La Détenue de Versailles en 1871/8

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chez l’auteur, 7, impasse Hélène (p. 115-133).


CHAPITRE VIII.


Cependant les jugements des conseils de guerre suivaient leur cours. Tous les jours quelque nouvelle et rigoureuse condamnation venait jeter l’émoi parmi nous. Sur les quatre premières femmes jugées, d’eux avaient été condamnées à mort, deux à la déportation.

Ces résultats nous frappèrent de stupeur ; la plus grande consternation fit place au calme relatif où nous étions. Une circonstance imprévue vint encore ajouter au trouble des âmes déjà si fortement ébranlées.

Un matin, nous vîmes arriver aux Chantiers le commissaire civil C…, qui d’abord débuta par une fort longue leçon de morale à notre adresse. Tout à fait hors de propos dans l’état où nous nous trouvions, cet exorde aigre-doux n’était qu’un prétexte, ou plutôt qu’une précaution oratoire : au fond le commissaire venait nous annoncer notre prochain transfert à Clermont.

Ce fut un coup de foudre.

Certes, nous ne doutions pas que Versailles ne fût qu’une étape sur la route de l’exil ou de la détention et qu’il nous le faudrait quitter en même temps que l’espoir de rejoindre notre famille : mais toutes étaient loin de penser que ce moment fût si proche, et dans tous les cas, qu’aucun transfert général dût avoir lieu avant jugement. Chacun se hâta d’écrire à ses parents, à ses amis. Le lendemain la cour était pleine d’une population persuadée qu’elle venait recevoir les adieux des malheureuses prisonnières… C’était une fausse alerte. Le jour d’après, on vint nous dire en riant qu’il était seulement question d’expédier les femmes vingt par vingt…

Ainsi l’on se jouait de notre situation : elle était si plaisante ! — Une fausse alerte, hein ! s’était dit quelqu’un ; si nous leur donnions une fausse alerte ! Quelle bonne farce ! les parents accourront, on pleurera, on s’encouragera, ce sera drôle… D’autant plus drôle, que de la farce il restera quelque chose : les vingt en balance d’expédition, sans autre étiquette !

En effet, la plus douloureuse anxiété planait sur toutes : chacune redoutait que parmi les noms appelés ne se trouvât le sien, et craignait de n’être plus aux Chantiers dans les vingt-quatre heures. Les visites que nous recevions facilement de Paris nous retenaient au Grenier.

Le premier appel eut lieu 10 minutes avant le départ, et pour comble au milieu de la nuit. Ce qu’en de telles circonstances ce départ avait de poignant ne se peut exprimer. Nous nous étions comme habituées l’une à l’autre dans ce Grenier, où, quoi qu’il eût de triste, on jouissait d’une certaine indépendance ; et voilà que tout d’un coup il fallait changer de prison sans avoir été jugées !

La raison de l’évacuation des Chantiers, était simplement qu’on allait en renouveler la population.

De fait, après deux autres convois pour les Centrales, composés comme le premier de vingt prisonnières chacun, on vit arriver 300 femmes extraites de Saint-Lazare.

Escortées d’une double haie d’agents en civil elles firent leur entrée dans la cour au milieu de l’étonnement et de la curiosité générales. Assez, bien mises pour la plupart, les nouvelles venues étaient propres. Leur toilette était soignée, leur teint blanc, tout en elles enfin tranchait tellement sur l’aspect hétéroclite et misérable des détenues de Versailles, qu’elles en restèrent toutes saisies. La vue de nos visages brunis par le soleil et de nos mains quasi-noires les frappa douloureusement, et c’est avec des larmes dans les yeux qu’elles entrèrent à leur tour au Grenier.

Les sbires de la rue de Jérusalem eux-mêmes ne cachaient pas leur étonnement. Mais ce qui dominait en eux c’était moins la surprise qu’un certain sentiment de malaise. En effet, sous les regards de tout ce monde féminin, leur contenance n’était rien moins qu’assurée : c’est que Beaucoup d’entre eux craignaient d’être reconnus, comme de fait plusieurs le furent sans ménagement. — « Tiens ! exclamait une voix, M. B., l’habitué du petit café X…, il est donc de la police à présent ! » ou bien : « Mais je ne me trompe pas, c’est bien M. P. que je vois, Tiens ! il en est donc aussi lui ! » Et dire que nous nous demandions jadis de quoi tous ces gens-là vivaient.

