La Dame à la louve (recueil)/Blanche comme l’écume

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La Dame à la louve (recueil)
La Dame à la louveAlphonse Lemerre (p. 205-208).
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Blanche comme l’Écume


Blanche comme l’écume sur le gris des rochers, Androméda contemplait la mer, et dans son regard brûlait le désir de l’Espace.

Sous le poids des chaînes d’or, ses membres délicats s’imprégnaient de soleil. Le vent du large soufflait à travers ses cheveux déployés. Le rire de la mer allait vers elle, et tout l’éblouissement des vagues miroitantes pénétrait dans son âme.

Elle attendait le Trépas, elle attendait, blanche comme l’écume sur le gris des rochers.

Elle se sentait déjà perdue dans l’infini, mêlée à l’horizon, aux flots empourprés d’or, aux brumes du lointain, à tout l’air et à toute la clarté sonore. Elle ne craignait point la Mort aux yeux chastes, aux mains graves, elle ne craignait que l’Amour qui ravage l’esprit et la chair.

Blanche comme l’écume sur le gris des rochers, elle songeait que les Dieux cléments, en la livrant virginale à la Mort virginale, lui épargnaient les rancœurs et les souillures de l’implacable Érôs.

Soudain, ses prunelles se fixèrent, dilatées, sur le Monstre de la Mer qui venait du lointain vers la proie immobile, vers la victime royale.

Ses écailles glauques ruisselaient d’eau bleue et verte, et resplendissaient d’éclairs et de rayons. Il était magnifique et formidable. Et ses yeux vastes avaient la profondeur de l’Océan qui le berça de ses rythmes et de ses songes.

Des lèvres d’Androméda jaillit un sanglot d’épouvante et d’amour. Ses paupières frémirent avant de se clore sur la volupté de son regard. Ses lèvres goûtaient amèrement la saveur de la Mort.

… Mais l’heure de délivrance avait sonné, et le Héros apparut, armé par la Parthène et pareil à un éclair d’été. Le combat se livra sur les vagues et le glaive de Perseus fut vainqueur. Le Monstre s’abîma lentement dans les ténèbres de l’eau.

À l’instant où le triomphateur brisait les chaînes d’or de la Captive, il s’arrêta devant le reproche muet de ses larmes.

Et la voix d’Androméda sanglota lentement :

« Pourquoi ne m’as-tu point laissée périr dans la grandeur du Sacrifice ? La beauté de mon Destin incomparable m’enivrait, et voici que tu m’as ravie au baiser léthéen. Ô Perseus, sache que le Monstre de la Mer a connu seul mon sanglot de désir, et que la Mort m’apparaissait moins sombre que ton étreinte prochaine. »