La Dame de chez Maxim/Acte III

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Librairie Théâtrale (p. 279-376).

ACTE III


Même décor qu’au premier acte. Les meubles sont aux mêmes places où on les a laissés à la fin du premier acte. (Le pouf, inutile pour l’acte, peut être supprimé.)





Scène première

GABRIELLE, ÉTIENNE.
Gabrielle, dans son costume de voyage du second acte (chapeau et cache-poussière), entre de droite, suivie d’Étienne, qui porte son sac de nuit et sa couverture de voyage.
Gabrielle (1), descendant en scène.

Comment, monsieur n’est pas là ?

Étienne (2).

Non, madame, monsieur est sorti ! je l’ai vu tout à l’heure, avec son chapeau sur la tête.

Gabrielle.

Comme c’est agréable ! il aurait bien pu se dispenser, à une heure où il devait bien se douter que j’allais arriver… (On sonne.) Tenez, c’est peut-être lui ! Allez ouvrir.

Étienne, posant les deux colis à terre, au fond.

Oui, madame !

Il sort de droite en laissant la porte ouverte.
Gabrielle.

Non, vraiment, je ne comprends rien à la conduite de mon mari !… (S’asseyant sur le canapé.) Il en use vis-à-vis de moi avec une désinvolture !… Hier, il me voit chez son oncle ; il assiste à la scène qui s’est passée !… et au lieu de partir avec moi, justement indigné, il me plante là et il prend le train avec le général ! C’est d’un manque d’égards ! (Se levant en voyant Étienne qui rentre de droite.) C’est monsieur ?

Étienne (2).

Non, madame, c’est un jeune homme qui…

Gabrielle (1).

À moins que ce ne soit absolument urgent, je n’y suis pour personne.

Étienne.

Bien, madame !

Il ressort par où il est venu.
Gabrielle, au-dessus du canapé, se dirigeant vers sa chambre.

Ah ! non, merci ! j’ai bien la tête à recevoir des visites !

Elle sort de gauche deuxième plan.


Scène II

ÉTIENNE, LE DUC.
Étienne, emboîtant le pas au duc qui entre vivement avec un bouquet de fleurs à la main, et s’arrête au milieu de la scène, l’œil inquisiteur et l’air impatient.

Mais je répète à monsieur que madame arrive à l’instant de voyage ; et, après une nuit de chemin de fer, monsieur comprendra qu’à moins qu’il ne s’agisse d’une affaire très urgente !…

Le Duc, parlé saccadé.

Oh ! oui !… très urgente !… Dites seulement à madame que c’est le duc de Valmonté et vous verrez !

Il gagne la gauche.
Étienne.

Le duc de… ?

Le Duc, par dessus l’épaule.

… Valmonté.

Étienne, ne pouvant réprimer un sifflement d’admiration.

Ffuie !

Le Duc, se retournant.

Vous dites ?

Étienne, vivement.

Rien, monsieur ! rien !

Le Duc.

Allez ! Madame doit m’attendre

Il s’assied sur le canapé.

Étienne.

Ah ! pour ça non, monsieur.

Le Duc.

Non ?

Étienne.

Madame m’a dit qu’elle n’y était pour personne.

Le Duc, avec un sourire de fatuité.

Eh ! ben !… vous voyez bien qu’elle m’attend !

Étienne, étonné.

Ah ?

Le Duc, se levant et lui mettant dans la main une pièce de cinq francs.

Tenez !

Il passe 2.
Étienne, regardant la pièce qu’on vient de lui donner.

Oh ! merci, monsieur ! (À part.) Oh ! ces grands seigneurs ! comme ils savent donner de la valeur à leurs moindres gestes ! (Haut, en avançant la chaise qui est près du canapé.) Je dirai que c’est urgent !

Il prend les deux colis et sort de gauche.
Le Duc.

C’est ça ! (Arpentant un instant la scène, puis s’arrêtant en posant la main sur son cœur, comme pour en comprimer les battements.) Je suis très ému ! (Posant son bouquet et son chapeau sur la table et tirant de la poche à mouchoir de son veston une petite glace de poche, se mirant avec complaisance.) Pas mal ! En physique ! (Se regardant de plus près.) Aïe ! j’ai un bouton sur le nez ! c’est embêtant, moi qui n’en ai jamais ! Il faut que précisément aujourd’hui…! C’est l’émotion ! (Il remet le miroir dans sa poche, puis, reprenant son chapeau et son bouquet.) Je suis très ému !

Voix de Gabrielle, en coulisse.

Mais, enfin, voyons, je vous avais dit que je n’y étais pour personne !


Scène III

LE DUC, GABRIELLE, ÉTIENNE.
Le Duc, s’élançant radieux vers la porte en la voyant s’ouvrir.

Ah ! (Pivotant sur les talons et avec désappointement en voyant paraître Gabrielle.) Zut ! c’est son amie !

Il redescend.
Étienne, à mi-voix, à Gabrielle qu’il suit.

Il paraît que c’est très urgent, madame ! très urgent !

Gabrielle, grognement de mauvaise humeur.

Ah !

Étienne sort de droite, en adressant au duc, en passant, des signes d’intelligence, tandis que Gabrielle descend par la gauche du canapé. Gabrielle, surmontant sa mauvaise humeur, s’incline légèrement à la vue du duc.
Le Duc, s’inclinant poliment, mais froidement.

Madame !

Gabrielle.

Le duc de Valmonté ?

Le Duc.

Lui-même, madame !

Gabrielle, lui indiquant la chaise près du canapé.

Ah ! parfaitement, oui, oui !… (Elle s’assied sur le canapé tandis que le duc, faisant contre fortune bon cœur, s’assied sur la chaise, — un temps d’embarras réciproque.) C’est bien vous, monsieur, qui étiez à la soirée du général Petypon du Grêlé quand je suis arrivée ?

Le Duc, s’inclinant légèrement.

En effet, madame ! c’est là que j’ai eu l’honneur de vous voir ! (Ils échangent une petite inclination de la tête, puis silence gêné de part et d’autre. Le duc regarde à droite et à gauche derrière lui, visiblement préoccupé de tout autre chose que de la présence de madame Petypon. Celle-ci ne comprenant rien à l’attitude du duc, promène un œil étonné du duc au public et du public au duc. Brusquement, ce dernier, à Gabrielle.) Et… et madame Petypon va bien ?

Gabrielle.

Pas mal, merci ! Un peu fatiguée par le voyage, et en plein dans l’aria des malles.

Le Duc, regardant dans la direction de la porte de gauche où il suppose que doit être celle pour qui il vient.

Oh ! comme c’est ennuyeux !

Gabrielle, intriguée par l’attitude du duc, regardant dans la direction où il regarde et à part.

Qu’est-ce qu’il regarde comme ça ?

Le Duc, brusquement.

Mais, enfin, elle n’est pas souffrante ?

Gabrielle, se retournant vers le Duc.

Qui ?

Le Duc.

Madame Petypon ?

Gabrielle.

Ah ? (À part.) Quelle drôle de façon de parler à la troisième personne, comme un valet de chambre. (Haut.) Non ! merci bien !

Le Duc.

Ah ! tant mieux ! tant mieux !

Nouveau regard dans la direction de la porte. Nouvel étonnement de Gabrielle. À un moment, leurs regards se rencontrent, ils échangent une petite salutation avec un petit rire contraint : « Eh ! eh ! eh ! eh ! eh ! » puis, détachant leur regard l’un de l’autre, ils reprennent chacun leur attitude première.
Gabrielle, au bout d’un instant, dans un mouvement d’impatience.

Mais, pardon, monsieur… je suis un peu pressée, et si vous voulez bien ?…

Le Duc, se levant et, tout en parlant, remontant entre la chaise et le canapé.

Mais allez donc, madame… allez donc ! ne vous occupez pas de moi ! je serais désolé !

Il pivote sur les talons et tourne le dos à madame Petypon, sans plus s’occuper d’elle.
Gabrielle, interloquée, se levant.

Hein ?… Mais non, du tout ! Ce n’est pas ce que je veux dire ! Seulement, je n’ai que quelques instants à vous accorder, et alors, vous comprenez !…

Le Duc, qui dans ce jeu de scène a fait en quelque sorte le tour du dossier de sa chaise, redescendant à droite de celle-ci, sur un ton pincé.

C’est bien aimable à vous ! (S’asseyant.) Je n’en abuserai pas !

Gabrielle, se rasseyant également.

Vous m’excusez, n’est-ce pas ?

Le Duc, pincé.

Mais comment donc ! (Moment de gêne de part et d’autre. Quand leurs regards se rencontrent, ils échangent une petite salutation accompagnée d’un sourire forcé. Après un temps, et pour dire quelque chose.) Bien charmante soirée, n’est-ce pas, chez le général.

Gabrielle, le regarde avec étonnement, puis.

Charmante, en effet !

Un temps.
Le Duc.

Quel beau pays que la Touraine !

Gabrielle, de plus en plus étonnée.

Ah ! oui !… mais…

Le Duc.

Le verger de la France !

Gabrielle, interloquée.

Ah ?

Le Duc, à part.

Si elle croit que ça m’amuse de bavarder comme ça avec elle. (Brusquement, à Gabrielle, en tendant machinalement son bouquet vers elle.) Voulez-vous me permettre, madame…

Gabrielle, qui croit qu’il lui offre le bouquet.

Oh ! merci !

Le Duc, ramenant vivement son bouquet qui vient lui fouetter l’épaule gauche.

Non !

Gabrielle, ahurie.

Ah ?

Le Duc.

… de vous poser une question ?

Gabrielle.

Mais… certainement.

Le Duc.

Est-ce qu’il faut longtemps pour défaire des malles ?

Gabrielle, sentant la moutarde lui monter au nez.

Hein ! Mais je ne sais pas ! ça dépend ! quand on n’est pas dérangé… (Brusquement, en se levant.) Mais, pardon, monsieur ! Je ne suppose pas que vous soyez venu pour me parler de la Touraine et du temps qu’il faut pour défaire des malles.

Le Duc, qui s’est levé en même temps que Gabrielle.

Oh ! non, madame !

Gabrielle.

Le valet de chambre m’a dit que c’était pour une chose très urgente !…

Le Duc.

Oh ! oui, madame ! très urgente !

Gabrielle, s’asseyant.

Eh bien ! parlez, monsieur ! de quoi s’agit-il ?

Le Duc.

De quoi ?… euh !… (Brusquement, pivotant sur les talons.) J’peux pas vous le dire !

Il remonte à droite.

Gabrielle, se levant, absolument ahurie.

Comment ?

Le Duc, se retournant vers Gabrielle.

Non, madame, non ! ne m’interrogez pas ! parlons de ce que vous voudrez ; mais quant à vous dire l’objet qui m’amène, n’y comptez pas !

Il remonte fond droit.
Gabrielle.

Hein ? (À part.) Eh bien ! en voilà un original ! (Haut.) Mais, pardon, monsieur… alors, pourquoi êtes-vous ici ?

Le Duc.

Ca, madame… (Pirouettant sur lui-même, et sur un ton malicieux.) c’est mon affaire !

Gabrielle, bouche bée.

Ah ?

Le Duc, brusquement et sur un ton assez précipité.

Mais le temps passe ! Je vois que madame Petypon est occupée ; je ne veux pas la déranger le moins du monde ! je reviendrai.

Gabrielle, même jeu.

Ah ?

Le Duc.

Au revoir, madame ! je reviendrai !… je reviendrai ! (À part, sur le pas de la porte.) Plus souvent que je lui raconterai pour qu’elle aille faire des potins ! Ah ! ben !

Il sort de droite en remportant son bouquet.

Gabrielle, reste un temps comme médusée, puis, tout en reposant la chaise au-dessus du canapé.

Mais, qu’est-ce que c’est que ce toqué-là ?… (Remontant vers la porte de droite laissée ouverte par le duc.) Il vient me déranger pour me dire que la Touraine est le verger de la France ! Il en a un toupet !


Elle referme la porte.

Scène IV

GABRIELLE, PETYPON.
Petypon, surgissant de la tapisserie du fond.

Qui est-ce qui a sonné tout à l’heure ?

Gabrielle, se retournant à la voix de son mari.

Lucien !

Petypon, au fond.

Toi !… Ah ! çà, depuis quand es-tu arrivée ?

Gabrielle, au fond.

Mais depuis dix minutes ! Étienne m’avait dit que tu étais sorti.

Petypon.

Moi, pas du tout !… C’est-à-dire que j’étais sorti pour remettre une lettre à un commissionnaire… Mais il y a vingt-cinq minutes que je suis rentré. (Brusquement, la prenant par le poignet et la faisant descendre à l’avant-scène.) Ah ! te voilà !… eh bien, tu en as fait de belles !

Gabrielle, ahurie.

Moi ! Où ça ? Quand ça ? Comment ça, de belles ?

Petypon.

Mais, là-bas, chez mon oncle !

Gabrielle.

Ah ! non, celle-là est raide ! C’est bien à toi à me faire des reproches !

Petypon.

Mais, évidemment ! Te permettre de lever la main sur mon oncle !

Gabrielle.

Tu aurais peut-être voulu que j’acceptasse de sang-froid ses insultes !

Petypon, avec un haussement d’épaules.

Mais il n’a jamais eu l’intention de t’insulter !

Gabrielle, remontant et, par un mouvement arrondi, au-dessus de Petypon, gagnant jusque derrière le canapé.

Ah ! très bien ! Si tu trouves que ce qu’il m’a dit était une gracieuseté !

Petypon.

Enfin, quoi ?… Qu’est-ce qu’il t’a dit ?

Gabrielle, au-dessus du canapé.

Rien, rien. C’est entendu !… (Brusquement, venant s’appuyer sur le dossier du canapé comme sur la rampe d’un balcon.) Et à Mongicourt, hein ? ce pauvre Mongicourt qui ne lui avait rien fait… — Oh ! il en a ragé pendant tout le voyage ! — c’est peut-être aussi par gracieuseté qu’il lui a appliqué la main sur la figure ?

Elle est redescendue par la gauche du canapé sur lequel elle vient s’asseoir.

Petypon, haussant les épaules.

« Une gracieuseté » ! Évidemment non, ce n’est pas une gracieuseté ; mais, enfin, quand on a reçu une gifle, on éprouve le besoin de la rendre. C’est humain, ça.

Gabrielle.

Eh ben !… Tu étais là, il n’avait qu’à te la rendre.

