La Dame de chez Maxim/Acte II
ACTE II
Un grand salon au rez-de-chaussée, donnant de plain-pied par trois grandes baies cintrées sur la terrasse dominant le parc. Aux baies, seules les impostes vitrées, les battants de portes ayant été enlevés pour la circonstance. À droite de la scène, premier et deuxième plan, deux grandes portes pleines. Entre les portes, une cheminée assez haute surmontée d’un portrait d’ancêtre enchâssé dans la boiserie. À gauche, une porte entre premier et deuxième plan. En scène, à gauche, un peu au-dessous de la porte, un piano quart de queue placé le clavier tourné à gauche, perpendiculairement au public. Entre le cintre et la queue du piano, trois chaises volantes, deux autres au-dessus du piano. Devant le clavier, une chaise et un tabouret de piano, ce dernier au lointain par rapport à la chaise. À droite de la scène, une bergère, le siège tourné à gauche, face au piano ; lui faisant vis-à-vis, une chaise volante ; au-dessus, une autre chaise, face au public. Ces trois sièges sont groupés ensemble, le tout placé à 1 m. 50 environ de la porte de droite, premier plan. Au-dessus de la porte, une autre chaise volante. Partant obliquement de la cheminée jusqu’au chambranle gauche de la baie de droite, un buffet servi, avec services d’argenterie. Au fond, consoles dorées de chaque côté de la baie du milieu. Lustre et girandoles actionnés par un bouton placé au-dessus et à gauche de la console de gauche. Tout est allumé dès le début de l’acte. Sur la terrasse, trois ou quatre chaises volantes. Suspendues en l’air, des guirlandes de fleurs avec lampes électriques. Rayon de lune sur l’extérieur pendant tout l’acte. Sur le piano, le képi du général.
Scène première
Ah ! ah !
« Une, deux, trois. »
Bravo ! Bravo ! (Puis c’est un murmure confus, au milieu duquel percent des :) « C’est délicieux !… Ah ! charmant !… N’est-ce pas que c’est exquis ?… Quelle délicate surprise ! »
Allez, mes nièces, des sirops et des gâteaux à ces enfants ! et qu’ils s’en fourrent jusque-là !
Oui, mon oncle.
Par ici, les gosses !
Ah ! Monsieur l’abbé, je vous fais mes compliments.
Ah ! Madame, vraiment… !
Ah ! très bien, monsieur l’abbé.
Vraiment ?
Ah ! délicieux !
Exquis !
Divin !
À pleurer !
Oui ? Vous trouvez ? oh !
Ah ! oui ! Ah ! oui !
Oui, vraiment, l’abbé, c’est touchant !… et d’une délicatesse !
Ah ! oui ! oui !
Ah ! Madame la duchesse, vous me comblez !… (Tandis que la duchesse va rejoindre à l’avant-scène droite mesdames Virette et Ponant et converse avec elles.) Ah ! mesdames, messieurs !…
Ah ! Monsieur l’abbé, merci ! je ne saurais vous dire combien j’ai été touché ! Vraiment, cette manifestation !… tout cela était si imprévu !… aussi vous me permettrez, à mon tour… (Appelant.) Émile !
Mon général ?
Descendez la chose, vous savez !
Bien, mon général !
Allez !
Ah ! général, je suis confus !
Mais voulez-vous bien vous taire !… c’est moi, au contraire, l’abbé !… Vrai ! ces paroles, bien qu’en musique, m’ont été au cœur !
Ah ! général !
Parole ! je leur trouve un air de bonhomie et de sincérité, qui m’a littéralement ému ! Je me suis dit : « Il n’y a que l’abbé pour avoir écrit ça ! » Quelqu’un me demandait : « Est-ce que ça n’est pas de Musset ?… » Je lui ai répondu : « Non ! C’est de l’abbé ! » Je suis heureux d’être tombé juste !
Ah ! général, vraiment, je ne mérite pas !…
Si, si, c’est très bien ! C’est comme cette fin : Et que Dieu vous bénisse, à vos souhaits !… comme pour un rhume de cerveau !
Ah ! oui ! oui !
Et puis… et puis comment donc, déjà : Le pays qui gardera la mémoire…
De l’heure de félicité !
…licité !
Qui réunit ici, dans l’antique manoi… re.
Dans l’antique manoi…
…re.
Comment, « manoi… re » ! Ça prend donc un e, manoire ? Je l’ai toujours écrit sans.
C’est pour la rime ; licence poétique !
Ah ! voilà ! voilà !… C’est que, j’aime autant vous le dire, je ne suis pas poète !… ce qui fait que, quand je prends une licence, moi, elle est prosaïque !
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Ah ! bravo ! mon général… bravo ! charmant !
Mon général a un esprit !
Ah ! voilà l’objet !
Messieurs ! aux champs !
Ta… tatata, tataire,
Tatata, tatata,
Tatata, tatatata, etc.
Une cloche !
Monsieur l’abbé ! permettez-moi à mon tour de vous témoigner ma reconnaissance en vous offrant cette cloche dont je fais hommage à l’église de votre village ! Elle est peut-être un peu culottée ! mais elle a cet avantage d’être un objet historique. (Un peu sur le ton du camelot.) Rapportée de Saint-Marc de Venise, par les soldats du général Bonaparte, elle fut offerte à mon grand-père qui devint général de l’Empire !
Ah !
Maintenant, si elle n’est pas plus grande, c’est que les soldats avaient précisément choisi la plus petite, attendu !… qu’une cloche est un objet plutôt encombrant à trimbaler en secret et surtout en voyage !… J’ai dit !
Bravo ! Bravo !
Ah ! général… mon émotion !… Je ne sais comment vous dire !… Laissez-moi vous embrasser !
Allez-y l’abbé !… (Arrêtant l’élan de l’abbé.) Ah ! je ne vous dis pas que ça vaudra une jolie femme ! mais pour un ecclésiastique, n’est-ce pas ?… Sur mes joues, l’abbé !
« Bravo ! bravo ! »
C’est bien ! posez la cloche sur cette console et rompez ! (Les valets remontent jusqu’à la console indiquée sur laquelle Émile dépose la cloche surmontée de sa gaine, puis les deux valets se retirent. Pendant que le général surveille la manœuvre, Guérissac et Chamerot sont descendus en causant devant le piano. L’Abbé va s’asseoir sur la chaise face au public, près de la duchesse assise elle-même depuis un instant dans la bergère. Conversation générale, brouhaha de voix, la cloche d’un côté et madame Petypon de l’autre font évidemment l’objet des différents bavardages. À ce moment paraissent, venant de la terrasse, la Môme et Clémentine suivies de Petypon. Le Général, redescendant vers ses officiers.) Ah ! voilà mes nièces !
Oh ! divine ! délicieuse, exquise !
Et un chic !
Une élégance !
La reine de l’élégance !
Oh ! vous me charriez, baronne, vous me charriez.
Ah ! charmant !
Exquis !
« Vous me charriez » ! est-ce assez parisien !
Oh ! mesdames !
Hein ! Croyez-vous qu’elle en a un succès, ma nièce, madame Petypon ?
L’attrait de la Parisienne sur toutes ces provinciales.
Oh ! vraiment, madame, me refuser, oh ! c’est mal ! Et vous, madame ? Quoi, pas même une coupe de champagne ? On n’a pas idée, vraiment ! Vous me contristez ! vrai, vous me contristez !… Et vous, chère baronne, serez-vous aussi impitoyable ? Une petite coupe de champagne ?
Une larme !
Une larme, à la bonne heure ! (Au maître d’hôtel à la façon des garçons de café.) Une coupe de champagne ! une !
Le fait est qu’elle a un je ne sais quoi, ma nièce ! un chien !…
Vous ne désirez pas vous rafraîchir, mon oncle ?
Merci, mon enfant ! va ! va !
Oui, mon oncle !
Ah ! je voudrais bien que celle-ci ressemblât un peu à mon autre nièce !
Mais, pourquoi ? Elle est charmante ainsi.
Charmante !
Ben oui ! ben oui ! elle est gentille, c’t'entendu ! mais c’t une oie.
Oh ! mon général !
Aussi lui ai-je donné un avis : puisqu’elle a la chance d’avoir sa cousine, qu’elle lui demande donc carrément de la dégourdir un peu. Vous voyez d’ici la satisfaction de Corignon en trouvant sa petite provinciale de fiancée entièrement transformée.
Ah ! quelle heureuse idée !
Enfin, ma chère amie, regardez plutôt comment est habillée madame Petypon !
Tenez ! écoutez-les ! écoutez-les !
Vous pensez bien que je n’ai regardé qu’elle !
Toujours ma nièce sur le tapis.
Ça prouve bien ce que je vous disais : qu’on ne portait que des robes princesse[4] cette année.
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise : madame Courtois m’a affirmé qu’on faisait la jupe cloche[5].
Ah ! madame Courtois ! madame Courtois ! Vous pensez bien que madame Petypon, qui est une Parisienne, doit mieux savoir que madame Courtois !
Oh ! nous finirons toutes par la lâcher, madame Courtois ! Elle ne se donne même pas la peine de se tenir au courant des modes.
Et ce n’est vraiment pas la peine d’avoir sa couturière à Tours !… pour être nippée comme si on se faisait habiller… à Douai !
Vous ne désirez pas vous rafraîchir, mesdames ?
Merci beaucoup, madame !
Et vous ?
Oh ! moi, rien ! Merci, merci mille fois !
Et vous, madame ?
Vous êtes trop bonne, merci !
Oh ! mais alors quoi, mesdames, la sobriété du cham…
… de l’anachorète !… de l’anachorète !
J’allais le dire, mesdames ! j’allais le dire !
Ouf ! Elle me donne chaud !…
Alors, rien ?
Eh bien ! toute réflexion faite, un peu d’orangeade.
Une orangeade, à la bonne heure !… je vais vous chercher ça, madame, je vais vous chercher ça ! (De loin, en remontant, suivie de Petypon.) Une orangeade ! une !
Presque simultanément. | Madame Hautignol[6], très vite et passant (2).
Eh bien ! vous avez vu, ma chère ! la jupe est plate par derrière avec l’ouverture sur le côté ! Madame Ponant, avant que l’autre ait fini sa phrase et aussi vivement.
La manche, ma chère ! la manche ! avez-vous remarqué comme elle est faite ? l’épaulette, le haut est rapporté ! Madame Virette, de même.
J’ai bien regardé la jupe, elle est de biais, ma chère ! avec le volant en forme comme je le disais.
|
Grande nouvelle, mes amies !
Quoi donc ?
J’ai vu son jupon de dessous.
À qui ?
Mais à ELLE ! À qui voulez-vous ? à madame Petypon !
Pas possible !
Comme je suis là, mes toutes chères ! tout en linon rose, figurez-vous !… et ample ! ample !…
Non ?
C’est bien ça ! Notre couturière qui nous fait toujours des jupons très collants !
En nous disant que c’est ce qu’on porte à Paris !
Celui-là on peut en prendre un bout de chaque main et tendre les deux bras, il en flottera encore !… et alors des volants en dessus ! des volants en dessous !… un fouillis de dentelles !… c’est d’un chic !
Non ?
Oh ! comment avez-vous fait pour savoir ?
Ah ! voilà !… J’ai été diplomate !
Oh ! je suis sûre que ça doit être d’un ingénieux !
À un moment où il n’y avait personne autour d’elle, je me suis approchée et je lui ai dit : (Avec lyrisme.) « Ah ! madame !… (Sur un ton tout à fait opposé.) je voudrais bien voir votre jupon de dessous ! »
Oh !
Quoi ? Comme ça ?
Comme ça !… Alors… (Bien détaillé.) le plus gracieusement du monde, de sa main droite elle a pris le bas de sa robe par devant… Comme ça : (Elle fait le geste de pincer le bas de sa jupe au ras du pied droit et, restant dans cette position.) et avec un geste indéfinissable… où la jambe aussi bien que le bras jouait son rôle, elle a rejeté le tout au-dessus de sa tête : hop-là !… (Elle simule le geste d’envoyer une robe imaginaire au-dessus de sa tête à la façon des danseuses de cancan.) Et je n’avais plus devant les yeux qu’une cascade de rose et des froufrous de dentelles, au milieu desquels une jambe, suspendue en l’air, décrivait des arabesques dans l’espace.
Non, ma chère ?
Si, ma chère !…
Oh ! mes chères !
Eh ! bien, voilà, mes chères !
Oh ! ces Parisiennes, il n’y a vraiment qu’elles pour savoir s’habiller !
Scène II
puis LE SOUS-PRÉFET en tenue, et MADAME SAUVAREL.
Monsieur et madame Vidauban !