Évidemment les malheureux auraient voulu s’en aller. Ils s’en allèrent en effet ; on les congédia dès que toutes les Saint-Lazariennes furent internées ; non toutefois sans leur avoir payé leur course d’une pièce de deux francs par tête. Or ils n’étaient guère moins d’un cent. Deux cents francs pour escorter trois cents femmes en chemin de fer, ce n’est vraiment pas trop.

Émues à notre aspect en entrant dans la cour, les nouvelles venues le furent bien davantage quand elles se virent au Grenier. J’ignore ce que sont à St-Lazare et le régime pénitenciaire et la distribution des cellules : mais s’il en faut juger par l’énergique répulsion que manifesta la nouvelle colonie à la vue de notre taudis — désormais le leur, — assurément les Chantiers restent profondément au-dessous.

Si les détenues sont relativement moins libres à Saint-Lazare, il est certain qu’elles y disposent au moins d’un lit par tête et de moyens d’hygiène absolument inconnus à l’ex-Grenier d’abondance de Versailles. Sans doute aussi la discipline y est autre, car on pouvait constater chez les dernières venues le plus curieux silence, en même temps qu’une grande déférence envers les visiteurs importants. Bien que rien dans le tempérament de ces dames ne fût moins ordinaire, cette allure contrastait singulièrement avec les mœurs bruyantes, franches, et quelque peu révolutionnaires des Chantiers ; au point que durant quelque temps les nouvelles et les anciennes semblaient former deux camps tout à fait distincts. Cependant, peu à peu, par la force des choses et l’entière parité de situation, on en vint à confondre ses regrets, ses craintes, ses espérances.

Deux mois s’étaient écoulés depuis mon arrestation, et j’ignorais toujours quand devait avoir lieu mon jugement. La prévention m’inquiétait de plus en plus, car du train qu’entre les mains du capitaine B… marchait l’instruction des causes, il était presque impossible d’en prévoir le terme, d’autant plus que ce nouveau contingent de 300 prévenues venait encore accroître le travail courant.

Heureusement cette circonstance vint nous servir : un juge adjoint fut délégué près du capitaine, qui se piqua d’émulation devant son collègue, et par eux en quelques semaines toutes les femmes furent interrogées et les dossiers enfin mis au rôle.

Il avait été du reste sérieusement arrêté qu’à jour fixe et dans un délai peu éloigné toutes les femmes quitteraient les Chantiers pour faire place aux hommes.

Enfin l’heure approchait de comparaître devant le conseil de guerre. J’en éprouvai un grand soulagement, car il me répugnait beaucoup d’être envoyée en Centrale ; puis c’était la fin, et quelle qu’elle dût être, je la préférais à l’ignorance énervante du lendemain où nous étions depuis si longtemps.

Au dernier interrogatoire que j’eus à subir du capitaine B…, celui-ci me donna lecture du texte définitif de l’acte d’accusation. Sur de nouveaux renseignements recueillis par les commissaires du quartier M… et D… (l’ancien n’était plus en fonctions), le chef d’avoir, armée d’un fusil, commandé une barricade, avait été abandonné ; restait ma présence aux clubs et les discours plus ou moins véridiques y prononcés par moi. N’ayant pas à me défendre sur ce point, je signai l’acte sans hésitation. — Quelques jours après, nous étions, une douzaine de mes compagnes et moi, envoyées au lieu dit : la Correction de Versailles, rue de Paris, ou déjà nous avaient précédées nombre de co-détenues. Je l’avoue, en entrant dans cette maison de condamnées pour vol et vagabondage, une pénible émotion me saisit. Certes, la part de responsabilité incombant à nos institutions est grande dans la faute de ces malheureuses, mais il me sembla qu’en nous imposant ce nouveau contact on ne cherchait qu’à nous compromettre encore.

Sachant que Louise Michel était à la Correction, ainsi que plusieurs autres femmes, je demandai pourquoi on ne nous mettait pas ensemble comme aux Chantiers. Une jeune religieuse me répondit qu’on avait « l’ordre exprès de ne point laisser communiquer la fille Michel et la femme Hardouin. »

Louise était précisément dans un atelier qu’on pouvait apercevoir de l’endroit où nous étions par la grille du jardin qui nous séparait. Apprenant ma présence et mon désir de me rapprocher d’elle, Louise m’appela ; je courus à elle malgré la religieuse qui me suivait et pus lui donner la main à travers la grille. — Ne pleurez pas, me dit-elle affectueusement ; nous irons ensemble à la Nouvelle-Calédonie[1], où nous planterons le drapeau rouge, et là nous nous ferons les éducatrices des enfants de la Déportation. »

Singulière perspective, et qui dit bien le caractère de cette excellente fille, enthousiaste jusque dans le malheur.