Petypon.

À moi ?

Gabrielle.

Dame ! c’était plus logique que de la donner à Mongicourt !… Tu es mon mari ; ça te revenait !

Petypon, avec une révérence.

C’est ça, comment donc !… j’aurais même dû offrir ma joue ?

Gabrielle, se levant.

Ah ! la la ! J’aurais mieux fait de ne pas y mettre les pieds, dans son sale château !… (Gagnant la gauche.) Tout ça pour arriver à me faire traiter de drôlesse.

Petypon.

Pourquoi as-tu pris ça pour toi ?… Il parlait peut-être d’une autre personne ! Il y a plus d’une femme à la foire qui s’appelle… Martin !

Gabrielle.

Mais qui ?

Petypon, écartant de grands bras, tout en gagnant la droite.

Ah ! qui ? qui ? est-ce que je sais, moi ?

Gabrielle, brusquement.

J’y suis !

Petypon, étonné, se retournant à l’exclamation de Gabrielle.

Tu y es ?

Gabrielle, en ponctuant chaque syllabe.

Il parlait de ta tante !

Petypon, faisant deux pas vers Gabrielle.

De ma ?… (Saisissant la balle au bond.) Oui ! oui ! Voilà ! (À part, les yeux au ciel.) Pardonne-moi, pauvre tante, si tu m’entends là-haut !

Il gagne la droite.
Gabrielle.

Oh ! je suis désolée ! Qui aurait cru ça ? Une femme si charmante !… (Un temps.) C’est vrai que je l’avais trouvée tout de même un peu drôle !

Petypon, ahuri, revenant vers Gabrielle.

Comment, « tu l’avais trouvée » ? tu ne l’as jamais vue !

Gabrielle.

Moi ? si !

Petypon, de plus en plus étonné.

Quand ?

Gabrielle.

Hier !

Petypon, même jeu, très large.

Hein ?

Gabrielle, s’asseyant sur le canapé.

Le Général nous a présentées !

Petypon.

Il vous a… ! (À part, ahuri, tout en gagnant l’extrême droite.) Ah ! çà, voyons, voyons ! Je n’y suis plus, moi ! (Récapitulant.) — Elle a vu ma tante, qui n’est plus depuis huit ans ! (Un temps.) et c’est mon oncle qui la lui a présentée ??? (Haut à Gabrielle, en allant vers elle.) Voyons, tu es bien sûre que mon oncle ?…


Scène V

Les Mêmes, ÉTIENNE.
Étienne, le bouquet du duc et une lettre à la main.

Voici un bouquet et une lettre pour madame !

Gabrielle (1), se levant, étonnée.

Pour moi ?

Petypon (2), prenant bouquet et lettre des mains d’Étienne et passant la lettre à Gabrielle.

C’est ta fête ?

Gabrielle.

Pas que je sache !

Étienne (3), près de Petypon.

C’est le jeune homme de tout à l’heure qui m’a dit de remettre ces fleurs en mains propres à madame, avec ce mot qu’il vient d’écrire.

Gabrielle.

À moi ! mais qu’est-ce qu’il me veut encore ?

Petypon.

Qu’est-ce que c’est que ce monsieur ?

Gabrielle.

Je ne sais pas ; un jeune toqué !

Étienne.

M. le duc de Valmonté.

Petypon, ne faisant qu’une volte sur lui-même et allant fouetter de son bouquet la poitrine d’Étienne, à part.

Nom d’un chien !

Étienne, recevant le bouquet dans le creux de l’estomac.

Oh !

Petypon, lui laissant le bouquet dans les bras et le faisant virevolter en le poussant par les épaules vers la sortie.

C’est bien, allez !

Étienne, sortant, avec le bouquet.

Je vais le mettre dans l’eau !

Petypon, redescendant vivement vers Gabrielle.

Attends, donne ! Je vais te lire…

Gabrielle, qui a déjà décacheté la lettre, écartant celle-ci de la portée de son mari.

Pourquoi ça ? Je lirai bien moi-même !

Petypon, à part, tout en gagnant la droite.

Mon Dieu ! Quelle nouvelle tuile ?…

Gabrielle, exclamation de surprise.

Ah !

Petypon, se retournant vers elle.

Quoi ?

Gabrielle.

Mais il est fou ! regarde-moi ce qu’il m’écrit, cet imbécile !

Petypon, se rapprochant :

Quoi donc ?

Gabrielle, lisant en exagérant le côté lyrique de la lettre.

Ah ! madame ! Depuis que votre voix enchanteresse m’a dit des paroles d’amour, mon cœur est plein de vous.

Petypon.

Hein ?

Gabrielle.

Des paroles d’amour, moi ! Ce toupet ! (Lisant.) Hélas ! pourquoi faut-il que ma sotte timidité ait paralysé ma langue ? Vous étiez bien encourageante, cependant !

Petypon, sur un ton théâtral, tout en lui enlevant d’un geste rapide sa lettre des mains.

Qu’est-ce que tu dis ?

Gabrielle.

Mais, c’est de la folie ! mais, jamais !…

Petypon, continuant de lire.

Je vous écris ceci pour brûler mes vaisseaux ; et quand je reviendrai tout à l’heure, vous verrez que mon éloquence sera à la hauteur de votre amour. Je vous embrasse à pleine bouche !… (Sur un ton scandalisé.) Oh !

Madame Petypon.

L’impertinent !

Petypon, prenant du champ vers la droite pour donner plus d’ampleur à son jeu.

Oh ! Gabrielle !… à ton âge !

Madame Petypon, abasourdie.

Quoi ?

Petypon, gagnant vers madame Petypon et jouant l’indignation.

Tu as détourné le jeune duc de Valmonté ! toi !

Madame Petypon, de toute son énergie.

Moi ! mais tu es fou ! À peine si je lui ai dit deux mots chez ton oncle ! et quels mots : (Se tournant à demi vers la gauche pour parler à un être imaginaire qui serait censé au no 1.) « Le Général n’est pas là ?… Non ? Je vais en profiter pour voir si on monte mes malles ! » (Se tournant vers Petypon.) Je ne vois pas dans ces paroles ?…

Petypon, énergiquement sentencieux.

Les paroles ne signifient rien ! C’est l’intonation qui fait tout !… (Changeant de ton.) Tu lui as peut-être dit ça d’un air provocant ! (la voix doucereuse, l’œil en coulisse, imitant censément sa femme.) « Je vais voir… (Œillade raccrocheuse.) si on monte mes malles… » (Nouvelle œillade à blanc, puis, voix ordinaire.) On peut tout dire avec la voix !… Et c’est souvent quand on ne dit rien que l’on dit le plus de choses !

Madame Petypon, presque larmoyante.

Mais je t’assure que rien dans ma voix !…

Petypon, grandiloquent.

Allons donc ! comme il n’y a pas de fumée sans feu… il n’y a pas de feu sans allumage !

Madame Petypon, même jeu.

Je te jure, Lucien, que je n’ai rien allumé !

Petypon, avec un geste de clémence

Eh ! bien ! c’est bien !… (Mettant la lettre dans la poche intérieure de sa redingote.) Je veux bien admettre que c’est inconsciemment ! Mais, en tous cas, je te défends, tu m’entends ? je te défends de revoir le duc ! Quand il reviendra, j’exige que tu fasses dire que tu ne reçois pas !

Madame Petypon, tendant la main pour prêter serment.

Oh ! ça, sur ta tête !

Petypon.

C’est bien ! Ma tête n’a rien à faire là-dedans ! (À part et bien scandé, tout en descendant vers la droite.) En voilà un de réglé !


Scène VI

Les Mêmes, ÉTIENNE, MONGICOURT.
Étienne, entrant de droite et annonçant.

Monsieur Mongicourt !

Petypon, avec découragement.

Ah ! voilà l’autre, maintenant !

Il remonte vivement à l’entrée de Mongicourt.
Mongicourt, très nerveux, descendant (3).

Petypon ! Ah ! Je ne suis pas fâché de te voir, toi !

Petypon, avec humeur, à Mongicourt.

Eh ! bien, oui ! bon, bien, quoi ? Tout à l’heure ! (Tout miel, à Gabrielle, tout en la prenant amicalement par les épaules.) Veux-tu me laisser avec Mongicourt, ma chère amie ?

Gabrielle, se laissant conduire par son mari.

Oui, mon ami !… (À Mongicourt, qui arpente nerveusement la pièce.) À tout à l’heure, monsieur Mongicourt !

Mongicourt, sur un ton rageur.

À tout à l’heure, madame !

Gabrielle sort par la gauche.
Petypon, qui a accompagné sa femme — une fois celle-ci sortie — se retournant à la pointe gauche du dossier du canapé.

Eh ! bien, quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Mongicourt (2), bondissant à cette question.

Comment, « qu’est-ce qu’il y a » ! tu en as de bonnes, toi ! (Déposant son chapeau sur la chaise qui est derrière le canapé.) Ah ! çà, as-tu oublié ce qui s’est passé entre le général et moi ?

Petypon, sur un ton détaché et avec un geste d’insouciance.

Ah !… oh !

Mongicourt.

Quoi, « ah ! oh ! » Comment ! ton oncle, à propos de rien, sans provocation de ma part, m’administre une paire de gifles !…

Petypon, l’arrêtant net.

Pardon ! tu as mal compté ! une seule !

Mongicourt, s’asseyant sur le canapé.

Oh ! une ! deux !…

Petypon.

Oui ! C’est pas le nombre qui fait.

Mongicourt, se retournant vers Petypon.

Et tu t’imagines que ça va en rester là ?

Petypon, appuyé nonchalamment sur le dossier du canapé.

Alors, quoi ?… un duel ?

Mongicourt, écartant les bras comme devant une chose inéluctable.

Eh !… Un duel.

Petypon, descendant, avec une moue des lèvres et un hochement de tête significatifs.

Oh ! c’est embêtant !… Ah ! c’est embêtant !

En ce disant, il a passé dos au public et par un mouvement en demi-cercle, devant Mongicourt, et se trouve de ce fait no 2 à droite du canapé.
Mongicourt.

À qui le dis-tu ?

Petypon, après un temps.

Écoute, mon cher, je regrette vivement que l’affaire ait eu lieu avec le général, parce tu comprends, étant donné le lien de famille, je ne peux vraiment pas te servir de témoin.

Mongicourt, relevant la tête.

Comment, « de témoin » ?

Petypon.

Eh ! ben ; oui ! (sur un ton facétieux.) Tu ne comptes pas te battre sans témoins !

Mongicourt.

Me battre ? Mais où as-tu pris que je voulais me battre ?

Petypon.

Dame ! qui dit : « duel » !… Tu voudrais un duel sans te battre ?

Mongicourt.

Mais c’est à toi à te battre ! c’est pas à moi !

Petypon.

Hein ! Tu veux que je me batte avec le général ? Moi ?

Mongicourt.

Évidemment !

Petypon.

Parce qu’il t’a giflé ?

Mongicourt.

Il m’a giflé… à cause de ta femme !

Petypon.

Oui ! mais parce qu’il croyait que tu étais son mari.

Mongicourt (1), se levant.

Eh ! bien, justement ! J’en ai assez de ce rôle ! et je vais aller trouver ton oncle pour lui dire toute la vérité.

Il fait mine de se diriger vers la porte.
Petypon, l’arrêtant et sur ton autoritaire.

Ah ! non, mon ami ! non ! je t’en prie, hein ? Ne complique pas !

Mongicourt, ahuri par son cynisme, redescendant même numéro.

Qu’est-ce que tu dis ?

Petypon, allant et venant.

C’est vrai ça ! Je me donne un mal énorme pour sortir de ce pétrin ! Dieu merci, jusqu’ici, il n’y a pas eu d’éclat !…

Mongicourt, se frottant la joue, encore sous le coup de la gifle qu’il a reçue.

Ah ! Tu trouves qu’il n’y a pas eu d’éclat ?

Petypon.

Enfin, il n’y a pas eu d’éclat… qui me touche !… Toi, tu es en dehors !… Ma femme ne se doute de rien ; le général est toujours confit dans son erreur ; actuellement j’ai pris mes dispositions pour que rien ne vienne modifier la situation : j’ai écrit ce matin au général que je pardonnais à ma femme et que pour sceller la réconciliation je partais ce soir avec elle en Italie.

Mongicourt.

Toi !

Petypon, avec des petits yeux malicieux.

Dans une heure je recevrai de Rome une dépêche du docteur Troudinelli ainsi conçue : « Êtes prié venir en consultation auprès du Saint-Père qui réclame vos lumières… Troudinelli ! »

Scander ce nom ainsi : « Trou » — un temps, — puis d’une traite « dinelli ».

Mongicourt, le regardant, ahuri.

Comment le sais-tu ?

Petypon, d’un ton malicieusement détaché.

C’est moi qui l’ai rédigée.

Mongicourt.

Hein ?

Petypon.

Même d’abord j’avais mis « Vittorio Emanuelo ». Mais j’ai réfléchi qu’aujourd’hui les rois, avec leur manie de déplacements !… tandis que le Pape !… je suis bien sûr au moins qu’il ne bougera pas du Vatican !

Mongicourt, dégageant un peu à gauche.

Tu es machiavélique !

Petypon, revenant à la charge.

Et c’est ce plan si bien combiné que tu voudrais démolir, en allant manger le morceau auprès de mon oncle !

Mongicourt, retournant à Petypon.

Mais enfin, tu ne peux pourtant pas me demander, pour t’être agréable, de mettre ma gifle dans ma poche avec mon mouchoir par-dessus !

Il remonte.
Petypon.

Mais est-ce que je te demande ça ?

Mongicourt, redescendant pour s’asseoir sur le canapé.

Non, vraiment, quand je pense que j’ai fait (Accompagnant chaque chiffre d’un coup de poing sur le siège du canapé.) deux cent cinquante kilomètres pour encaisser une gifle !

Petypon, facétieux.

Oui, ça… c’est un peu loin !

Mongicourt, avec amertume.

Un peu !

Petypon, se montant.

Ah ! mais, aussi, tu es étonnant à la fin !

Mongicourt, interloqué.

Hein ?

Petypon.

La France est assez grande, cependant ! Il faut que tu ailles juste là-bas, dans un petit pays perdu ! à la Membrole ! qui est-ce qui connaît La Membrole ? au moment où il y a une gifle dans l’air ! Tu l’as cueillie… Il y a des gens qui ont la figure malheureuse ! Tu n’avais qu’à ne pas venir !