Madame Vidauban ?… Attendez donc, madame Vidauban ?…
Eh ! général, notre Parisienne ! la Parisienne du pays !… celle qui donne le ton dans nos salons !
Ah ! madame, enchanté de vous recevoir chez moi !… ainsi que monsieur Vidauban !
Mais c’est nous, général, qui nous faisions une véritable fête !… (À son mari.) N’est-ce pas, Roy ?
Oui, ma bonne amie !
Bonjour, mes chères ! (À madame Hautignol.) Oh ! quelle jolie toilette !… (Avec la décision de l’expert.) C’est un modèle de Paris ! (Sans transition, à madame Ponant.) Eh ! bien mignonne ! je ne vous ai pas vue ce matin, jour du marché ; vous avez donc oublié ?
Non, figurez-vous, je n’ai pas pu !
Oh ! toutes ces dames y étaient… (Au général.) J’avais pensé y faire la connaissance de cette charmante madame Petypon, dont tout le pays vante le succès !
Au… au marché ?
Oh ! mais ici, c’est le grand chic !… Le marché du vendredi, ce sont nos Acacias, à nous !… On se contente… de ce qu’on a !
J’ignorais !… Il y a si longtemps, n’est-ce pas… ? Mais, tenez, si vous me permettez, je vais vous présenter ma nièce.
Mais nous serons ravis !… N’est-ce pas, Roy ?
Oh ! oui, ma bonne amie !
Vous savez, la Vidauban ! elle meurt d’envie de connaître madame Petypon : mais, au fond, elle doit crever de dépit !…
Pourquoi ?
Tiens, vous êtes bonne !… Elle, qui faisait autorité ici pour la mode et le ton, la voilà supplantée par une plus Parisienne qu’elle !
Oh ! bien, c’est pain bénit, ma chère ! Elle nous la faisait aussi trop à la Parisienne, avec ses « Ah ! ma chère, à Paris, nous ne faisons plus que ça… » et « À Paris, ma chère, voici ce que nous portons !… »
Tout ça parce qu’elle est née à Versailles !… et qu’elle va tous les ans passer huit jours dans la capitale !
Ça, c’est vrai !
Non, mais regardez-la ! se tortille-t-elle !
Mais non, du tout ! je dis ce que je pense, je dis ce que je pense !
Oh ! madame, vraiment, c’est moi, au contraire !… Euh !… (Non suspensif et bien bête.) croyez que ! (Salut.) Croyez que !
C’est vraiment trop d’honneur que vous faites à ma femme !
Oh ! voui ! Oh ! voui !
Comment, trop d’honneur ! Si vous saviez quelle joie c’est pour moi de rencontrer une vraie Parisienne ! Nous en sommes tellement sevrées dans notre province !
Ah ! Vous êtes sevrée ?…
Quand je pense que je suis seule ici à porter le drapeau du parisianisme !
Oh ! non, mais écoutez-la !
Vous êtes Parisienne, madame ?…
Oh ! Parisienne !…
Mais dis-donc que tu es de Versailles !
C’est-à-dire que j’ai toujours vécu à Paris.
Non !… elle ne le dira pas !
Il n’y a que depuis mon mariage… Les occupations de mon mari !… (Elle indique Vidauban qui s’incline.) Mais si je suis ici, mon âme est restée à Paris !
Oh ! chérie !
J’espère au moins que vous allez la rejoindre quelquefois ?
Oh ! une fois par an, pendant huit jours ! Mais, je me tiens tellement au courant de la vie parisienne que c’est comme si j’y étais !
Ah ! merci ! (À madame Vidauban, tout en se levant, avec un certain maniérisme.) Je vous demande pardon, chère madame, il faut que j’aille porter ce verre d’orangeade.
Oui, on l’attend ! on l’attend !… Je vous demande pardon !
Je vous en prie !
Oh ! je t’en prie, ne sois pas tout le temps sur mes talons !
C’est plus prudent ! Merci ! « La sobriété du chameau ! » Pour peu que tu en lâches quelques-unes comme ça !
Oh ! ben quoi ! « chameau », « anachorète », c’est un mot pour un autre ! (Elle tire à nouveau sur le chalumeau.) Et au moins le premier, on le comprend !
Oui, eh bien ! je préfère celui qui se ne comprend pas !
Voici, chère madame, votre verre d’orangeade !
Oh ! merci, chère madame.
Oh ! mais, de rien, madame ! de rien ! (Apercevant Clémentine qui est descendue extrême gauche et allant à elle.) Ah ! vous voilà, mignonne !
Vous savez, la Parisienne, là ! Eh bien ! elle est de Versailles !
Ah ?… (Gaiement et très légèrement entre ses dents.) Je m’en fous !
Je ne suis pas fâchée de le lui avoir dit.
Eh bien ? ça va-t-il comme vous voulez, mes nièces ?
Oh ! oui, mon oncle.
Oh ! oui, mon oncle !
Quoi, « oui, mon oncle » ? c’est pas à toi que je le demande ! Je dis : « Eh bien ! mes nièces » ; tu n’es pas ma nièce ?
Ah ! non !… Non ! Je regrette.
Pas moi ! Merci, une nièce de ton âge !… Tu es déjà assez vieux comme neveu !… (Chamerot et Guérissac, un peu au-dessus de lui.) Je vous demande un peu s’il ne devrait pas être mon cousin ? (On rit. À la Môme et à Clémentine.) Oh ! mais, je vois avec plaisir que vous faites bon ménage, les deux cousines !
Oh ! oui, mon oncle.
Tant mieux, bon sang ! Tu sais ce que je t’ai dit, Clémentine ! tu as ta cousine, profite-z-en !
Oh ! oui, mon oncle !…
Mais ne réponds donc pas toujours, (l’imitant.) : « Oh ! oui, mon oncle », comme une serinette ! Tu ne sais donc pas dire autre chose, sacré nom de D…
Oh !
Oh ! oh ! mon oncle !
… comme dit monsieur l’abbé !
Moi !… Oh ! oh ! général !…
Il remonte en esquissant un imperceptible signe de croix.
Ah ! elle a bien besoin que vous la dégourdissiez un peu !
Oh ! mais, c’est entendu, mon oncle ! Tout à l’heure, nous nous éclipserons un moment et je lui donnerai quelques conseils élémentaires.
Bravo !
Eh bien ! ce sera du joli !
Allons, prends ta droite ! (À Chamerot et Guérissac qui, par l’extrême-gauche, sont descendus jusque devant le piano.) Est-il jaloux, ce bougre-là, il ne la quitte pas d’une semelle !
C’est beau, général, de voir un ménage aussi uni !
Ah ! oui ! ça c’est beau !
Ce qu’il y a de drôle, c’est que plus je regarde madame Petypon, plus il me semble que je l’ai vue quelque part.
Oh ! que c’est curieux ! moi aussi !
Ah ?… Pas moi !…
Oh ! moi si !… Mais où ! Voilà ce que je serais bien en peine de préciser !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Oh !
Ah ! qu’elle est drôle !
Qu’elle est amusante !
Elle a une façon de dire les choses !
Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !
Qu’est-ce qu’il y a ? J’ai dit quelque chose ?… (À Petypon, qui lui a saisi la main droite et l’entraîne à l’avant-scène, tandis que le groupe se disperse.) Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce qui te prend ?
Non ! non ! tu ne peux donc pas nous priver de tes : « Où c’t’y qui ? », de tes « Qui c’t’y qui ? » et de tes « Eh ! allez donc, c’est pas mon père !… » ? À l’instant, là : « Où c’t’y qu’il est, le valet de pied ? », tu a vu l’effet que ça a fait !…
Ah ! non, c’t' averse !…
Quoi !
Zut ! tu me cours !
En voilà une réponse ! C’est comme ce matin, à déjeuner ; comme c’est d’une femme du monde de s’écrier : « Ah ! ça, monsieur l’abbé, vous me faites du pied ! »
Tiens, il me raclait avec ses godillots !
Oui, oh ! je t’engage !…
Et aïe donc, là ! Aïe donc les pieds ! Aïe donc !
Le pauvre homme, je t’assure qu’il ne s’apercevait guère !…
C’est possible ! mais moi je m’en apercevais !
Je ne savais plus où me fourrer ! heureusement qu’avec ton prestige de simili Parisienne, ce qui eût choqué chez une autre a paru du dernier genre ; on a ri. Mais il ne faudrait pas recommencer.
Oh ! non, écoute, ferme ça !
Ferme quoi ?
Ta bouche !… miniature !
Pfffue !
Eh ! bien, monsieur l’abbé ? nous sirotons ? (Recevant sur les mains, qu’elle a jointes derrière le dos, une tape de Petypon pour l’inciter à la prudence, — se retournant vivement.) Aïe donc, toi !
Mon Dieu, je le confesse ! Que voulez-vous, madame ? la soutane ne nous préserve pas de toutes les faiblesses humaines !
Oui !… oui !
Ah ! monsieur l’abbé, que je vous félicite — je n’ai pu le faire tout à l’heure — pour votre délicieuse composition !… (À mi-voix, à Petypon.) C’est-y ça ?
Oh ! madame, vraiment !…
Voyez-vous, j’aimerais que vous me la donnassiez.
Ouïe là !
Je veux l’apprendre et la chanter.
Oh ! madame, c’est trop d’honneur !
Non, non ! elle ne chante pas ! elle ne chante pas !
Pffo ! Comme on dit : entre le zist et le zest.
Oh ! si, si ! Je vois ça à votre figure.
Mon Dieu, monsieur l’abbé !… Qui c’t’y qui ne chante pas un peu dans notre monde ?
Boum là ! Aïe donc !
Ah ! charmant ! Vous avez une façon si piquante de dire les choses, vous autres Parisiennes !
Ah ! vous nous flattez, monsieur l’abbé ! Croyez que ! Croyez que !
Oui ! vous nous flattez, monsieur l’abbé, vous nous flattez !
Monsieur le sous-préfet ! Madame Sauvarel !
Ah ! (Appelant.) Ma nièce !
Mon oncle ?
Oh ! naturellement, il faut que tu arrives, toi ! (Accueillant le sous-préfet et sa femme qui arrivent du fond droit et entrent par la baie du milieu.) Chère madame !… Monsieur le sous-préfet !… (Au sous-préfet.) Voulez-vous me permettre… euh ! (Présentant la Môme.) Ma nièce… (À la Môme.)) Monsieur le sous-préfet et madame Sauvarel.
Mademoiselle, tous mes vœux !
Ah ! non ! non ! vous vous trompez ! (Indiquant Clémentine.) La fiancée, la voilà !
Ah ! mademoiselle, derechef !
Celle-ci est la nièce mariée !… au vieux monsieur là !
Charmant !
Mon neveu, le docteur Petypon ! (À la Môme.) Et maintenant, ma chère enfant, voulez-vous conduire au buffet notre aimable sous-préfète ?
Oh ! mais, comment donc ! (À Madame Sauvarel.) Madame, si vous voulez m’accompagner ?
Avec plaisir. (À son mari.) Tu permets, Camille ?
Va donc ! Va donc ! (Il fait mine de descendre, puis se ravisant.) Ah ! seulement !…
Quoi ?
Tu sais, hein ? tu te rappelles ce que je t’ai dit ?
Non, quoi donc ?
Mais si, voyons ! (Madame Sauvarel fait un geste d’ignorance.) Oh ! (À la Môme.) Vous permettez ?
Je vous en prie.
Je t’ai dit de bien observer comment toutes ces dames parlent… agissent… se tiennent… afin de prendre modèle ! Ça peut me servir pour ma carrière !
Ah ! oui ! (Elle va pour remonter, puis, se ravisant.) Oh !… on sait bien que nous sommes des fonctionnaires de la République.
C’est possible !… Mais ce n’est tout de même pas la peine d’en avoir l’air ! (Haut.) Va, va ! Madame Petypon t’attend.
Chère madame, que puis-je vous offrir ?… de l’orangeade !… une coupe de champagne ?… du café glacé ?… Qué c’t’y que vous voulez prendre ?
V’lan ! ça y est !
Mais, je ne sais vraiment pas !… Qué… qué c’t’y que vous avez de bon ?
Hein !… Ah ?… (Soulagé.) Oh ! alors !…
Oh ! ici, il n’y a rien… Voici pourtant un plafond de Fragonard.
Ah ! très joli !… De quelle époque ?
Eh bien ! de l’époque… euh !… de Fragonard !
C’est juste !
Ah ! par exemple, là haut, j’ai la salle des Pastels.
Oui… au-dessus !
Non, comment ! te voilà toi ?… Bartholo a quitté Desdémone ?
Comme vous voyez !… (À part, avec ironie.) Bartholo avec Desdémone ! (Haut.) Hein ! Si Don Juan savait ça !…
Ah ! ah ! « Don Juan et Desdémone ! » tu es fort en littérature, toi !
