La Détenue de Versailles en 1871/Résumé

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chez l’auteur, 7, impasse Hélène (p. 134-139).


RÉSUMÉ




Donc, les mitraillades sommaires, les fusillades avec ou sans jugement, les pontons, les transportations n’ont point suffi. Le sang des hommes ayant coulé par ruisseaux n’était rien. Bien que les survivants allassent périr de fièvre à Noukahiva, les hommes ce n’était pas assez. Il fallait encore au minotaure de la réaction des femmes par centaines. Il les lui fallait ravies au foyer, traînées par les routes, jetées dans les prisons. Quelques-unes venaient d’être mères, d’autres allaient le devenir : rien n’arrêta les vainqueurs, la cellule s’improvisa berceau de nouveau-né…

Le crime de la plupart de ces femmes était de n’avoir pas livré leur fils ou leur époux, d’avoir partagé la foi des leurs, de s’être montrées républicaines. Enfin Saint-Lazare fut leur première station, puis vinrent les Chantiers, puis les Centrales, Clermont, Auberive, puis la déportation dans l’Océanie.

Livrer ainsi les femmes et les enfants aux fureurs de parti, cela ne s’était point vu depuis la Saint-Barthélemy, et les boucheries des Cévennes, ces holocaustes religieux. Alors on invoquait la gloire de Dieu. Dieu ! c’est-à-dire la raison d’État, l’intérêt du roi, des grands et du clergé. Aujourd’hui, c’est le péril social. Le péril social ! entendez-vous, que l’hécatombe de mai, que la dispersion des familles a dû certainement conjurer ; car la revendication du peuple est sans doute ensevelie dans le dernier des trous creusés aux Buttes Chaumont.

Aussi l’ordre est-il rétabli, le gouvernement moins éphémère, le pays plus florissant et plus assuré de paix. Enfin les grands problèmes sociaux que soulève la vie du peuple, résolus ou bien prêts de l’être. N’est-ce pas ?

Qu’on jette un regard impartial sur la marche économique et politique du pays, de la France, depuis 1871, et l’on aura la réponse.

On a libéré le territoire, soit ? mais un gouvernement populaire et viril l’aurait également délivré, à meilleur compte et plus vite, et nous n’en serions pas à recevoir sans protester les insolents rappels à l’ordre de M. de Bismarck, à la moindre velléité d’organisation démocratique ; nous n’en serions pas surtout — conséquence de l’établissement d’un régime sans caractère et sans nom, — à ne compter aucun allié sérieux en Europe.

A-t-on compté ce que le système du provisoire indéfini et du calme dit moral a coûté à la France ? L’accroissement sans fin des budgets alimentés à force d’impôts tellement) iniques qu’ils en deviennent infructueux, va frapper dans leurs sources vives le commerce et l’industrie qui demandent grâce. Des lois fiscales insensées ouvrent à nos ennemis les marchés intérieurs, ils en expulsent les produits nationaux ; et pour peu que le système se prolonge, nous verrons bientôt disparaître la seule supériorité que n’ait encore pu nous enlever le vainqueur, celle de la production et des exportations.

Il ne suffit pas de faire la guerre et d’étouffer sous le crépitement des mitrailleuses la voix d’un peuple réclamant ses droits pour que les paisibles, les honnêtes, les bons citoyens comme on veut nous définir en nous classant, n’aient plus qu’à labourer, fabriquer, échanger en toute assurance. La sécurité du lendemain, cela ne se fonde pas à coups de fusil ni à coups d’État parlementaires. Il faut autre chose. La crise économique et financière, depuis les répressions, s’est accrue au point de vous amener à la reconnaître publiquement en plein Tribunal de commerce. Les chômages, faillites, fermetures d’usines, d’ateliers et de magasins, toutes ces calamités sociales, l’exécution de cinquante mille hommes ne l’a point prévenue.

Si, comme vous le dites, vous avez rétabli l’ordre, comment n’avez-vous pas reconquis la confiance, et son signe le plus évident, la reprise du travail, qui crée les affaires ?

C’est que le remède n’est pas plus dans l’état de siége à perpétuité, dans les chasses aux portefeuilles et la brigue des prétendants que dans l’oppression de la presse et la poursuite des républicains.

Non ! transformer le soldat en juge, l’investir de la puissance des lois, faire de l’équivoque politique et de l’embastillement des villes un état de choses indéfini, faire appel à tout propos à la brutale intervention des armes, ce n’est point protéger, c’est encore moins sauver la société. C’est introduire le dogme de la force dans la Constitution et légitimer dans l’avenir tous les succès des coups d’État, tous les rapts de la conquête.

Est-ce bien là ce que veulent les conservateurs ? Non, sans doute. Et cependant c’est là le sort que nous aurions à craindre, si devant la Prusse formidable et l’Europe entière armée pour de nouvelles conflagrations, les partis en France ne font une fois trêve à leur acharnement contre le mouvement social du prolétariat, si tout n’est pas sacrifié aux intérêts de caste et de dynastie.

La République démocratique peut seule désormais tenir tête aux coalitions étrangères, seule imposer la paix en Europe par le spectacle de sa force intérieure. L’oublier, c’est courir à la plus terrible des chutes, l’effacement politique de la France dans le concert européen, et sa dissolution intérieure par la guerre sociale.

Mais la République est vivace ; elle a poussé depuis neuf ans dans le sol français des racines profondes. Maintenant que les partis monarchiques sont éliminés ou réduits à l’impuissance, le gouvernement fort qu’elle possède aujourd’hui saura comprendre, espérons-le pour lui, que l’heure est venue de supprimer définitivement les vieux débris des institutions monarchiques, et de lancer à pleine volée la France démocratique dans la voie de la Liberté.

Il songera que tous les travailleurs attendent de lui, avec une légitime impatience, les réformes sociales que n’aurait pu jamais leur donner nulle monarchie, sans mentir à son principe et sans péril pour elle-même.

Il barrera résolument la route à quiconque tenterait un retour impossible vers le passé.

Et s’il n’était point assez avisé pour comprendre sa tâche, assez hardi pour l’accomplir, le peuple, lui, est assez fort pour se substituer à des mandataires impuissants et pour se sauver lui-même.


FIN