Mongicourt.

Ah ben ! non, tu sais !…

Petypon.

En tout cas, ce n’est pas une raison pour trahir un ami ! (Avec mépris.) Tout ça pour éviter de recevoir quoi ? Un petit coup d’épée.

Mongicourt, vivement, en se levant.

Pourquoi ce serait-il moi qui le recevrais ?

Petypon, du tac au tac.

Quoi ? c’est ce qui te fait reculer ! Car si tu étais sûr de le donner, ça te serait bien égal d’aller sur le terrain !

Mongicourt.

Moi !

Petypon.

Évidemment, parce qu’alors ce ne serait plus un duel ; cela reviendrait à une opération chirurgicale : tu serais à ton affaire !… Et c’est à ça que tu t’arrêtes ?

Mongicourt, suffoquant littéralement.

Oh !

Petypon.

Tu regardes à quoi ? (Avec un superbe dédain.) à ta peau !… Ah ! fi !… (impérieusement.) Non !… non ! tu ne parleras pas… Tu fais profession d’être mon ami, dis-tu ?… eh bien ! j’invoque le secret professionnel : tu ne parleras pas !

Mongicourt, qui n’entend pas de cette oreille.

Oui, eh bien ! c’est ce que nous verrons !

Bruit de voix à la cantonade.
Petypon, imposant silence à Mongicourt.

Chut ! tais-toi !

Mongicourt.

Qu’est-ce qu’il y a ?

Voix du Général, à la cantonade.

Mon neveu est chez lui ? Oui ?

Petypon, bondissant.

Nom d’un chien, mon oncle ! (Entraînant Mongicourt.) Viens ! Viens ! voilà le général !

Mongicourt (1), se dégageant.

Eh bien ! il arrive bien ! je vais lui dire…

Petypon, vivement, en rattrapant Mongicourt.

Non, pas toi !… Je lui dirai, moi !… viens !… viens !

Mongicourt, prenant son chapeau sur la chaise derrière le canapé.

Bon ! mais, alors, tu te charges d’arranger tout ?

Petypon.

Oui, oui ! J’arrangerai tout ! viens ! viens !

Ils sortent tous deux par le fond. Au même moment entre Étienne qui introduit la Môme et le général.

Scène VII

LE GÉNÉRAL, LA MÔME, ÉTIENNE, puis GABRIELLE.
Le Général, qui tient sous son bras deux épées enveloppées dans leur fourreau.

C’est bon ! Eh bien ! maintenant, allez prévenir le docteur que le général le demande.

Étienne, précisant.

Le Général… et madame !

Le Général.

Non !… non ! ne parlez pas de madame ! Dites le général tout simplement.

Étienne, reluquant avant de sortir la paire d’épées que le général tient maintenant par les poignées, les pointes à terre.

Quel drôle de parapluie !

Il sort par la droite.
Le Général, tout en posant ses épées contre la chaise à droite de la baie.

Et maintenant, nous allons tout arranger !

Il pose son chapeau sur la table.

La Môme.

Oui, oh ! ben !… Si vous croyez qu’il tient tant que ça à me voir !

Le Général.

Mais si ! Mais si ! Mais, au fait, il vaut peut-être mieux que je lui parle avant !… Tenez ! entrez donc par là dans le petit salon. Je vous appellerai au moment voulu.

Il la fait passer no 2.
La Môme, au général qui la conduit jusqu’à la porte de droite.

C’est ça, mon oncle ! vous m’appellerez !

Elle sort.
Le Général, descendant à droite de la table.

Ah ! bien, il va en avoir une surprise ! (On frappe à la porte de gauche, deuxième plan.) Entrez !

Gabrielle, passant la tête par la porte entre-bâillée.

La conférence est terminée ?

Le Général, à part.

Sapristi ! la folle !

Gabrielle, à part.

Le Général !

Le Général, à part.

Mais qu’est-ce qu’elle fiche toujours chez mon neveu, celle-là ?

Gabrielle, gagnant, toute sautillante, jusqu’à la gauche de la table.

Ah ! général ! que je suis heureuse !…

Le Général, frappant la table d’un violent coup du plat de la main, ce qui arrête net l’élan de Gabrielle.

Ah ! je vous en prie, madame ! Après ce qui s’est passé entre nous !…

Gabrielle, minaudant.

Quoi, général, vous y pensez encore ?

Le Général.

Comment, si j’y pense !… Ma parole, vous ne me paraissez pas avoir la moindre conscience de la gravité de vos actes.

Il descend un peu à droite.
Gabrielle, de même.

Oh ! si, mon oncle !

Le Général, se retournant et flanquant une nouvelle tape sur le coin de la table.

Ah ! et puis, ne m’appelez pas « mon oncle » ! (Un temps.) Appelez-moi « général ».

Il s’assied dans le fauteuil à droite de la table et face à elle.
Gabrielle, de même.

Quoi ? vous ne voulez pas que je sois votre nièce ?

Le Général.

Non !… (Prononcer « nan ».) Avant l’incident, j’ai bien voulu me prêter !… mais maintenant !…

Gabrielle, au milieu.

Vous êtes donc intraitable ! Ah ! si vous saviez combien je regrette ce qui s’est passé.

Le Général.

Il est bien temps, madame !

Gabrielle.

Mais, vous savez, j’étais déjà très énervée par l’apparition de tous ces revenants !

Le Général, avec un grand coup de poing sur la table qui fait sursauter Gabrielle.

Ah ! non, hein ! Je vous en prie ! (Se levant.) Ne faisons pas intervenir des blagues dans les choses sérieuses !

Gabrielle.

Des blagues ! mais, général, je vous jure !…

Le Général.

Tenez, voulez-vous que je vous donne un bon conseil ? Eh ! bien, quand il vous arrivera d’en voir encore, des apparitions, prenez donc une bonne trique ; et flanquez-lui une roulée à votre apparition ; vous verrez ce qu’il en restera !

Gabrielle, gagnant légèrement la gauche.

Oh ! général, pouvez-vous blasphémer !

Le Général.

Parfaitement ! (Tout en venant à elle.) Ça vous édifiera sur la valeur de vos croyances, et évitera pour l’avenir de vous faire commettre des actes… que vous déplorez ensuite.

Gabrielle, avec élan.

Oh ! oui, général, de tout mon cœur ! et je vous en demande bien sincèrement pardon.

Le Général, promène un instant sur elle un regard de côté, puis sur un ton radouci.

Allons ! soit, madame ! (Lui donnant une petite tape amicale, sur la joue.) devant l’expression de vos regrets…

Gabrielle, même jeu.

Ah ! général !…

Le Général, l’arrêtant court.

Mais ceci, bien entendu, à la condition que votre mari confirme vos excuses en y ajoutant les siennes !

Il passe no 1 devant Gabrielle.
Gabrielle.

Oh ! si ce n’est que ça, il vous les fera.

Le Général.

Vous comprenez, moi… j’ai giflé votre mari !

Gabrielle[1].

Hein ! aussi ? Il ne me l’avait pas dit.

Le Général.

Tiens parbleu ! il ne s’en est pas vanté ! (Remontant fond droit.) Moi, au fond, je ne lui en veux pas.


Scène VIII

Les Mêmes, PETYPON.
Petypon (1), surgissant du fond.

Ah ! mon oncle ! (À part.) Fichtre, ma femme !

Le Général (2), se retournant à la voix de Petypon.

Eh ! Arrive donc, toi ! tu me fais attendre.

En ce disant, il descend obliquement vers la gauche en passant devant Petypon.
Gabrielle, qui est allée vivement à Petypon.

Ah ! Lucien ! Nous nous sommes expliqués avec le général. Il est bon ! Il m’a pardonné.

Petypon.

Oui ?

Le Général, de l’extrême gauche et face au public.

Ah ! oui, mais à condition que votre mari me fera des excuses.

Petypon.

Mais comment donc ! Mais c’est entendu.

Le Général, entre chair et cuir.

Oui ! Enfin ça… c’est son affaire !

Il s’assied sur le canapé.
Petypon.

Chère amie, j’ai à causer avec mon oncle, alors, si tu veux bien !…

Gabrielle, se dirigeant vers la porte de droite, accompagnée par Petypon.

Oui, oui ! comment donc ! (Fausse sortie. Se retournant vers Petypon, et à voix basse.) Dis-donc ! Tu ne m’avais pas dit que le général t’avait giflé.

Petypon, la suivant.

Hein ! Moi ? Quand ça donc ?

Gabrielle.

C’est lui qui vient de me le dire…

Petypon.

Ah ! oui !… Oh ! j’étais tout petit !

Gabrielle.

Mais non, hier !

Petypon.

Ah ! hier, oui ! oui ! oh ! mais si gentiment.

Gabrielle.

Ah ?

Petypon.

D’un oncle, tu sais, c’est une taloche.

Gabrielle, peu convaincue par cette explication.

Oui ! Oui !

Petypon.

Allez ! va ! va !

Il la fait sortir et referme la porte.
Le Général, qui de son canapé n’a pas cessé de les observer d’un œil amusé.

Dis-donc ! C’est pas possible ! T’en pinces pour elle !

Petypon, redescendant.

Hein ! Moi ? Pourquoi ?

Le Général.

Dame, chaque fois qu’on vient ici on la trouve !… Sais-tu que, si elle était un peu moins… blette, ça donnerait à jaser !

Il se lève.
Petypon, qui goûte peu ce genre de plaisanterie.

Oh ! mon oncle.

Le Général, se rapprochant de Petypon.

Comment s’appelle-t-elle déjà ? Tu me l’as présentée, mais je ne peux jamais me rappeler un nom !

Petypon, vivement.

Hein ?… Madame, euh !… (S’arrêtant court, puis bien froidement.) Madame Mongicourt.

Le Général.

Ah ! C’est ça !… Oui, oui ! « Mongicourt » ! (Répétant.) « Mongicourt » ! Je penserai à « gilet ».

Petypon (2), le regardant étonné.

À « gilet » ?

Le Général.

Oui !… « Mon-gilet-est-trop-court »… « Mon-gilet-est-court »… « Mon-gilet-court »… « Mongicourt ! » (Un temps.) J’arrive au nom comme ça.

Petypon.

Ah ! oui !… (Un temps.) Maintenant, est-ce que vous ne croyez pas que vous auriez plus vite fait de vous rappeler « Mongicourt » tout bonnement ?

Le Général (1), dégageant à gauche.

Oh ! la ! la ! Oh ! non !… Non !… c’est trop compliqué !

Petypon.

Ah ?

Le Général, revenant à Lucien.

Mais, je ne suis pas venu ici pour parler de ça ! Lucien ! je viens te prêcher la conciliation.

Petypon.

Comment ça ?

Le Général.

Il ne s’est rien passé entre ta femme et Corignon !

Petypon, jouant le doute.

Oui, oh !…

Le Général, l’arrêtant du geste.

J’en ai eu la certitude… Donc, je viens te dire : « Oublie et pardonne ! »

Petypon.

Ah ! mon oncle ! (Lui prenant la main.) c’est tellement mon avis, que je vous ai écrit ce matin pour vous annoncer que je pardonnais à ma femme ; et que, pour sceller la réconciliation, je l’emmenais dès ce soir en Italie !

Le Général.

Oui ? Ah ! que je suis heureux ! (Brusquement le faisant virevolter par les épaules.) Attends-moi ! Attends-moi !

Il se dirige précipitamment vers la porte fond droit en passant au-dessus de Petypon.

Petypon, abasourdi.

Hein ? Quoi ? Qu’est-ce ?

Le Général.

Attends-moi !

Il sort.
Petypon, abasourdi, gagnant la gauche devant le canapé.

Eh bien ! où va-t-il ? Qu’est-ce qui lui prend ?… Ah ! la ! la ! Quel bolide que cet homme ! Heureusement que je suis pas fragile !


Scène IX

PETYPON, LE GÉNÉRAL, LA MÔME.
Le Général, arrivant avec la Môme.

Venez, mon enfant ! Venez !

Petypon, bondissant en reconnaissant la Môme.

Hein ?

Le Général, poussant la Môme vers Petypon.

Et jetez-vous dans les bras de votre mari ! il vous pardonne.

La Môme, entrant dans la peau du rôle, allant à Petypon les bras tendus.

Lucien !…

Prononcer « Lucian ».
Petypon, hors de lui.

Ah ! non ! non ! ça ne vas pas recommencer ! Emmenez-la ! je ne veux plus la voir ! emmenez-la !

Le Général, descendant.

Hein ? Mais comment ?…

Petypon, se réfugiant à l’extrême gauche.

Non, non ! je l’ai assez vue, celle-là ! (Envoyant des ruades dans le vide, dans la direction de la Môme.) Emmenez-la, je vous dis ! emmenez-la !

Le Général, descendant entre la Môme et Petypon.

Mais, voyons ! Mais tu perds la tête !

La Môme, commençant à sentir la moutarde lui monter au nez.

Ah ! et puis, zut, tu sais !… Moi, ce que j’en fais c’est pour le général ! mais je m’en fiche, après tout ! qu’il reste donc avec sa vieille peau !

Le Général.

Hein !

Petypon.

Qu’est-ce qu’elle a dit ?

La Môme.

Bonsoir !

Elle remonte vers la porte comme pour s’en aller.
Le Général, la retenant.

Non, non, mon enfant ! Au nom du ciel ! pas de coup de tête ! vous le regretteriez.

La Môme, se laissant ramener par le Général.

C’est vrai, ça ! Je me mets en quatre pour lui être agréable !… pour lui éviter des embêtements !

Petypon, craignant les pieds dans le plat.

Hein ? Oui, chut !

La Môme.

Il n’y a pas de « hein ? oui ! chut »!…

Le Général, cherchant à la calmer.

Mon enfant ! mon enfant !

La Môme.

Estime-toi bien heureux que je sois bonne fille, parce que sans ça !…

Le Général (2).

Oui, oui ! vous avez raison ! Tenez ! Allez m’attendre dans le petit salon.

La Môme.

Oui, oh ! ben, je l’ai assez vu, le petit salon.

Le Général.

Si ! Si ! mon enfant, je vous en prie ! Je vous appellerai.

La Môme, se laissant amadouer.

Ah ! ben, c’est bien pour vous, allez !… Ah ! la la !… (Sur le pas de la porte, avant de sortir.) A-t-on jamais vu ! Ce vadrouilleur à la manque !