Vous me l’apprendrez.
Je pourrais !… En attendant, tiens, puisque tu n’as rien à faire, montre donc la salle des Pastels à notre sous-préfet.
Hein !… C’est que ma femme !…
Eh bien ! quoi, « ta femme ? » on ne la mangera pas, « ta femme !… » Est-il jaloux, ce bougre-là !… (L’envoyant no 2.) Allons, va !
Oh ! (Au sous-préfet.) Par ici, monsieur le sous-préfet.
Oh ! monsieur, vraiment, j’abuse…
Certainement, monsieur ! Certainement ! Si vous voulez me suivre !…
Volontiers !
C’est ça, passez devant !
Pardon !
Mon Dieu, faites qu’elle ne quitte pas la sous-préfète !
Scène III
puis LE DUC.
Non, vraiment, le percepteur a répondu ça au capitaine de gendarmerie ?
Comme je vous le dis, duchesse.
Oh ! c’est à envoyer à un journal de Paris.
Il n’y a vraiment que chez nous qu’on a de l’esprit.
C’est positif ! (Appelant.) Guy !
Vous désirez quelque chose, duchesse ?
Oh ! rien !… Je voudrais que mon fils m’apporte un verre d’eau.
Hein ? Mais, pas du tout !… (Appelant en voix de tyrolienne, l’ « É » dans le grave, « mile » dans l’aigu :) Émile !… (À la duchesse.) Mais, comment donc, duchesse !… (Même appel.) Émile ! (S’asseyant en face de la duchesse.) Nos gens sont là pour ça !… (Même appel.) Émile !
Madame ?
Eh ! ben, mon vieux ! pour quand ?… (Femme du monde.) Un verre d’eau pour madame la duchesse ! (Émile s’incline et remonte. À la duchesse.) Ah ! duchesse, je suis vraiment confuse !… ces larbins sont d’un lent !
Oh ! oh ! oh ! oh !
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
C’est cette expression de « larbin », dans votre bouche !…
Quoi ? Vous ne connaissez pas ce mot de larbin ?
Je le connais… sans le connaître !
Ah ! ah ! ah ! ah ! ah ! Elle ne connaît pas ce mot de « larbin », la duchesse !… (À madame Vidauban, qui considère sa tenue avec une attention un peu étonnée.) Vous entendez, ma chère ?… (Se tapant sur la cuisse.) La duchesse qui ne connaît pas le mot « larbin » !
Ah ! ah ! ah ! elle est bien bonne, ma chère !… (Même jeu.) Elle est bien bonne !
Mais, « larbin », nous n’employons que ce mot-là !
Mais il n’y en a pas d’autres !… « Larbin », (Même jeu.) nous ne disons que ça aujourd’hui ! (Même jeu.) N’est-ce pas, Roy ?
Oui, ma bonne amie !
Eh bien ! oui, qu’est-ce que vous voulez ? (Considérant avec son face à main Émile qui lui présente son plateau.) Alors… c’est un larbin, ça ? (Prenant le verre d’eau.) C’est drôle !
Eh ! bien, elle est polie !
Voilà ce que c’est de n’être plus Parisienne ! Mais, qui sait ! je vais peut-être être obligée de le redevenir. Voici mon fils majeur… (Appelant.) Guy !
Maman ?
Non, c’est vrai ? C’est à vous, ce grand fils ?
Oui, madame.
Mais, oui !
Oh ! le Jésus !
Ah ! ça grandit !… Et ce qui m’inquiète c’est l’idée de l’envoyer à Paris !
Mais quel besoin ?…
Que voulez-vous ? Il faut qu’il travaille (Moue du duc.) Malheureusement… il ne sait rien !
C’ t’un crétin !
Alors, n’est-ce pas ?… il va faire de la littérature.
Ah ! oui.
C’est évident !
Tout le monde sait plus ou moins écrire.
Ben, là, voyons, c’te farce !
Mais je conviens que, pour cette carrière, il est utile que mon fils vive à Paris !… Et c’est ce qui m’inquiète ! Le voici majeur ! en possession, par conséquent, de la grosse (Appuyer sur « grosse ».) fortune que lui a laissée son père…
Ah ?
Il est très faible !… Avec ça… (Rapprochant sa bergère et se penchant pour n’être pas entendue de son fils. — Confidentiellement aux deux femmes qui, curieuses, se sont rapprochées également.)… on devient un petit homme !…
C’est que c’est vrai qu’on devient un petit homme !
Nous savons toutes ce que c’est que la chair !…
Oh ! voui !
S’il lui arrive de tomber sur une de ces femmes… innommables, comme il en est !…
Ah !… dussèche !…
Le pauvre enfant sera mangé !
Ne m’en parlez pas ! Oh !
Ah ! quand j’y pense !…
Oh ! mais que vois-je ? Votre verre est vide ! Permettez-moi de vous débarrasser.
Oh ! mais, laissez donc !… (Avec intention, pour montrer qu’elle a profité de la leçon.) Le larbin est là !
Mais, du tout ! du tout !
Quelle charmante petite femme !
Charmante !
Et distinguée !
Tout à fait !
Et voilà, madame la duchesse ! Voilà qui est fait !
Oh ! chère petite madame, je suis confuse !
Mais, comment donc !… (L’œil en coulisse sur le duc.) Ah ! il est très gentil, votre fils ! Il me plaît beaucoup !… (Avec un coup d’œil plus insistant, au duc.) Beaucoup !
Oui ?
Ballot !
Ah ! que vous me faites plaisir !
Scène IV
Tous mes remerciements, cher monsieur !
Certainement, monsieur ! certainement. (Bondissant en apercevant la Môme assise sur sa chaise, le corps en avant, les bras sur les genoux et la croupe saillante, causant avec la duchesse.) Nom d’un chien ! La Môme avec la duchesse !
Chameau !
Comment ?
Non ! je cause avec mon mari !… (Se levant.) Pardon ! Vous permettez ?
Je vous en prie !
Quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?
Tu es folle de te lancer avec la duchesse !
Ah ! non ! Tu vas pas recommencer, hein ?
Qu’est-ce que tu lui as dit ?… De quoi lui as-tu parlé ?
J’y ai parlé de ce qui m’a plu ! Et puis, si tu n’es pas content, zut ! (Enjambant la chaise du milieu qui est entre elle et Petypon.) Eh ! allez donc, c’est pas mon père !
Oh !
Ah !
Oh !
V’lan ! Ça devait arriver !
Ah ! ah ! elle est très amusante avec son tic : (L’imitant.) « Eh ! allez donc, c’est pas mon père ! »
Oui !… Oui ! C’est le dernier genre à Paris !… Toutes ces dames du faubourg Saint-Germain font ce petit !…
Oui !… oui !
Ah ?… Ah ?
C’est une mode qui a été lancée par la princesse de Waterloo et la baronne Sussemann !… Et, comme elles donnent le ton, à Paris, alors !…
Oui ! Oui !
N’est-ce pas, madame Vidauban ?
Oui ! oui !
Là ! Vous voyez : madame Vidauban, qui est au courant des choses de Paris, vous dit aussi !…
Comment, vous le saviez ?
Mais, évidemment, je le savais !
C’est drôle ! nous ne vous l’avons jamais vu faire !
À moi ? Ah ! bien, elle est bonne ! Mais toujours ! Mais tout le temps ! N’est-ce pas, Roy ?
Oui, ma bonne amie !
Ça c’est fort !… Vous ne me l’avez jamais vu faire ? Ah ! ben… ! (Enjambant la chaise du milieu à l’instar de la Môme.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Ah !
Ouf !
Elle l’a fait !… elle l’a fait !… elle l’a fait !
Allons, voyons !… Allons, voyons !
Eh bien ! tu vois, ma chère amie, ce sont ces petites choses-là qu’il faut connaître ! ce sont des riens !… mais c’est à ces riens-là qu’on reconnaît la Parisienne. Étudie, ma chère amie ! étudie !
Oui ! oui !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Ah ! je sais !… Ce sont les pompiers de la commune dont on m’a annoncé la visite. Mesdames et messieurs, si vous voulez que nous allions à leur rencontre ? (Tandis que tout le monde remonte, il va prendre le bras de Petypon qui est avec la Môme près du buffet.) Allons, viens, toi !
Mais, mon oncle, c’est que…
Oui, oui, c’est entendu, « ta femme » ! Eh ben ! tu l’embêtes, ta femme !… Allez, viens ! (Il l’envoie milieu scène, puis se dirige vers le piano pour prendre son képi. À ce moment, son attention est attirée par madame Sauvarel qui répète consciencieusement dans son coin. Il la signale de l’œil à Petypon, puis, brusquement, en applaudissant des mains.) Bravo, madame Sauvarel !
Ah !
Scène V
Embrasse-moi !
Hein ?
Mais embrasse-moi donc, imbécile !
Euh !… Oui, madame !
Eh ben ?… C’est donc si désagréable ?
Oh ! non, madame !
J’ai un béguin pour toi, tu sais ?
Ah ?
Tu viendras me voir à Paris ?
Mais… votre mari ?
Il ne sera pas là ; ne t’occupe pas de lui ! Tu viendras ? (Après s’être assise.) C’est très chic chez moi, tu sais !…
Ah ?
Ouh ! le petit Ziriguy à sa Momôme ! (Elle lui a passé le bras droit autour des jambes, le bras gauche autour du corps, la main tenant le biceps, et le berce comme une nourrice.) On n’est pas bien comme ça ?
Oh ! si !
Mais, embrasse-moi donc, grand nigaud !
Ah !… madame !
À la bonne heure !
Oh !
Sapristi ! Votre mari !… votre mari ! Lâchez-moi !…
C’est rien ! fais pas attention !
Mais lâchez-moi, voyons !
Malheureuse ! tu es folle !… Si un autre vous avait vus !
Hein ?
Ah ! non ! dis ? tu vas pas recommencer ?
Enfin, voyons, est-ce que c’est une tenue, ça ?… avec monsieur sur tes genoux !…
Où voulais-tu que je le mette ?
Mais, nulle part ! Que diable ! quand tu seras à Paris, tu feras ce que tu voudras ! Mais, au moins, pendant que tu es ici, je t’en supplie, au nom du ciel, observe-toi !
Oh ben ! il n’est pas méchant !
Je vous en prie, mon cher duc, soyez raisonnable pour elle !… Je vois que vous êtes au courant ; je peux vous parler à cœur ouvert !… Eh ! je comprends très bien, parbleu : vous êtes jeune ; elle est jolie… Mais, quoi ? à Paris, vous aurez bien le temps ! Songez donc à l’effet que ça ferait si le général ou quelqu’un d’autre…
Mais comment, monsieur !… mais je comprend très bien !… (À la Môme qui, l’air maussade, est redescendue.) C’est vrai ; il a raison, madame !
Ah ! laissez donc ! Il est d’un collet monté !…
Ah ! par exemple, ça, si je suis collet monté !… J’en appelle au duc.
Ah ! ben, non ! ça, écoutez, vraiment, on ne peut pas lui reprocher !…
Là ! je ne suis pas fâché que monsieur le duc te dise…!
Laisse-moi donc tranquille ! Monsieur le duc ne sait pas comme moi…
Mais si, mais si, monsieur le duc se rend très bien compte… (Arrivé au fond.) Chut, du monde ! (Bondissant.) Nom d’un chien ! Gabrielle ! C’est Gabrielle ! (Sautant sur la Môme, toujours assise, et l’entraînant par le poignet dans la direction de la porte de gauche.) Vite, viens ! viens !
Oh ! mais quoi ? quoi ? qu’est-ce qu’il y a ?
Ça ne te regarde pas ! Viens ! Viens !
À tout à l’heure, mon duc !… mon petit duc !
Oui, ça va bien ! ça va bien !
Eh ! bien, qu’est-ce qui lui prend ! Ah ! ben !… (Changeant de ton, tout en redescendant extrême-gauche.) J’ai subjugué une femme du monde !… J’fais des béguins ! Ah ! si je pouvais raconter ça à maman ! Elle qui a toujours peur que je tombe sur une femme innommable.
Scène VI
Tenez, mon ami ! portez tout ça dans la chambre qui m’est réservée.
Dans la chambre ?… Mais laquelle ? On n’attend personne.
Comment, laquelle ?… Il n’y a pas une chambre pour madame Petypon ?
Ah ! si !
Eh ! bien, c’est bien ! faites-y monter mes colis !
Ah ?… Bien, madame !
J’ai subjugué une femme du monde ! (Apercevant Gabrielle.) Oh ! pardon, madame.
Oh ! pardon ! monsieur ! (Le duc s’incline.) Excusez-moi d’être en costume de voyage, je descends de chemin de fer et je ne me doutais pas qu’il y eût déjà réception ce soir.