Cependant je ne pus m’empêcher de sourire à sa proposition. Ne pensant point avoir mérité l’honneur un peu dur d’être déportée, je le lui dis en me séparant d’elle sur l’ordre de la sœur.

Je n’avais point connu Louise Michel à Paris. Aux Chantiers quelques heures suffirent pour faire de nous deux amies.

Une esquisse à larges traits de cette autre Pauline Roland intéressera, croyons-nous, le lecteur.

Le fond de cette âme d’élite est une générosité sans bornes, un détachement des choses qui la touchent, allant jusqu’à l’oubli du moi. Bonne autant qu’on peut l’être, elle s’est fait pour ainsi dire une atmosphère d’abnégation ; elle y respire et s’y meut avec aisance et force, toute sa vie est là, ne pouvoir se dévouer la tuerait ; il lui faut des êtres à chérir, des courages à relever, une confiance enfin que rien n’altère et qui prouve l’exquise droiture de son cœur. On l’aime sans le vouloir, parce qu’elle aime sans compter. Son influence vient surtout de ce qu’elle n’en croit pas avoir et qu’elle se moque d’ailleurs d’en acquérir. Ne donnant rien à la gloire, elle est sans ambition propre : ce qu’elle veut, elle ne le veut que pour le peuple et par lui, sachant bien qu’il ne saura définitivement conserver son œuvre que s’il l’a fondée seul, défendue et scellée de son sang.

Sa foi dans la Révolution est sans bornes : mais cette croyance procède, en elle, beaucoup plus de principes strictement définis que d’un irrésistible besoin de justice. Ses aspirations sont plutôt idéales que pratiques dans le sens habituel du mot. Louise Michel, en effet, partage avec son sexe le pur sentiment du juste, et comme une intuition des solutions du problème social : mais on ne saurait affirmer qu’elle en possède exactement les moyens d’appréciation, les éléments de critique. Il lui suffit d’ailleurs d’être une affirmation vivante dans la Révolution, de croire à sa nécessité et de combattre pour son triomphe. Sa mère est pour elle l’objet d’un amour et d’une vénération rares ; et l’on peut dire que cet amour égale dans son cœur celui qu’elle a voué depuis si longtemps à l’humanité.

Une grande indulgence pour les faibles, en même temps qu’un grand courage : une dignité calme, des gestes lents, un langage imagé, quelque peu sombre, tel est enfin le fond de ce tempérament énergiquement sympathique.

Louise Michel est poëte. Inspirée parfois, sa muse irrégulière a des tons un peu farouches ; elle cherche d’ailleurs moins à chanter qu’à peindre, elle a moins le rhythme que la couleur. Son vers, un peu négligé, a de l’ampleur et du souffle ; on n’y sent point l’effort, ni un respect exagéré des lois de la prosodie. Riche de métaphores, elle manque cependant de mots et surmène un peu l’adjectif. Son mètre favori est l’alexandrin en stances de quatre. L’allure un peu traînante et cadencée de cette mesure se prête mieux que toute autre à l’expression de ses sentiments où la tristesse et le vague dominent. Toutefois elle aborde aussi l’ode, et pour la vivacité propre à l’enthousiasme aucun rhythme n’offre les ressources de l’hexamètre : c’est naturellement celui-ci qu’elle adopte.

Nature puissamment attractive, rares étaient celles qui résistaient au prestige de Louise Michel. Les sœurs elles-mêmes le subissaient à leur insu. « J’espère, leur disait-elle en souriant, vous rendre bientôt communeuses et vous emmener à la Calédonie. » Celles-ci se mordaient les lèvres et ne disaient pas non. La preuve qu’elles l’aimaient, c’est qu’en dépit de l’ordre exprès de ne point nous laisser ensemble, Louise venait librement dans ma cellule, encor bien que les sœurs en eussent la clef.