Elle sort.


Scène X

PETYPON, LE GÉNÉRAL, puis ÉTIENNE.
Le Général (2), qui a accompagné la sortie de la Môme, revenant sur Petypon toujours extrême gauche.

Ah ! çà, mais tu es fou ? Qu’est-ce qu’il te prend ?… Comment ! tu me dis que tu lui pardonnes ; que tu l’emmènes en Italie ; et quand je la jette dans tes bras, voilà comment tu l’accueilles ?

Petypon, devant le canapé, l’air contrit.

Je vous demande pardon, mon oncle ! mais sur le moment, n’est-ce pas ?… Après ce qui s’est passé !… un mouvement de révolte !…

Le Général, presque crié, comme s’il parlait à un sourd.

Mais puisque je te dis qu’il ne s’est rien passé !

Petypon.

Oui, vous avez raison, mon oncle, appelez-la donc et que tout soit fini !

Le Général, lui tapant amicalement sur l’épaule.

À la bonne heure ! Voilà qui est bien parlé.

Petypon.

Oui !


Petypon, avec la moue d’un homme très ému, regarde le général, en le remerciant de la tête, puis brusquement, comme obéissant à l’élan de son cœur, lui tend la main droite.
Le Général, lui serrant énergiquement la main de sa main droite.

Mais, dame, voyons ! (Il fait mine de remonter vers la porte du fond. Petypon, qui n’a pas lâché sa main ; le tire à lui. Le Général, ramené contre Petypon.) Qu’est-ce qu’il y a ? (Petypon, sans lâcher la main du général, tend sa main gauche, par-dessus son poignet droit. Le Général, regardant la nouvelle main qu’il lui tend.) Ah ! (Il lâche la main droite de Petypon, et de sa main gauche lui serre la main gauche.) Mais oui, oui ! (Il fait de nouveau volte-face pour s’en aller, mais Petypon, qui ne l’a pas lâché, le ramène à lui comme précédemment et lui tend sa main droite par-dessus sa main gauche. Le Général regarde cette troisième main, étonné, puis.) Y en a plus ?

Petypon, dans un reniflement d’émotion.

Non !

Le Général.

C’t heureux !

Petypon, à part, tandis que le général remonte.

Je la ficherai à la porte dès qu’il sera parti, voilà tout !

Le Général, fausse sortie.

Ah ! si je n’étais pas là pour tout arranger !

Étienne, paraissant à la porte sur le vestibule.

Monsieur, il y a deux messieurs qui sont déjà venus avant-hier.

Petypon.

Quels deux messieurs ?

Étienne, descendant au-dessus et à gauche du fauteuil extatique.

Messieurs Marollier et Varlin. Ils disent qu’ils viennent de la part de M. Corignon.

Le Général, exclamation.

Ah !

Petypon.

Quoi ?

Le Général.

Je sais !

Petypon.

Ah !

Le Général.

C’est pour ton duel !

Petypon, bondissant et remontant vers le Général.

Comment, mon duel !

Le Général, catégorique.

Oui !… Tu te bats avec Corignon !… Je lui ai dit que tu attendais ses témoins.

Petypon, redescendant devant le canapé.

Hein ! Mais pas du tout ! Mais en voilà une idée !

Le Général, à Étienne.

Priez ces messieurs d’attendre au salon !… (Au moment où Étienne fait demi-tour pour sortir, — brusquement.) Non ! (Demi-tour d’Étienne en sens inverse.) Madame y est !… Dans la salle à manger !…

Petypon, effondré.

Oh ! lala ! lala !

Le Général, rappelant Étienne qui déjà s’en allait.

Ah !… (Étienne revient.) et puis, dites à madame Petypon !… (Répétant, pour bien préciser.) à madame Petypon… que le général la prie de venir dans le cabinet de monsieur.

Petypon, vivement.

Hein ! Mais non ! mais non !

Le Général, à Étienne.

Mais si, mais si ! quoi ? Allez !

Étienne.

Oui, mon général !

Petypon, descendant devant le canapé.

Ah ! ça va bien ! Ah ! ça va bien !…

Le Général, descendant avec les épées qu’il est allé prendre au fond.

Et maintenant, dis que je ne suis pas un homme de précaution.

Il tire une des épées hors de la gaine.

Petypon, se retournant.

Quoi ? (Manquant de s’embrocher.) Oh !

Le Général (2), relevant l’épée.

Eh ! là !… attention, que diable !… il est inutile de te blesser d’avance ! (Plaisamment.) c’est l’ouvrage de ton adversaire !

Petypon (1).

C’est délicieux ! (Changeant de ton.) Ah ! çà mon oncle, ça n’est pas sérieux !

Le Général, sur les derniers mots de chaque phrase, fouettant l’air avec son épée de façon à raser le nez de Petypon qui est face au public, légèrement au-dessus de lui, et qui sursaute à chaque coup.

Comment ça, pas sérieux ? Ce garnement mérite une leçon ! (Même jeu.) Moi, comme général, je ne peux pas la lui donner ! (Même jeu.) mais toi, comme mari offensé !…

Même jeu, après quoi il va poser les épées sur la table, les poignées du côté de l’avant-scène.
Petypon, descendant extrême gauche.

Mais, qu’est-ce qu’ils ont donc tous à vouloir que je me batte ?


Scène XI

Les Mêmes, MONGICOURT, puis GABRIELLE.
Mongicourt, passant la tête par l’embrasure des rideaux de la baie et appelant à voix basse.

Eh ! Petypon ?

Petypon, bondissant.

Nom d’un chien, l’autre ! (Se précipitant vers Mongicourt, et bas.) Oui, oui ! ça va bien ! je suis en train ! Va, je t’appellerai !

Mongicourt, à mi-voix.

Enfin, dépêche-toi !

Petypon.

Mais va donc ! puisque je te dis que je suis en train !

Il le repousse dans la pièce du fond.
Le Général, qui rangeait les épées, se retournant.

Qu’est-ce que c’est ?

Petypon, se retournant vivement en tenant les deux rideaux fermés derrière lui.

Rien !… un malade !… un malade qui s’impatiente !… Oh ! il peut attendre !… c’est une maladie chronique !

Il redescend et gagne no 1 devant le canapé.
Voix de Gabrielle.

Dans le cabinet de monsieur ? Le Général ? Bon !

Le Général, allant à Petypon.

Oh ! on vient de ce côté !… Ça doit être ta femme. Tu ne vas pas recommencer comme tout à l’heure ?

Petypon, voyant entrer Gabrielle.

Nom d’une pipe ! Gabrielle ! v’là ce que je craignais !

Le Général, se retournant et reconnaissant Gabrielle.

Allons, bon ! encore la folle.

Gabrielle, allant, toute sautillante, jusqu’au général.

Vous m’avez fait demander, général ?

Le Général, avec un haussement d’épaules, passant devant Gabrielle et gagnant la droite.

Mais non, madame ! Mais non !

Petypon (2), faisant passer sa femme no 1.

Non, non ! c’est une erreur !… Va dans ta chambre ! va dans ta chambre.

Le Général (3), debout devant le fauteuil extatique, à part.

Il se tutoient !

Gabrielle (1), à Petypon.

Mais non !… Étienne m’a dit que le général me priait de venir dans ton cabinet.

Le Général, éclatant de rire.

Non ? Ah ! quel idiot ! (Se laissant tomber sur le fauteuil extatique en se tordant de rire.) Il m’envoie madame Mon… Mongiletcourt…

Petypon, voyant le général sur le fauteuil.

Oh !

Gabrielle, devant le canapé.

Qu’est-ce qu’il dit ?

Le Général, tandis que Petypon en catimini s’élance derrière le fauteuil extatique.

… quand je l’ai chargé de faire venir madame Pet…

Le général reçoit le choc électrique et reste figé et souriant : c’est que Petypon, vivement, a frappé sur le bouton du fauteuil et que le fluide opère.
Petypon, à part, tout en s’éloignant, de l’air le plus détaché du monde.

Ouf !

Les pouces dans l’emmanchure du gilet, il gagne avec un air détaché jusqu’au-dessus du canapé et va s’asseoir sur le bras gauche de ce dernier.

Gabrielle, qui n’a pas vu tout le manège de son mari, tournée qu’elle est vers l’avant-scène gauche, au bout de six ou sept secondes, étonnée de ne plus entendre le général, se retournant de son côté.

Ah ! mon Dieu !… le général ! vois donc !…

Tout en parlant, instinctivement, elle s’est élancée vers le général.
Petypon, sans se retourner.

Quoi ?

Gabrielle, à peine a-t-elle touché l’épaule du général, recevant la commotion.

Ah !

Elle reste figée, le sourire aux lèvres, la main gauche sur l’épaule du général, la droite en l’air, le corps bien face au public. Un temps de quatre ou cinq secondes.
Petypon, sans se retourner.

Eh ben ! quoi ? que je voie quoi ? (N’obtenant pas de réponse, il se retourne et apercevant sa femme en état d’extase.) Gabrielle ! qu’est-ce que tu fais ?


Il se précipite vers elle, instinctivement lui aussi, l’attrape par le bras, et, subissant le fluide, glisse à terre par la force de l’élan, et reste figé sur place, les jambes allongées parallèlement à la rampe, la main gauche tenant toujours le bras de sa femme ; la main droite appuyée à terre. Huit ou neuf secondes se passent ainsi. Se baser pour cela sur l’intensité et la durée de l’effet, attendre le descrescendo du rire.


Scène XII

Les Mêmes, ÉTIENNE, CHAMEROT, puis MONGICOURT.
Étienne, au bout de ce temps, paraissant à la porte de droite et annonçant.

Monsieur Chamerot ! (Il attend trois ou quatre secondes qu’on lui dise : « Faites-entrer ! », il regarde, étonné, du côté du groupe ; ne comprenant rien à ce qu’il voit, il avance plus près. Avec stupeur.) Ah !… mais qu’est-ce qu’ils ont ? (S’avançant jusqu’au dessus du fauteuil, entre madame Petypon et le général.) Monsieur !… Madame !… Ah !

Choc, extase ; il a touché de la main droite l’épaule de madame Petypon et le courant a opéré. De nouveau huit secondes environ.
Chamerot, las de poser dans le vestibule, entrant carrément.

Eh ben ! quoi donc, ma petite Môme ! on fait attendre comme chez le dentiste ? (Descendant au milieu de la scène.) Oh ! sapristi, du monde !… Mon Dieu ! le général, (La main au képi, parlant au général.) Mon général, excusez-moi !… J’allais chez mon oncle qui demeure au-dessus… je me serai évidemment trompé d’étage, et… Comment ?… Oh ! pardon, je croyais que mon général me parlait… (Devant le silence général, regardant de plus près.) Ah ! çà, qu’est-ce qu’ils ont ? Ils sont changés en statues ! (S’affolant.) Ah ! mon Dieu, mais ils sont pétrifiés ! (Courant jusqu’à la baie du fond, dont il écarte les rideaux, en passant, sans les ouvrir.) Au secours ! À l’aide ! (Sans s’arrêter, il est allé jusqu’à la porte de gauche qu’il entr’ouvre pour crier.) Au secours ! une catastrophe ! au secours !

Mongicourt, accourant par la baie et se précipitant à la suite de Chamerot.

Qu’est-ce qu’il y a ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Chamerot, qui, sans s’arrêter, a fait le tour du canapé, traversant la scène en courant dans la direction du groupe.

Je ne sais pas, monsieur ! Là ! là ! regardez-les !


Il a saisi le bras de Gabrielle, et, toc ! reste figé dans la position du coureur, une jambe en l’air, tandis que sa main droite vient coiffer du képi qu’elle tient, la tête de Petypon (visière du côté de la nuque.)
Mongicourt, devant le canapé.

Sapristi ils ont oublié de mettre les gants ! (Se tordant.) Le musée Grévin à domicile !… C’est à se tordre ! et je n’ai pas d’appareil pour faire un instantané ! (Tout en se tordant, il a traversé la scène, pour remonter jusqu’au dessus du fauteuil. Frappant sur le bouton de droite.) Allez ! debout, les dormeurs !

Il redescend no 1 devant le canapé. Choc simultané chez les cinq dormeurs, sur l’arrêt brusque de la machine, puis, chacun poursuivant son rêve extatique.


ENSEMBLE.
Pendant que Mongicourt (1) suit le spectacle, amusé.
Petypon (2) dansant et chantant :

À la Monaco, l’on danse,
L’on y danse,
À la Monaco, l’on danse tout en rond !
Boléro de la Cruche cassée.
Trala lalala, lalala, lala, la, etc.

Il descend vers le canapé.

Chamerot (3), avec des gestes d’amour, son képi dans la main.

Vous êtes si jolie,
Ô mon bel ange blond,
Que mon amour pour vous est un amour profond,
Que jamais on n’oublie, etc.

Le Général (6), devant la table.

As-tu vu la casquette, la casquette,
As-tu vu la casquette au père Bugeaud ?
Taratata, ratata, ratata, ratataire,
Taratata, ratata, ratata.

Gabrielle (4), amoureusement, à Étienne.

Oh ! parle encore,
Ah ! je t’adore,
Oui, près de toi, je veux mourir.
Ah ! oui, mourir, mourir !

Étienne (5), enlaçant la taille de Gabrielle et chantant sur un air à lui.

Aglaé, ne sois pas farouche,
Aglaé, ne m’ fais pas droguer,
Et donn’-moi ta bouche,
Ta bouche à baiser…

Presque en même temps, le réveil s’opère chez chacun des sujets.

Petypon, à part.

Qu’est-ce qu’il y a eu donc ?

Gabrielle, à part, dans les bras d’Étienne.

Où suis-je ?

Chamerot, à part.

Eh ! ben, mais, quoi donc ?

Le Général, à part, descendant à droite.

Ah ! çà, j’bats la breloque ?

Tous, étonnés de se voir.

Ah !

Étienne, en retard sur le réveil général, bissant le dernier vers de la chanson.

Ta bouche à baiser.

Il embrasse Gabrielle sur les lèvres.
Gabrielle, complètement réveillée par ce baiser.

Étienne ! ah ! pouah !

Elle le repousse.
Étienne.

N… de D… ! la patronne !

Il détale, poursuivi jusqu’à la porte par Gabrielle furieuse.


Chamerot, apercevant le Général.

Le Général ne m’a pas vu ! filons !