Mais, madame, vous êtes tout excusée.
Le général n’est pas là ?
Il est dans le parc avec ses invités, mais il va revenir.
Parfait !… je vais en profiter pour aller voir si on monte mes malles !
Au revoir, belle madame ! au revoir ! Qu’est-ce que c’est que ce tocasson ?… (Brusquement.) J’aime mieux madame Petypon !
Hum ! Hum !… Messieurs les pompiers de la Membrole ! C’est toujours une profonde émotion pour un vieux militaire, qui, par conséquent, j’ose le dire sans forfanterie, aime les militaires, de voir, réuni devant lui et dans un même élan, tout un groupement, euh… militaire !… Oui !… Euh ! qu’est-ce que je voulais donc vous dire ? Je ne sais plus ! Ah ! oui ! Je vous salue, messieurs les pompiers ! Je salue votre drapeau en la personne si j’ose dire de vote bannière, ornée d’autant de médailles que la poitrine d’un brave. Comme disait Napoléon à Austerlitz… Attendez donc ! était-ce bien à Austerlitz ? Non, c’était à… D’ailleurs, peu importe ! À quoi bon des souvenirs historiques ? À quoi bon avoir recours aux paroles des grands quand on peut puiser en soi-même ? J’aime mieux vous dire tout simplement ce que mon cœur me dicte : merci, messieurs ! Vive les pompiers de la Membrole ! Vive la France et… et au revoir !
Bravo ! bravo !
Vive le général ! Vivent les fiancés !
Il y a du vin et de la bière pour vous là-bas sous la tonnelle ! Allez ! et, comme on dit au régiment, tâchez moyen de ne pas vous pocharder !
Vive le général !
À la bonne heure !
Ah ! c’était charmant.
Ah ! exquis.
Ah ! délicieux ! (Enjambant la chaise qui est au milieu.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Ah ! bravo, madame Claux !
Tiens ! je ne vois pas pourquoi je ne serais pas Parisienne, moi aussi !
Ah çà ! où sont donc mes nièces ?
Mon général, je viens de voir madame Petypon se promenant avec mademoiselle Clémentine dans le parc.
Ah ! parfait ! elle lui donne sa leçon de parisianisme.
Oh ! général, je sais bien une chose qui ferait plaisir à tout le monde !
Quoi donc ?
Quoi ? quoi ?
Ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai dit : il paraît que madame Petypon est excellente musicienne !…
Ma nièce ?
Parfaitement ! Et qu’elle chante à merveille.
Ah ! il faut lui demander de chanter !…
Oh ! ce serait si gentil, si elle voulait bien !…
La moindre des choses : quelques couplets, une romance !
Je vous promets, dès qu’elle sera là, de le lui demander.
Ah ! Bravo !… bravo !…
Scène VII
Là, mes malles sont montées !… Où est donc le général ?
Général ! Quelle est donc cette dame ?
Quelle dame ?
Là !
Hein ! Mais c’est la dame que j’ai vue hier chez mon neveu !
Pardon, messieurs ! vous n’auriez pas vu le général ?
Le Général ?
Ah çà ! qu’est-ce qu’elle vient faire ?
Mais, le voilà !
Oh ! c’est juste !
Je ne l’ai pas invitée, moi !
Ah ! général !
Chère madame… que c’est aimable à vous !
Excusez-moi, général, de me présenter ainsi. Je descends du train, et j’ignorais qu’il y eût ce soir réception !
Mais, madame… comment donc !… certainement !… je… je vous en prie !…
Oh ! mais, je vais aller m’habiller ! J’ai déjà fait monter mes malles !…
Hein !… (À mi-voix, de façon à n’être entendu que par le groupe des dames.) Eh bien ! elle est sans façon !
J’aurais bien voulu vous amener mon mari ! Malheureusement, il n’a pu m’accompagner ! Il vous prie de l’excuser.
Ah ! il vous prie de ?… Comment donc ! Comment donc !… Mon Dieu, vous auriez peut-être pu trouver une autre personne de votre famille.
Je n’avais personne.
Ah ! c’est regrettable !… (Se retournant, l’air narquois, vers les dames.) C’est regrettable ! Vraiment !
Mais moi, vous pensez bien que je me suis fait un devoir !… Aussi, malgré ce que vous m’avez raconté des revenants qui hantent ce château…
Ah ! ah ! oui, c’est vrai ! vous croyez à ces choses-là ! Mais ça n’existe pas, les revenants !
Oui, enfin !… je suis venue ; c’est le principal ! (S’écartant à droite, puis de là faisant signe au général et à mi-voix.) Général !
Madame ?
Voulez-vous me présenter à ces dames ?
À ces… ? Mais, comment donc ! avec plaisir !… (Au moment d’aller vers les dames, s’arrêtant et à part.) Saperlipopette, c’est que je ne me rappelle pas du tout le nom qu’on m’a dit en me la présentant !… Ah ! ma foi, tant pis ! (À mi-voix, aux dames, tandis que Gabrielle se tapote coquettement les cheveux, la cravate, se préparant à la présentation.) Mesdames, je vous demanderai la permission de vous présenter cette dame ! Seulement, ne me demandez pas son nom, je ne me le rappelle pas ! Je n’ose pas le lui demander, parce qu’il y a des gens que ça vexe ! Tout ce que je sais, c’est que c’est une excellente amie de ma nièce, madame Petypon !
Une Parisienne ?
Oui, une Parisienne !
Ah ! mais, nous serons enchantées !
Mais comment donc !
Mesdames ! voulez-vous me permettre de vous présenter madame euh… (Se penchant vers les dames, le dos de la main droite en écran contre le coin gauche de la bouche, et très glissé, à mi-voix, comme s’il prononçait le nom de la personne qu’il présente.) Taratata n’importe quoi c’que vous voudrez !
Comment ?
Rien, chut ! (Haut, présentant.) Madame Vidauban !
Ah ! madame, enchantée !…
Mais c’est moi, madame, qui…
Eh ! allez donc, c’est pas mon père !
Ah !
Madame Sauvarel !
Madame, enchantée !…
Oh ! madame, vraiment !…
Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Hein ! elle aussi ?
Madame Hautignol !
Madame !…
Madame, enchantée !
Nous allons un peu voir si celle-là aussi ?…
Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Ça y est ! Ça doit être un usage de la Touraine. (Haut.) Madame, enchantée !…
Mesdames Claux et Virette !
Mesdames !
Madame ! (Enjambant la chaise en même temps, madame Virette de la jambe droite, madame Claux de la jambe gauche, ce qui fait qu’elles s’envoient mutuellement un coup de pied dans le jarret.) Eh ! allez donc ! c’est… Oh !
Oh ! pardon.
Je vous ai fait mal !
Du tout ! et moi ?
C’est rien ! c’est rien !
Eh ben !… il faut venir en province pour voir ça !
Et, enfin, notre excellent ami, l’abbé Chantreau !
Ah ! madame, très honoré !
C’est moi, monsieur l’abbé !…
Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Le clergé aussi ! Oh ça ! c’est tout à fait curieux ! (Traversant pour aller aux dames qui sont devant le piano.) Vous m’excuserez, mesdames, de me présenter dans cette tenue ; mais je descends de chemin de fer !
Mais oui, mais oui !… (Voyant la duchesse qui descend en causant avec le sous-préfet. À part.) Ah ! et puis à la duchesse ! (Haut à la duchesse.) Ma chère duchesse ! Voulez-vous me permettre de vous présenter madame… euh… (Comme précédemment.) « Taratata n’importe-quoi-c’que vous voudrez !… »
Madame quoi ?
Chut ! oui ! n’insistez pas ! (Présentant, à Gabrielle.) La duchesse douairière de Valmonté !
Madame, enchantée !… (Enjambant la chaise comme elle l’a vu faire aux autres.) Eh ! allez donc ! C’est pas mon père ! (À part.) Puisque c’est l’usage !
En tout cas nous lui avons montré que nous étions à la hauteur !…
Excusez-moi, madame ! mais mon vieil âge ne me permet pas d’être dans le mouvement.
Mais comment donc !
Eh ! allez donc ! (Avec une révérence de menuet.) C’est pas mon père !
C’est ça, madame, c’est ça ! (Au général qui s’est effacé pour livrer passage à la duchesse, laquelle va s’asseoir sur la bergère de droite.) Et maintenant ne vous occupez plus de rien ! je me charge de tout !
Ah ?
Asseyez-vous, je vous en prie, mesdames !… Madame asseyez-vous, je vous en prie !… Si vous voulez vous asseoir, madame !… Asseyez-vous, je vous en prie, madame !… (Arrivée au bout de la rangée, brusquement au général.) Mais quoi ? Est-ce qu’on ne fait pas un peu de musique ? Quelque chose pour distraire cette aimable société ?…
Si ! Si ! on attend ma nièce, pour la prier de chanter.
Ah ! parfait ! parfait !… Cette chère mignonne, je serai enchantée de l’embrasser.
Elle aussi, croyez-le bien !
Mesdames et messieurs, vous êtes priés de patienter un peu ; nous attendons la nièce du général pour qu’elle nous chante quelque chose !
Oh ! mais nous savons ! nous savons !…
Ah ? Ah ?… vous savez ?…
Mais oui ! Mais oui !
Ah ? ah ?… Très bien ! très bien !
Non ! mais elle est étonnante !… De quoi se mêle-t-elle ?
Vous ne désirez pas vous rafraîchir, chère madame ?… Et vous, chère madame ?… Vous ne désirez pas vous rafraîchir ? Et vous ?
Non ! mais regardez-la : elle va ! elle va !
Et vous, chère madame, vous ne désirez pas vous rafraîchir ? (Voyant qu’elle hésite.) Si ! Si ! (En se retournant, elle se trouve face à face avec Émile qui descend du buffet avec un plateau chargé de rafraîchissements.) Valet de pied, voyons ! passez donc des rafraîchissements !… Qu’est-ce que vous attendez ?
Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez, mon garçon… passez des rafraîchissements, puisque madame vous le demande. (Émile s’incline puis passe les rafraîchissements aux dames de gauche en commençant par en haut. Le Général à part, gagnant la droite.) Ma parole, elle m’amuse !…
Monsieur et madame Tournoy !
Ah !
Ah ! monsieur et madame Tournoy ! que c’est aimable à vous !… (Avec un rond de jambe dans le vide.) Eh ! allez donc, c’est pas mon père !… (Ahurissement du couple.) Comme vous arrivez tard !… Excusez-moi de vous recevoir dans cette tenue, je descends de chemin de fer !
Mais, madame, je vous en prie !…
Pardon ! je vous serais obligé…
Oh ! c’est juste ! (Au couple.) Vous ne connaissez pas le général, peut-être ?… (Au général.) Général ! monsieur et madame Tournoy !
Ah ! bien, elle est forte !
Tenez, madame, si vous voulez vous rafraîchir au buffet… ainsi que M. Tournoy !
Ah ! non, mais permettez !…
Laissez ! laissez ! ne vous occupez de rien !
Oh ! mais elle commence à m’embêter !
Là ! voilà qui est fait !
Oui ! Eh bien ! c’est très bien ! mais je vous prierai dorénavant, madame !…
Oh ! non !… Pas madame ! Ne m’appelez pas madame, voulez-vous ?
Eh ! ben, comment voulez-vous que je vous appelle ?
Mais je ne sais pas ?… (Prenant de chaque main une main du général qui se demande où elle veut en venir, et l’amenant doucement à l’avant-scène, puis :) Comment appelez-vous votre nièce ?
Ma nièce ?… eh ! bien, je l’appelle : ma nièce !
Eh ! bien, voilà ! Appelez-moi : « ma nièce » !… ça me fera plaisir ! et moi, je vous appellerai mon oncle.
Hein ?
Ah ! mon oncle (Elle l’embrasse sur la joue droite.) Mon cher oncle !
Ah ! non ! elle est à enfermer ! (Apercevant Clémentine et la Môme qui bras dessus bras dessous reviennent par la terrasse.) Ah ! vous voilà les cousines !… Eh ! bien vous en avez mis un temps !
Je prenais ma leçon, mon oncle.
Elle prenait sa leçon, notre oncle !
Je sais ! Au moins, ça t’a-t-il profité ?
Oh ! oui, mon oncle !
Bravo ! (À la Môme, avec un geste de la tête dans la direction de Gabrielle qui tourne le dos.) Et vous, ma chère enfant, préparez-vous à une surprise !
Une surprise !… Laquelle ! (Reconnaissant Gabrielle et, à part, bondissant vers la gauche.) La mère Petypon !… Ah ! bien ! je comprends pourquoi le docteur filait comme un lapin !
