La Daniella/21
XXI
Comme nous rentrions à Frascati, nous nous trouvâmes, sur la place extérieure, face à face avec la Daniella, belle comme un astre. Elle avait une robe de soie aventurine, un tablier tourterelle, un châle de crêpe de Chine écarlate sur la tête, du corail en collier et en pendants d’oreilles ; enfin tout attifée de la défroque de lady Harriet, mélangée et rajustée à la mode de Frascati, elle avait l’air d’une perdrix rouge.
Je ne sais trop pourquoi je fis semblant de ne pas la voir, peut-être par un sentiment de jalousie que je n’eus pas le temps de raisonner. J’espérais peut-être que Brumières ne la verrait pas ; mais il la vit, jeta la bride sur le cou de son cheval, et, courant à elle, il lui fit fête comme à une amie favorable à sa cause. Je vis alors qu’il ne savait rien du renvoi de la soubrette, et que, dans la famille B***, on disait avoir accordé à celle-ci la permission d’aller passer quelques jours dans sa famille.
— Vous allez sans doute revenir bientôt, lui disait Brumières : voulez-vous que je vous remmène ce soir à Rome ?
— Jamais ! répliqua la stiratrice d’un air de reine, après l’avoir laissé jusque-là dans son erreur, comme par malice.
— Comment, jamais ? s’écria Brumières ; vous êtes donc brouillée avec votre belle maîtresse ?
— À jamais ! répéta Daniella avec le même accent d’orgueil indomptable.
— Contez-moi donc ça ? dit Brumières, curieux de tout ce qui pouvait lui révéler quelque particularité du caractère de Medora.
Jamais ! répéta la Frascatine pour la troisième fois en tournant les talons.
Brumières la retint.
— Faudra-t-il lui faire cette réponse de votre part, si elle m’interroge sur votre compte ?
— Si vous lui dites que vous m’avez vue, et si elle vous demande comment je parle d’elle, vous lui direz que je lui pardonne, mais que je ne retournerai jamais avec elle, quand elle me donnerait mon pesant d’or.
Elle s’éloigna sans m’accorder un regard, et Brumières m’accabla de questions. C’est ce que je redoutais, étant las de toute cette diplomatie. Je m’en tirai comme je pus, en feignant, de ne rien savoir et de n’avoir échangé que quelques mots avec la Daniella depuis mon retour à Frascati. Je me gardai, de lui dire sa parenté avec la Mariuccia et ses habitudes à la villa Piccolomini.
En me taisant ainsi et en feignant la plus profonde indifférence, je sentis que je devenais de plus en plus mécontent de la façon légère dont Brumières parlait d’elle.
— Que se sera-t-il donc passé entre la maîtresse et la servante ? disait-il. Je donnerais gros pour le savoir. Voyons, vous ne l’ignorez pas, vous qui avez été au mieux à Rome avec cette fille !
Et, comme je m’en défendais, il se moqua de moi.
— Vous me faites poser, dit-il tout à coup, tomme frappé d’un trait de lumière. Elle est votre maîtresse ! C’est pour cela qu’on l’a renvoyée, et c’est parce qu’on l’a renvoyée que vous êtes ici !
— Je serais très honteux que vous eussiez deviné juste, lui répondis-je. Ce serait bien grossier de ma part, d’avoir pris ainsi mes aises dans une maison respectable et d’en avoir fait chasser cette pauvre fille, qui, après tout, peut être fort honnête, quoi que vous en pensiez.
Le voiturin qui va tous les jours de Frascati à Rome, sous le titre usurpé de diligence, arriva sur la place, et Brumières n’eut que le temps de me dire adieu.
Pour revenir à Piccolomini, je fis un détour, suivant au hasard, et comme malgré moi, la direction que, quelques moments auparavant, j’avais vu prendre à la stiratrice.