Huit jours se passèrent ainsi. Le calme renaissait un peu en moi, j’envisageais l’avenir sous un jour moins triste. Pourtant cette maison de correction, avec ses hauts murs et ses grilles me serrait le cœur. Le dirai-je ! sous ce contrôle glacé des sœurs, dans ce silence de sacristie troublé seulement par leurs prières chuchotées et leurs pas traînant sur les dalles, je me pris à regretter la liberté relative des Chantiers, leur tohu-bohu, le soleil et ses ardeurs. Ici tout était froid, sombre, religieusement monotone, et, pour tout dire, mortellement ennuyeux.

Le neuvième jour, une sœur vint me dire que mon fils et mon mari m’attendaient au parloir… mais qu’il ne m’était point permis de les voir. — « Comment ! point permis ? Pourquoi ? — Ils ne sont munis que d’un permis de la Prévôté. » — « Eh bien ! » — « Il leur faut aussi celui des Chantiers. » — « Et pour cette formalité vous m’empêcheriez de les voir ! » — « L’ordre est formel, nous ne pouvons pas. »

Je priai, j’implorai les sœurs : elles furent inflexibles. Ni ma douleur, ni les paroles plus dures que je leur adressai ne purent les émouvoir. Ces femmes de Dieu, qui méprisent assez l’humanité pour s’en détacher vivantes, ne peuvent comprendre qu’on ait au cœur autre chose que ce qu’elles nomment une céleste flamme.

Étisie de l’âme ou candeur du fanatisme, l’une d’elles, qui n’avait pas vingt-cinq ans, vint me dire étonnée : « Comment pouvez-vous aimer un homme, prendre un mari ! Moi, je leur porte chaque jour à manger, et plus je les vois, plus je les trouve affreux ! Il est bon, fit-elle après une pause, d’aimer assez le bon Dieu, pour n’avoir pas à craindre leurs regards… »

Pauvres fleurs desséchées de mysticisme qui vous imaginez vivre en un Dieu réprouvant l’homicide, et qui condamnez votre existence au suicide à petit feu, comprenez donc une fois pour toutes l’unique et seule raison des êtres, et donnez des enfants à la terre qui vous donna père et mère.

Autre désagrément de la Correction ! nous y recevions nos lettres toujours en retard de quatre ou cinq jours, tandis qu’aux Chantiers elles nous arrivaient régulièrement ; il en résultait pour les prévenues les plus grands inconvénients.

Au bout de quelques jours il me fut enfin permis de voir mon mari, en règle cette fois. Les deux permissions de la Prévôté et du capitaine instructeur lui permettaient enfin de me parler… à travers une double grille qu’un espace d’un mètre séparait, et sous l’oreille discrète d’une religieuse recueillant religieusement mes paroles. Je priai mon mari de m’envoyer Me  André Rousselle, qui, en sa qualité de défenseur, aurait peut-être le droit de communiquer avec l’accusée. L’arrêt de comparution devant le conseil de guerre venait d’ailleurs de m’être remis : c’était pour le 8 octobre. Nous étions au 29 septembre.

Après avoir pris connaissance de mon dossier, dont il crut devoir faire insérer un extrait dans le Radical du 8 novembre, à l’effet, sans doute, d’offrir au public un spécimen des rapports policiers, Me  André Rousselle vint me trouver. — « Dans toute votre affaire, me dit-il, comme d’ailleurs dans la plupart de celles concernant les femmes, il n’y a point l’ombre d’un délit sérieux : vous serez acquittée. » J’en acceptai l’assurance de cet homme plein d’affabilité, et lui remis une lettre pour ma famille.

Enfin, j’allais être jugée.

On était au 5 octobre : le 8 il nous faudrait comparaître devant le 4e  Conseil de guerre.

Ces trois jours nous parurent longs.

Enfin plusieurs soldats d’escorte nous furent envoyés, qui nous y menèrent, mes deux compagnes et moi.

Le 4e  Conseil de guerre siégeait aux grandes écuries. Une baraque en planches improvisée en salle d’attente nous reçut, et nous garda durant 2 heures…, au bout desquelles on vint nous dire que l’audience était remise à plus tard, les témoins à charge n’ayant pas, par oubli, été assignés !…

On le voit, l’ordre et la régularité ne pouvaient être mieux observés… On avait oublié les témoins à charge : donc on nous renvoyait à quinzaine : c’était tout simple, si simple que je m’étonne encore qu’on ne nous ait point remis à un mois ; ce qui n’aurait fait après tout que quatre mois de prévention dans les conditions qu’on sait.