Chère madame !… D’abord, ma nièce, Clémentine, la fiancée !
Oh ! qu’elle est mignonne ! Tous mes vœux, ma chère enfant !
Chère madame, je n’ai pas besoin de vous présenter mon autre nièce… (Un petit temps grâce auquel l’énoncé du nom qui suit peut s’appliquer aussi bien à la Môme qu’à Gabrielle.) madame Petypon ?…
Nous présenter ! Ah ! bien ! en voilà une question ! le général qui demande s’il faut nous présenter ; elle est bien bonne, ma chère ! Elle est bien bonne ! Non ! c’est pas croyable ! Comment, c’est toi ?
Hein ?
Ah ! bien ! c’est ça qui est gentil !… Et tu vas bien ? oui ? tu vas bien ?
Mais… pas mal ! et… et toi ?
Ah ! que je suis contente de te voir ! Mais regarde-moi donc !… mais tu as bonne mine, tu sais ! tu as bonne mine ! (En appelant, à l’assistance.) N’est-ce pas qu’elle a bonne mine !…
Elle a bonne mine !
Figure-toi, depuis que je ne t’ai vue, j’ai eu un tas d’embêtements ! Émile a été très malade !
Ah ?
Heureusement, il a été remis pour le mariage de sa sœur !
Ah ?
Tu sais, Jeanne !
Jeanne ?
Oui ! Elle a épousé Gustave !
Gustave ?
Tu sais bien, Gustave !
Euh…
Mais si… le bouffi !
Ah !
Oui ! Eh ! bien, elle l’a épousé, ma chère ! Hein ? qui aurait cru ? « Gustave » ! tu te rappelles ce qu’elle en disait ?… Enfin, c’est comme ça : c’est comme ça ! tout va bien… on dit noir un jour, on dit blanc le lendemain ! c’est la vie ! on est girouette ou on ne l’est pas. Tel qui rit… Mais, qu’est-ce que tu as ? Tu as l’air tout drôle ?… Je t’en prie, mets-toi à ton aise. As-tu soif ? veux-tu boire ? orangeade ? café glacé ?… orgeat ? limonade ?
Bière !
Oui ! parle ! dis ce que tu veux ! tu sais, tu es ici chez toi !
Oh ! elle y est !
J’te… j’ te remercie bien !
Oh ! mais je te demande pardon !… Tu permets ? hein ! tu permets !
Mais va donc, j’ t’en prie, va donc ! va d… (Sans transition, pendant que la Môme la laisse en plan pour aller rire avec les dames de gauche puis un instant après remonter au buffet.) Qu’est-ce que c’est que cette dame-là ? (Un temps.) Elle doit me connaître, puisqu’elle me tutoie !… Il n’y a pas, j’ai beau chercher ?… je ne la connais pas ! Si encore le général m’avait dit son nom, mais il n’a dit que le mien en présentant. (Voyant le général qui cause avec le groupe des dames de gauche et prenant un parti.) Ah ! ma foi, tant pis ! (Allant au général et confidentiellement.) Dites-moi donc, général !
Madame ?
Quel est donc le nom de cette dame ?
Quelle… dame ?
Celle-là !… que vous venez de me présenter.
Hein, la da… Ah ! ah ! très bien !… (Avec un sourire et un hochement de tête approbatif.) Elle est bonne !
Comment ?
Elle est bonne ! Elle est bonne ! Elle est bonne !
Qu’est-ce qu’il a ? (Elle hésite une seconde, puis, à part.) Oh ! il n’y a pas !… (Avisant madame Vidauban.) Dites-moi donc, chère madame ?
Madame ?
Pouvez-vous me dire quelle est cette dame ? (Elle indique la Môme de l’œil.) à qui le général vient de me présenter ?
Quelle est cette dame à qui ?… Ah ! ah ! Vous voulez rire !… Très drôle ! C’est très drôle !…
Ah ?… Ah ? (À part.) Ah ça ! elle aussi ! Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle dans ma question ! (Tandis qu’Émile présente son plateau pour reprendre les verres vides, au groupe de droite, remontant vers l’abbé qui cause avec le sous-préfet au-dessus du piano.) Dites-moi, monsieur l’abbé, ne pourriez-vous me dire… ?
Oui !… oui ! J’ai entendu la question… (Riant et comme le général, mais avec une certaine onction.) Ah ! Ah ! elle est bonne ! elle est bonne !… Ah ! ah ! ah !
Ah ! ah ! elle est bien bonne !
Oui !… (Un temps, puis à part.) C’est curieux comme on est rieur ici ! (S’adressant à Émile qui est en train de remonter avec son plateau) Dites-moi donc, mon ami ! quel est donc cette dame qui cause avec le général ?
Là ?… Mais c’est madame Petypon !
Hein ?… madame Petypon !… (Descendant d’une envolée jusqu’à l’avant-scène légèrement à droite, — et bien large :) Le Général est remarié !… Lucien ne m’avait pas dit ça !… (Voyant la Môme qui, venant du buffet, se dirige rapidement du côté des dames de gauche, s’élançant vers elle et la happant au passage, de façon à la faire virevolter pour l’entraîner par les deux mains jusqu’à droite du souffleur.) Oh ! venez ici ! que je vous voie ! que je vous regarde !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Figurez-vous que je ne me doutais de rien ! C’est le valet de pied qui m’a dit que vous étiez madame Petypon !
Ah ?
Je ne savais pas que vous étiez la femme du général !
Hein !
Ah ! ma tante !
Quoi ?
Ma chère tante !
Moi ? Ah ! zut !
Ah !
Ah ! que je suis contente ! que je suis ravie ! (L’embrassant à gauche.) Ma tante ! (L’embrassant à droite.) Ma chère tante ! (Lâchant la Môme et allant à madame Vidauban.) C’est ma tante, figurez-vous, madame !!
Comment est-ce qu’elle vous appelle ? Ma tante ?…
Oui !… oui !
Ah ! elle est bien bonne ! Moi, elle m’a demandé à m’appeler mon oncle !
Non, vraiment ?
Oui ! oui ! c’est une manie chez elle ! elle est tellement expansive qu’elle éprouve le besoin de vous donner comme ça des petits noms de famille !
Oui, enfin, elle est braque !
Eh bien ! madame ! vous êtes tout de même arrivée à être renseignée ?…
Mais oui, (Avec une petite révérence.) mon père !
Ah !… ah !… C’est à se tordre !… Moi, je suis son oncle ! Vous êtes sa tante ! Et l’abbé est son père ! (Avisant de sa place Guérissac qui est à l’avant-scène gauche et le désignant à Gabrielle.) Dites donc, madame !
Général ?
Est-ce que monsieur n’est pas votre neveu ?
Monsieur ?… Non !… non !
Ah ! mon ami ! Vous n’êtes pas son neveu !… C’est regrettable ! Ce sera pour une autre fois !
Oh ! mais je cause ! je cause ! et, pendant ce temps-là, je ne m’habille pas !… (Aux dames de gauche.) À tout à l’heure, mesdames, je ne serai pas longue… (Traversant la scène, et, au groupe de droite :) Je ne serai pas longue, mesdames, à tout à l’heure !
C’est ça, va ! va !
Pardon ! Pardon, monsieur ! pardon !
Ma nièce ! elle est complètement folle, votre amie.
Ah ! oui ! Ah ! oui !
Hum ! hum ! Général.
Qu’est-ce qu’il veut, l’abbé ! (Même jeu de l’abbé qui indique la Môme de l’œil au général.) Ah ! oui ! (À la Môme.) Ah ! ma nièce ! je vous avertis qu’un complot a été tramé contre vous !
Contre moi ?
Ma nièce, vous allez nous chanter quelque chose !
Oh ! oui ! oui !
Qui, moi ?… mais vous n’y pensez pas !… mais je ne chante pas !…
Oh ! que si !
Oh ! si ! oh ! si !
Mais je vous assure !…
Allons, voyons, vous n’allez pas vous faire prier !
Puis enfin, je n’ai pas de musique !
Oh !
Oh ! ma cousine, j’en ai vu un rouleau dans votre chambre !
Ah ! c’est traître ce que vous faites là !
Oh ! si, madame ! chantez-nous quelque chose !
Ça vous ferait plaisir… duc ?
Oh ! oui !
Ah ! duc !… Je ne peux rien vous refuser !
Ah ! madame !
Allons, soit !… Mais il me faudrait ma musique !
Je vais vous la chercher !… (S’arrêtant.) Dans votre chambre, n’est-ce pas ?…
Non, je l’ai descendue ce matin dans la bibliothèque !…
Ah ! bon !
Tenez, jeunes gens, aidez donc à ranger les chaises ! ça gagnera du temps !
Scène VIII
Ouf ! ça y est !
Ah ! te voilà, toi !… Qu’est-ce que ça veut dire ? Ta femme est ici !
Je le sais bien !
Qu’est-ce que tu en as fait ?
Je l’ai enfermée !
Hein !
Je l’ai aperçue qui entrait dans une chambre ; la clé était à l’extérieur ; alors, vling ! vlan ! deux tours !
Mais c’est fou ! qu’est-ce que tu y gagnes ?
J’y gagne du temps ! Gagner du temps, tout est là, dans la vie !
Voici votre musique, ma cousine !…
Ah ! bravo ! bravo !
Hein ! pourquoi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?
On me demande de chanter quelque chose.
En voilà une idée ! mais, c’est insensé !… pas du tout !
Ça fait plaisir au duc !
Mais, je m’en moque, que ça fasse plaisir au duc !… Mais malheureuse, qu’est-ce que tu vas leur chanter ?
Je ne sais pas !… J’ai bien là : La langouste et le vieux marcheur…
Mais tu divagues !… La langouste et le vieux marcheur, ici !
Oui, tu as raison ! J’ai peur que ce soit un peu !… Ah ! bien ! attends !… j’ai là une complainte sentimentale…
C’est ça ; voilà ! une complainte sentimentale, ça fera l’affaire.
Allez ! Qui c’t’y qui va m’accompagner ?
Eh ! bien… l’abbé !
Moi ! Mais, général, je ne joue que de l’orgue !
Eh ! ben ? C’est la même chose !… (Non restrictif, par conséquent dans la même modulation.) sans les pieds !
Ah ! mais non, général ! permettez !
Non ?… Bon ! adjugé ! (À l’assemblée tout entière.) Qui est-ce qui joue du piano ?
Maman !
Ah ! duchesse !…
Ah ! duchesse ! puisque l’abbé ne peut pas accompagner, vous ne pouvez pas nous refuser !
Je veux bien essayer !
Ah !
Duchesse ! mon bras est à vos pieds.
Oh ! général, vraiment !…
Bravo ! Bravo !
Ah ça ! qui est-ce qui a fourré ce sac là ? (Appelant.) Émile !
Mon général ?
Tenez ! enlevez donc ça ?
Vous voyez, duc ! vos désirs sont des ordres !
Oui, oui ! ça va bien.
Elle est exquise ! (Croyant la Môme toujours à côté de lui, dans un élan irréfléchi, il se retourne pour lui donner un baiser rapide. Avec passion.) Ah !
Allons, voyons !
Ah ! pouah !
Je vous en prie, duc, on vous regarde !
Oui, monsieur ! oui ! (À part, tandis que Petypon va rejoindre la Môme qui cause avec la duchesse au piano.) Il n’y a pas à dire : elle est délicieuse !… Au fait, elle ne m’a pas donné son adresse ! (Il se dirige carrément vers le piano pour aller parler à la Môme, mais en route rencontre Petypon qui se dirige vers le cintre du piano pour y prendre une chaise. — Mouvement de droite et de gauche des deux personnages pour se livrer passage.) Pardon !
Qu’est-ce que vous cherchez ?
Non, c’était pour… Au fait, vous pouvez aussi bien !… Dites-moi donc, docteur, où demeurez-vous, à Paris ?
Moi, 66 bis, boulevard Malesherbes ; pourquoi ?
Mais pour… (Avec un clin d’œil dans la direction de la Môme.) pour y aller !
Ah ?… Très heureux de vous recevoir ?
Trop aimable ! (Ils secouent tous les deux la chaise comme s’ils échangeaient un shake-hand puis, tandis que Petypon lui laisse étourdiment sa chaise dans la main, à part.) Je suis l’amant… d’une femme du monde !
Eh ben ! mais… j’avais une chaise !
Oh ! pardon ! distraction !
Il n’y a pas de mal !
La Marmite à Saint-Lazare !…
Ah !… Chut !… Chut ! Ah !
Mon Dieu ! Qu’est-ce que c’est que cette romance-là ?
Calme, ordonné, fait pour l’ ménage,
Dans mon p’tit taudis,
’Vec ma marmit’ pour tout potage
J’avais l’ paradis.