La ruelle dans laquelle je m’engageai me conduisit au faubourg qui forme ravin, du côté des anciennes constructions romaines. Tout cet escarpement est très-pittoresque. De vieilles maisons démesurément hautes, et plongeant à pic dans le précipice, sont assises sur des masses qui se confondent avec les rochers et qui sont d’énormes blocs de ruines antiques. Sous la gigantesque végétation qui les recouvre, on reconnaît des pans de murailles colossales, revêtues de mattoni, des escaliers et des portes qui, liés à des fragments entiers d’édifices par l’indestructible ciment des anciens, sont tombés là sur le flanc ou à la renverse. Et, pour soutenir tout cet éboulement, qui lui-même soutient les constructions modernes, on a fiché, ça et là, de vieilles poutres qui portent le tout tant bien que mal, jusqu’à ce qu’un de ces petits et fréquents tremblements de terre, dont on ne s’occupe guère ici, achève de tout emporter dans la plaine. Il y a de la place en bas ; c’est apparemment tout ce qu’il faut.
Parmi ces décombres, dont plusieurs laissent à nu de profondes excavations pleines d’eau, les habitants du faubourg ont établi des caves, des lavoirs, des celliers et des terrasses. Sur le couronnement d’une petite tour ruinée, je vis, au milieu du splendide revêtement de mousse qui miroitait sur tout ce tableau au soleil couchant, de grosses touffes d’iris blancs sortant des fentes du ciment. Quelque chose de mystérieux m’avertit que c’était là le jardin de la Daniella, et je m’imaginai que je devais la trouver elle-même dans cette maison, ou plutôt dans cette tour carrée que flanquent, jusqu’à la moitié, deux restes de tourelles rondes de construction plus ancienne. Cette habitation est la plus étrange et la plus démesurée du faubourg. Elle a une porte en arceau qui donne sur la rue basse, et dont la largeur occupe presque toute la façade d’entrée, si toutefois on peut appeler façade un long tuyau de maçonnerie perpendiculaire. Un sale ruisseau passe sous le seuil et va se perdre, tout à côté, dans un de ces cloaques antiques qui sont des abîmes.
J’entrai d’autant plus aisément que cette ouverture n’avait aucune espèce de porte. Je montai un grand escalier malpropre et usé qui me parut être le chemin commun à plusieurs des habitations superposées le long du précipice. Celle-ci présente sur la rue une face d’environ vingt pieds de large sur au moins cent pieds de hauteur, percée irrégulièrement, et, comme au hasard, de petites ouvertures qu’on n’oserait appeler des fenêtres. Quand j’eus gravi à peu près soixante marches, je trouvai une autre porte sur le flanc de la maison, et je me vis de niveau avec le sommet des tourelles antiques, par conséquent avec le parterre de deux mètres carrés où croissaient les iris blancs. Je ne pus résister à l’envie de sortir de la cage de l’escalier où, jusque-là, je n’avais été vu de personne, pour explorer cette petite plate-forme, que couvrait un berceau de roses grimpantes.
Il n’y a rien de plus joli que ces grappes de petites rosés jaunes ; le feuillage, ressemblant à celui du frêne, est superbe, et la tige prend les proportions sans fin du lierre et de la vigne. Ce rosier se plaît beaucoup ici, et celui-ci a toute l’élévation des tours, c’est-à-dire une cinquantaine de pieds. Ses rameaux, entrelacés sur des cannes de roseau, ombragent la petite plate-forme et reprennent leur ascension sur le flanc de la maison, bien décidés à grimper aussi haut qu’il y aura du mur pour les porter.
Sous ce berceau, un petit tombeau de marbre blanc, en forme d’autel antique, ramassé dans les décombres et couché sur le flanc, sert de siège. Quelques giroflées garnissent irrégulièrement le pourtour ébréché de la plate-forme, et, sur la terre rapportée qui les nourrit, je vis la trace d’un tout petit pied dont le talon, creusé plus que le reste, indiquait une bottine de femme, chaussure plus élégante que celle des pauvres artisanes de Frascati, et qui m’avait paru n’être portée que par la Daniella. Cette trace approchait du bord de la plate-forme, et une empreinte plus arrondie me fit deviner qu’on s’était agenouillé là, tout au bord, pour atteindre, en se penchant sur l’abîme, les fleurs d’iris blancs sortant du mur, deux pieds plus bas.