Il se précipite vers la porte de sortie qu’obstrue Gabrielle. Sans égard, il la fait pirouetter, l’envoi descendre avant-scène droite, et s’éclipse.
Gabrielle.

Oh ! brutal !

Mongicourt, sur un ton moqueur, à Petypon.

Eh ! ben, mon vieux !…

Petypon, qui, à peine revenu à lui, n’avait pas remarqué Mongicourt.

Sapristi, Mongicourt !

Mongicourt. (1)

Et maintenant, puisque voici le général ! (Au général.) Général !

Petypon, affolé en devinant son intention.

Non ! non ! Pas maintenant !

Le Général (3), devant la table.

Monsieur Mon… Mongilet trop court !…

Mongicourt, à Petypon.

Comment est-ce qu’il m’appelle ?

Le Général, s’avançant milieu de la scène.

Nous n’avons rien à nous dire, monsieur !… que par l’entremise de nos témoins !

Mongicourt, s’avançant vers le général, dont il est séparé par Petypon.

Mais, permettez !…

Petypon, presque crié, en essayant de repousser Mongicourt.

Si ! si ! il a raison !

Le Général, à Petypon.

Toi ! attends-moi !… je vais chercher ta femme !

Petypon, à pleine voix, de façon à couvrir la voix du général, sur « ta femme ».

Aha !… Oui, oui ! je sais ! allez !

Le Général.

Je reviens.

Il sort de droite.
Gabrielle, aussitôt le général sorti, se rapprochant curieusement de Petypon.

Qu’est-ce qu’il a dit qu’il va chercher ?

Petypon, vivement.

Rien, rien ! sa pipe, il va chercher sa pipe.

Gabrielle.

Mais non, il a dit « ta femme ».

Petypon.

Parfaitement ! « Taphame », c’est comme ça que ça s’appelle en Algérie ! Ça veut dire pipe en arabe.

Gabrielle.

Ah ?

Petypon.

On dit je fume ma « Taphame ». (Cherchant à les entraîner dans la chambre de gauche.) Tenez ! allons par là ! Voulez-vous ? Allons par là !

Mongicourt, résistant.

Ah ! çà, mais tu ne lui as donc pas parlé ?

Petypon, sur des chardons.

Mais si ! mais si ! Seulement, ça ne se fait pas si vite !…

Voix du Général, à la cantonade.

Mais oui, mon enfant, mais oui ! Je vous en réponds !

Petypon, à part, bondissant.

Le voilà qui revient ! (Saisissant Mongicourt et Gabrielle chacun par un poignet et les ramenant tous deux l’un contre l’autre pour les pousser en paquet vers la pièce de gauche.) Venez par là, venez par là !


ENSEMBLE.
Gabrielle.

Mais, pourquoi, pourquoi ?

Mongicourt.

Mais non, mais non !

Bousculés et roulant l’un contre l’autre dans la poussée de Petypon.

Petypon, poussant de plus belle.

Allez ! Allez !

Le Général, paraissant à la porte de droite.

Ah ! Lucien, mon garçon !…

Petypon.

Oui, oui, tout à l’heure ! (Envoyant une dernière poussée.) Mais, allez donc !

Ils disparaissent tous trois derrière la porte, qui se referme.

Scène XIII

LE GÉNÉRAL, LA MÔME.
Le Général, ahuri.

Eh ! bien, quoi ? il s’en va au moment où nous arrivons ! (Se retournant pour faire entrer la Môme qui attend dans le vestibule.) Venez, mon enfant, venez, je vais vous ramener votre mari aussi empressé et amoureux que par le passé.

La Môme, qui suit le Général.

Ah ! ben ! c’est bien pour vous, général, ce que j’en fais !

Le Général (1), milieu de la scène, serrant la Môme affectueusement dans son bras gauche.

Allons, mon enfant, pas de nerfs surtout ! pas de nerfs.

La Môme (2), appuyée langoureusement contre sa poitrine.

Ah ! vous êtes bon, vous, général ! (Lui frisant sa moustache de la main droite.) Vous me comprenez.

Le Général, bien culotte de peau.

Mais oui, je suis bon !… (Se campant bien face au public, les jambes écartées, les genoux pliés, et les mains sur les genoux.) Allons, ma nièce, embrassez votre oncle.

Il tend sa joue.
La Môme, langoureusement.

Ah ! oui, mon oncle !… Avec joie !

Elle lui prend la tête entre les deux mains, la tourne face à elle au grand étonnement du général, et longuement lui promène ses lèvres sur les yeux.
Le Général, très troublé, entre chair et cuir.

Oh ! nom d’un chien !… (Plus fort.) Oh ! nom d’un chien ! (Se dégageant et gagnant la droite.) Ah ! nom d’un chien de nom d’un chien, de nom d’un chien !

La Môme, avec un lyrisme comique.

Ah ! ce baiser m’a fait du bien !

Le Général, à part, avec élan, tout en revenant à la Môme.

Ah ! si elle n’était pas ma nièce ! Cré nom de nom !

La Môme, langoureusement appuyée contre la poitrine du général, tout en lui caressant les cheveux.

Ah ! C’est un homme comme vous qu’il m’aurait fallu, général ! un homme… (Lui introduisant furtivement l’index dans l’oreille, ce qui le fait sursauter.) qui me comprît !… Ah ! je vous assure qu’avec vous !…

Le Général, se dégageant si brusquement que la Môme manque en perdre l’équilibre.

Eh ! Quoi ?… Alors, mon neveu !… Il ne vous comprendrait pas ?

La Môme.

Oh ! pour ce que je lui suis !…

Le Général, revenant à elle et lui prenant les mains.

Est-il possible ! Il vous délaisse !… Oh !… (Brusquement, comme une trouvaille.) Et pour une autre peut-être !

La Môme, courbant la tête.

Oh ! ne parlons pas de ça !

Le Général.

Ah ! nom de nom ! Je comprends maintenant le pourquoi de votre coup de tête !

La Môme, laissant tomber sa tête contre l’épaule gauche du général.

Je n’en calculais pas la portée.

Le Général, la serrant dans son bras gauche et, par un mouvement circulaire de la main droite renversée, désignant la Môme, en lui dirigeant les extrémités de ses doigts dans le creux de l’estomac.

Ah ! pauvre innocente !… que de ménages ainsi disloqués par l’incurie des maris !

Il lui donne un gros baiser.
La Môme, avec élan.

Ah ! mon oncle !

Elle lui prend la tête comme précédemment et l’embrasse longuement sur les yeux.
Le Général, émoustillé, tandis qu’elle l’embrasse.

Entre chair et cuir. — Ah ! nom de nom !… (Un peu plus fort.) Ah ! nom de nom ! (Se dégageant et gagnant la droite en ramenant nerveusement un côté de sa redingote sur l’autre.) Ah ! nom de nom, de nom, de nom ! (Avec transport.) Ah !… pourquoi faut-il qu’elle soit ma nièce ! (Revenant à elle et l’enlaçant fiévreusement de son bras gauche.) Et c’est cette petite femme-là que son mari, par son indifférence, jetterait dans les bras d’un autre ?… Non, non ! (Il l’embrasse sur la tempe droite.) Je ne veux pas d’un autre !… (Nouveau baiser.) Un autre ne l’aura pas !… (Nouveau baiser.) Tenez, mon enfant, (La conduisant au fauteuil extatique.) asseyez-vous là ! (Tandis que la Môme s’assied, gagnant la gauche.) Je vais lui parler, moi, à votre mari !… et nous verrons !… (Revenant à la Môme.) Ah ! mais, si je m’en mêle, mille millions de tonnerres !… (Il donne un grand coup de poing sur le bouton gauche du fauteuil ; courant, — choc. La Môme est endormie. Le Général, sans se rendre compte de l’effet de son geste, a gagné à grandes enjambées la porte de gauche ; arrivé sur le seuil, il se retourne et avec un geste de la main.) Bougez pas !


Il sort. — Un temps. — La porte de droite s’ouvre et Étienne paraît.

Scène XIV

LA MÔME, endormie, ÉTIENNE, LE DUC.
Étienne, annonçant.

Le duc de Valmonté !

Il s’efface pour laisser passer le duc puis sort.
Le Duc, un nouveau bouquet à la main, allant droit au canapé et s’asseyant.

J’espère que cette fois je serai plus heureux !… Je ne la comprends pas ! C’est elle qui m’a demandé de venir… je lui fais dire que je suis là, et elle m’envoie la vieille ! Ah ! non, ça !… (Apercevant la Môme endormie.) Eh ! mais la voilà ! (Se levant.) Ah ! madame, vous étiez là ! moi qui désespérais de vous voir !… Ah ! je suis bien heureux ! j’ai bien pensé à vous depuis hier, aussi je n’ai eu de cesse !… J’ai dit à maman que je venais chez vous… elle m’a chargé de vous exprimer tous ses bons souvenirs !… Alors, n’est-ce pas ?… Mais qu’est-ce que vous regardez comme ça ?… (À part.) Qu’est-ce qu’elle regarde ? (Haut.) Madame ! (À part.) Elle me fait une blague. (Haut.) Madame, je vous préviens que, si vous me faites une blague, je vais me venger !… Mais… en vous embrassant, madame… Oh ! vous pouvez sourire !… Vous ne me connaissez pas, quand une fois je m’y mets !… Une fois ? Deux fois ? Vous ne voulez pas me répondre ? Non ? Eh bien ! tiens !


Il se jette à genoux et l’embrasse. Immédiatement, contact, choc. Le duc, sa figure dans le cou de la Môme, son bouquet à la main, subit l’effet du fluide.

Scène XV

Les Mêmes, endormis, LE GÉNÉRAL et PETYPON.
Le Général, de la coulisse, tout en ouvrant la porte de gauche.

Viens, mon ami ! (Paraissant et entrant à reculons en train qu’il est de parler à Petypon qui le suit.) Viens la voir, l’image de l’Innocence ! Regarde-la l’image de l’Innocence ! (Se retournant et apercevant le groupe endormi.) Ah !

Petypon.

Allons, bon ! qui est-ce qui a fait marcher le fauteuil !

Tout en parlant il passe devant le général et gagne jusqu’au fauteuil.
Le Général, descendant à droite du canapé.

Mais, qu’est-ce que c’est ?

Petypon, pressant sur le bouton de droite du fauteuil.

C’est rien ! Tenez !


Il remonte devant la porte de droite. Le duc et la Môme ont reçu le choc. — un temps, — puis :


ENSEMBLE
dans les bras l’un de l’autre.
Le Duc.

Une femme du monde ! Je suis l’amant d’une femme du monde ! Oh ! maman ! maman !

La Môme.

Ouh ! le petit Ziriguy à sa Momôme ! Ouh ! ma choute ! Oh ! mon lapin vert.

Ils s’embrassent.
Le Général.

Qu’est-ce qu’ils racontent ?

Mais le réveil s’est produit de part et d’autre. Ils se regardent étonnés et se lèvent. La Môme descend devant la table ; le duc à gauche du fauteuil. Tous deux ont encore le regard un peu égaré.
Le Duc.

Où suis-je ?

La Môme.

Eh ! bien, quoi ?

Le Duc, revenu à lui tout à fait, apercevant le Général.

Le Général !

Il se précipite instinctivement vers la porte de sortie, va donner contre Petypon qui obstrue le passage, et, rebroussant chemin, se précipite dans la chambre du fond.
Le Général.

Hein ! d’où sort-il, celui-là ?

La Môme (3), descendant à droite.

Mais qu’est-ce que j’ai eu donc ?

Petypon (2), descendant à gauche du fauteuil extatique.

C’est rien ! rien !… C’est le fauteuil extatique : quand la bobine est en mouvement et qu’on s’assied, on s’endort.

Le Général (1).

Non ?… Tout le monde ?

Petypon, descendant milieu de la scène.

Tout le monde.

Le Général.

Ouida ! ah ! ben, moi… ça ne m’endormirait pas !…

Petypon, sur un ton railleur.

En vérité !

Le Général, passant no 2 pour aller à la Môme.

Mais c’est pas tout ça ! Mes enfants, nous voilà en présence, pas d’explications et embrassez-vous !

Petypon, à part.

Ah ! ma foi, puisqu’il n’y a pas moyen autrement !… (Haut.) Dans mes bras, ma femme !

Le Général, la poussant vers Petypon.

Allez-y, sa femme !

La Môme, se jetant dans les bras de Petypon, dans un lyrisme comique.

Lucien !

En s’embrassant ils pivotent lentement sur eux-mêmes de façon à prendre, la Môme le no 1, Petypon, le 2.

Scène XVI

Les Mêmes, GABRIELLE, puis ÉTIENNE.
Gabrielle, surgissant brusquement de gauche et poussant une exclamation en voyant le tableau.

Ah !

Elle descend par la gauche du canapé.
Petypon, se dégageant vivement et à part.

Sapristi, ma femme !

Le Général, à part, gagnant la droite.

Ça y est ! v’la la loufetingue !

Gabrielle, allant à la Môme, les bras tendus.

Oh !… Comment, c’est toi ! C’est toi qui es là !

Petypon, à part.

Hein !

La Môme, embarrassée.

Mais oui, c’est… c’est moi !

Gabrielle (1), lui faisant fête.

Ah ! que je suis contente de te voir !

Petypon (2), à part, ahuri.

Ma femme tutoie la Môme !

Gabrielle, qui tient la Môme par les mains, l’attirant à elle et l’embrassant.

Ah ! ma tante !

Petypon, à part.

Qu’est-ce qu’elle dit ?

Gabrielle, même jeu.

Ma chère tante !

Le Général (4).

Ça y est !… v’là la crise…

Gabrielle.

Ah ! ce que je suis contente !… (Passant 2 et à Petypon.) Ma tante ! C’est ma tante ! (À la Môme.) Oh ! mais, je ne t’ai pas dit… Je ne t’ai pas dit ce qui s’est passé à la Membrole !

La Môme, à moitié abrutie.

Non !…

Petypon, bondissant vers elle.

Non ! non ! C’est pas la peine ! nos savons ! nous savons !

Gabrielle.

Mais ma tante ne sait pas…

Petypon.

Oui, eh ! bien, c’est pas le moment ! pas ici ! pas ici !

Gabrielle.

Ah ! comme tu voudras ! (À la Môme.) Eh ! bien, alors, viens dans ma chambre ; je te raconterai.