Hélas ! pourquoi, sur cette terre,
Le bonheur du (respirer.) re-t-il si peu ?
Le mien devait être éphémère ;
Voyez ! il n’a pas fait long feu :
Ma pauv’ marmit’, la cher’ petite !
Faut-il que le mond’ soy’ méchant[25] !
Pour Saint-Lazar’, v’là qu’on m’la prend,
Ma pauv’ marmite !
Bravo ! charmant ! délicieux !
Ah ! ça va bien… ah ! ça promet !
Deuxième strophe ![26]
Chantant.
On s’inquièt’ peu d’ mon existence,
Comment j’m'en tir’rai ?
À Saint-Lazare faut sa pitance,
Moi je turbin’rai !
Et, sans cœur, ils (respirer.) me l’ont bouclée !
Ell’ qui f’sait l’orgueil des fortifs !
« Ell’ n’était pas matriculée »
V’là c’qu’ils ont do (respirer.) nné comm’ motif !
À Saint-Lazar’, v’là qu’on l’abrite !
T’en as donc pas assez comm’ ça,
Grand Saint, qu’i’t faut aussi cell’-là,
Ma pauv’marmite ?
Bravo ! bravo !
Dis donc ! Ça me paraît plutôt poivré ce qu’elle chante là !
Plutôt !
Est-ce que vous comprenez quelque chose, vous ?
Moi ? pas un mot !
Ah ! bien, je ne suis pas fâchée de n’être pas la seule !
Troisième strophe ! (Troisiè… meustrophe !)
Ah !
Couplet sentimental !
Chantant.
Eh ! bien, soit, je t’en fais l’offrande,
— Puisqu’y faut, y faut ! —
En priant que Dieu me la rende
Quelque jour là-haut !
Et j’ f’rai trois crans, à ma ceinture
En attendant que j’ trouv’ un’ peau
Pour m’assurer ma nourriture
Puisqu’hélas ! on n’vit pas que d’eau.
Sois heureux a (respirer.) vec la petite !
Je m’ sacrifi’ le cœur bien gros !
Pour le bonheur et le repos
D’ ma pauv’ marmite !
« Ah ! bravo ! bravo ! ah ! quelle délicieuse diseuse !… Ah ! comme c’est chanté !… »
Bravo, ma nièce !
Mon Dieu ! heureusement qu’ils n’y ont rien compris !
Ah ! merci, madame ! Vous m’avez fait un plaisir…
C’est vrai… duc ?
Oh ! oui, madame !
Ah ! tant mieux, duc ! tant mieux !
Allons, voyons ! allons, voyons !
La ferme, toi !
Ah ! madame, je ne saurais vous dire l’émotion délicate que vous m’avez fait éprouver !… Ce cantique… est vraiment touchant !… C’est vrai : cet homme qui n’a qu’une marmite pour toute batterie de cuisine !… et qui l’offre en ex-voto sur l’autel de Saint-Lazare !
N’est-ce pas, madame la duchesse ?
C’est émouvant dans sa simplicité !… Seulement, il y a une chose qui me chiffonne dans la chanson !
Ah ?… Quoi donc ?
C’est ceci, voilà un homme qui fait l’offrande de sa marmite ; et il dit que pour la remplacer il va chercher… une peau !
Eh ! ben ?
Eh bien ! c’est un pot qu’il devrait dire !
Hein !…
Une marmite ; c’est un pot !… C’est pas… une peau !
Hein ? Quoi ?… (Prise d’un rire convulsif.) Ah ! ah ! ah ! Elle est bien bonne !… Un pot pour remplacer la marmite ! Ah ! ah ! ah ! La duchesse qui s’imagine !… Ah ! ah ! ah ! c’est à mourir !
Qu’est-ce qu’elle a ? Mais qu’est-ce qu’elle a ?
Mon Dieu !…
Ah ! ah ! ah ! ah !… Ah ! non c’est trop drôle ! Ah ! Ah ! ah !… Ah ! ah ! ah ! ah ! (Dans l’épuisement du rire.) Ah !… meeerde !
Oh ! (Parmi les invités, le rire s’est figé sur toutes les lèvres ! un silence glacial règne ! l’on se regarde et, peu à peu, l’on entend des chuchotements. « Qu’est-ce qu’elle a dit ?… Qu’est-ce qu’elle a dit ?… » Petypon, passant vivement devant la Môme et s’élançant face aux invités.) C’est la grrrande mode à Paris ! Ç’a été lancé chez la baronne Bayard !…
Oui… Oh ! ben !…
Là ! eh bien ! si on faisait quelque chose, à présent ! On a fini de chanter, qu’est-ce qu’on pourrait faire ?
Eh ! ben, dansez, maintenant !
Oh ! c’est ça ! C’est ça ! dansons !… (Pirouettant pour courir au piano.) Un quadrille !
Un quadrille !
Hein ! Ah ! non ! non !
Quoi ? Je vais accompagner !
Ah ! au piano ? bon ! bon ! ça je veux bien !
Tenez, madame, voilà justement un recueil de musique de danse !
Parfait !… Madame la duchesse, nous allons jouer à quatre mains !
C’est ça, à quatre mains !
Un quadrille ! un quadrille !
Ah ! mon Dieu ! Ce mot de « quadrille » ! quel éclair ! (Appelant.) Guérissac !
Chamerot ?
La ressemblance, j’ai trouvé ! La môme Crevette !
Ah !… c’t épatant.
Hein ? Crois-tu ?
Mais non, c’est pas possible ! le docteur n’aurait pas épousé la môme Crevette !
Il ne s’en doute peut-être pas ! Enfin, regarde : les façons ; le mauvais genre !
En tout cas, Môme ou non, elle a une de ces tenues !
Qui ça ?
Madame Petypon ! c’est une fille !
Je ne trouve pas, moi !
Mazette ! qu’est-ce qu’il lui faut !
Eh bien ! c’est comme ça que vous dansez ?
Voilà ! Voilà !
Vous y êtes ?
On y est !
La couturière vient d’apporter la robe de mariée de mademoiselle. Mademoiselle n’a rien à lui faire dire ?
Non, rien ! C’est bien.
Votre robe de mariée ? Oh ! est-ce qu’on pourrait la voir ?
Oh ! oui ! Oh ! oui !
C’est facile ! (À Émile.) Après la danse, vous irez chercher ma robe de mariée et vous la descendrez dans cette pièce !
Bien, mademoiselle !
Deuxième figure !
Deuxième figure !
Tralala lalala lalala, lalaire…
Allons, voyons !
Ta gueule !
Oh !
Tralala… oh ! ce que je l’ai dansé, celui-là !… tralala lalala… (Considérant tout en jouant la façon dont dansent les invités.) Mais, allez donc ! Chaud, chaud-là !…
Je t’en prie !…
Zut ! (Aux danseurs.) Vous avez l’air d’être en visite… Vous n’avez pas avalé votre parapluie ?
Je t’en prie ! pas de commentaires !
Quoi ? on ne peut plus parler ! Oh ! ce qu’ils sont mous ! Aïe donc, là !… Oh ! non, ce tas de ballots ! (N’y tenant plus, à la duchesse.) Tenez, continuez toute seule ! Voir des choses pareilles !…
J’ t’en prie ! Je t’en prie !
Fiche-moi la paix !
Oh !
Assez ! chose ! euh ! ma femme !… Je t’en prie ! assez ! assez !
Oh !
C’est la fin de tout ! C’est la catastrophe ! (Grande agitation générale. On entends des : « Ah ! non, tout de même, elle va un peu loin !… Jamais on n’a vu danser comme ça… On ne nous fera pas croire que dans les salons !… », etc. Petypon, s’élançant vers les dames, et avec l’énergie du désespoir.) C’est la grrrande mode à Paris ! Ç’a été lancé chez la princesse de…
Ah ! non ! non ! À d’autres !
Non ? Non ? Bon ! bien ! alors (Comme diversion.) la farandole ! la farandole !
C’est ça ! la farandole !
La farandole !
Eh bien ? Tu me diras encore que ce n’est pas la môme Crevette ?
Je reste confondu !
D’ailleurs, j’en aurai le cœur net !
La farandole !
La farandole !
Eh ! La Môme !
Quoi ?
Allons donc !
Oh ! la moule !
Aha !
Oh ! Pas de blagues ! Au nom du ciel, pas de blagues !… À Paris, tout ce que vous voudrez ! mais ici, pas de blagues !
À Paris ? bon ! bon !
La farandole !
La farandole !
Allons, mon oncle !…
Merci ! Moi, je suis trop vieux ! (Prenant Petypon par le bras et le faisant passer devant lui.) Tiens, Lucien ! tu me remplaceras !
C’est ça !
Mais non ! mais non !
Si ! Si !
S’amusent-ils ! sont-ils jeunes !… (Se retournant, apercevant Corignon, qui arrive du fond droit.) Ah ! voilà le fiancé !
Scène IX
puis CLÉMENTINE, puis LA MÔME, puis GABRIELLE.
Mon général !
Ah ! ben, mon ami ! vous arrivez un peu tard ! Votre fiancée vient justement de partir en farandolant !
Vraiment ! Oh !
Clémentine ! Eh ! Clémentine ! (Redescendant.) Ah ! ouiche ! elle ne m’entend pas ! (À la duchesse.) Dites donc, duchesse ! pas besoin de vous fatiguer davantage les phalanges ! Il n’y a plus personne !
Tiens, oui !
Si vous le voulez, nous allons aller à la recherche de la future !
Volontiers !
Vous, le fiancé ! attendez là ! je vous envoie votre fiancée !… Je crois qu’elle vous ménage une petite surprise !… Je ne vous dis que ça ! eh ! eh !
Vraiment, mon général ?
Je ne vous dis que ça ! (À la duchesse.) Duchesse ! En avant,… arche !
Une petite surprise ! une paire de pantoufles brodées par elle ! quelque chose comme ça (Descendant avant-scène droite.) Ah ! ce mariage ! Vrai, j’aurais mieux fait de ne pas revoir la Môme avant-hier ! (Apercevant Clémentine qui arrive par la terrasse, côté gauche, en courant, et s’arrête, hésitante, au moment de franchir la baie du milieu.) Ah ! la voilà ! (Tout en allant à elle.) Je vous attendais avec impatience, ma chère fiancée !
Ah ! le… Ah ! le voilà le gros Coco !
Hein !
Où c’ t’y qu’il était donc, qu’il arrive si tard ?
Ah ! mon Dieu !
Venez là !… (Elle lui prend la main.) qu’on vous regarde ! (Sans lâcher la main de Corignon, qui la regarde hébété et se laisse conduire, elle s’est assise sur la chaise. Brusquement, tirant à elle Corignon qui tombe assis sur ses genoux, elle face au public, lui dos côté cour.) Ouh ! le petit Ziriguy à sa Titine !
Ah ! Mon Dieu !
Ouh ! ma choute !
Ah ! mon Dieu ! mon Dieu !
Oh ! qu’il aimait donc bien qu’on le bécotte à son coucou, le gros pépère !
Mon Dieu ! ces mots résonnent à mon oreille comme un refrain déjà entendu !
Eh bien ! je crois qu’on est à la coule, hein ?… (Se retournant et enjambant gauchement la chaise qu’elle vient de quitter.) Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !…
« Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !… » Ah çà ! suis-je fou ? Ai-je des hallucinations ? C’est comme un écho de la môme Crevette !… (À Clémentine.) Clémentine ! est-ce vous ? Est-ce vous qui me parlez de la sorte ?
Ah ! Ah ! Ça vous la coupe, ça, eh ?… bidon !
Est-ce possible ? vous la pensionnaire naïve ? Qui vous a transformée de la sorte ?
Ah ! voilà !… c’est ma cousine ! (Grâce à ce jeu de scène, apercevant la môme Crevette qui a paru quelques secondes avant et s’est arrêtée dans l’encadrement de la baie pour écouter les propos des deux fiancés.) ma cousine Petypon… que je vous présente !
La môme Crevette !
Eh bien ! mon cousin ?… Êtes-vous content de mon élève ?
Vous !… Vous ici !
Tiens, vous vous connaissez ?
Oui ! (Vivement.) Non ! (Un temps.) C’est-à-dire…
On s’est rencontré chez le photographe !
Je vous en prie, ma chère fiancée, laissez-nous un moment ! il faut que je parle à… à votre cousine.
Oh ! allez-y !
Merci !
Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Oh !
Je crois qu’il doit être content de ma transformation !
Qu’est-ce que tu fais là ?
Eh ! ben, et toi ?
Moi ! moi !… Il ne s’agit pas de moi !… Est-ce que c’est ta place ici ? dans une famille honnête !…
T’es encore poli, toi ! Ça m’amusait d’assister à ton mariage ! (Bien sous le nez de Corignon.) Après tout, quoi ? tu es venu rejoindre ta fiancée ? Moi, je suis venue accompagner mon amant !