Comme ce jardin, ou plutôt cette tonnelle, n’a aucune espèce de rebord, et que le ciment des pierres ébranlées criait sous le pied, il me passa un frisson par tout le corps, en songeant à ce que j’éprouverais en voyant là une femme aimée se pencher en dehors, ou seulement s’asseoir sur le tombeau adossé au fragile édifice de bambous romains qui porte les branches légères du rosier.
Je m’y assis un instant pour me rendre compte, ou plutôt pour me rendre maître d’une émotion si soudaine et si vive ; car je me ferais en vain illusion, chaque minute qui s’écoule accélère les battements de mon cœur, et, désir ou affection, sympathie ou caprice, je me sens envahi par quelque chose d’irrésistible.
Je vins à bout, cependant, de me raisonner. Si c’était là, en effet, la résidence de la stiratrice et que cette jeune fille fût honnête, devais-je m’engager plus avant dans une visite qui pouvait lui attirer des chagrins ou des dangers ? Et, si elle n’était qu’une vulgaire intrigante, qu’allais-je faire en donnant, bien que dûment averti, tête baissée dans un guêpier ? De toutes manières, la raison me disait de fuir avant que les commères du voisinage m’eussent aperçu.
Je m’arrêtai à une solution passablement absurde, qui était d’explorer consciencieusement l’intérieur de cette grande vilaine bâtisse, où je supposais que la pimpante soubrette de miss Medora devait habiter quelque affreux bouge. Quand j’aurai surpris là, pensai-je, la hideuse malpropreté qui m’a fait reculer devant des maisons de meilleure apparence, je serai si bien guéri de ma fantaisie, qu’elle ne mettra plus en péril ni le repos de cette fille ni le mien.
Je quittai donc la plate-forme ; je rentrai dans l’intérieur ; je commençai à gravir l’escalier, qui, jusque-là, n’était, en effet, qu’un passage public, c’est-à-dire une servitude commune à huit ou dix maisons adjacentes, posées trop au bord de l’escarpement pour avoir d’autre issue.
L’escalier, tout en moellons, dont plusieurs portaient des traces d’inscriptions romaines, devenait de plus en plus rapide, étroit et sombre. De temps en temps, je rencontrais un palier ou une échelle conduisant à des portes cadenassées. Plusieurs c’étaient en si mauvais état, que je pus regarder à travers : c’étaient des chambres hideuses, meublées d’un ou de plusieurs grabats énormes, de quelques chaises de paille plus ou moins cassées, et de cette multitude de pots et de cruches de toute matière et de toute dimension qui sont ici le fonds du mobilier.
Dans une pièce plus vaste, également déserte et cadenassée, je vis une grande table et un attirail de fer et de fourneaux..
— Bon ! pensai-je, voilà l’atelier de la stiratrice. Le local était tellement nu, qu’il n’y avait rien à conclure pour ou contre la propreté qui pouvait y régner d’habitude.
Je montai encore. Mais comment se faisait-il que cette maison, évidemment habitée, n’eût pas, en ce moment, une seule figure humaine à me montrer, une seule parole humaine à me faire entendre ? En passant la tête par un des jours de l’escalier ; je plongeais dans toutes les fenêtres ouvertes des maisons voisines, et je voyais ces maisons également désertes et silencieuses, bien que les chiffons pendus à des cordes et les vases égueulés sur les fenêtres me prouvassent qu’elles n’étaient pas abandonnées à la ruine qui les menace. Enfin, je me rappelai que la Mariuccia m’avait parle d’un fameux capucin qui devait prêcher, à cette heure-là précisément, dans une des églises de la ville, et je m’expliquai le désert qui m’environnait et la brillante toilette de la Daniella. Sans aucun doute, toute la population était au sermon, et je pouvais continuer sans danger mon exploration. Le son de la cloche m’avertirait du moment où je ferais bien de déguerpir.