Petypon, voyant Gabrielle qui déjà remonte avec la Môme par la droite du canapé, essayant de s’interposer.

Mais non ! mais non !

Gabrielle.

Mais si, quoi ?… Je te laisse avec le général et j’emmène ma tante !… (Avec élan.) Viens, ma tante !… ma chère tante !

Petypon, les suivant.

Mais, voyons…

La Môme.

Oh ! ce qu’elle m’embête, ma nièce !

Elles sortent toutes deux par la gauche.
Petypon, qui a suivi jusqu’à la porte, redescendant extrême gauche.

Mon Dieu ! Il me semble que je navique dans un rébus !

Tout en parlant, il a passé devant le canapé et s’assied sur le bras droit de ce dernier.
Le Général, riant encore de la scène qu’il vient de voir.

Ah ! c’est pas pour dire, mais elle est vraiment marteau avec sa manie de parenté !…

Petypon, riant sans conviction.

Oui !… Oui ! elle est un peu…

Le Général, allant vers Petypon.

Mais laissons cette échappée de cabanon…

Petypon, à part.

Oh !

Le Général.

… et parlons de toi. Tu ne saurais croire combien je suis content de t’avoir ramené ta femme.

Petypon.

Ma f… Ah ! et moi donc !

Le Général.

Quand on pense que tu délaisses une petite femme comme ça ! Mais elle est adorable, idiot ! (Il lui envoie une bourrade au défaut de l’épaule.) Elle est exquise, brute ! (Nouvelle bourrade.) Mais tu veux donc qu’un autre te la souffle, daim !

Nouvelle bourrade plus forte qui fait basculer Petypon.
Petypon, assis, le corps sur le siège du canapé et les jambes sur le bras de ce dernier.

Eh ! mais dites donc !… vous me paraissez bien emballé, mon oncle !

Le Général, avec élan.

Moi ?… Ah ! je ne le cache pas ! Si elle n’était pas ta femme !… si elle n’était pas ma nièce !… Ah ! ah-ah-ah-ah !… (Ne sachant comment traduire mieux sa pensée.) Et allez donc, c’est pas mon père !

Il pivote sur lui-même et remonte légèrement.
Petypon, toujours dans la même position.

Qu’est-ce que vous feriez donc ?

Le Général, redescendant.

Ah !… je ne sais pas ! Je crois, nom d’une brique ! que je serais capable de t’avantager sur mon testament !

Petypon.

Non ?… Votre parole ?

Le Général.

Ma Parole !

Petypon, à part, tout en se levant.

Mon Dieu, et moi qui me donnais tout ce mal !… (Allant au général et bien lentement pour ménager son effet.) Eh bien ! mon oncle, soyez heureux !… Elle n’est pas ma femme !

Le Général, le regardant bien en face.

En vérité !

Petypon.

Non !

Le Général, avec un hochement de tête qui semble approbatif, puis.

Elle est bonne !

Petypon.

Comment ?

Le Général, comme au deuxième acte.

Elle est bonne ! Elle est bonne ! Elle est bonne !

Petypon.

Mais, mon oncle !…

Le Général, subitement pète-sec.

Ah ! assez, hein ? tu ne vas pas encore recommencer ! Si tu dois me la faire comme ça tous les deux jours… Ah ! non, non, ça ne prend plus !

Petypon.

Je vous assure, mon oncle…

Le Général, id.

Oui, eh bien ! assez ! J’aime pas les blagues.

Il remonte.
Étienne, paraissant à la porte de droite, pan coupé.

Monsieur !…

Le Général (2), saisi d’une inspiration.

Ah ! ça n’est pas ta femme ! Eh bien ! nous allons bien voir ! (Se campant, le poids du corps sur les genoux écartés et pliés, les deux mains étendues pour parer à toute communication d’un personnage avec l’autre, — à Étienne.) Eh ! vous !… je ne sais pas comment vous vous appelez… (Bien posément, comme pour l’énoncé d’un problème.) De qui madame Petypon est-elle la femme ? (Vivement, à Petypon.) Chut !

Étienne (3), au-dessus, un peu à gauche du fauteuil extatique.

Mais… de monsieur Petypon.

Le Général, triomphant.

Là ! je savais bien !

Étienne, à part.

Mais… il est bête !

Petypon, gagnant l’extrême gauche.

Ah ! non, non ! il est étonnant ! Il n’y a que quand on lui ment qu’il vous croit, cet homme-là !

Étienne, de sa place à Petypon.

Monsieur ! Ce sont les deux messieurs de tout à l’heure qui demandent si on ne les a pas oubliés ?

Le Général.

Ah ! c’est juste ! Faites-les entrer.

Petypon, tandis qu’Étienne sort.

Ah ! bon, les autres maintenant !


Scène XVII

LE GÉNÉRAL, PETYPON, puis LE DUC,
puis ÉTIENNE, MAROLLIER, VARLIN, puis GABRIELLE.
Le Général, descendant vers Petypon.

Ah ! pour ta gouverne ! afin de ne pas mêler ta femme à tout ça…

Petypon.

Bien, bien !

Le Général.

Quoi, « bien, bien » ?… Tu ne sais pas ce que je vais dire… Il est convenu avec Corignon que le véritable motif de la rencontre resterait ignoré.

Petypon, s’en moquant complètement.

Bon, bon !

Le Général.

Même de ses témoins…

Petypon.

Entendu ! Entendu !

Le Général.

Donc ils ne savent rien.

Petypon.

Bon, bon !

Le Général.

Le prétexte : n’importe quoi.

Petypon.

Oui, oui.

Le Général.

Vous vous battez… parce que tu aurais dit… ou qu’il aurait dit…

Petypon.

Entendu ! entendu.

Le Général.

Enfin à propos de potins… sans préciser davantage.

Il remonte.
Petypon.

Oui ! oui ! Tout ce qu’on voudra. (À part, en gagnant l’extrême gauche.) Ça m’est égal, je ne me battrai pas.

Le Général, au-dessus du fauteuil extatique.

Ah ! Diable, mais !…

Petypon.

Qu’est-ce qu’il y a encore !

Le Général.

Tu n’as pas de second témoin !

Petypon.

Ah !… non !

Le Général.

Je ne peux pas faire les deux témoins à moi tout seul.

Petypon.

Ah ! évidemment vous ne… (Brusquement.) Eh bien ! v’là tout ! On se battra une autre fois !

Il redescend.
Le Général.

Hein ! Mais pas du tout ! Mais tu en as de bonnes !

Le Duc, faisant une brusque apparition et virevoltant aussitôt en apercevant le général, pour disparaître par où il est venu.

Sapristi ! Encore là !

Le Général, qui a eu le temps de reconnaître le duc, d’une voix bien étalée.

Le duc !… Mais le voilà, ton second témoin ! (Il remonte, écarte le rideau de droite et l’on aperçoit, à la tête du lit, le duc assis, la jambe gauche repliée sous la cuisse droite, et son bouquet toujours à la main. Au duc.) Venez, duc ! venez !

Le Duc, très troublé.

Hein ! Général, c’est que…

Le Général, le faisant descendre.

Mais venez, je vous dis ! N’ayez pas peur, quoi ? On ne vous mangera pas ! C’est vous qui êtes le second témoin.

Le Duc (2), même jeu.

Moi ?

Le Général (3).

Vous.

Le Duc, même jeu.

C’est que…

Le Général.

Ne vous inquiétez pas. Vous n’avez qu’à me laisser parler et à opiner ; par conséquent…

Le Duc.

J’opinerai, mon général ! j’opinerai ! (À part, en allant s’asseoir sur le canapé.) C’est pourtant pas pour ça que je suis venu !

Étienne, annonçant.

Messieurs Marollier et Varlin.

Le Général, debout à droite du canapé.

Veuillez entrer, messieurs !

Marollier et Varlin entrent.
Petypon, qui est remonté par l’extrême gauche et prend le milieu du fond de la scène, indiquant aux arrivants le général et le Duc.

Mes témoins !

Marollier et Varlin descendent un peu. Échange de saluts entres les témoins tandis que Petypon, toujours par le fond, descend extrême droite, où il se tient à l’écart, adossé discrètement contre la table. Le duc, indifférent à ce qui se passe, est assis extrême droite du canapé, la jambe droite repliée sous la cuisse gauche et le corps à demi tourné dans la direction de la porte de gauche par laquelle il espère toujours voir arriver celle pour qui il est là.
Marollier (1), bien qu’en civil, faisant le salut militaire au général (2).

Mon général, c’est avec orgueil que j’ai appris que j’avais à défendre les intérêts de mon client avec un témoin de votre importance. Aussi vous pouvez être sûr que je ferai tout…

Le Général, l’arrêtant net.

Oh ! je vous en prie, lieutenant !… (Un temps.) Veuillez considérer, pour la conduite de cette affaire, qu’il n’y a plus ici un général et un lieutenant !… mais des mandataires, ayant mission égale et partant, des droits égaux. Par conséquent !…

Marollier, avec un sourire légèrement sceptique.

Oui !… C’est très joli, mon général, mais comme une fois l’affaire réglée vous redeviendrez le général ; et moi le lieutenant !…

Le Général, même jeu.

Soit ! Mais, en attendant, nous sommes témoins ; restons témoins !

Marollier, s’incline, puis, présentant.

M. Varlin, le second témoin.

Échange de saluts.
Le Général, présentant le duc en l’indiquant de la main, sans se retourner vers lui.

Le duc de…

Le duc étant assis, reçoit la main du général en pleine joue.
Le Duc, qui précisément avait la tête tournée vers la porte, se retournant vivement.

Oh !

Le Général, vivement et entre chair et cuir au duc, en lui cinglant le gras du bras du revers de la main.

Mais levez-vous donc !

Le Duc.

Ah ?… pardon !

Le Général, présentant.

Le duc de Valmonté, le second témoin.

Le Duc, s’inclinant, en ramenant dans son geste de révérence son bouquet, sur sa poitrine.

Messieurs !

Le Général, au duc, vivement et bas.

Posez donc votre bouquet !

Le Duc.

Comment ?

Le Général, même jeu.

On ne règle pas une affaire d’honneur avec un bouquet.

Le Duc, déposant son bouquet à côté de lui sur le canapé.

Oui !

Varlin, malicieusement.

Monsieur croit peut-être être témoin à un mariage.

Marollier, vivement à mi-voix, le rappelant à l’ordre.

Ah ! non, hein ! pas de mots ! taisez-vous ! ne recommencez pas !

Le Général, à Marollier et Varlin, tout en prenant pour lui-même et l’apportant près du canapé, la chaise qui est au-dessus du dit canapé.

Si vous voulez prendre des sièges, messieurs !

Marollier.

Parfaitement, mon général !

Il va prendre la chaise qui est au fond droit et la descend au niveau de celle du général.
Le Général, à Varlin qui cherche des yeux un siège, lui indiquant le fauteuil extatique.

Tenez, vous avez un fauteuil qui vous tend les bras.

Varlin, déclinant l’invitation avec un sourire ironique.

Merci !… merci bien !

Il prend la chaise qui est au-dessus de la table et l’apporte entre celle de Marollier et le fauteuil extatique. Tout le monde s’assied, sauf le duc dont la pensée est ailleurs.

Le Général.

Vous êtes au courant, messieurs, du… (Apercevant le duc, toujours debout près de lui, et lui cinglant comme précédemment le gras du bras gauche.) Asseyez-vous donc ! (À part, tandis que le duc, furieux et bougonnant intérieurement, s’assied en se frottant le bras avec humeur.) Quel cosaque ! (Haut aux témoins.) Vous êtes, au courant, n’est-ce pas ? messieurs, du motif de la rencontre ? À la vérité, il n’est pas bien grave ; mais, pour des gens comme nous, la gravité des causes importe peu. (Les autres témoins s’inclinent pour acquiescer.) Votre client a dû vous le dire : il s’agit de potins.

Marollier.

En effet, c’est bien ce que le lieutenant nous a dit : M. Petypon ici présent aurait affirmé que ce n’était pas le premier épicier de Paris.

Le Général, qui écoutait dans une attitude concentrée, le coude gauche sur la cuisse, la nuque baissée, redresse la tête, reste un instant interdit, puis se tournant vers Marollier.

Qui ?

Marollier.

Potin.

Petypon, ahuri.

Moi !

Le Général, rêveur.

Pot… ? (Comprenant subitement.) Ah ! oui !… oui, parfaitement ?… (Changement brusquement de ton.) Eh ! ben mais… si mon client maintenant n’a plus le droit de donner son avis en matière d’épicerie !… Je réclame donc pour lui la qualité d’offensé.

Marollier, très déférent, en esquissant machinalement des petits saluts militaires.

Je suis absolument de votre avis, mon général ! absolument ! mais…

Le Général.

Mais, quoi ?

Marollier.

Mais il me semble que c’est tout le contraire.

Le Général.

Comment, « Vous êtes de mon avis et c’est tout le contraire » ?

Marollier.

Il me semble que cet avantage doit revenir à mon client.

Le Général.

Et pourquoi ça, à votre client ?

Marollier.

Dame, absolument, puisque c’est la phrase prononcée par votre client, mon général, qui a offensé le mien.

Le Général.

Eh ! bien, tans pis pour lui ! Il n’avait qu’à ne pas s’offenser d’une phrase qui ne s’adressait pas à lui ; tandis que c’est lui en se mettant en colère après mon client…

Marollier.

Ah ! permettez mon général…

Le Général.

Permettez vous-même !

Marollier.

Cependant !…

Le Général.

Il n’y a pas de cependant.

Marollier.

Mais…

Le Général, se dressant comme mû par un ressort.

Ah ! et puis en voilà assez ! (Marollier, instinctivement, s’est levé et prend immédiatement la position du « garde à vous ». Varlin se lève également.) Je n’admets pas qu’un simple lieutenant se permette de contredire son général.

Marollier, face au général, le petit doigt de la main gauche sur la couture du pantalon, la main droite à la tempe.

Vous avez raison, mon général ! vous avez raison !

Le Général, entre chair et cuir.

Je vous ficherai aux arrêts, moi !

Petypon, traversant l’avant-scène et allant jusqu’au général.

D’ailleurs, écoutez, c’est bien simple : si on veut, je la retire, moi, la phrase ; par conséquent, ça arrange tout.

Le Général, le repoussant par les épaules de façon à le faire pivoter sur lui-même et à l’envoyer vers Marollier.