Ah !… tais-toi !
Qu’est-ce que ça te fait ?… tu n’es pas jaloux, je suppose ?
Jaloux ? Ah ! ah ! Certainement non, je ne suis pas jaloux ! Mais, enfin… je t’ai aimée ; et rien que pour ça, si tu avais un peu de délicatesse !…
J’ai pas de délicatesse, moi ! J’ai pas de délicatesse !
Non, t’as pas de délicatesse ! Non, t’as pas de délicatesse !
Ah ben ! celle-là !… (Retournant Corignon face à elle.) Dis donc ! est-ce que je t’en ai jamais parlé, de mes amants, tant que tu étais avec moi, hein ?… (Se détachant un peu à droite.) Mais aujourd’hui que tu ne m’aimes plus !…
Ah ! je ne t’aime plus… je ne t’aime plus !… Je n’en sais rien, si je ne t’aime plus !…
Puisque tu te maries !
Ah ! et puis ne m’embête pas avec mon mariage ! (Il remonte.) C’est vrai, ça ! plus j’en approche et plus je recule !…
Eh ! allez donc ! c’est pas mon père !
Écoute ! Te sens-tu encore capable de m’aimer ?
On pourrait !
Vrai ? Eh ! bien, dis un mot ! dis ! et j’envoie tout promener !
Oh ! tu ne voudrais pas faire une crasse à cette petite !
Ah ! si tu crois qu’elle m’aime ! (La main dans la direction par laquelle Clémentine est sortie, et comme s’il l’indiquait.) Elle m’épouse comme elle en épouserait un autre !… parce que son oncle lui a dit !
Ça… c’est vrai.
Comment le sais-tu ?
Elle me l’a dit.
C’est charmant !
Je lui ai demandé si elle avait de l’amour pour toi, elle m’a répondu : (L’imitant.) « Mais non ! l’amour ne doit exister que dans le mariage ! Et comme je ne suis pas encore mariée !… Eh ! allez donc ! c’est pas mon père ! »
Est-elle bête !
Ah ben !… tu es bien le premier mari qui aura reproché de pareils principes à sa femme !
Non, je te demande : quel bonheur peut-on espérer d’un mariage où il n’entre d’amour ni d’un côté ni de l’autre ?…
Le fait est !…
N’est-elle pas plus morale, l’union libre de deux amants qui s’aiment, que l’union légitime de deux êtres sans amour ?
Mon passé est là pour te répondre !
Va ! Va ! Nous pouvons encore être heureux ensemble ! Ne réfléchissons pas ! ne discutons pas ! laissons-nous aller à l’élan qui nous pousse l’un vers l’autre ! veux-tu encore être à moi ?
Tu veux ?
Oui, je veux ! Oui, je veux !… Et tu me seras fidèle ?
Ah ! et pis quoi ?
Si ! si ! tu me seras fidèle ! partons, veux-tu ? Je t’enlève ! partons !
Eh ben ! soit !
Ah !
Je passe une mante ! je mets une dentelle sur ma tête… et nous filons !
C’est ça ! C’est ça ! (S’arrêtant ainsi que la Môme sur le seuil de la baie.) Moi, j’écris un mot au général, pour lui rendre sa parole !
Et moi, je fais dire à Petypon de me renvoyer mes malles !
Où y a-t-il de quoi écrire ?
Par là ! (S’élançant d’un bond dans les bras de Corignon qui l’enlève dans ses bras et lui ceinturant la taille de ses jambes.) Ouh ! le petit Ziriguy à sa Mômôme !
À la bonne heure ! avec toi, ça sonne juste ! Chez la petite, ç’avait l’air d’une tradition dans la bouche d’une doublure !
À tout à l’heure !…
À tout à l’heure !
Eh ! allez donc, c’est pas mon père !
Ah ! ma foi, c’est le ciel qui le veut ! il ne m’aurait pas envoyé la tentation pour que j’y résiste ! Il doit me connaître assez pour ça. (Tout en parlant, il est allé prendre machinalement le képi du général qui est posé la visière en l’air sur le piano, s’en coiffe et fait volte-face dans la direction de la porte de droite ! À peine a-t-il fait quelques pas, qu’il a la sensation que le képi est bien large pour lui ; il agite sa tête ; pour s’en assurer, puis, édifié, retire le képi, fait « Oh ! » en constatant son erreur, va respectueusement reposer le képi à sa place, mais cette fois bord et visière en bas, recule de deux pas ; réunit les talons, salue militairement, fait demi-tour, remonte à la console, prend son képi dont il se coiffe et gagne vers la porte de droite, tout en raccrochant son sabre à sa bélière. Au moment où il s’apprête à sortir, il va donner dans Gabrielle qui, affolée, fait irruption par la porte de droite.) Oh ! pardon, madame !
Oh ! monsieur ! par quelle émotion je viens de passer !
Ah ! vraiment, madame ? Je vous demande pardon, c’est que !…
Figurez-vous, monsieur ! j’étais entrée dans ma chambre en fermant simplement ma porte sans toucher à la serrure…
Oui, madame, oui ! c’est que !…
Et quand j’ai voulu sortir, monsieur, elle était fermée à double tour !
Oui, madame ! oui !…
La clef avait tourné toute seule ! et voilà une demi-heure que je crie sans que personne entende ! (Lui lâchant le bras.) Enfin, heureusement, tout à l’heure…
Madame ! J’ai bien l’honneur de vous saluer.
Ça n’a pas l’air de l’intéresser, ce que je lui dis là !… (Descendant milieu de la scène.) Ah ! le général a beau dire que les revenants n’existent pas !… c’est égal, il y a de ces mystères !… Allons, ne nous mettons pas martel en tête !… Qu’est-ce que je suis venue chercher ?… Ah ! oui ! les clefs de mes malles… (Elle va jusqu’à la pointe du piano et cherche sur la caisse.) Eh ben ?… Ma sacoche ?… Je l’avais posée là sur le piano !… Elle est peut-être tombée !…
Scène X
puis Toute la Farandole, puis LE GÉNÉRAL.
Ah ! quelle soirée, mon Dieu ! quelle soirée ! (Se trouvant, nous ne dirons pas nez à nez, mais c’est tout comme, avec la croupe débordante de sa femme.) Nom d’un chien ! on l’a relâchée !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
Filons ! (Il s’élance pour s’éclipser par la terrasse extrême gauche, mais s’arrête brusquement et fait volte-face en se voyant en pleine lumière de la lune.) Oh ! sapristi, la lune !
Ah ! mon Dieu ! je n’y vois plus clair ! Que signifient ces ténèbres qui soudain m’environnent ?
Derrière le piano, en me baissant, on ne me verra pas !
Ah ! suis-je sotte !… c’est un plomb de l’électricité qui aura fondu !… Il n’y a pas de quoi s’alarmer. (S’armant de courage, elle se dirige vers le piano. À ce moment, Petypon trébuche dans le tabouret de piano qu’il n’a pas vu et, en cherchant à se rattraper, applique quatre accords violents sur le piano. Gabrielle, bondissant en arrière en poussant un cri strident.) Ah !
Oh ! maudit tabouret !
Qui… qui est là ?… (Silence de Petypon.) Au piano, qui est là ?… Personne ne répond ?… J’ai bien entendu, cependant !… (Se faisant violence.) Allons ! voyons ! voyons, Gabrielle ! (Avec décision, elle reprend le chemin du piano. Ce que voyant, Petypon toujours accroupi, lève ses deux mains au-dessus de sa tête et applique à nouveau deux ou trois coups de poing sur le clavier. Gabrielle, bondissant en arrière.) Ah !… (Petypon, voyant que son truc a réussi, se met, toujours à croupetons, à jouer l’air « des côtelettes » sur le piano.) Dieu ! le piano qui joue tout seul ! Le piano est hanté ! (Elle se sauve éperdue, et se précipite dans la pièce de droite. Elle n’a pas plus tôt disparu que, dans cette même pièce, on entend pousser un grand cri d’effroi, et Gabrielle reparaît affolée, reculant, les mains en avant, comme pour se protéger, devant l’apparition blanche qui s’avance sur elle. Les bras tendus, la tête courbée, en poussant des petits cris d’effroi, elle vient, par un mouvement arrondi, s’affaler à genoux devant le trou du souffleur, tandis qu’Émile paraît à la porte de droite, portant, à hauteur de sa propre taille et bien face au public, un mannequin d’osier revêtu de la robe de mariée à longue traîne de satin qui le dissimule complètement et qui au rayon de lune semble un gigantesque revenant. Émile, sans même se rendre compte de l’émoi qu’il cause, traverse la scène et sort de gauche deuxième plan, cependant que toute la théorie des farandoleurs, qui a fait le tour du parc et dont on entend depuis un moment les chants éloignés à la cantonade droite, fait irruption en scène, toujours dansant, et remplaçant la musique absente par des « tatatata tatatata », sur l’air de la farandole du départ. Elle pénètre par la baie du milieu, descend jusqu’à droite de madame Petypon qui crie : Grâce ! Grâce ! décrit un demi-cercle au-dessus d’elle, de façon à ce qu’elle soit toujours visible du spectateur, puis, faisant un crochet, remonte vers le fond gauche et, comme le vent, franchit la baie du milieu pour disparaître. Gabrielle, côté jardin, pendant tout ce jeu de scène.) Grâce ! Grâce ! messieurs les revenants !
Gabrielle ! Gabrielle ! je suis ton bon ange ! Écoute ma voix et suis mes conseils !
L’ange Gabriel !
Sous cette égide dont je couvre tes épaules, tu peux braver la malignité des esprits ! Mais, pour éviter un malheur, quitte à l’instant ce château ensorcelé !… Emporte ta malle ! et pars sans regarder en arrière !
Oh ! merci, mon bon ange !
Va !… et remercie le ciel !
Eh ! bien, oui, bon ! Quoi ! c’est bon ! Je vais voir.
Sapristi ! le général !
Eh ben ?… Qu’est-ce qui a éteint l’électricité, donc ? (Il tourne le bouton électrique qui rend la lumière partout. Apercevant Gabrielle qui, sous sa gaine, semble jouer toute seule à colin-maillard au milieu de la scène.) Qu’est-ce que c’est que ça ? (Reconnaissant Gabrielle à sa tournure.) Hein ! encore la folle ! (À Gabrielle.) Ah çà ! qu’est-ce que vous faites là-dessous, vous ?
Laissez-moi ! laissez-moi !
Mais, jamais de la vie !
Laissez-moi !
Mais non ! Mais non ! Elle emporte ma gaine, à présent ! Voulez-vous me rendre ça ?
Non !… c’est l’ange Gabriel qui me l’a mise sur la tête ! C’est l’ange Gabriel qui me l’a mise sur la tête !
Enfin ! j’en suis débarrassé ! Mon Dieu ! je n’ai plus qu’un précipice au lieu de deux ! Sauvez-moi du second !
Scène XI
Ah ! te voilà !
Hein ! toi ici ?
Dieu soit loué ! J’arrive à temps ! Ah ! mon cher ! Je viens de faire deux cent cinquante kilomètres… — je ne le regrette pas ! — pour t’avertir qu’un grand danger te menace !
Allons, bon ! qu’est-ce que c’est encore ? Parle ! Je suis prêt à tout.
Ta femme… est ici !
Oh ! que c’est bête de me faire des peurs comme ça !
Hein ?
Non, vrai, si c’est pour ça, tu aurais aussi bien fait de ne pas te déranger !
Comment ! tu le savais ?
Mais, voilà une heure qu’elle est ici ! Ce que j’ai eu de la peine à m’en débarrasser !
J’en ai eu le pressentiment ! C’est fait, alors ? Ah ! tant mieux !… (S’épongeant le front avec un mouchoir.) Mais, n’est-ce pas, je ne savais pas, moi ! Quand j’ai appris que ta femme partait, je me suis dit : « Il faut que j’aille prévenir Petypon ! » J’ai couru à la gare ; j’ai demandé à quelle heure le premier train ; j’ai sauté dedans, en me disant : « Ça y est. J’arriverai avant elle ! » Malheureusement, je n’ai pas réfléchi que le premier train était un omnibus, tandis que le second était un express ; de sorte que c’est le second qui arrivait le premier ! Comme dans l’Évangile : « les premiers seront les derniers ! »
Ah ! non ! pas de mots, hein ? je t’en prie !