Cependant Me  A. Rousselle jugea l’incident d’un œil moins bénévole. Faire payer l’erreur d’un greffier par 8 jours de détention à des femmes depuis si longtemps détenues, lui parut le comble de l’arbitraire, et c’est par des paroles vraiment indignées qu’il fustigea publiquement ces procédés d’une justice trop fantaisiste. Il fut applaudi des curieux qui se trouvaient dans la salle, mais cela n’empêcha point les soldats de nous ramener, baïonnette au fusil, à la Correction.

Les jours qui suivirent furent bien tristes pour nous. On n’avait pas jugé nécessaire de nous dire à quelle date fixe et définitive on entendait procéder à notre jugement, de sorte que de nouveau saisies d’inquiétude, nous nous demandions s’il ne faudrait pas passer autant de jours à la Correction qu’on nous en avait infligés aux Chantiers.

Enfin le 17 octobre, douze jours après, nous eûmes, madame Lenz et moi, le suprême soulagement de nous entendre acquitter.

Voici d’ailleurs l’extrait du jugement rendu, tel que le publièrent plusieurs journaux :

4e  CONSEIL DE GUERRE

Audience du 17 octobre.
PRÉSIDENCE DE M. LE COLONEL BOISDENEMETZ

Paul de Blois, avocat du Gouvernement lit l’accusation ci-dessous :

« Tout le monde aux Batignolles connaît madame Hardouin comme une épouvantable créature de la Commune, qui n’inspire qu’horreur et dégoût, oubliant ses devoirs d’épouse et de mère, allant au club tous les soirs, prêchant des doctrines communistes si agréables à ceux qui ne possèdent rien, applaudissant aux défaites de l’armée Versailles, et disant que la Commune devait brûler Paris plutôt que de le laisser prendre. »

Bref, le rapport conclut à la mise en jugement de Mme Hardouin.

Délits prévus par les articles 293 et 261 du code pénal.

Me André Rousselle présente la défense de Mme Hardouin en ces termes :

« Je ne parle, dit-il, que parce que dans le public des accusations se sont produites. Qu’y a-t-il au fond de cette affaire ? Des bavardages de quartier, de voisins à voisins. C’est au point qu’un honorable député, en voyant le dossier, aurait eu cette idée fixe qu’il devait y avoir erreur sur l’identité de la prévenue. Comment les bruits ont-ils pris naissance ? Mme Hardouin a eu le tort d’aller au club. De là scandale. Elle y était allée 2 fois : huit jours après, elle était représentée comme y passant toutes ses soirées. »

« Tous les témoins, même à charge (puisque, Messieurs, vous n’avez même pas trouvé nécessaire d’entendre ceux à décharge), viennent déposer que Mme Hardouin est une excellente mère de famille, une institutrice dévouée, victime de quelque méchante haine. Vous ne pourriez, Messieurs les jurés, condamner l’accusée, car nous n’avons entendu sur son compte que des accusations sur des on dit, et comme pour parler il faut exister et par conséquent avoir un nom, le Conseil ne peut que renvoyer dès ce soir, cette épouse à l’époux qui l’attend là, dans cette salle, en proie à la plus atroce douleur, et à son fils qui n’a pas eu la force d’y rester, séparé de sa mère pour la première fois depuis 19 ans qu’il est au monde.

« Non-seulement elle est réclamée par deux honorables députés de son pays (la Touraine), mais par le maire et son conseil du village où elle est née, où elle s’est mariée et où sa mère et sa famille résident. Un grand nombre de commerçants, de propriétaires et de parents qui lui ont confié leurs enfants ont affirmé l’estime qu’ils lui portent et par leur présence ici et par les pétitions qu’ils ont signées en sa faveur. Mme Hardouin ira reprendre la mission qu’elle s’est donnée dès l’âge de 20 ans, et j’ai la certitude qu’elle saura toujours y porter la tête haute. »

Le conseil après une courte délibération m’acquitta à l’unanimité.

Je rentrai le soir dans ma famille, et dès le lendemain je repris la classe de laquelle on m’avait si impitoyablement arrachée, heureuse d’y revoir les enfants toujours vrais en leurs affections, fêter le retour de celle qui les avait tant pleurées.

  1. Désir que je ne partageais point.