Ah ! toi, on ne te demande rien ! Mêle-toi de ce qui te regarde.

Marollier, à Petypon en le repoussant comme le Général.

Mon général a raison ! Mêlez-vous de ce qui vous regarde !

Varlin, même jeu, à Petypon.

Mêlez-vous de ce qui vous regarde, puisqu’on vous le dit !

Petypon, à part, après avoir roulé de l’un à l’autre.

C’est trop fort ! il s’agit de mon existence ; et ça regarde tout le monde excepté moi !

Il va reprendre sa place à l’écart, contre la table.
Le Duc, toujours ailleurs.

Qu’est-ce qu’elle peut faire madame Petypon qu’on ne la voit pas !

Le Général, voyant que le duc est assis quand tout le monde est debout, le cinglant au gras du bras.

Levez-vous donc !

Le Duc, se relevant, l’air furieux et intérieurement (le mot seulement perceptible par le mouvement des lèvres).

Ah ! m…e !

Le Général, faisant signe à Marollier et Varlin de s’asseoir.

Messieurs !… (Une fois assis lui-même :) Je réclame donc pour… (Apercevant le duc toujours debout, et le regardant avec un hochement de tête.) C’est effrayant ! (Lui envoyant une tape plus forte que les autres.) Mais asseyez-vous donc, sacré nom !

Le Duc, perdant l’équilibre et tombant sur son bouquet qu’il écrase.

Oh ! mon bouquet !

Le Général, à Marollier et Varlin.

Je réclame donc pour mon client la qualité d’offensé.

Marollier, prêt à toutes les concessions.

Mais comment donc, mon général ! si ça peut vous être agréable !…

Le Général.

J’y tiens d’autant plus que cette qualité nous donne le choix des armes ; et nous permet d’écarter l’épée, qui, j’y réfléchis bien, mettrait mon client dans un état d’infériorité absolue ! Le lieutenant Corignon l’embrocherait comme un poulet.

Petypon, à part, frissonnant.

Frrrou !

Marollier.

C’est évident !

Le Général, se tournant vers le Duc.

N’est-ce pas votre avis, duc ?

Le Duc, qui pendant tout ce qui précède s’est évertué à remettre son bouquet en état, — à part.

Je ne pourrai jamais lui offrir ça !

Le Général, voyant que le duc ne l’écoute pas.

Duc !

Le Duc, comme si on le réveillait en sursaut.

Eh ?

Le Général.

Quoi, « eh ? » Je vous demande si c’est votre avis ?

Le Duc.

Hein ? Oh ! pffut !

Il fait prouter ses lèvres.

Le Général, le regarde, puis.

Merci ! (À Varlin.) Et vous, monsieur ?

Varlin.

Oh ! moi vous savez je m’en f…

Marollier, vivement, couvrant sa voix.

Oui !

Le Général.

Ah ! nous sommes bien secondés ! (À Marollier.) N’importe ! je vois que nous sommes d’accord ; nous choisirons donc le pistolet.

Il se lève.
Marollier et Varlin, se levant également.

C’est ça, le pistolet !

Ils se disposent à reporter leurs chaises où ils les ont respectivement prises.

Petypon, de sa place.

Mais… il peut me toucher !

Le Général, sa chaise à la main.

Eh ! naturellement, il peut ; mais toi aussi ! Tu n’imagines pas que nous allons te préparer un duel où tu ne risques rien ? (Au duc.) Vous pouvez vous lever, vous savez, duc ! c’est fini !

Le Duc.

Ah ?

Le Général, à Petypon, catégoriquement, tandis que le duc se lève.

Au pistolet !

Tous.

Oui, oui, au pistolet !

Chacun remet sa chaise à sa place primitive.

Petypon, gagnant jusqu’au milieu de la scène et énergiquement.

Oui ? Eh bien ! non !

Tous, redescendant.

Quoi ?

Petypon, face aux témoins, dos au public.

C’est trop fort à la fin ! Vous disposez de moi, là ! vous y allez !… vous y allez !… (Brusquement.) Je ne me battrai pas !

Il redescend à droite.
Tous.

Hein !

Petypon.

C’est vrai, ça ! « l’épée ; le pistolet ! » Vous en parlez à votre aise !… (Revenant sur eux.) On veut que je me batte ? Eh bien ! soit ! j’ai le choix des armes ? je prends le bistouri !

Il redescend à droite.
Le Général.

Mais tu es fou !

Marollier.

Il se moque de nous !

Gabrielle, sortant de chez elle et descendant extrême gauche.

Que signifie ce tapage ?

Petypon, sans faire attention à sa femme, allant (4) au général (3).

Après tout, c’est moi qui me bats, n’est-ce pas ? Eh bien ! je choisis mon arme !

Gabrielle, se précipitant (3) entre le général (2) et Petypon (4) pour étreindre ce dernier.

Qu’entends-je ? Tu as un duel ! Lucien, je ne veux pas ! je ne veux pas que tu te battes !

Petypon, essayant de se dégager de son étreinte.

Ah ! toi, laisse-moi !

Le Général, gagnant jusque devant le canapé.

Allons, bon, rev’là l’autre

Gabrielle, s’agrippant à lui.

Lucien, je t’en supplie ! je ne veux pas ! Songe à moi ! à moi qui t’aime !

Le Général, se frappant le front.

Ah ! mon Dieu !…

Marollier, à droite du groupe formé par Gabrielle et Petypon.

Mais non, madame, rassurez-vous ! il n’y a pas de duel !

Le Général, à lui-même.

Mais oui !

Varlin, à gauche de Gabrielle.

On causait amicalement.

Le Général, même jeu.

C’est bien ça !

Gabrielle.

Si, si, j’ai entendu ! Lucien ! mon Lucien !

Le Général, pendant que Gabrielle supplie son mari, et que les autres cherchent à la persuader.

Je comprends tout, maintenant, ses tutoiements, sa présence continuelle ici !… (Au duc (1).) Et c’est pour des femmes comme ça que les maris délaissent le foyer conjugal ! (Appliquant brusquement sa main droite dans le dos du duc, et sa main gauche dans celui de Varlin, et projetant le premier contre l’estomac du second, de façon à les coller l’un contre l’autre.) C’est bien, messieurs !

Le Duc, dont le bouquet se trouve écrasé dans la rencontre.

Oh ! mon bouquet !

Le Général, poussant vers la porte les trois témoins qu’il a rassemblés en paquet.

Allez ! nous reprendrons cet entretien ailleurs !

Varlin, Marollier, Le Duc, roulés les uns contre les autres.

Oui, mon général !

Le Général.

Allez ! Allez !

Il les pousse dehors tandis que Petypon, obsédé par Gabrielle qui le supplie, gagne l’extrême gauche, suivi de sa femme.


Scène XVIII

LE GÉNÉRAL, GABRIELLE, puis LA MÔME, puis MONGICOURT.
Le Général (3), du seuil de la porte, aussitôt la sortie des témoins, tout en gagnant à larges enjambées jusqu’au canapé.

Ah ! je comprends tout, maintenant ! Madame est ta maîtresse !

Petypon (1).

Hein ?

Gabrielle (2).

Qu’est-ce que vous dites ?…

Petypon, passant au no 2.

Mais, mon oncle !…

Le Général.

Laisse-moi tranquille !

Il remonte jusqu’à la porte de gauche.
Gabrielle.

Moi, moi, sa maîtresse !

Petypon, à Gabrielle.

Hein ? Oui ! non ! ne te mêle pas ! ne te mêle pas !

Il gagne à droite.
Gabrielle.

Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le Général, qui est sorti de scène une seconde, reparaissant avec la Môme et descendant entre Gabrielle (1) et Petypon (4).

Venez, pauvre enfant, et apprenez à connaître ce que vaut celle que vous appelez votre amie !… Elle vous trompe avec votre mari !

La Môme (2), à part.

Aïe !

Gabrielle (1).

Moi ! moi ! Mais je suis sa femme !

Le Général (3), un peu au-dessus avec la Môme.

Vous !

Petypon, au général.

Je vous expliquerai !

Le Général.

Laisse-moi tranquille ! (Désignant la Môme.) Ta femme, la voici !

Gabrielle.

Elle ? mais c’est votre femme !

Petypon, vivement, se précipitant vers Gabrielle et la poussant vers la gauche devant le canapé.

Hein ! oui, chut !…

La Môme, s’écartant prudemment vers le fond, — à part.

Fichtre ! ça se gâte !

Le Général.

Ma femme, elle ! (Courbé par le rire et se laissant tomber dans le fauteuil extatique.) Ah ! ah ! laissez-moi rire !

Petypon, à qui ce jeu de scène du général n’a pas échappé.

Le fauteuil !

Il se précipite derrière le fauteuil pour presser le bouton, mais au moment où il fait fonctionner la bobine, le général se relève.

Le Général, redescendant, toujours en riant, jusque devant la table.

Ah ! Ah ! Ah !

Petypon, avec désespoir en redescendant à gauche du fauteuil.

Raté !

Gabrielle, gagnant le milieu de la scène.

Ah ! çà, général ! expliquez-vous !

Petypon, énergiquement, s’interposant.

Non, non ! pas d’explications !

Mongicourt, qui est entré de gauche, descendant extrême gauche.

Ah !… Vous, général ! Il faut que je vous parle !

Petypon, à part, en pleine détresse.

Mongicourt à présent !… Ah ! tout est perdu !

Il se laisse tomber dans le fauteuil sans réfléchir que la bobine est en mouvement. Immédiatement, il reçoit le choc ; un hoquet : « Youpp ! » et le voilà figé dans son attitude dernière, les yeux ouverts, le sourire aux lèvres.

Le Général, gagnant le milieu de la scène.

Non, monsieur, non ! pas d’explications !

Mongicourt.

Mais, permettez !…

Le Général.

Inutile, monsieur ! après ce qu’a fait votre femme !…

Il remonte un peu.
Mongicourt.

Où ça, ma femme ? Qui ça, ma femme ?

Le Général, désignant Gabrielle.

Mais… Madame !

Gabrielle.

Moi !

Mongicourt.

Mais ça n’est pas ma femme !

Gabrielle.

Je suis la femme du docteur Petypon !

La Môme, qui pendant ce qui précède s’est peu à peu rapprochée de la sortie.

V’là le grabuge, caltons !

Elle s’esquive par la porte droite.

Le Général.

Oui ? eh ! bien, ça ne prend pas ! vous pensez bien que je la connais ! Je la connais la femme de mon neveu ! puisqu’il l’a amenée à La Membrole avec lui.

Gabrielle.

Hein ! il l’a amenée, lui !

Le Général.

Mais parfaitement ! De même que je sais bien que vous êtes la femme de M. Chose, là, Machincourt.

Gabrielle et

Mongicourt.

Quoi ?

Le Général.

Mais c’est le genre, ici, de toujours prétendre que vos femmes ne sont pas vos femmes !… à ce point que vous en arrivez à vouloir me faire croire que la femme de mon neveu est ma femme ! vous comprenez que cela dépasse les bornes !

Gabrielle, se prenant la tête à deux mains.

Mais qu’est-ce qu’il dit ?

Le Général.

Allons, assez de blagues comme ça !… Non, me persuader qu’elle est ma femme, elle !… Eh bien ! où est-elle donc ? (Appelant en remontant.) Ma nièce !… ma nièce !

ENSEMBLE.

Gabrielle, emboîtant le pas au général.

Mais enfin, général !…

Mongicourt, à la suite de Gabrielle.

Général, voyons !…

Le Général.

Allez, rompez ! (Il sort de droite en appelant.) Ma nièce ! ma nièce !

Mongicourt, descendant à droite au-dessus de la table.

Ah ! non, par exemple, celle-là…

Gabrielle, descendant à gauche du fauteuil.

Ah ! c’est trop fort ! (À Petypon endormi.) Ah ! gredin, tu avais une maîtresse et tu la faisais passer pour ta femme !… Ah ! tu !… (À Mongicourt.) Non, mais regardez-le !… et il ose sourire !… Ah ! bien, attends un peu !…

Elle s’élance sur lui pour le souffleter.
Mongicourt, vivement.

Prenez garde ! Vous n’avez pas de gants !

Gabrielle, allant au-dessus de la table.

Vous avez raison. Où sont-ils les gants ?

Mongicourt, s’interposant.

Mais non ! Mais non ! , voyons !

Gabrielle, écartant Mongicourt et farfouillant sur la table, prenant la boîte et en tirant les gants.

Si ! Si ! Où sont-ils les gants ? Ah ! les voilà ! (Elle prend le gant de la main droite et l’enfile tout en redescendant à gauche du fauteuil.) Ah ! tu m’as trompée ! Ah ! tu as abusé de ma confiance ! Eh ! bien, tiens ! (Ayant pris un peu de champ, elle soufflette son mari du revers de la main droite. La figure de Petypon reste souriante et immobile.) Ah ! tu as une maîtresse ! Eh bien ! tiens ! (Nouveau soufflet du revers de la main droite.) Ah ! tu fais la fête ! Eh bien ! tiens ! tiens ! tiens !

Un soufflet, toujours du revers, à chaque « Tiens ! ».

Mongicourt, se précipitant au-dessus du fauteuil et appuyant sur le bouton de droite.

Assez ! assez ! grâce pour lui !

Il redescend jusqu’au canapé. À la pression du bouton, Petypon a reçu le choc du réveil. Il se lève, descend de biais, en trois pas de théâtre, jusque devant le trou du souffleur, puis :

Petypon (2), la main sur le cœur, chantant.
Il pleut des baisers,
Piou ! Piou !
Gabrielle.

Quoi ?

Petypon.
Il pleut des caresses…
Gabrielle (3).

Ah ! je vais t’en donner, moi, des caresses ! Tiens !

Elle lui envoie une maîtresse gifle.
Petypon, complètement réveillé par la douleur.

Oh !

Gabrielle.

Tu l’as sentie, celle-là !

Elle quitte le gant et le remet sur la table.
Petypon.

Gabrielle !…

Gabrielle.

Arrière, monsieur ! Le Général m’a tout dit !… Désormais, tout est fini entre nous ! Je reprends ma vie de jeune fille !

Petypon.

Gabrielle, voyons !

Gabrielle, descendant vers lui.

Il n’y a pas de « Gabrielle, voyons » ! Je vous dicte mes volontés ; vous n’avez qu’à vous soumettre !

Petypon, jouant la résignation.

C’est bien !