Enfin, puisque tout s’est bien passé !…
Comment, « tout s’est bien passé ! » Et la Môme que tu oublies ! qui fait pataquès sur pataquès ! Ah ! il n’y a que toi qui puisses me tirer de là ! Va trouver le général ; dis-lui que tu es venu me chercher pour une opération qui ne souffre aucun retard ! J’invoque l’urgence ; j’emmène la Môme ; et pour le reste, je m’en charge ! (Le poussant vers le fond.) Va ! va !… et tu me sauves !
Entendu ! Où est le général !
Par là ! Dans le jardin ! avec ses invités !
J’y cours ! (Au moment de s’en aller.) Ah ! tu avais bien besoin de te mettre dans ce pétrin-là !
Scène XII
Voyons ! il n’y a pas un valet de pied pour faire porter ma lettre ?
Monsieur Corignon !
Monsieur Petypon ?
Ah ! monsieur, que je vous avertisse ! je crois que c’est mon devoir : la Môme… est ici !
Allons donc !
Comme je vous le dis !
Eh bien ! mon Dieu ! grand bien lui fasse.
Et çà ne vous effraie pas ?… Ah ! Dieu !… je voudrais la voir à cent lieues d’ici, moi !
Le ciel vous fera peut-être cette surprise !
Le ciel vous entende !
Mais je vous demande pardon, je suis un peu pressé… (Redescendant.) Oh ben ! puisque vous êtes là ! voulez-vous me rendre un petit service ?
Moi !
Je suis obligé de partir brusquement voulez-vous remettre cette lettre au général quand vous le verrez ?
Très volontiers !
Merci ! (Apercevant la Môme qui paraît, porte gauche, enveloppée dans une mante, la figure couverte d’un voile de dentelle. — S’élançant vers elle et à mi-voix.) Ah ! vous voilà ! partons !
Sapristi, Petypon ! (Elle se courbe comme une petite vieille et prenant le bras de Corignon, d’une voix tremblotante.) Au revoir, monsieur !
Au revoir, madame ! (À part, pendant qu’ils sortent par la terrasse, côté cour.) Sa grand’mère, sans doute !
Scène XIII
Quelle drôle d’idée d’écrire au général puisqu’il est chez lui ! Enfin, ça le regarde !
C’est étonnant !… Tu n’as pas vu Corignon ? Je ne peux pas mettre la main dessus.
Mais, si fait ! (Déclamant.) Voici même une lettre, qu’entre vos mains, mon oncle, il m’a dit de remettre !
À moi ? quelle drôle d’idée ?… (Après avoir parcouru la lettre des yeux.) Oh !
Quoi ?
Mille tonnerres !
Qu’est-ce qu’il y a ?
Le polisson ! Il me rend sa parole et m’écrit qu’il part avec sa maîtresse !… Nom d’un chien ! Ah ! il croit que parce qu’il est mon filleul… Eh bien ! je lui ferai voir !… (Remontant et appelant en voyant Émile qui, venant du fond droit, est en train de traverser la terrasse.) Émile !
Mon général ?
Vous n’avez pas vu le lieutenant Corignon ?
Si, mon général ! il montait en voiture avec madame Petypon.
Hein ?…
Qu’est-ce que vous dites ?… avec madame Petypon ?… Corignon ?… (Brusquement, faisant pirouetter Émile par les épaules et l’envoyant baller d’une tape du plat de la main.) C’est bien ! allez ! (Redescendant vivement, à Petypon, tandis qu’Émile se sauve par la porte de gauche.) Tu as entendu ? Il a enlevé ta femme !
C’est vrai ?
« C’est vrai ! » C’est tout ce que tu trouves à dire : « C’est vrai » ? V’là tout l’effet que ça te fait ?… (Volubile et énergique, en marchant sur Petypon.) Oh ! mais, ça ne se passera pas comme ça ! Si tu es philosophe, moi je ne le suis pas !… Tu portes mon nom ; et tu sauras qu’il n’y a jamais eu de cornards dans ma famille ! ce n’est pas toi qui commenceras ! (Il est remonté à grandes enjambées jusqu’à la porte de gauche, l’ouvrant d’un coup de poing et appelant.) Émile !
Mon général ?
Vite ! préparez ma valise et celle de M. Petypon et descendez-les !
Bien, mon général.
Mais pourquoi ?
« Pourquoi ! » (Saisissant Petypon au collet et le secouant comme un prunier.) Tu penses que je vais les laisser filer sans que nous courions après ?… (L’envoyant no 1 près du piano.) Attends-moi ! (Tout en prenant son képi dont il se coiffe.) Je vais voir si par hasard ils n’ont pas encore eu le temps de partir. Et s’ils sont partis, je t’emmène et nous les rattraperons !
Ah ! général !…
Oh ! vous, la folle, foutez-moi la paix !
Scène XIV
Nom d’un chien ! La v’là revenue !
Toi ! toi ici !
Oui ! Oui ! je t’expliquerai !…
Ah ! Lucien ! Lucien ! ne me quitte pas ! sauve-moi ! le château est possédé du démon !
Ben oui ! Ben oui ! Calme-toi ! là ! nous allons partir ! va devant ! va devant ! (Arrivé à la baie, apercevant le général revenant côté droit terrasse.) Nom d’un chien ! le général !
Ça y est ! ils sont partis ! (À Petypon.) Lucien, madame Petypon est une drôlesse !
Qu’est-ce qu’il a dit ? (Elle descend vers le général, le saisit par l’arrière-bras de façon à lui faire faire demi-tour face à elle et, prenant du champ, lui envoie un soufflet retentissant. Tiens !
Mille tonnerres !
Oh !
Ah ! madame Petypon est une drôlesse !
Mort de ma vie ! C’est la première fois qu’une femme ose porter la main sur moi pour un pareil motif !
Ah ! vous voilà, général ! Je vous cherchais !
Ah ! vous arrivez bien, monsieur !… vous êtes responsable des actes de votre femme : V’lan !
Oh !
Je suis à vos ordres, monsieur ! (À Petypon, tout en remontant vers la terrasse d’un pas accéléré.) Viens, toi ! courons après eux !
Oh ! ça se gâte !… ça se gâte !…
- ↑ Pour la musique, chœur des enfants, le quadrille, la farandole, ainsi que pour la chanson de « Marmitte à Saint-Lazare », s’adresser à la maison d’édition G. Ondet, 83, faubourg Saint-Denis, Paris. Il est interdit de substituer une autre musique à celle-ci qui a été écrite spécialement pour la pièce.
- ↑ Pour la cloche et sa gaine s’adresser à la maison Bérard, 8, rue de la Michodière, Paris
- ↑ La Môme, au centre du groupe, devant le buffet. Autour d’elle, un peu au-dessus, mesdames Hautignol (1), Ponant (2), Virette (3) ; Claux (4), tout près du buffet. La baronne est à l’extrémité droite du buffet, de l’autre côté duquel est Émile et un valet servant des rafraichissements. Clémentine est un peu à l’écart, entre mesdames Hautignol et Ponant. Petypon est entre la bergère où est assise la duchesse et le buffet. On le sent sur le qui-vive.
- ↑ À modifier au fur et à mesure des transformations des modes.
- ↑ Même observation.
- ↑ Tout ce dialogue est à modifier au fur et à mesure de la transformation des modes et en tenant compte de la toilette adoptée par l'artiste jouant la Môme. Bien entendu ce sont les toilettes dont certaines dames se plaignent qui seront précisément à la mode du moment, alors que celle qu’elles envient à la Môme sera de pure excentricité.
- ↑ Madame Ponant (1), madame Hautignol (2), madame Claux (3), madame Virette (4) devant le piano. Guérissac, Chamerot, la baronne au fond près du buffet. Petypon, la Môme, Clémentine près du buffet côté droit. Général assis face duchesse, près abbé.
- ↑ Tout le récit de madame Claux devra, chaque fois qu'on reprendra la pièce, être modifié, en tenant compte de la transformation des modes comme aussi de la toilette adoptée par l’artiste jouant la Môme.
- ↑ Le général (3), madame Vidauban (1), Vidauban (2) au-dessus.
- ↑ Devant le buffet, premier plan, la Môme, au-dessus le général, au-dessus Petypon face à la Môme, à gauche madame Vidauban, au-dessus Vidauban.
- ↑ Mesdames Hautignol (1) et Ponant (2) viennent s'asseoir sur les chaises près du piano, Virette et Claux se tiennent debout au-dessus du piano. Chamerot au coin du clavier (côté lointain) cause avec ces dernières, tandis que Guérissac, devant le clavier côté public, bavarde avec les premières.
- ↑ Le Sous-Préfet (1) et Madame Sauvarel (2) au milieu de la scène. Devant le buffet Clémentine (1), le Général (2), la Môme (3), Petypon (4).
- ↑ Pour les théâtres qui n’auraient pas de plafond peint pour leur décor, remplacer le plafond par un tableau, ou alors remplacer le texte par le suivant : « Oh ! ici, il n’y a rien. Mais dans la salle à côté, j’ai un plafond de Fragonard. — Ah ! mes compliments. De quelle époque ? », etc.
- ↑ À ce moment Guérissac, qui causait, assis avec le groupe de dames, Virette, Sauvarel, Ponant, se lève, offre son bras à madame Virette, tandis que de la main gauche, tout en causant, il écarte sa chaise qui gênait le passage, et la place ainsi au milieu de la scène ; puis toujours avec madame Virette à son bras, remonte jusqu’au buffet.
- ↑ Guérissac redescend du buffet avec madame Virette, la reconduit à sa place, puis remonte près de Chamerot, au-dessus du piano.
- ↑ Mesdames Hautignol et Ponant se lèvent et, tout en bavardant, se dirigent vers le buffet.
- ↑ À gauche, le long du côté droit du piano, Mesdames Claux (1), Ponant (2), la Baronne (3), Mesdames Vidauban (4), Hautignol (5). Au milieu, Chamerot (1), Guérissac (2), général (3). Près du buffet, l'abbé, Madame Sauvarel, Vidauban.
- ↑ Mesdames Claux (1) et Chamerot (2), extrême gauche ; Guérissac (3), appuyé contre la partie cintrée du piano ; madame Hautignol (4), assise, ainsi que madame Ponant (5), madame Virette (6), madame Sauvarel (7) ; Gabrielle (8), derrière la chaise du milieu ; Général (9), à droite assis ; madame Vidauban (10), Vidauban (11), Duchesse (12) ; au fond, au-dessus piano : l'abbé, le sous-préfet ; à droite au buffet : la baronne, invités, Émile.
- ↑ Gabrielle (3) au milieu de la scène, Émile (2), le général (1) près des dames de gauche.
- ↑ M. Tournoy (1), madame Tournoy (2), Galos, contre console droite (3), le général (4).
- ↑ Clémentine va s'asseoir auprès de madame Vidauban qui cause avec la duchesse.
- ↑ M. et madame Sauvarel remontent sur la terrasse où sont déjà quelques invités.
- ↑ La Môme (1) et Petypon (2) devant la caisse du piano. Au-dessus du piano, le duc (3). À droite du piano, le général (4), l’abbé (5). À droite de la scène, près du buffet, les invités hommes et femmes. Avant-scène droite, madame Vidauban, debout, causant avec la duchesse assise sur la bergère.
- ↑ Note de l’auteur. — Ayant remarqué que beaucoup d’interprètes ont tendance à chanter la romance ci-dessus bien plus face au public que face aux invités, je leur ferai observer qu’en ce faisant elles commettent un véritable non sens au détriment de la situation. La Môme, à ce moment, est censée chanter pour les invités du général, donc elle doit leur faire face et ne pas descendre à l’avant-scène comme le bon sens l’indique. Je compte sur les artistes qui interpréteront ce rôle pour prendre en considération cette observation. Lorsque j’aurai affaire à une cabotine, bien entendu, je l’autorise à agir au mieux de ses intérêts.
- ↑ Prononcer « meuchant ».
- ↑ Prononcer : « Deuxiè… meustrophe ! »
- ↑ Pendant la scène qui suit des groupes se forment au fond et on se prépare à danser. Toutes les chaises, aussitôt la fin de la romance ont d'ailleurs été enlevées et rangées contre la balustrade de la terrasse par les domestiques, aidés par quelques invités. Il ne reste en scène que la bergère et une chaise dans le cintre du piano, indépendemment de la chaise sur laquelle est assis Petypon, avant-scène gauche, et de la chaise de la Môme près du tabouret du piano.
- ↑ La scène est dans l’obscurité. Seule la terrasse est éclairée par un rayon de lune qui doit être dirigé de telle sorte qu’il vienne frapper la porte de droite premier plan. Éteindre les portants qui éclairent la découverte côté cour, de façon à avoir la nuit en coulisse quand on ouvre la porte de droite.
- ↑ Toute cette scène, ainsi que la scène finale, doit être jouée par le général dans un mouvement d’enfer et sur un diapason à tout casser.