Ainsi rassuré, j’arrivai au dernier étage. Une porte, dont la gâche ne mordait plus, s’ouvrit comme d’elle-même quand j’y appuyai la main. L’escalier continuait, mais ce n’était plus qu’une vis en bois sans rampe, une sorte d’échelle. Si je n’étais pas chez la stiratrice, j’étais du moins chez quelque personnage mystérieux dont les habitudes ou les besoins d’élégance contrastaient singulièrement avec le reste de ce taudis, car les degrés de bois étaient couverts d’une natte de jonc très-propre, et la porte à laquelle ils s’arrêtaient était fermée, en guise de loquet, par un bout de ruban rosé passé dans deux pitons.
Je me résolus à frapper. Personne ne répondit. J’hésitai à dénouer le ruban, qui me semblait une marque de confiance respectable ; mais ce pouvait bien être aussi l’enseigne d’une demeure suspecte. Je cédai à la curiosité : j’entrai.
C’était une assez grande pièce, puisqu’elle occupait tout le carré du faite de la maison. Les murs, récemment blanchis au lait de chaux, n’avaient pour ornements qu’un crucifix, un joli bénitier de faïence ancienne et quelques gravures de dévotion. Une statuette d’ange, moulée en plaire, était posée dans une petite niche, à la tête du lit. Une grande palme bénite de la fête des Rameaux, toute fraîche encore, ombrageait l’oreiller. Le lit blanc, d’un aspect virginal, la carreau recouvert de nattes, les deux chaises de fabrique frascatine, en paille tressée et en bois orné de dorures naïves ; la table de toilette avec sa nappe garnie de grosses dentelles de coton, sa glace brillante, et tous les petits ustensiles qui attestent un soin consciencieux et même recherché de la personne ; de gros bouquets de cyclamens roses dans des vases de terre cuite, qui étaient peut-être des urnes cinéraires ; un rideau de mousseline, non encore ourlé, à l’unique fenêtre : je ne sais quel air embaumé de propreté scrupuleuse et de sensualité chaste, voilà quel était l’intérieur, tout fraîchement arrangé, de la stiratrice.
Mais étais-je bien chez elle ? Et, si j’étais chez elle, en effet, ne pouvais-je pas m’attendre à voir arriver quelque chaland initié à la honteuse signification du ruban rosé ? Était-il possible, encore une fois, qu’une jolie fille, libre d’allures et de principes comme elle paraissait l’être, comme elle l’avait été en me disant : « Espérez tout si vous m’aimez,» vécût là saintement dans un sanctuaire d’innocence, au milieu des humbles recherches féminines d’une coquetterie bien entendue, sans songer à tirer parti de sa supériorité d’esprit, de luxe et de manières sur toutes ses compagnes ? Imaginer une grisette de Frascati vertueuse ou seulement désintéressée, n’était-ce pas, selon Brumières, le comble du don quichottisme ?
Que m’importait, après tout ? Et pourquoi cette dévorante inquiétude ? Pourquoi vouloir trouver une vestale dans une fillette à l’œil provoquant et à la démarche voluptueuse ? N’était-ce pas assez de voir qu’elle avait, relativement, autant de soin de sa jeunesse et de ses charmes que miss Medora elle-même ? Rencontrer cette initiation à la vie civilisée chez une Italienne de cette classe, n’était-ce pas une bonne fortune à ne pas dédaigner ?
Au beau milieu de ces réflexions d’une grossière philosophie, je devins d’une tristesse mortelle, sans trop savoir pourquoi. J’étais assis sur la chaise peinte et dorée, auprès de la fenêtre. À travers les fleurs d’une grosse touffe de pétunia blanche, qui poussait d’elle-même dans les fentes d’une pierre, comme chez nous les violiers jaunes, je pouvais plonger de l’œil dans le gouffre immonde de la Cloaca, où se précipitaient des ruisseaux d’eau de lessive et de fumier. Et pourtant, un air vif, passant, à la hauteur où j’étais, sur toutes ces émanations pestilentielles, ne s’imprégnait autour de moi que des parfums de ces fleurs et de cette chambre. La splendide verdure des rochers et des ruines tendait à couvrir et à cacher la sentine impure, et, dans le ciel immense qui s’étendait sur la campagne de Rome et sur les montagnes bleues de l’horizon, il y avait quelque chose de si doux et de si pur, qu’on ne pouvait allier la pensée du vice avec celle de l’habitante de cette cellule aérienne.