Gabrielle.

Je quitte cette maison !

Petypon, même jeu.

Bon !

Gabrielle.

Nous divorçons !

Petypon, même jeu.

Bon !

Gabrielle.

Je reprends ma fortune !

Petypon, même jeu.

Bon ! (Relevant la tête.) Oh ! tout, alors ?

Gabrielle, d’un geste large.

Tout ! (Remontant pour lui faire la place et lui indiquant la porte.) Et maintenant, sortez ! que je ne vous voie plus !

Petypon, avec une résignation comique.

Bon ! (L’échine pliée, d’un pas lourd, il gagne théâtralement la porte de droite. Arrivé sur le seuil, il se retourne et mélodramatiquement.) Je retourne chez ma nourrice !

Il sort.

Mongicourt, qui était assis sur le canapé, se levant, et allant à Gabrielle.

Ce pauvre Petypon ! vous avez été dure pour lui !

Gabrielle.

Jamais trop ! Si vous croyez m’apitoyer sur son sort !… (Marchant sur Mongicourt qui recule à mesure.) Ah ! il veut faire le gandin à son âge ! Ah ! je ne lui suffis pas ! Eh bien ! qu’il aille se faire consoler ailleurs !

Elle remonte.

Scène XIX

GABRIELLE, MONGICOURT, ÉTIENNE,
puis LE DUC, puis PETYPON, puis LE GÉNÉRAL.
Étienne, paraissant à la porte de droite et annonçant.

Le duc de Valmonté !

Gabrielle.

Lui ! Ah ! bien, il arrive bien !

Le Duc, entrant d’une traite, tandis qu’Étienne sort aussitôt le duc passé.

J’espère que cette fois… (Se trouvant nez à nez avec Gabrielle et pivotant aussitôt sur lui-même pour filer.) Nom d’un chien ! encore elle !

Gabrielle, le rattrapant au vol et le faisant descendre, peu rassuré, milieu de la scène.

Venez, duc, venez ! Ah ! vous pouvez vous vanter d’arriver au moment psychologique !

Le Duc (3) et Mongicourt (1), chacun dans un sentiment différent.

Hein !

Gabrielle (2).

Vous m’avez écrit que vous m’aimiez ?

Le Duc, de toute son énergie.

Moi !

Gabrielle, le rassurant.

Ne vous en défendez pas ! Je ne serai pas cruelle !

Le Duc, terrifié.

Qu’est-ce qu’elle dit ?

Mongicourt, à part, en riant sous cape.

Ah ! le malheureux !

Il se laisse tomber en riant sur le canapé.
Gabrielle.

Et d’abord,… (Saisissant de la main gauche la main du duc qui tient le bouquet, et, de la main droite, farfouillant dans les fleurs.) cette fleur de votre bouquet à mon corsage…

Le Duc, défendant son bouquet.

Non ! non !

Gabrielle, arrachant la plus belle fleur.

… comme emblème d’amour !

Elle la met à son corsage.

Le Duc, furieux, son bouquet contre la poitrine.

Oh ! mais, madame, vous m’abîmez mon bouquet.

Gabrielle, dessinant un léger « par le flanc droit ».

Et maintenant, (Plongeant sur elle-même dans cette position pour se donner un élan.) emmenez-moi, duc ! (Se laissant tomber sur la poitrine du duc dont elle, écrase ainsi le bouquet.) je suis à vous !

Le Duc, faisant un rapide volte-face.

Hein ! Ah ! mais non ! ah ! mais non !…

Gabrielle, le rattrapant par le bas du derrière de son veston, puis lui entourant la taille de ses bras.

Venez, duc ! venez ! C’est une femme qui a soif de vengeance qui vous le demande !

Le Duc, se débattant et entraînant Gabrielle, toujours agrippée à lui, jusqu’à la porte.

Laissez-moi ! Au secours ! Maman ! Maman !

D’un coup de reins il arrive à se dégager et se sauve éperdu.

Gabrielle, sur la porte.

Hein ! quoi ? Il se sauve !

Mongicourt, assis sur le canapé, d’un ton blagueur.

On dirait !

Gabrielle, descendant.

Les voilà, les hommes, tenez ! Diseurs de belles paroles et quand on les prend au mot !…

Elle complète sa pensée en faisant craquer l’ongle de son pouce contre ses incisives supérieures.

Voix de Petypon, venant du fond, lointaine et éthérée.

Gabrielle !… Gabrielle !…

Gabrielle, arrêtée net à l’appel de son nom.

Qui m’appelle ?

Petypon, même jeu.

C’est moi ! ton bon ange !

Mongicourt, à part.

Hein ?

Gabrielle, tout émue, descendant la tête courbée, les bras tendus, jusque devant le fauteuil.

Ah ! mon Dieu ! l’ange Gabriel ! Je reconnais sa voix !

Mongicourt, intrigué, est allé tirer le rideau du fond, et l’on aperçoit, debout sur le lit, Petypon enveloppé d’un drap, le visage éclairé par en dessous, comme la Môme au premier acte.

Mongicourt, à part, avec un sursaut en arrière.

Petypon !

Petypon, à mi-voix, à Mongicourt.

Chut !

Mongicourt, redescendant par la gauche du canapé.

Eh ! bien, il en a un toupet !

Petypon, de sa voix céleste, à Gabrielle qui se tient prosternée face au public.

Gabrielle ! Gabrielle !

Gabrielle.

Je t’écoute, ô mon bon ange !

Petypon.

Gabrielle, tu es en train de faire fausse route ! tu as le meilleur des maris !… Tu… (Apercevant le général qui surgit de droite.) Nom d’un chien ! mon oncle !

Il dissimule vivement son visage derrière son coude gauche relevé.

Le Général, descendant extrême gauche.

Mille tonnerres, on s’est moqué de moi !… (Apercevant l’apparition sur le lit.) Ah !

Petypon.

Ça y est ! pigé !

Dans l’espoir d’intimider le général, il se met à faire des moulinets avec son drap, à la façon de la Loïe Fuller.

Le Général, ahuri.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

Gabrielle, se redressant.

Le Général ! Ah ! il arrive bien ! (À l’apparition, mais sans se retourner vers elle.) Pardonne-moi ce que je vais faire, ô ange Gabriel ! mais c’est pour convaincre un hérétique !

D’un geste large, sur la table, elle saisit par la poignée une des deux épées et la brandit au-dessus de sa tête.

Petypon, inquiet.

Qu’est-ce qu’elle fait ?…

Gabrielle, le glaive en l’air, au général.

Regardez, général ! et soyez converti !

Elle pivote sur elle-même et remonte vers le lit, l’épée tendue.

Mongicourt, se tenant les côtes de rire.

Oh ! là ! là ! oh ! là ! là !

Petypon, affolé, en voyant sa femme foncer sur lui.

Gabrielle ! une épée ! eh ! là ! eh ! là !

Gabrielle, reconnaissant Petypon.

Ah !

Petypon, même jeu.

Gabrielle ! pas de bêtises !

Gabrielle, s’élançant pour le pourfendre.

Ah ! c’est toi, misérable ! toi qui te moques de moi !

Petypon, bondissant hors du lit par le côté opposé à Gabrielle.

Gabrielle !… Gabrielle !…

Gabrielle, grimpant à moitié sur le lit pour essayer d’atteindre Petypon.

Attends un peu ! attends un peu !

Petypon, profitant de la position de Gabrielle pour filer par la pointe du lit et détalant en scène, toujours entouré de son drap qui flotte au vent.

Au secours ! Au secours !

Gabrielle, s’élançant à sa poursuite.

Attends un peu ! Ah ! gueux ! Ah ! scélérat !

Poursuite à travers la scène. Descente par l’extrême gauche, traversée devant le canapé ; Petypon trouve sur son passage Mongicourt, riant, dos à lui ; il le saisit, le retourne face à la pointe de sa femme ; « Eh ! là ! eh ! là ! » crie Mongicourt en se dérobant. Petypon remonte vers la droite, trouve le général, le retourne comme précédemment. Petypon, face à la pointe de sa femme, descend extrême droite puis, traversant obliquement la scène, disparaît porte de gauche avec Gabrielle à ses trousses.


Scène XX

MONGICOURT, LE GÉNÉRAL.
Mongicourt, assis sur le canapé, et riant encore.

Ah ! ah ! ah ! ce pauvre Petypon !

Le Général, assis sur la chaise qui est à la tête du lit.

Ah ! ah ! ah ! je crois qu’elle doit être édifiée sur ses apparitions !

Mongicourt.

Ah ! ah ! je n’ai pourtant pas envie de rire !

Le Général.

Ah ! monsieur mon neveu, vous voulez mystifier le monde !… Mais tout finit toujours par se découvrir ; vous venez d’en avoir la preuve !… (Descendant et à Mongicourt.) Et à ce propos, monsieur, je vous fais toutes mes excuses !

Mongicourt, se levant.

À moi, général ?

Le Général (2), sévèrement.

Je sais tout !… Cette chère petite enfant m’a tout dit ; (Émoustillé.) elle est délicieuse ! Figurez-vous qu’elle ne connaît pas l’Afrique ! (Brusquement, de nouveau sévère.) Vous n’êtes pas le mari de madame Mongicourt ?

Mongicourt.

Mais non, général, puisqu’elle est la femme de Petypon !

Le Général.

Bien oui, je le sais bien ! mais, hier, n’est-ce pas ? j’ignorais ! alors, je vous ai envoyé une…

Il esquisse le geste du soufflet.
Mongicourt, vivement, comme s’il le paraît.

Oui !

Le Général.

Qu’est-ce que vous voulez ? Je sais bien qu’une gifle est une gifle !… Mais l’insulte n’est pas dans le fait, mais dans l’intention !… Ici, elle ne s’adressait à vous, que du moment que vous étiez le mari de la femme qui m’avait…

Mongicourt, même jeu.

Oui !

Le Général.

Vous ne l’êtes pas… Cette gifle n’est donc pas un affront ! Ce n’est qu’une commission.

Mongicourt, ne voyant pas où il veut en venir.

Comment ça ?

Le Général, bien lentement.

Le vrai destinataire est mon neveu Petypon ; (Avec un petit geste d’offrande.) vous n’avez qu’à lui faire parvenir.

Il remonte.
Mongicourt, ravi, à cette idée.

Mais… c’est vrai !

En parlant il passe extrême droite, devant la table.

Scène XXI

Les Mêmes, PETYPON, GABRIELLE, puis LA MÔME.
Le Général, voyant entrer Petypon.

Lui !

Petypon, à part sur le pas de la porte.

Mon Dieu ! pardonnez-moi ce dernier mensonge, il le fallait, pour convaincre ma femme !… (À Gabrielle, encore hors de vue.) Viens, Gabrielle !

Il la prend par la main et la fait entrer en scène.

Le Général, au milieu de la scène, sévèrement à Petypon.

— Ah ! te voilà, toi ! Je sais tout ! Tu m’as menti.

Petypon (2), au-dessus du canapé.

Hein ?

Gabrielle (1).

Qu’est-ce qu’il y a encore ?

Le Général (3).

La chère enfant que tu m’as présentée pour ta femme n’a jamais été ta femme ! Ta femme, c’est madame !

Gabrielle.

Évidemment !

Petypon, venant au général.

Mais c’est ce que je me tue à vous répéter.

Le Général.

Ah ! tu t’est moqué de moi ! C’est très bien ! Je t’ai donné ma parole que je ne te déshériterais pas, je la tiendrai !

Petypon, ravi de cette idée.

Oui ?

Le Général, l’arrêtant du geste.

Mais c’est fini entre nous ! Je ne te reverrai de ma vie !

Petypon, à part.

Je n’en demande pas davantage (Haut.) Oh ! mon oncle !

Le Général, descendant.

Non ! Non !

Gabrielle, devant le canapé.

Général, pardonnez-lui ! Sachez que c’est par abnégation qu’il a fait passer cette femme pour la sienne. Il savait qu’elle était la maîtresse de M. Corignon et c’est pour éviter un scandale et empêcher la rupture du mariage qu’il a fait ce pieux mensonge

Le Général.

Je ne sais qu’une chose : il s’est moqué de moi, ça suffit.

Tout le Monde, voyant la Môme qui entre et s’arrête sur le pas de la porte.

Ah !

La Môme, au général, descendant no 4.

Eh bien ! y es-tu ?

Le Général, empressé.

Voilà, bébé, je te suis !

Il remonte vers elle.
Tous, étonnés.

Ah !

Mongicourt, passant à Petypon.

Quant à moi, je me suis expliqué avec le général ; tu sais, pour l’affaire.

Petypon.

Ah !

Mongicourt.

Oui, il a trouvé un arrangement qui concilie tout : c’est de considérer la gifle, non comme un affront, mais comme une commission.

Petypon, sans comprendre.

Excellente idée !

Mongicourt.

Vraiment ?… Alors… tu souscris ?

Petypon.

Mais, comment donc, tu penses !

Mongicourt.

Oui ?… Ah ! bien, alors… (Il s’éloigne pour prendre du champ et lui envoie un formidable soufflet.) V’lan !

Petypon, bondissant en arrière.

Oh !

Le Général, qui pendant ce qui précède a été prendre les épées et son chapeau sur la table, tout en se dirigeant vers la Môme qui a gagné près de la porte.

Touché !

Petypon, se frottant la joue.

Non d’un chien !

Gabrielle, se précipitant vers son mari.

Lucien !

Mongicourt, s’effaçant pour montrer le général et bien lentement.

C’est de la part du général !

Le Général, à La Môme.

Je suis à tes ordres.

Petypon, inquiet.

À moi ?

Le Général, offrant son bras gauche à la Môme tout en l’indiquant de la main droite.

Non ! je parle à madame.

La Môme.

Et allez donc ! (Donnant une petite tape amicale sur la joue du général.) c’est pas mon père !

Elle sort avec le général.

RIDEAU

  1. Éviter comme le font quelquefois, par irréflexion, des interprètes du rôle de Gabrielle de dire : « Hein ! lui aussi ? » au lieu de « Hein ! aussi ? » qui est écrit. C'est en effet cette absence du mot LUI qui permet la confusion. Pour le général, il ne peut s'agir que de la gifle qu'il a donnée à Mongicourt et de celle qu'il a reçue de Gabrielle, tandis que Gabrielle entend la gifle que le général a donné à Mongicourt et une autre qu'il aurait donnée à Petypon.