fut bâti. Mon oncle le savait. Son implacable persécuteur se contente de dire vaguement qu’il était aussi ancien que la ville : ce n’est pas là répondre ; il faut dire en quel temps la ville fut bâtie. C’est un point trop intéressant dans la situation présente de l’Europe. Voici les propres paroles de l’abbé Bazin (vol. XV, page 151) :

« Il est dit, dans les Annales de la Chine, que les premiers empereurs sacrifiaient dans un temple. Celui d’Hercule, à Tyr, ne paraît pas être des plus anciens. Hercule ne fut jamais, chez aucun peuple, qu’une divinité secondaire ; cependant le temple de Tyr est très-antérieur à celui de Judée. Hiram en avait un magnifique, lorsque Salomon, aidé par Hiram, bâtit le sien. Hérodote, qui voyagea chez les Tyriens, dit que, de son temps, les archives de Tyr ne donnaient à ce temple que deux mille trois cents ans d’antiquité. »

Il est clair par là que le temple de Tyr n’était antérieur à celui de Salomon que d’environ douze cents années. Ce n’est pas là une antiquité bien reculée, comme tous les sages en conviendront. Hélas ! presque toutes nos antiquités ne sont que d’hier ; il n’y a que quatre mille six cents ans qu’on éleva un temple dans Tyr. Vous sentez, ami lecteur, combien quatre mille six cents ans sont peu de chose dans l’étendue des siècles, combien nous sommes peu de chose, et surtout combien un pédant orgueilleux est peu de chose.

Quant au divin Hercule, dieu de Tyr, qui dépucela cinquante demoiselles en une nuit, mon oncle ne l’appelle que dieu secondaire. Ce n’est pas qu’il eût trouvé quelque autre dieu des Gentils qui en eût fait davantage ; mais il avait de très-bonnes raisons pour croire que tous les dieux de l’antiquité, ceux mêmes majorum gentium, n’étaient que des dieux du second ordre, auxquels présidait le Dieu formateur, le maître de l’univers, le Deus optimus des Romains, le Knef des Égyptiens, l’Iaho des Phéniciens, le Mithra des Babyloniens, le Zeus des Grecs, maître des dieux et des hommes, l’Iesad des anciens Persans. Mon oncle, adorateur de la Divinité, se complaisait à voir l’univers entier adorer un dieu unique, malgré les superstitions abominables dans lesquelles toutes les nations anciennes, excepté les lettrés chinois, se sont plongées.