— Mais quoi, pensais-je en m’arrachant au charme qui me dominait, ce vaste ciel et ces sales décombres, ces fleurs luxuriantes et ces égouts infects, ces yeux enivrants et ces cœurs souillés, n’est-ce pas là toute l’Italie, vierge prostituée à tous les bandits de l’univers, immortelle beauté que rien ne peut détruire, mais qu’aussi rien ne saurait purifier ?
Le son de la cloche m’avertit que l’on sortait de l’église. Comme j’allais quitter cette chambre, incertain encore de la réalité de ma découverte, un objet qui n’avait pas encore frappé mes regards me prouva que j’étais bien chez la Daniella, et cette preuve fut en même temps une révélation émouvante. Dans la niche qui contenait la statuette de l’ange gardien, je remarquai une pierre d’une forme étrange : c’était un de ces petits cônes de lave sulfureuse que j’avais cassés à la solfatare, sur la route de Tivoli. J’aurais hésité à le reconnaître si, dans le tube qui perfore ces petits cratères, on n’eût planté une fleur de pervenche desséchée, et cette fleur, je la reconnus pour l’avoir cueillie auprès du temple de la sibylle. Medora l’avait prise et mise avec soin dans du papier, circonstance qu’en ce moment-là je n’avais attribuée qu’à une sentimentalité anglaise pour le sol de l’Italie. Elle m’avait aussi demandé un de mes échantillons de la solfatare, et j’y vis une petite étiquette marquant la date de cette promenade. Daniella lui avait-elle volé ce souvenir, ou l’avait-elle ramassé dans les balayures ? C’est ce que je me promis de savoir. Quoi qu’il en soit, je fus touché de le voir là, posé au chevet de son lit comme une relique, et j’y crus trouver une réponse éloquente à tous mes soupçons, tant il est vrai que la femme qui nous aime se purifie, par ce seul fait, dans notre ombrageuse imagination.
Des voix lointaines, qui chantaient horriblement faux je ne sais quels cantiques, me donnèrent un second avertissement. Je renouai le ruban rose à la porte ; puis, entraîné par ma fantaisie de cœur, je le dénouai, et je rentrai dans la chambre pour placer sûr la pierre de soufre un petite bague antique assez jolie, que j’avais achetée à Rome, au columbarium de Pietro. Enfin, je me hâtai de sortir, de descendre et de regagner l’intérieur de la ville, avant que les habitants du faubourg eussent reparu sur les hauteurs.
En traversant la rue de la Tomba-di-Lucullo (on dit qu’une vieille tour qui est encastrée dans une des maisons de la ville, est le tombeau de Lucullus), je ne rendis compte des chants discordants que j’avais entendus. Une cinquantaine d’enfants des deux sexes, agenouillée dans la crotte, glapissaient un cantique devant trois petites bougies allumées autour d’une madone peinte à fresque sur le mur. J’allais passer insoucieux, quand je vis arriver une douzaine de jeunes filles portant des fleurs dont elles voilèrent complètement la madone, en les piquant, une à une, dans le petit grillage de laiton qui la protégeait. La Daniella était parmi elles, et chantait aussi ; mais sa voix était perdue dans ce vacarme, et je ne pus savoir si elle chantait plus ou moins faux que les autres. Elle me vit, et me suivit des yeux en sonnant, mais sans cesser de chanter et sans se déranger de la cérémonie.
Je n’osai m’arrêter, car on me regardait curieusement, et fade de dévotion qu’on accomplissait n’empêchait pas les chuchoteries des jeunes filles.
Je rentrai donc sans avoir pu échanger un mot avec la stiratrice, et cela fait maintenant deux jours passés ainsi ; ce qui est étrange après la conversation que nous avons eue ensemble. Je crois bien qu’elle me boude sérieusement, car j’ai fait le coup de tête de demander à la Mariuccia pourquoi sa nièce ne venait plus la voir, et elle m’a répondu :
— Elle vient aux heures où vous n’y êtes pas.